« Le problème à trois corps » est le premier tome
de la trilogie de SF écrite par Liu Cixin,. Cet opus pose le cadre du roman et
pousse le lecteur dans ses derniers retranchements : l'argument littéraire
repose sur des concepts scientifiques ardus que Cixin parvient à vulgariser
sans perdre son lecteur dans les limbes de l'incompréhension.Le plus difficile est de ne pas lâcher le chemin sinueux
tracé par l'auteur adepte du Hard Science.
Nous sommes en pleine Révolution Culturelle en Chine,
l'épuration drastique des intellectuels lamine les gens et la recherche.
Cependant des îlots scientifiques existent, la jeune astrophysicienne Ye Wenjie, en cours de "rééducation » intègre un centre qui
abrite les recherches sur l'existence potentielle de civilisations
extraterrestres. Elle parvient à envoyer dans l'espace un message :
sera-t-il intercepté ?Des années plus tard, elle reçoit une réponse, une mise en
garde venu d'un lointain système : ne pas renvoyer de signal pour ne pas
être repéré par quelqu'un de moins pacifique. Ye Wenjie n'hésite guère, elle
envoie une réponse tant elle est écoeurée et révoltée par les horreurs vécues
lors de la Révolution Culturelle, offrant ainsi les coordonnées de la Terre.
Le temps passe, le monde change sur Terre, la Chine s'est
éveillée au monde et contribue aux avancées scientifiques. Or d'étranges décès
d'éminents scientifiques attirent l'attention des polices du monde entier. Que
se passe-t-il ? Pourquoi ces scientifiques se donnent-ils la mort sans un
mot d'explication ?Commence alors une course poursuite entre laboratoires de
recherche et plongée dans un jeu virtuel où les membres d'une société secrète
de réunissent.Qui est derrière tout cela ? Le policier, un vieux de la
vieille iconoclaste, pressent que l'inexplicable cache des hommes prêts à tout.Il est très difficile de chroniquer ce premier tome sans
mettre à mal la découverte du « complot » contre la Terre :
surtout ne pas lire la quatrième de couverture qui, hélas, en dit trop. C'est
jubilatoire, même pour une cancre en sciences tel que moi, de se creuser la
tête autour du fameux problème à trois corps, fil conducteur de la trame de la
trilogie. La tête tourne devant la complexité des concepts mathématiques,
d'astrophysique et de sciences physiques pures, sans pour autant
s'égarer : l'intrigue est orchestrée de main de maître, les personnages
principaux sont charismatiques, les situations incroyables et tellement de
l'ordre des possibles. L'auteur construit un jeu de piste absolument
époustouflant dans lequel le lecteur s'engouffre sans l'ombre d'une
hésitation : le mystère est le « héros » de ce premier opus, il
en est l'antienne qui donne toute son ampleur à la trilogie et sa résolution
n'en est que plus savoureuse.
« La forêt sombre » Dans le deuxième tome de la trilogie, les hommes doivent
faire face à la menace du monde extraterrestre qui a intercepté le message de
Ye Wenjie, Trisolaris, planète aux trois soleils. Ce monde se meurt de
l'instabilité de son système où les ères régulières et chaotiques se succèdent
d'une manière aléatoire. Les habitants doivent quitter la planète mère pour
coloniser un monde plus accueillant : la Terre. Quatre siècles séparent
l'humanité de l'invasion extraterrestre ce qui est long et dramatiquement
court.Afin d'assurer une supériorité trisolarienne sur les
Terriens, des intellectrons sont envoyés sur Terre pour sonner le glas de la
recherche dans le domaine des sciences fondamentales. Trisolaris, appuyé par un
groupe d'hommes et de femmes qui ne croient plus dans les bienfaits de
l'humanité, espionne et bloque le savoir scientifique.Une réponse est proposée à l'humanité : le programme
Colmateur. Quatre personnes sont choisies par le Conseil de Défense Planétaire
pour élaborer des stratégies secrètes afin de contrer l'invasion. En effet, la
faiblesse des Trisolariens est de ne pouvoir lire dans les pensées. Bien
entendu, les amis de Trisolaris, les OTT,
créeront le pendant du programme Colmateur : chaque Colmateur aura
son Fissureur.Luo Ji, cosmosociologue, est un des élus, le plus atypique
et le plus mystérieux : quel sera son plan ?
Liu Cixin s'appuie toujours sur les concepts scientifiques
pointus et fait vivre au lecteur un tourbillon de situations : la maîtrise
de l'hibernation, le poinçonnage mental sont des réponses pour affronter
l'envahisseur lors de l'Ultime Bataille. La description de cette Ultime
Bataille est digne d'un space opéra où la dramaturgie est à son comble.L'adversité implique pour l'Humanité d'effectuer des
recherches à marches forcées, d'aller au-delà de l'impossible pour survivre.
Car c'est ce qui est en jeu : la survie de l'espèce humaine bien que
quatre siècles soient un lointain futur, le Temps passera toujours trop vite.L'intrigue est aussi complexe que celle du premier tome et
menée avec brio et un art consommé de la manipulation du lecteur. C'est ce qui
rend la lecture haletante de bout en bout malgré quelques longueurs.Peut-on tomber amoureux d'une personne rêvée ? La force
de l'imaginaire peut-elle lui donner chair ? Le rêve peut-il devenir
réalité ? Ce sont des faits que vivra le Colmateur Luo Ji, retiré dans un
lieu de rêve devenu tangible.Est-ce dans le rêve que sera construite la stratégie qui
contrera l'invasion de Trisolaris ? Un rêve que les sauts dans le temps,
grâce à l'hibernation, révélera. Quelle était la malédiction lancée par Luo
Ji ?La forêt sombre, métaphore de l'univers, cache-t-elle des
prédateurs à l'affût d'une proie ? Cache-t-elle un instinct de survie
enclenchant la destruction de l'Autre avant qu'il ne découvre ce qui est
caché ?Le deuxième opus s'achève sur une rêverie qui entretient la
faim du lecteur.
« La mort immortelle » Ultime opus qui nous emmène dans une succession de réveils et
d’endormissements des héros. Une traversée des siècles et millénaires au cours
desquels la civilisation terrienne a évolué parfois de manière extraordinaire.Le lecteur suit le périple des vaisseaux rebelle et légitimistes
dans l’immensité de l’espace où ils se livreront à une guerre sans pitié.
Le dernier volet de la trilogie relate une guerre froide
spatiale où l’enjeu est de se rendre invisible aux civilisations
extraterrestres. Un jeu d’échec à l’échelle interstellaire se met en place, la
mystification, la logique et la physique en sont l’essence tout en prenant en
compte une variable d’importance : le hasard.
Tout est permis, tout est exploré jusqu’aux théories des
différentes dimensions ouvrant sur d’autres mondes, d’autres espaces. Une
solution est même proposée à l’énigme de la matière noire et quelle solution !
Etonnante et tellement « réelle ».
Les mystères de la physique apportent, au plus grand
étonnement du béotien, une dimension poétique au récit lors des descriptions de
l’espace ou des actes scientifiques. La physique et son dédale de recherches
tant théoriques qu’expérimentales offre une matière infinie à l’invention
romanesque.
Le souffle de l’épopée est sans cesse présent pour le plus grand
plaisir du lecteur : l’envoi d’une sonde dans laquelle le cerveau d’un des
primes héros est enfermé, la découverte d’une station spatiale « squatt de
pauvres et d’indigents sociaux », le conservatoire de l’histoire de l’Humanité
au cœur d’un planète satellite.
Comme tout bon roman de Science Fiction, la dimension
politique tient une place importante dans le récit. Elle en est même le moteur
puisque dès le premier opus l’idéologie est présente. Les ramifications sont
multiples et autant de focales sur le devenir des sociétés humaine en temps de
crise profonde et dans les choix majeurs à faire face à un dilemme : comment
agir ? Sauver les siens ? Préférer le pacifisme ? Favoriser une
décroissance pour tenir dans la durée ou prendre le risque du progrès qui peut
amener à une catastrophe sur le long terme ? A ces questions, les personnages
répondent selon leur conscience, leur vision du monde ; le lecteur aura
ainsi le choix de s’y identifier, d’éprouver de l’empathie ou carrément verser
dans la détestation.
Ce qui est certain c’est que jamais le lecteur ne pourra
rester indifférent, lointain ou étranger à la vie des personnages emblématiques
de la trilogie. C’est la marque d’un très grand roman et d’une belle réussite.Près de deux milles pages qui ne sombrent pas dans l’oubli
une fois la dernière phrase lue.