samedi 5 décembre 2020

Meunier tu hurles le grain et l'ivraie


« Un petit village du nord de la Finlande, peu après la guerre, voit arriver un inconnu qui rachète et remet en marche le vieux moulin. D'abord bien accueilli, le nouveau meunier Gunnar Huttunen a malheureusement un défaut : à la moindre contrariété, il se réfugie dans les bois pour hurler à la lune, empêchant les villageois de dormir. Ces derniers n'ont dès lors qu'une idée, l'envoyer à l'asile. Mais Huttunen, soutenu par la conseillère rurale Sanelma Käyrämö, est bien décidé à se battre pour défendre sa liberté. »

Le décor est planté dès les premières lignes du roman : Gunnar Huttunen passe pour un insensé quand il entame les travaux de rénovation du vieux moulin qu'il vient d'acquérir. Pourquoi s'enquiquiner à retaper un moulin délabré et inutilisé depuis plus de trente ans ? Pourquoi s'installer comme meunier alors qu'i y a une coopérative, « La coopérative meunière de la Bouche » pourvoyant sa mécanique aux paysans du coin ?

Et pourquoi pas, d'abord !

Cependant, il y a un hic et non des moindres : le caractère de Gunnar est loin d'être facile. Il peut traverser de longues périodes sombres, au cours desquelles il ne fait pas bon de le titiller, avant de montrer une mine plus joyeuse. Notre héros serait-il un bipolaire qui s'ignore ? Ou simplement un original éprouvant des difficultés à maîtriser ses émotions ?

Dans cette belle comédie humaine à la finlandaise, Arto Paasilinna nous offre les tribulations d'un héros attachant et profondément humain, dénué de toute méchanceté, n'aspirant qu'à une vie tranquille de meunier.

Gunnar est un homme qui ne peut que désarçonner ses semblables englués dans le cadre rigide d'une Finlande conformiste et intolérante envers ce qui en sort.

Paasilinna brosse un tableau âpre de cette société qui condamne l'originalité sans même lui accorder des circonstances atténuantes. Est-ce un délit que d'exprimer bruyamment une émotion devant les splendeurs de la nature, devant le travail bien fait ou exprimer la joie de voir couronné de succès son savoir-faire ?

Gunnar est particulier : quand il est heureux ou en colère il part dans les bois hurler sa joie ou son irritation. Il aime aussi imiter les animaux, ce qu'il fait à la perfection. Est-ce blâmable ? Ce n'est pas certain.

Par contre, il dérange les hommes de bien car il leur renvoie une image qui leur fait peur : être trop sensible, être trop près de la nature ne peut que conduire à la respecter et à ne pas la violenter en la cultivant ou en la domptant en dépit du bon sens. Et puis, la sensibilité est une part un tantinet « sauvage » de l'âme, un espace de liberté dangereux. Etre libre, aspirer à vivre selon ses critères, est un crime de lèse société policée, tournée vers le progrès technique et scientifique gage d'une entrée dans le monde de la modernité.

Gunnar est la note discordante dans le paysage idyllique d'une Finlande qui veut en finir avec la pauvreté et la ruralité.

« Le meunier hurlant » est le combat d'un homme pour se faire accepter tel qu'il est : original, indomptable, apportant la richesse de la diversité une société qui tend à uniformiser.

C'est aussi le procès d'une médecine obtuse et campée sur des certitudes erronées. Une médecine abusant de son pouvoir pour interner des gens pas plus fous que d'autres. Une médecine qui interne sans réellement songer à soigner ses malades mentaux. Les malades mentaux sont plus parqués que pris en considération, leur abandon est poignant de tristesse et la cruauté ordinaire des personnels manifeste.

Une société visant la modernité ne doit pas s'encombrer des forces qui le freinent et lui renvoient une image difficile à supporter. C'est tellement plus facile de soulever le tapis pour y glisser ce qui dérange que de prendre le problème à bras-le-corps.

Paasilinna réussit à montrer le sordide de l'asile avec un humour sans doute féroce qui provoque le rire. Le rire est libérateur tout en apportant de l'eau au moulin de la réflexion sur les conditions de vie d'un pan de la société. Le rire permet de parler de vérités qui dérangent et c'est dans cet art qu'excelle l'écriture de Paasilinna.

Gunnar dict le meunier hurlant est un personnage pittoresque et attachant : il a beau être poursuivi, traqué à chaque moment de sa vie, il trouve en lui les ressources pour rebondir, et par la même occasion se moquer des gens de bien, et conserver son émerveillement devant les beautés de la nature, des hommes et de l'amour.

Il y a des moments irrésistibles : la scène dans l'église devant Jésus sur sa croix et le dialogue qui s'ensuit. C'est bien beau de solliciter l'aide du Sauveur mais le mandant se rend-t-il compte de la situation douloureuse et frustrante dans laquelle il se trouve, sur sa croix ? Ou encore celle du pistage des hommes du village avec leurs chiens qui malgré avoir reniflé des vêtements de Gunnar, pensent à tout sauf à dénicher sa trace. Comme s'ils savaient que le fou sauvage n'était pas lui.

« Le meunier hurlant » est le roman d'un conteur extraordinaire qui sait tricoter un récit autant édifiant, drôle qu'émouvant. On ne peut que remercier le succès en librairie du « Lièvre de Vatanen » qui inaugura la traduction en français de nombre de ses romans.

Quelques avis

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Roman lu dans le cadre



4 commentaires:

rachel a dit…

J'ai longtemps refuser de lire de cet auteur...sujet qui ne m'attirait pas...mais lala cela pourrait etre le livre...;)

rachel a dit…

zut flute...j'ai longtemps refusE.....

Katell a dit…

Hé oui Rachel, il faudrait que tu te lances à lire Paasilinna, c'est hilarant et corrosif.

lcath a dit…

Ah Paasilinna !!! Toujours surprenant , déjanté et drôle .