lundi 19 avril 2021

Le roman du Brexit?

 


Les héros de « Bienvenue au club » ont vieilli, ils ont la cinquantaine bien tassée, la vie n'a pas forcément tenue toutes ses promesses et pourtant …. on les suit avec bonheur et enthousiasme dans les méandres de leurs regrets, de leurs réussites, de leurs rêves aboutis ou encore à réaliser.

Benjamin, Philip et Doug sont devenus époux et pères, les uns sont restés dans la région de Birmingham, un autre a cédé aux sirènes londoniennes et aux riches héritières.

L'Angleterre de Thatcher est derrière eux, les conflits sociaux et la guerre civile avec l'IRA également. Il y a eu l'idylle travailliste avec un Tony Blair Premier Ministre, les JO de 2012, la bulle de la City, le multiculturalisme londonien ravissant tout européen convaincu.

Les lendemains déchantent lentement mais sûrement. Comment en est-on arrivé là ?

 

2011, les émeutes bouleversent le paysage social britannique : l’Angleterre montrait une tolérance de bon aloi, les Bobbies ne sont pas armés, cas unique en Europe, tout est remis en question lors de l’interpellation d’un jeune noir. Le feu qui couvait s’attise pour gagner la rue, pour une escalade dans la violence : les grandes enseignes sont saccagées parce qu’elles représentent le pouvoir mais ça, le pouvoir ne veut pas le considérer ainsi. Ian Coleman, le mari de Sophie se fait agresser alors qu’il tente de s’interposer, le fossé s’élargit entre elle et sa belle-mère qui cite Enoch Powel et son discours des « fleuves de sang ». Les JO de 2012 ne parviendront pas à gommer le fossé séparant les gens ordinaires des « intellectuels » et des politiques.

La famille Trotter traverse la période mouvementée comme elle peut : Benjamin présente enfin son roman à Philip devenu éditeur, Lois oscille entre retourner auprès de son époux, Christopher Potter, et poursuivre leur modus vivendi, Sophie décide de ne plus prendre de petit ami au sein de son cercle professionnel, l’université, elle en a soupé des intellectuels. Elle épouse un moniteur de conduite qu’elle a rencontré lors d’un stage de conduite obligatoire suite à sa verbalisation pour excès de vitesse : ils n’ont rien en commun mais construisent un avenir ensemble. Doug est devenu journaliste politique et chroniqueur incontournable, toujours à l’affut du bon mot ou du tuyau qui fera un bon papier.

Puis arrive le gouvernement de coalition de David Cameron : il promet un Référendum sur la sortie ou non de l’Union Européenne. Le couperet est sans appel : ce sera le Brexit. Coup de tonnerre parmi l’élite anglaise qui s’attendait à tout sauf à ça.

« Comment en est-on arrivé là ? » se répètent en boucle Benjamin, Philip, Doug, Lois ou Sophie. Le Brexit peut-il devenir un argument pour divorcer ? Sophie s’éloigne de son époux, Benjamin retrouve un ancien copain de collège, qui n’est pas entré à « King William College », devenu amuseur dans les goûters d’enfants. Lois est en proie à ses vieux démons.

Le regard doux-amer de Jonathan Coe parcourt « Le cœur de l’Angleterre », sa plume élégante, délicatement ironique, mettent en scène la perte des êtres chers ou des idéaux, le passage, inexorable du temps, ce sable glissant entre les doigts des personnages. Il y a l’observation critique des relations humaines aussi bien au sein de l’intime que dans la société, dans laquelle la tendresse est toujours présente.

« Le cœur de l’Angleterre » est également un roman qui explore, malicieusement, les sources des crispations actuelles, celles qui délitent, avec violence, le tissu socio-culturel et intellectuel d’aujourd’hui : le politiquement correct dont la captation du langage ôte toute aspérité, et ce dans tous les domaines. Sophie en fera les frais lorsque la fille de Doug, la terrible Coriandre, s’insurge en lieu et place d’une jeune étudiante transsexuelle ce qui provoque sa mise en congé. L’austérité implacable renforce le nationalisme ainsi que le sentiment d’identité. Ces démons ne sont pas joyeux, ils sont inquiétants au point de provoquer, parfois, un repli sur soi. Ils sont omniprésents aujourd’hui puisque le terrain est dégagé pour laisser libre cours à la « cancel culture », le glas insupportable de la négation de ce qui fait la richesse de la création artistique.

Que faire pour réagir ? Quitter le pays pour aller vivre outre-Manche ? Les moulins se ressemblent-ils dans les Midllands  et en Provence ? « Adieu to old England » rythme le roman en une partition nostalgique d’une époque révolue.

Un roman jubilatoire, et une délicieuse satire sociale, qui pose les bonnes questions sur notre aujourd’hui toujours plus inquiétant.

 

Traduit de l’anglais (RU) par Josée Kamoun

 

Quelques avis :

Babelio  Tu vas t'abîmer les yeux  La Croix  Mots pour mots  Actualitté  Anita

Lu dans le cadre





5 commentaires:

choup a dit…

Je le tenterai bien, parce que le thème est hyper intéressant, mais jusqu'à présent je n'ai jamais réussi à finir un roman de Coe...

Katell a dit…

C'est dommage... Même "Bienvenue au club" ou "Testament à l'anglaise"?

rachel a dit…

Et bin plus qu'a lire le premier avant tout.....il va falloir que je ne lance dans un Coe....pour Juin....

Hilde a dit…

J'aimerais bien le lire ! Je n'ai pas lu de roman de Jonathan Coe depuis des années! Les thématiques m'intéressent même si ce n'est pas très réjouissant.

dasola a dit…

Bonsoir, un roman qui se lit agréablement et j'ai eu l'occasion d'assister à une rencontre avec Jonathan Coe, quand son roman est sorti et c'était très interessant. Il était bien entendu antibrexit. Il s'est désolé de cette situation. Bonne soirée.