dimanche 26 avril 2020

La photo du dimanche #14

Depuis le 16 mars nous sommes confinés en raison de la crise sanitaire provoquée par le COVID-19, pandémie mondiale.
Je mesure la chance inouïe de vivre dans une maison pourvue d'un vaste jardin.



"Tout pourrait être mieux, mais tout pourrait être plus mal. Donc tout est bien" Henri Duvernois (1875-1937)

samedi 11 avril 2020

Long est le chemin

" Tu veux savoir ce qui m'a conduit à prendre la route de l'exil à quinze ans ? D'accord, je vais tout te confier et tu vas être renversé. Tu es prévenu ! Mes mots seront durs, car la réalité est brutale. Mais je vais aussi te faire rire, je suis beau gosse et j'ai la tchatche. Je te demande une seule chose : ne me juge pas, ça n'a pas de sens d'appliquer ta morale à ma vie. "

Les premières phrases du témoignage du jeune "Petit Watt" sont une mise en bouche sans langue de bois, brute de fonderie, annonçant un récit dur et sans apprêt.
D'emblée j'ai été happée par les paroles du jeune migrant, que j'ai pu écouter puis rencontrer lors de sa venue à la librairie "Mots et Images", certainement parce que l'emploi du "tu" fait que le lecteur ou la lectrice devient l'ombre du narrateur.

J'ai suivi son périple, tremblé lorsqu'il se retrouvait dans des situations plus que risquées pour sa vie et son intégrité, j'ai eu des sueurs froides quand il côtoyait les passeurs et j'ai compris l'enfer que vivaient les migrants croisés lors de mon dernier séjour au Maroc, à Agadir. J'ai compris pourquoi ils "tapaient la salam", faisaient la manche, en ville et j'ai eu honte de mes regards qui se tournaient ailleurs pour ne pas voir. L'exploitation inique de l'homme par l'homme, quelle qu'elle soit, est une horreur absolue et tout au long du récit nous sommes mis devant les faits plus sordides les uns que les autres. 
Et pourtant, le narrateur réussit à en rire, à décrire avec une ironie mordante ou une tendresse immense les moments horriblement épiques, jalons de sa quête du Graal. 
On peut être plus bas que terre, l'instinct de survie, quand la force morale et mentale habite un être humain, est source de miracles quotidiens, ces petits riens qui redonnent espoir, qui permettent d'avancer, une amitié, un objectif, l'élaboration d'un plan de bataille.

Oui, quitter la forêt "camp d'entraînement" intensif pour franchir les barrières hérissées de barbelés entre le Maroc et les enclaves espagnoles en terre africaine, est un Austerlitz, un débarquement sur les plages normandes. J'ai été subjuguée par l'astuce, la capacité d'analyse et d'observation de notre héros, son courage, sa facilité d'adaptation et son intelligence aiguë. Il obtient son Graal après des mois de souffrances, de doute, de déboires: quand il franchit la frontière, quand il réalise son Boza, j'étais soulagée et heureuse de voir son calvaire en passe de s'achever.
Derrière le rire doit se tapir une tristesse, celle de la séparation avec sa famille, avec sa mère qui a des mots très durs quand un des passeurs menacent de tuer son fils si elle n'envoie pas d'argent pour payer son voyage: qu'ils lui envoient la tête au Cameroum pour qu'elle l'enterre au village, elle ne peut envoyer l'argent qu'elle n'a pas. C'est à ce moment que l'on mesure combien sont différents les rapports familiaux en Afrique: le rapport à la vie n'est pas le même, quand la mort peut saisir tout un chacun à chaque instant, la tendresse est un luxe que l'on ne peut pas se permettre.

J'ai aimé ce récit et j'admire le jeune narrateur, Ulrich, dont la résilience est une extraordinaire leçon de vie. Son parcours identique à tant de milliers d'autres est singulier parce qu'il a croisé la route de gens uniques et merveilleux. De la jeune femme marocaine, enseignant l'espagnol, au chauffeur routier, aux SDF et aux membres de l'association qui l'ont pris sous leur aile, on se dit qu'il s'en est fallu de peu pour que la fin du périple s'achève en cauchemar. En quelques phrases, dépouillées de tout faux-semblants, l'aspect mortifère de l'administration française est glaçante et  sonne le glas de toute tentation de gloriole. 

Je souhaite le meilleur pour Ulrich et espère qu'un jour il pourra embarquer, sans peur de non retour, rendre visite à sa famille. Il est très bien encadré tant par le système scolaire qu'il a intégré que par sa famille d'accueil, ce qui ne peut qu'être rassurant.

vendredi 3 avril 2020

Légendes de l'Ouest


« Ci-gît Jesse W James,
mort le 3 avril 1882 à l'âge de 34 ans, 6 mois, 28 jours.
Assassiné par un lâche dont le nom n'est pas digne de figurer ici. »


C'est une histoire d'un bandit célèbre d'Amérique qui sévit avec sa bande pendant de longues années dans l'ouest américain. Jesse James, le braqueur de banques, le dévaliseur de train, le détrousseurs de voyageurs, le mauvais garçon n'hésitant pas à abattre de sang froid quiconque se dresse sur sa route.
Jesse James, un homme que plusieurs états poursuivent en justice espérant sa capture pour le pendre haut et court.
Le roman de Ron Hansen transporte son lecteur dans une Amérique dont la conquête de l'Ouest est en passe de s'achever à grand renfort de lignes ferroviaires. L'ouest sauvage, indomptable, brutal, sanglant s'offre sous une plume enlevée et sans concession.
Certes Jesse James est maestro du vol et du crime en bande organisée, un observateur né, un soupçonneux maladif, un meneur d'hommes... certes … mais ses « hommes » sont plus de pauvres hères affamés, rustres, incultes et à la bêtise cruelle que de fiers caballeros. Cependant ils sèmeront terreur et désolation pendant plus de dix ans, leur chef aura une aura de « Robin des bois du wild wild west » (ouest sauvage).
Jesse Jame devient légende vivante quand il se fait assassiner par un homme de sa bande, Robert Ford, âgé d'à peine vingt ans, admirateur du célèbre desperado qu'il aspire à égaler.
La mort consacre le desperado en icône par une foule subjuguée devant les récits de ses exploits dont le nombre de victimes ne pèse pas lourd face à la soit-disant lâcheté du jeune Robert Ford.
Il est vrai qu'il a abattu James alors que ce dernier était désarmé et avait le dos tourné, dans son salon, non loin de sa femme et de ses enfants. Cette faute de goût lui vaudra la vindicte populaire jusqu'à la fin de ses jours.
Ron Hansen, sans porter de jugement, il laisse ce soin au lecteur qui en usera ou pas, retrace la flamboyance d'une bande de hors-la-loi dont la violence froide nourrit la célébrité. Il réhabilite, en quelque sorte, le « lâche Robert Ford » dont l'acte a soulagé gouverneur et institutions policières et juridiques du Missouri et du Kansas.
Pourquoi l'image d'un homme lâche est-elle devenue celle de ce jeune homme, pas pire ni meilleur que les autres ? Sans parce qu'il n'a jamais regretté son geste, parce qu'il n'a, à aucun moment, dit qu'une spirale infernale l'avait emporté jusqu'au point de non retour. Certainement parce qu'il a assumé son geste et ses conséquences. Le jour où Jesse James est mort de sa main, Robert Ford le fut également. Edward O. Kelly assassina, à Creede dans le Colorado, de deux coups de fusil le tombeur du desperado pleuré par l'Amérique populaire, redouté par les nantis de l'Est, admirés par les journalistes et leur lectorat.

Ron Hansen dresse un portrait de cette Amérique qui s'est construite lentement, à coups de déprédations, d'appropriations sauvages des terres indiennes, de colonisation d'une violence inouïe. L'expansion vers l'ouest, son or, ses plaines, ses montagnes, au rythme des colts dégainés à la moindre provocation. 
L'Amérique avec ses enfants terribles se vit au fil des pages, au fil de l'enquête littéraire. 
Qu'on l'aime ou qu'on la déteste, elle ne laisse personne indifférent avec ces deux figures de héros américains : Jesse James peut tuer sans émotion et être un époux prévenant et un père de famille exemplaire, un homme au charisme étonnant auquel on s'attache. Robert Ford peut être un adolescent sous emprise et savoir discerner le calcul froid de son mentor. Ce qui le rend également attachant.

« L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » est un roman western qu'on ne lâche pas tant on est parfois transporté dans un film muet avec des scènes dignes de Buster Keaton ou dans de longs plans séquence magnifiant l'immensité de ce pays.