jeudi 7 juin 2007

Grammaire ? vous avez dit grammaire ?


Quel sujet rébarbatif !!! Il faut être fou pour écrire sur la grammaire ! Oui, il faut être fou de la langue française comme Orsenna pour écrire un roman sur la grammaire.Cette chanson douce se lit d'une traite, l'île des naufragés des mots est extraordinaire, la ville des mots sublimes et le clou de l'histoire, la rencontre avec St-Ex, Proust et La Fontaine : les mots ne meurent que si on ne les écrit pas.La rencontre avec "Je t'aime" est attendrissante, pleine d'émotion. De même que la rencontre avec la doyenne de l'île qui dit les mots les plus rares pour qu'ils ne meurent pas.Le pittoresque du stage "grammaire" orchestré par l'Inspectrice de français qui nous fait comprendre qu'à trop ergoter sur la langue on la dessèche et on la fait mourir.

Un roman à lire avec ses enfants lorsqu'ils sont dégoûtés par les exos de grammaire ou de conjugaison : l'image de l'usine à phrases est extraordinairement lumineuse et la structure de la langue devient limpide !!!Les mots sont tendres et aimants... il suffit de les apprivoiser avec amour et respect.

Il ne me reste plus qu'à lire maintenant la suite "Les chevaliers du subjonctif"!

mercredi 6 juin 2007

Il y a 63 ans, à l'aube....

Des soldats sont venus libérer la France, puis l'Europe de l'occupation nazie.
D'habitude, à la télé, on ne coupait pas au "Jour le plus long", film à la gloire des armées de la Libération. Les temps changent. Sur la page d'accueil d'Orange, j'ai pu lire ce matin, en guise de commémoration, "D.Day, que faisait votre famille le 6 juin 1944?". Mes grands-parents ont entendu un étrange grondement: au début, ils pensaient que c'était le tonnerre...Ils étaient en Bretagne pourtant.
Il ne faut pas oublier les anonymes, dont a fait partie mon grand-père paternel, qui clandestinement ont permis ce Jour le plus long. Alors, souvenons-nous....

Dans le cochon tout est-il bon?


On dit souvent que: "Dans le cochon tout est bon", mais il arrive que parfois cela ne se vérifie pas, mais alors pas du tout! C'est un peu le clin d'oeil de cet album haut en couleur et parfois incorrect.

"C'est l'histoire d'une petite ferme nichée dans la verdure, mais affligée d'un énorme problème de couleur rose." A la lecture de la phrase d'ouverture, on sent que l'on va avoir des frissons.

Quel est ce "problème de couleur rose"? On le devine très vite. Il s'appelle Bernard et ce Bernard est la terreur de la ferme: tout le monde tremble devant lui. Jusqu'au jour où....

Je vous livre la quatrième de couverture, que je trouve excellente: "Ne soyez pas une tête de lard sinon...attendez-vous à une mauvaise surprise..." Il y a un encart amusant "attention danger" dans une bulle. Entre la couverture et la 4è, on ne peut pas dire que le lecteur n'ait pas été prévenu: ça va être certainement sanglant!

Les dessins sont très agréables tout en ayant un côté original, notamment les points de vue aériens, les textes intéressants grâce aux expressions faciles à retenir et à "mettre en bouche"( "c'est une montagne de graisse", "il est fou, hargneux, teigneux, rouspéteur et crâneur." "ça suffit", "ça complote, ça complote"), le vocabulaire peu usité ("catapulté", "vautré").

Un livre à lire lorsque les loulous deviennent insupportables afin qu'ils prennent conscience des risques encourus en dépassant les bornes. Cette lecture peut permettre de poser avec humour des limites à certains débordements...

mardi 5 juin 2007

Le peintre de batailles

C'est le premier roman d'Arturo Perez-Reverte que je lis et je suis tombée sur son dernier titre qui est une spendeur littéraire. La lecture est succulente du début jusqu'à la fin, elle est haletante, virevoltante, foisonnante de références picturales: un enchantement permanent.
Comment parler de ce roman sans rien dévoiler? J'ai été transportée par la beauté et la luxuriance du texte, de la langue, de sa traduction très réussie. J'ai eu l'impression d'être dans l'antre d'un artiste et d'avoir le bonheur d'observer un peintre en pleine création: les pinceaux, palette, couleurs, mélanges, chiffons, térébenthine se mouvaient au fil des phrases, la fresque prenanit forme devant moi au gré des mots.
Un photographe de guerre, Faulques, s'est retiré dans une ancienne tour pour réaliser l'oeuvre de sa vie: une fresque racontant l'intemporalité des batailles. Une course contre le temps sublime la fresque: une fissure est apparue devient menaçante telle un mauvais augure.
Un ancien soldat croate, Ivo Markovic, arrive et accentue la menace sur l'achèvement de l'oeuvre. Pourquoi est-il là? Que veut-il? Que cherche-t-il?
Commence alors un affrontement entre l'ancien soldat et l'ancien photographe du guerre, couronné de nombreux prix, commence une conversation philosophique entre les deux hommes qu'une photo rapproche et éloigne irrémédiablement. Cette photo a comblé Faulques de notoriété et a détruit la vie de Markovic qui vient réclamer une dette de sang.
Le premier fut le témoin d'une guerre sauvage, le second la victime: qui est responsable? Le photographe qui « shoote » pour informer le monde des horreurs perpétrées sans cesse ou le soldat qui est un élément de l'engrenage infernal de la guerre? Et si dans le chaos, se cachaient des règles géométriques immuables et implacables? Peut-on se libérer de ces logiques terribles? Peut-on les comprendre grâce à la science et à l'art?
Faulques tente de trouver un sens à sa vie, enfuie en perdant la femme qu'il aimait, en peignant sa fresque, en créant l'oeuvre de sa vie: celle qu'il n'a pu relater en regardant par l'objectif de son appareil photo. La peinture voit au-delà de la photographie: la main du peintre dans les couleurs et les gestes ajoute ce petit quelque chose, irremplaçable, que sont la conscience de l'âme et les sentiments éprouvés: une chaleur venue du plus profond de l'être que ne pourra jamais reproduire la froideur d'une focale. Le regard subjectif de l'homme, l'objectif de l'appareil photo: deux bouts d'une lorgnette sur le monde.
Markovic essaie de se reconstruire et d'oublier en se vengeant, tel un personnage de tragédie grecque.
Le roman est à l'image d'une tragédie grecque: une rencontre, du sang, des souffrances, une quête, un duel sublime tout en éloquence, le choeur est celui des vagues de souvenirs accompagnées du ressac de la mer ou du chant des cigales ou des grillons.
Les souvenirs tuent lentement, les souvenirs lacèrent l'âme, les souvenirs conservent les images, les ombres qui peuvent aider à meiux voir, à enfin comprendre la vie, à enfin donner un sens, du sens à la vie. La tour de Faulques est comme la caverne de Platon, sa fresque le fruit de la libération de ses chaînes: la fresque est l'accès à la connaissance. Cette connaissance enfin acquise leur permettra-t-elle, aussi bien à Faulques qu'à Markovic, d'assumer le fait que nul n'est innocent?
Un roman à tiroirs, aux ramifications littéraires et artistiques innombrables: un roman qui dérange parfois (les photographies de guerre ne font-elles pas pire que mieux?) mais qui toujours enchante.
J'ai aimé particulièrement les scènes où l'on voit Faulques manier ses pinceaux, ses outils, ses couleurs. La beauté de ses gestes frénétiques lors de l'achèvement de la fresque m'a émue au plus haut point: il utilise ses doigts et ne réalise plus que des lignes, des traits, des traces, mouvements ultimes d'un art achevé. Le collage final est absolument sublime et poignant.


On en parle ici, encore ici et enfin .

L'ouverture du roman:
" Comme chaque matin, il fit cent cinquante brasses vers le large et autant pour revenir à la plage en continuant de nager jusqu’à ce qu’il sente les galets ronds sous ses pieds. Il se sécha avec la serviette qui était accrochée à un tronc d’arbre roulé là par la mer, passa sa chemise, mit ses espadrilles et gravit le sentier étroit qui menait de la calanque à la tour de guet. Là, il se fit un café et se mit au travail, ajoutant des bleus et des gris pour parvenir à l’atmosphère adéquate. Pendant la nuit — il dormait de moins en moins, et son sommeil n’était qu’une torpeur incertaine —, il avait décidé qu’il aurait besoin de tons froids pour définir la ligne mélancolique de l’horizon où, dans une trouble clarté, se découpaient les silhouettes des guerriers qui marchaient près de la mer. Cela les nimberait de la lumière réfléchie depuis quatre jours par les ondulations de l’eau sur la plage grâce à de légères touches de blanc de titane très pur. Il mélangea donc dans un flacon du blanc, du bleu et une très faible quantité de terre de Sienne, jusqu’à ce qu’il obtienne un bleu lumineux. Après quoi, il fit quelques essais sur la plaque de four qui lui servait de palette, ajouta un peu de jaune et travailla sans s’arrêter le reste de la matinée. À la fin, serrant le manche du pinceau entre ses dents, il recula pour juger de l’effet. Ciel et mer combinaient maintenant des harmoniques sur la fresque qui couvrait le mur intérieur de la tour; et même si beaucoup restait encore à faire, l’horizon était marqué par une ligne douce, légèrement brumeuse, destinée à accentuer la solitude des hommes — traits noirs semés d’éclats métalliques — qui s’éloignaient, épars sous la pluie.Il nettoya les pinceaux à l’eau et au savon, et les mit à sécher. D’en bas, au pied de la falaise, montait le bruit des moteurs et de la musique du bateau de touristes qui, chaque jour à la même heure, parcourait la côte. Sans avoir besoin de consulter sa montre, Andrés Faulques sut qu’il était une heure. La voix féminine retentissait comme d’habitude, amplifiée par un mégaphone; et elle parut encore plus forte et plus claire quand l’embarcation entra dans la petite crique car, alors, le son parvint à la tour sans autre obstacle que les quelques pins et arbustes qui, malgré l’érosion et les éboulements, restaient accrochés aux flancs des rochers.« Cet endroit s’appelle la crique d’Arraez et a servi de refuge aux corsaires barbaresques. En haut, vous pouvez voir une ancienne tour de guet construite au début du XVIIe siècle pour défendre la côte en prévenant les villages voisins des incursions des Sarrasins... »C’était toujours la même voix: agréable, détachant bien les mots. Faulques imaginait que sa propriétaire était jeune, sans doute une guide locale accompagnant les touristes pendant les trois heures de la promenade du bateau — une vedette bleue et blanche de vingt mètres de long, basée à Puerto Umbria — entre l’île des Pendus et Cabo Malo. Ces deux derniers mois, du haut de son promontoire, Faulques l’avait vu passer régulièrement, le pont couvert de passagers munis d’appareils photo et de caméras vidéo, ses haut-parleurs diffusant la musique estivale avec une telle force que les interruptions de la voix féminine constituaient un soulagement.« Dans cette tour de garde, longtemps abandonnée, vit un peintre connu qui en décore l’intérieur d’une grande fresque. Il s’agit malheureusement d’une propriété privée, et les visites ne sont pas admises... »Ce jour-là elle s’exprimait en espagnol, mais il arrivait qu’elle le fasse en anglais, en italien ou en allemand. C’était seulement quand les passagers étaient français — quatre ou cinq fois, cet été-là — qu’une voix masculine prenait la relève dans cette langue. De toute manière, pensa Faulques, la saison était sur le point de s’achever, la vedette promenait de moins en moins de passagers; bientôt les visites quotidiennes deviendraient hebdomadaires, et elles finiraient par cesser tout à fait quand les grands vents d’hiver durs et gris qui soufflaient des bouches du Ponant viendraient noircir le ciel et la mer.Il reporta son attention sur la peinture, où de nouvelles fissures étaient apparues. Le grand panorama circulaire n’en était encore qu’au stade de segments discontinus. Le reste était tracé au fusain, simples lignes noires esquissées sur l’apprêt blanc du mur. L’ensemble formait un paysage démesuré et inquiétant, sans titre, sans époque, où le bouclier à demi enterré dans le sable, le heaume médiéval éclaboussé de sang, l’ombre d’un fusil d’assaut sur une forêt de croix de bois, les murailles de la ville ancienne et les tours de béton et de verre de la ville moderne se conjuguaient moins comme des anachronismes que comme des évidences.Faulques continua de peindre, minutieux et patient. Même si l’exécution était techniquement correcte, ce n’était nullement une oeuvre majeure, et il le savait."
Roman traduit de l'espagnol par François Maspero


Ci-dessous, une mosaïque composée d'oeuvres ayant inspiré Faulques!



lundi 4 juin 2007

Enquête australienne


"Tueur d'Aborigènes":


C'est une histoire à trois voix: celles du tueur en série et des deux policiers Aborigènes Lisa et Gary.
A ces trois récits répond l'enquête menée par les policiers de la cellule « Abo » sur les meurtres commis à l'encontre de femmes Aborigènes.
Gary forme un couple mixte avec son épouse: il est bien inséré dans la société australienne blanche, il a été bien éduqué et est cultivé. Le modèle d'une certaine réussite sociale. Son récit est celui de son enfance, de ses rapports avec son père, se sa prédilection pour les sports. Il a pratiqué le cricket, la boxe, la natation. Au cricket, il est le meilleur élément de l'équipe mais lors d'une rencontre il réagit violemment aux insultes racistes répétées. Insultes qui sont mollement endiguées par l'entraîneur de l'équipe adverse: que ne faut-il pas accepter pour destabiliser le pilier d'une équipe et espérer remporter la victoire. Triste et vaine option morale. Finalement, Gary ne rejouera plus jamais au cricket, dégoûté et désabusé. Quand il se met à la boxe, c'est pour faire plaisir à son père afin que ce dernier le regarde et soit fier de lui. Mais là encore, les insultes racistes mesquines auront raison de lui. Le sport et les émotions exacerbées qu'il draine ne sont que choses vaines dépourvues de sens. Le racisme ordinaire sillonne sans relâche les gradins des stades.
Lisa est jeune et a épousé un homme de couleur. On sent d'emblée que le couple est en bout de course. Son récit est celui d'une déchirure: la séparation d'avec sa mère sauvagement organisée par le gouvernement. Elle n'avait que 5 ans et était arrachée au cocon familial sous prétexte d'offrir une éducation aux filles aborigènes. Elle va intégrer un pensionnat de jeunes filles où elle s'avère être une brillante élève (ce qui va à l'encontre de certaines idées reçues selon lesquelles les « natifs », les Aborigènes seraient génétiquement inaptes à apprendre, à être intelligents!). Peu à peu, une autre déchirure est évoquée: elle est physique et morale et prend l'apparence d'un professeur un peu trop entreprenant. En quelques mots, l'auteur parvient, avec finesse et délicatesse, à décrire, dans le non-dit, toute l'horreur de la perte de l'innocence. Et le lecteur ne peut s'empêcher d'être sidéré par la politique d'arrachement culturel opérée sur les enfants, notamment les filles, aborigènes. L'auteur ne développe pas le pourquoi de cette politique mais son lecteur décèle la dénionciation d'un système politique désirant éradiquer une partie essentielle de l'histoire australienne. Une assimilation destrucrice qui très rapidement atteint les limites de l'acceptable.
Peter Simpson, le tueur en série, voix croisée du troisième récit, est un abîmé de la vie, lui aussi. Au fil de ses interventions, on apprend les conditions de vie affective et humaine déplorables qu'il a eu. Violence paternelle, violences sexuelles subies et tues, alccolisme parental et j'en passe! Le maëlstrom affectif dans lequel il se débat, le conduit à la fascination de l'Autre, des Aborigènes, notamment des femmes. L'attirance aimantée vers la féminité exacerbée, aux yeux du mâle blanc, de la femme de couleur. L'amour violent pour un pays dont il est étranger, où c'est lui l'immigré malgré les apparences, mène au meurtre irrationnel. Au début du roman, le lecteur le déteste, et peu à peu, à mesure qu'apparaissent des pans cruciaux de sa vie, ne l'absout pas mais le comprend.
Entre ces trois récits, l'enquête des deux inspecteurs qui sont contraints de se battre contre les préjugés raciaux de leurs collègues. Ils sont confrontés aux diverses contingences matérielles, administratives et humaines qui ralentissent les investigations. Puis, lorsque le tueur commet un meurtre sur une jeune femme blanche, la machine s'emballe et l'auteur pointe, avec une ironie désabusée, le fait qu'une blanche assassinée mérite une enquête plus diligente et la mise en route d'une machine de guerre performante.
Ce polar, bien écrit, bien construit, m'a permis d'être confrontée avec un pays méconnu, malgré tout: l'Australie et ses contradictions, ses affrontements culturels, son histoire récente, ses rêves et ses espoirs. Un polar à découvrir avec à la clé un vrai plaisir de lecture.

Roman traduit de l'anglais (Australie) par François Thomazeau


dimanche 3 juin 2007

Un siamois dans tous ses états

En ce dimanche de mai, quelques photos d'Isatis (dite Zouzou) faisant tout pour se faire remarquer, comme bon tout siamois qui se respecte. Voici donc le Zouzou Show!

samedi 2 juin 2007

Une certaine idée du Japon


Vous allez me dire que les blogs littéraires ont bon dos mais c'est en les visitant que je suis tombée sur le nom de l'écrivain néerlandais Cees Nooteboom. En farfouillant dans les rayons de la médiathèque, j'ai remarqué ce petit roman au titre fleurant bon le japon « Mokusei! ». Ni une ni deux, ledit roman se retrouve dans mon cabas mensuel.
Une rencontre entre un photographe occidental et son modèle qui devient liaison amoureuse puis séparation cruelle.
Le photographe, Arnold Pessers, fasciné par le Japon et sa culture si raffinée et plusieurs fois millénaire, s'aperçoit peu à peu qu'il n'est pas parvenu à comprendre la quintescence de ce pays. L'amour se transforme peu à peu en désamour voire en haine: on brûle souvent facilement ce que l'on a adoré.
Arnold Pessers à la recherche d'un modèle pour réaliser des photos publicitaires: la jeune femme se prénomme Satoko et n'a pas les yeux débridés. Ils partent pour le mont Fuji. Dans une auberge traditionnelle, ils deviendront amants. Leur liaison durera cinq années au cours desquelles, Arnold n'apprend rien de la vie privée de Satoko. Elle se ferme comme le Japon se ferme, tout en restant avenant, aux étrangers. Elle lui laisse voir ce qu'elle veut bien dévoiler mais pas plus. Une protection de son être intime, de son identité. En effet, qu'a l'occidental comme notion du Japon hormis « une certaine idée du Japon »? Le roman explore ces relations complexes entre le Japon et l'Occident: on ne retient de la période Edo que le fait que les samouraïs écrivaient des haïkus alors qu'ils étaient des combattants sanguinaires et violents.
L'ami diplomate d'Arnold, de Goete, est l'avocat du diable: il est revenu de tout cet engouement pour la pureté esthétique de la calligraphie, de la cuisine, de l'art et ne voit dans les japonais que « une bande de brutes militaristes qui ne tolèrent pas la moindre improvisation.Ce peuple est malade d'obéissance » (p 13). Tandis qu'Arnold ne veut surtout pas qu'on lui déflore son idée du Japon.
Mais, à mesure qu'Arnold côtoie Satoko et ses compatriotes, il perçoit leur retenue, leur courtoisie extrême telle un masque cachant leur vrai moi. Jusque dans l'abandon sensuel, Satoko masque son visage afin que son partenaire ne voit pas ses émotions. Difficile à saisir pour un occidental, difficile à accepter surtout lorsqu'il apprend que Satoko le quitte pour se marier et avoir des enfants. Il veut aussi se marier et avoir des enfants avec elle....mais l'inverse n'est pas vrai, plus exactement n'est pas envisageable du point de vue de Satoko. C'est la déchirure, la douleur de la séparation.
Les promenades solitaires d'Arnold sur les sentiers du Fuji sont alors teintées, subtiles et délicates, du « Mono so aware: le profond sentiment des choses », l'approche esthétique nimbée de tristesse des beautés éphémères de la nature et de la vie humaine. Ce sentiment qui remet chaque chose à sa place afin d'accéder à l'équilibre harmonieux du monde.
En lisant ce roman, court mais très dense dans les émotions ressenties, je me suis rappelé la difficulté parfois que j'ai eu à entrer pleinement dans les codes culturels des films de Miazaki: je me dis souvent qu'il faut être japonais pour saisir toute la subtilité du message transmis. Et je me suis dit que malgré tout mon amour de la littérature et de l'art japonais, je n'ai sans doute qu' « une certaine idée du Japon » c'est à dire la partie infime que ce pays veut bien dévoiler aux autres. Mais cette « certaine idée du japon » est loin d'être frustrante tant que l'on ne se sent pas rejeter. Et, on pourrait inverser ce postulat en pensant que les japonais se font « une certaine idée de l'Occident »!
Cees Nooteboom a su exprimer, avec retenue et discrétion, sa fascination pour le Japon et « Mokusai! » résonne comme un souvenir indélébile et lumineux : Arnold se refuse à photographier Satoko endormie pour mieux la conserver dans sa mémoire, la garder pour lui seul.

Gachucha l'a lu aussi!
Roman traduit du néerlandais par Philippe Noble

vendredi 1 juin 2007

Bourdonnements japonais


Je continue l'exploration de l'univers de Yôko Ogawa par ce court roman, ou cette longue nouvelle « les abeilles ».
Une jeune femme, à Tokyo, attend de rejoindre son mari en Suède. Elle passe le temps en faisant du patchwork. Jusqu'au jour où son jeune cousin, perdu de vue depuis bien longtemps, l'appelle pour lui demander une adresse de logement bon marché. Elle se souvient alors de la pension où elle vivait quand elle étudiait à l'université. Le cousin arrive, elle l'aide à constituer son trousseau estudiantin...le temps passe sans qu'elle s'en aperçoit et cela la rend heureuse. Le directeur de la pension est un invalide: il n'a plus qu'une jambe. Mais tous ses mouvements ne sont que grâce et délicates arabesques: la beauté est concentrée dans la gestuelle de ses pieds, dans la délicate constution de ces derniers. Une tache se trouve au plafond de sa chambre, détail insolite et surprenant. Des abeilles virevoltent autour des tulipes du parterre même par temps de pluie, détail insolite et surprenant.
Les jours passent, la jeune femme désire rendre visite à son cousin. Elle apporte un gâteau en guise de cadeau. Mais il n'est pas là. Elle partage son gâteau avec le directeur et parle avec lui. Plusieurs visites sont déçues: le cousin est à chaque fois absent. Un doute s'insinue. La tache au plafond s'agrandit au fil des visites. Certaines tulipes ont une couleur bien étrange. Les connaissances anatomiques du directeur ont un parfum angoissant: pourquoi est-il si expert? Est-il un tueur en série? D'ailleurs, un étudiant en mathématiques a disparu soudainement sans que l'on retrouve sa trace! Et cette tache au plafond qui devient de plus en plus large, de plus en plus oppressante tandis que le directeur s'étiole doucement dans son kimono.
Yôko Ogawa instaure par petites touches subtiles une atmosphère confinée, fait naître une angoisse indicible qui culmine lorsque la narratrice reçoit une goutte de liquide sur elle: c'est visqueux et très vite le pire est imaginé. Quel est ce liquide qui goutte dans la chambre du directeur endormi? La chute est étonnante et à la hauteur du talent de l'écrivain.
Une longue nouvelle, ou un court roman, tout en finesse et en subtilité: l'univers des sensations est exploité au mieux. Le bruit léger, diffus qu'entend la narratrice au début du récit est un souvenir qu'elle raconte au lecteur: le bruit est associé à une sensation comme le bourdonnement de l'abeille en suscite. Les abeilles qui butinent ls tulipes épanouies même sous la pluie en un bourdonnement qui peut devenir obsédant.


Roman traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle

jeudi 31 mai 2007

Un bout d'Italie


Depuis le temps que ce titre me faisait de l'oeil sur les blogs! Dès qu'il s'est trouvé sur le présentoir des nouveautés à la médiathèque, je me suis précipitée dessus: enfin, je le tenais!
Et me voilà très vite plongée et conquise par l'écriture simple mais efficace de Milena Agus.
Elle nous transporte en Sardaigne, pendant la guerre, dans l'univers rude et frustre des petits paysans. Dans une société rurale traditionnelle, le célibat des filles est mal vécu par la famille. C'est ce qui arrive à la grand-mère de la narratrice: vieille fille malgré son extraordinaire beauté. Pourquoi? En raison de son étrange caractère, caractère enflammé et sans retenue? En raison de son comportement violent envers elle-même (elle s'automutile et a des tendances suicidaires)? En raison de ses élans romantiques expansifs vers les prétendants qui lui plaisent (elle leur écrit des lettres d'amour enflammées et inconvenantes!)? Sans doute pour tout cela.
Cette jeune femme est seule parmi les siens, incomprise et elle se mure dans une folie, parfois douce, parfois violente, qui la met hors du monde. Elle a des facilités pour apprendre, mais ses parents n'ont pas voulu qu'elle continue l'école: dans leur monde, cela ne se fait pas. Alors, la jeune fille, puis la jeune femme, écrit en cachette sur un carnet ce qu'elle ressent.
Un jour, arrive au village un citadin qui a tout perdu dans un bombardement: famille et femme. Il est accueilli sous le toit de la jeune femme et de sa famille, très vite il comprend la situation de cette jeune femme et la demande en mariage. Ce mariage ne sera pas un mariage d'amour, on le sait dès le départ. Ce mariage sera-t-il capable de briser la spirale infernale du malheur?
Le temps passe, elle est enceinte plusieurs fois mais dans l'impossibilité de mener une grossesse à terme. On parle de « Mal de pierres », de malédiction: il lui manquerait le petit quelque chose qui permet d'être pleinement mère. En désespoir de cause, elle va suivre une cure sur le Continent, cure pendant laquelle elle rencontrera Le Rescapé, homme brisé par la guerre, mélomane et cultivé. Ils auront une liaison amoureuse qui fera découvrir à cette femme les douceurs de la tendresse partagée. Au retour du séjour thermal, elle est de nouveau enceinte et cette grossesse ira à son terme. Ce sera la seule et unique fois.
Le personnage principal, cette grand-mère particulière – qui écrit, dessine et peint avec art, s'estompe souvent devant les personnages secondaires qui s'avèrent être des touches essentielles du récit. Le grand-père, amateur de prestations de maison close, à la fois dur, froid et d'une tendresse muette que ne comprend que trop tard son épouse. Le fils, qui deviendra pianiste de renom, solitaire, rêveur, « à côté de la plaque » comme l'était sa mère. Les tantes et les oncles qui partent sur le Continent, mirage de Terre Promise, à Milan où la vie est difficile pour les Italiens du Sud, immigrés dans leur propre pays. La maison détruite puis reconstruite, berceau de la narratrice, berceau des émotions. Le Rescapé, cet homme qui restera dans la mémoire de la grand-mère, qui est peut-être le père du père de la narratrice...allez savoir! Cet homme qui est le contraire du grand-père: il aime la tendresse, il aime les discussions, il aime l'art, il aime ce qui indiffère le grand-père.
Mais il y a aussi, en un sensuel filigrane, le récit de la vie amoureuse des grands-parents: les jeux de maison close pendant lesquels, la grand-mère, villageoise tout en tradition, se plie à tous les désirs de son époux (la geisha, la collégienne, la méchante, la soubrette...). Ces multiples évocations sont de vraies scènes surréalistes pour le lecteur et parfois il se demande où commence et où s'arrête la réalité.
Le dénouement renforce ce doute: fantasmes écrits par la grand-mère, rêves épicés de la folie de ses sentiments? On croit connaître ses proches or il s'avère souvent qu'il n'en est rien. Peut-être en va-t-il de même pour la narratrice: les souvenirs narrés et écrits de sa grand-mère ne seraient que des espoirs, des souhaits enfouis au plus profond de son être fantasque.
Un roman aux accents japonais: les petits riens de la vie sont doucement abordés et sont les piliers de la vie qui s'écoule, lentement et inexorablement. Le « sentiment profond des choses » teinté de tristesse, de mélancolie devant l'éphémère beauté de la nature ou de la vie humaine. Une famille doit trouver son équilibre: si elle est en déséquilibre, un de ses membres devient celui par qui la sérénité revient pour que le cycle reprenne son cours. La grand-mère est-elle cet élément régulateur?
Je me plais à le croire.

D'autres avis glanés sur les blogs: gachucha, les fanas de livres, tamara, lilly, chimère, clarabel, cuné, laure, papillon, cathe et goelen....histoire de vous faire une idée de ce petit bijou transalpin!

Roman traduit de l'italien par Dominique Vittoz




mercredi 30 mai 2007

Une histoire de doudou


Biographie des auteurs:


"Laurence Bourgine est maman de trois enfants. Elle a toujours travaillé et a vite compris l'importance des doudous en tant qu'objet transitionnel. Attendrie par ces compagnons d'enfance aussi précieux qu'usés, elle a décidé de leur donner la parole dans ce livre original, plein de tendresse et d'émotion. " Le plus difficile, explique-t-elle, aura été d'arriver à convaincre les enfants, parfois même les parents de se séparer des doudous tant aimés le temps d'une séance photo ".

Blaise Arnold:

Photographe publicitaire, il a l'habitude de mettre en scène des objets et de les faire vivre. " On a passé de nombreuses heures pour trouver le meilleur sourire de Pinpin, le bon profil de Babar " raconte-t-il. " Comme les humains, certains doudous sont très photogéniques d'autres pas, mais de toute ma carrière, je crois bien que ce sont les objets les plus précieux que j'ai photographiés ! "


J'ai découvert ce petit bijou l'année dernière et bien entendu je m'étais empressée de l'acheter pour la BCD de l'école. J'avais craqué pour les photos de Blaise Arnold et les textes de Laurence Bourgine. Je les trouvais adorables, tous ces doudous un peu fatigués par la vie tumultueuse qu'ils vivent parfois. La tendresse est à l'état pur dans toutes les photos et l'humour remplit les narrations des doudous. Oui, les doudous parlent, s'expriment et racontent comment ils ont perdu un oeil, une patte, une jambe, une touffe de cheveux...Ils parlent de leurs chagrins (eh oui, ils ont une vie intérieure eux aussi!), de leurs larmes mais aussi de leurs joies et des rires qui fusent.

Ce qui est émouvant c'est que certaines anecdotes sont relatées par les parents, du temps où ils avaient un doudou mais aussi celles qu'ils ont vecues en tant que parents. Les enfants livrent aussi leurs souvenirs de tendresse ou de colère partagés avec leur doudou.

Les doudous sont les médiateurs immémoriaux de nos premières sensations, de nos premières émotions. Ils sont aussi la première oreille attentive et les premiers détenteurs de moults secrets. C'est pourquoi, ils méritent amplement qu'on leur consacre un très bel album. A lire avant le coucher, à déguster en souvenir du petit que chaque grand a, un jour, été.

Un nouveau héros venu du froid!


Je découvre un auteur de roman policier suédois, Ake Edwardson, et un nouveau héros, le commissaire Erik Winter. Il est différent du héros de Mankel mais en même temps il possède quelques points communs avec lui. Le commissaire Winter est grand, très soigné de sa personne, un tantinet dandy anglais, et semble revenu de tout. Il observe la déliquescence, lente mais certaine, du modèle suédois: la Suède est rattrapée par les divers maux des sociétés modernes.
L'enquête va s'effectuer entre Londres et Göteborg, entre le début d'un printemps et la fin interminable d'un hiver. Mais le glauque est présent où que l'on se rende.
Des crimes atroces sont commis à Londres et Göteborg sur de jeunes gens : ces derniers sont retrouvés ligotés sur une chaise, baillonnés et torturés. Un détail étrange autant qu'horrible se répète: une trace de pied d'appareil photo ou de caméra est à chaque fois trouvée comme si le crime était mis en scène et filmé. Pour qui, pourquoi? Les excès sont partout, la police questionne dans les bas-fonds citadins à la recherche de cassettes video vendues sous le manteau: les gens ne semblent plus avoir de limites pour plonger dans l'atrocité des pulsions humaines.
L'enquête est méthodique, lente et angoissante: les indices se perdent, se trouvent, interpellent.
Ake Edwardson mène son lecteur dans le dédale administratif des polices anglaises et suédoises ainsi que dans l'univers pragmatique de la première: l'utilisation des médias, notamment la télévision, pour les appels à témoins. En effet, à Londres sont assasssinés de jeunes suédois, à Göteborg de jeunes britanniques. Les deux commissaires, Winter le suédois et Macdonald le britannique, se rencontrent et travaillent ensemble: deux allures différentes mais la même opiniâtreté! A un moment, comme Macdonald a le look du tueur présumé, j'ai failli croire que c'était lui, l'abominable tortionnaire...la fausse piste distillée a bien joué son rôle.
Ce qui est intéressant, dans ce polar très bien mené, est la coexistence de deux atmosphères : celle d'une société britannique cabossée, laminée parfois mais allant de l'avant, sans se retourner vers le passé, et celle lourde, grise, en désespérance d'une société suédoise qui voit devenir chimère son rêve. Le lecteur intercepte les tensions sociales, la peur de l'Autre, dans les phrases du roman, les dialogues entre un duo d'inspecteur (la femme flic noire et le flic suédois bon teint) où le racisme ordinaire pointe ses piques acérées.
Je suis conquise par la personnalité fine, dotée d'une pointe d'ironie, et smart de ce commissaire venu du froid: un harmonieux mélange de culture et de réalisme, d'optimisme malgré un sentiment désabusé quant au monde dans lequel tourne le quotidien, d'une solitude voulue et d'un besoin de tendresse caché derrière une vie indépendante. Les relations familiales et amoureuses d'Erik Winter semblent cahotiques mais ont un parfum subtil de tendresse. Edwardson en fait un homme moderne qui est tout sauf un super héros ce qui le rend attachant.
Chimère en parle beaucoup mieux que moi...alors n'hésitez pas à cliquer ICI!



Roman traduit du suédois par Anna Gibson

L'instant en écriture


On aime ou on rejette. On y croit ou non... mais Delerm ne laisse jamais indifférent. Pour les adeptes c'est une fois encore un formidable voyage dans l'univers des sensations banales du quotidien. Ces petits riens qui font notre vie. Il fallait un Delerm pour y mettre des mots, une musique, une atmosphère. "Proust de l'éphémère", "L'ami Ricoré" ? Non, un auteur qui sait saisir ces instants de la vraie vie des vrais gens. Il sait clore ses textes par une phrase "philosophique" brève mais juste qui nous fait dire : "Ah ! mais oui, c'est vrai !!". J'ai beaucoup apprécié également ce parti pris d'ouverture et de clôture du livre par deux textes sur la peinture de Longhi... un peu comme une fenêtre qu'on ouvre et ferme sur un paysage intérieur éblouissant et feutré.On dévore cet opuscule qui vient enrichir la collection de sensations de "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" et de "Il avait plu tout le dimanche". Et non, Delerm ne se regarde pas écrire !!! Mais j'ai déjà choisi mon camp, non ??!!
Il existe une version CD pour les personnes mal entendantes: le plus (et le must!) de ce CD est que la lecture du recueil est effectuée par l'auteur lui-même! Un vrai moment de bonheur à écouter partout!

Swap, sweet swap


C'est fait! Le colis est maintenant entre les douces mimines de La Poste! Il devrait arriver à destination au plus tard Samedi.
Je vais subir les affres du doute et me poser moult questions: est-ce que j'ai bien cerné les goûts de mon/ma swappeur(euse)? Est-ce que mes choix vont lui plaire? Est-ce que...? Est-ce que...?
Bref, je ne suis que gamme d'émotions!

lundi 28 mai 2007

L'épopée du Cachemire

Je n'avais jamais lu de romans de S.Rushdie avant la lecture choisie de « Lire ensemble » pour les mois d'Avril/Mai. J'en avais entendu parler lors de la sortie des « Versets sataniques » et j'avais suivi avec horreur les ennuis sérieux (c'est un euphémisme) qui l'ont longtemps poursuivi!
La couverture est agréable, faisant penser à un bas-relief de temple hindou. La quatrième de couverture est alléchante et invite à une plongée rapide dans la lecture des aventures incroyables des personnages du roman.
L'auteur invite son lecteur à entrer dans une danse tragi-comique où les pirouettes et pieds-de-nez s'enchaînent et se mêlent au rythme échevelé d'une pièce de théâtre.
Le roman-épopée est divisé en cinq parties: India (la fille de l'ambassadeur Max), Boonyi (qui deviendra la maîtresse de Max), Max (l'ambassadeur), Shalimar (ex mari de Boonyi) et Kashmira (le dénouement du roman!). Il est difficile d'en faire un résumé, en dévoilant le moins possible l'intrigue, car à l'image de nombreux romans indiens, « Shalimar le clown » n'est que foisonnement et richesse. L'écriture de Rushdie est très belle, fluide et recelant des non-dits empreints d'humour.
« Shalimar le clown » est un hymne à la tolérance et à la culture hindoue, cette culture plusieurs fois millénaires qui sut s'approprier les différences de chacun des peuples du sous-continent. Les batailles sanglantes d'autrefois s'étaient endormies, étaient oubliées: les villages hindous et musulmans vivaient en harmonie jusqu'au jour où la déferlante religieuse empoisonna l'atmosphère et damna la région du Cachemire. Les apostrophes linguistiques de Rushdie à l'encontre des politiques aussi désastreuses qu'intolérantes (des deux côtés du Cachemire) sont de vrais bijoux stylistiques: les phrases ironiques sur les acronymes utilisés, à l'envi, par l'administration et le politique, les litanies telles que « on se demande pourquoi » à la suite de chaque énumération: « Il y avait six cent mille soldats indiens au Cachemire mais ils n'empêchaient pas le pogrom des pandits, on se demande pourquoi. Trois lakhs et demi d'êtres humains arrivèrent au Jammu en tant que personnes déplacées et pendant de nombreux mois le gouvernement ne leur offrit ni abri ni soutien ni même n'enregistra leurs noms, on se demande pourquoi... » (p 441, 442 et 443); ou les questions qui se succèdent avec une violence en crescendo: « Qui viola encore cette femme? Qui viola encore une fois cette femme? Qui viola cette femme morte? Qui viola encore une fois cette femme morte? » (p 459 et 460). Grâce à ces divers effets de style, Rushdie met en place une ambiance épique, tragique mais aussi comique ce qui enchante la lectrice que je suis.
Les personnages sont excellement croqués, ils sont dotés d'une vie intérieure foisonnante et très complexe: ils ne sont ni tout à fait blancs ni entièrement noirs, ils ne sont que le produit de leur histoire personnelle et celui de l'Histoire du monde. L'amour liant Boonyi et Shalimar, même s'il est bafoué par Boonyi, est indestructible: même la haine ne l'éteint pas puisque Shalimar ne pourra pas aller jusqu'au bout de son serment d'amour (si Boonyi avait des enfants d'un autre, il la tuerait et tuerait aussi ses enfants): l'a-t-il voulu ou n'a-t-il pas eu le temps de le faire? Se retrouver devant un miroir, reflet de Boonyi lui a-t-il fait prendre conscience qu'il l'aimait au-delà de la haine? J'aime comprendre cela pour la beauté de cette histoire d'amour infiniment tragique!
Shalimar est un clown acrobate qui se déplace en permanence sur le fil invisible de la folie créatrice mais aussi destructrice. Il est un héros au caractère tragiquement entier, sans concession avec le monde: il est le côté obscur de l'âme. Shalimar est un caméléon qui terre son véritable moi et se sauve ainsi, contre toute attente, d'un lavage de cerveau organisé par les talibans de tout poil. Il devient une arme humaine, froide et implacable pour parachever sa vengeance. Mais il rencontre un être qui lui ressemble malgré tout ce qui les sépare...chacun porte au plus profond de lui-même, une part inconsciente de sa culture et cette part s'ouvre souvent au moment où on s'y attend le moins. Shalimar est la culture traditionnelle du Cachemire supplantée par les réalités médiatiques de l'ère moderne: les spectacles de rue ne résistent pas à l'implantation non seulement de la télévision mais surtout à celle de l'intégrisme religieux. Alors pour survivre, il utilise sa douleur pour se fondre dans la masse délirante des extrémistes religieux.
Max Ophuls (tiens donc, référence culturelle quand tu nous tiens!) est un être trouble jusqu'à en être sublime. Un personnage de cinéma noir et blanc, un héros secret et grand seigneur au charme discret d'aristocrate cultivé et lettré. Max est l'Occident cultivé malmené par la folie sanglante des années quarante, tissant une toile d'influence à travers le monde et disséminant des bombes à retardement sans vraiment s'en rendre compte. Max est un héros digne des romans de Conrad (un Lord Jim qui s'ignore), de film noir américain digne d'un Humpfrey Bogart. Un aventurier comme on n'en fait plus, un aventurier épique au parfum épicé. Il est la vie qui sème la mort sans le savoir, il est le bonheur endeuillé, il est l'Inde qui s'occidentalise sans vouloir perdre son âme.
India, elle, est cette Inde qui s'ignore, cette Inde métissée qui peu à peu retrouvera ses racines, ses vérités en devenant Kashmira, prénom qui lui fut soufflé par sa mère biologique, prénom qui vivait, lové en elle et se taisait. India est la folie orgueilleuse des hommes qui se déchirent au nom d'une foi, elle s'enivre de toutes les substances illicites avant d'être enfin sauvée par son père, Max le bien-aimé, le bel aventurier, le chevalier blanc.
Kashmira est cette Inde qui se reconciliera avec elle-même, une fois la folie passée. Le Cachemire demeure, malgré la partition qui voile des femmes qui ne connaissaient pas de prison, un rêve de tolérance et d'ouverture. Le Cachemire demeure le pays des troupes de clowns qui divertissaient par leurs pitreries et leurs acrobaties les villageois et les princes. Il demeure le pays qui possédait ses artistes culinaires, ceux qui savaient préparer les délicats trente-six plats des fêtes princières et villageoises. Le Cachemire indissociable des abeilles, des femmes et des vergers, de ces douceurs de la vie et de la culture. Un théâtre de rue ruisselant de gouaille et de rires, d'insouciance et de poésie.
Salman Rushdie semble nous dire qu'après l'obscurité et l'obscurantisme, la lumière revient toujours éclairer les survivants et leur donner des raisons de ne cesser d'espérer. L'Histoire est un cycle qui apporte à chaque tour de roue une clé pour comprendre cet étrange animal qu'est l'homme, porteur d'ombre et de lumière.


Roman traduit de l'anglais par Claro

Les Etonnants Voyageurs


Voilà, nous sommes de retour après une journée bien remplie, oscillant entre la grisaille humide et le soleil au gré du vent.
Le Belem, navire emblématique, faisait relâche à St-Malo (pour la durée du festival) et accueillait les festivaliers du jour. L'aventure nous happait, nous étonnait malgré la célébrité de ce trois mâts majestueux. Le ciel était tumultueux et ne savait choisir entre soleil, crachin et trombes d'eau. La cité corsaire était rehaussée par les cieux gris d'acier et le vent transportant les embruns jusqu'aux abords de l'enfer de perdition qu'est un salon du livre!



Dès les billets pris, nous sommes allés côté salon du livre car Tran-Nhut dédicaçait son dernier roman "Les travers du Docteur Porc" en fin de matinée! J'étais persuadée que l'auteur était un homme et non une femme! La rencontre fut très sympathique et j'ai pu lui dire combien j'avais apprécié la fameuse scène de saccage des meilleurs et plus subtils thés dans l'échoppe du vendeur de thé: du gore pour les amateurs de thé...et c'est dans cet esprit qu'elle m'a dit l'avoir concoctée! Du miel pour moi et une belle dédicace à la clé!




Une exposition des planches originales du cycle "Le sommeil du Monstre" de Bilal attendait notre visite et nos yeux émerveillés: les techniques utilisées par le maîtres sont sublimes et d'une maîtrise indescriptible...bien entendu interdiction d'en réaliser quelques clichés et petit rappel à l'ordre par les surveillants de la narratrice (fort contrite mais souriante) qui rangea, sans mot dire, son APN ("zut et crotte" marmona-t-elle en son for intérieur). Après avoir admiré les planches de Bilal, nous sommes allés faire un tour au Café Littéraire où se déroulait un débat sur "Des mondes en noir", débat auquel participaient José Eduardo Agualusa (auteur sélectionné par le Prix des Lecteurs du Télégramme de cette année...auteur à lire et à suivre!), Craig Davidson (USA, jeune auteur que je ne connaissais pas et qui est très intéressant), Ken Bruen (GB, auteur de polar que je ne connaissais pas non plus - et je m'aperçois que je n'aurai pas assez d'une vie pour connaître le monde littéraire contemporain!- ) et Jo Nesbo, l'auteur de polar norvégien qui monte, qui monte et qui expliquait la naissance de son dernier roman (une rencontre interlope avec un serbe à Sarajevo il y a deux ans). Les héros de ces auteurs sont certes "noirs" mais possèdent leur part de lumière et de blancheur d'âme. Le manichéisme traditionnel est délaissé (depuis longtemps déjà) au profit d'une approche plus réelle de la réalité du personnage. Je peux vous dire que Agualusa et Nesbo sont plus que séduisants (c'était la minute people!)!!!
Puis ce fut la pause repas dans une crêperie de la citadelle où nous dégustâmes galettes et crêpes arrosées d'un excellent cidre brut (il n'y avait plus de lait ribot, snif).


La pause achevée, retour au festival pour un "lèche-stands" bien sage ma foi (j'avais apporté dans ma besace les différents exemplaires que je comptais faire dédicacer par certains auteurs présents): Monsieur Chatperlipopette craqua pour les deux derniers tomes du cycle "Le sommeil du Monstre" de Bilal (dont il obtint, à force de courage et d'obstination devant la foule des admirateurs devant le stand du maître, une très belle dédicace - la déesse Bastet car il pensait à sa Chatperlipopette, un amour je vous dis!- !!!), pour un titre traitant du Bouddhisme et "Titus d'Enfer". Quant à moi, je n'ai craqué qu'au stand des éditions Picquier pour "Mes sacrées tantes" le dernier recueil de nouvelles de Bulbul Sharma et "Funérailles célestes" de Xinran (vanté sur plusieurs blogs notamment chez Allie). Bulbul Sharma était présente et dédicaçait ses ouvrages (je n'ai pas pris de photo car j'avais oublié de sortir mon APN, quelle étourdie!, tout comme Muriel Barbery, lumineuse et souriante telle un rayon de soleil breton.

Et la journée s'acheva comme elle avait commencé: sous la pluie et dans le vent froid. Il fallait bien retourner à la maison, fatigués mais décidés, un jour, à prendre un pass de trois jours afin de profiter pleinement des conférences, spectacles et débats organisés par le Festival malouin! En effet, il y avait un espace "Littérature et gastronomie: les saveurs du monde" où se déroulaient des conférences aussi intéressantes qu'appétissantes...mais le temps n'étant pas extensible et surtout ne s'arrêtant pas, nous n'avons guère eu le loisir d'en profiter. Je vous livre le programme d'hier: "Cuisine de grands-mères" avec M.Barbery, José Manuel Fajardo et Bulbul Sharma, "Les mots de la cuisine" avec Chantal Pelletier, Claude Pujade-Renaud et Olivier Roellinger (une toque locale avec quelques belles étoiles!), "Cuisine d'Orient" avec Thanh-Van Than-Nhut, Xiaolong Qiu, Patrick Boman, Bulbul Sharma et Jean-Claude Carrière, "Célébration de l'olive" avec Jean-Noël Schiffano et Jacques Bonnadier et "Cuisine littéraire" avec Mark Crick, Patrick Raynal et Gérard Oberlé...de quoi en avoir les papilles en ébullition!

samedi 26 mai 2007

La chaîne des poètes


Sur une idée de jos, de blog en blog fleurissent les poèmes qui nous ont marqués. Parmi tant d'autres, il y en a un, en particulier, qui me toucha beaucoup:


Le dormeur du val
("Homme endormi" Courbet)


C'est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons

D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,

Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.


Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.


Les pieds dans les glaïeuls, il dort.Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

Nature, berce-le chaudement : il a froid.


Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


Arthur RIMBAUD

Un roman de Ferney


En attendant le billet sur "Shalimar le clown" de Rushdie, je vous livre mes impressions de lecture, anciennes, de "Dans la guerre" d'Alice Ferney (auteure que j'adore). A l'époque, j'avais été très déçue d'apprendre qu'elle n'avait reçu aucun prix littéraire, notamment le Goncourt qu'elle méritait...mais bon, c'est du passé et les voies des jurys littéraires sont à l'image de celles de Dieu: impénétrables!


Un très beau roman, de très belles âmes. Si belles qu'on se demande parfois si cela peut exister. "Dans la guerre" est un roman qui touche, qui remplit d'émotions, qui parle à tous, qui met en avant un aspect particulier de cette Grande Guerre : l'utilisation des animaux comme auxiliaires. L'aventure de ce colley est extraordinairement belle et pour ceux qui ont eu un chien dans leur vie, les pages d'Alice Ferney sont tellement vraies.Par ailleurs, autre originalité : un roman sur la guerre écrit par une femme. La guerre vue par une femme, une psychologie des personnages vue par une femme. Une émotion très forte se dégage de son écriture.Seule une femme pouvait décrire la guerre entre femmes, plus cruelle encore que celle faite par les hommes. Le personnage de Julia est fort, bien mis en scène : personnage dérangeant que l'on ne peut pas entièrement détester car cette âme est perdue de solitude et de manque d'amour à recevoir et surtout à donner. Le personnage de Félicité est à l'image de son prénom... une très belle âme que l'on aime et respecte : émouvante dans sa forte faiblesse de femme aimante et amoureuse. Le discours est beau, sans complaisance et nous met face à la cruauté humaine, aux déchirures des vies... L'empathie de Prince, ce colley héroïque par amour de son maître, fidèle jusqu'au bout, nous fait voir la guerre et ses malheurs par un autre bout de la lorgnette, celle d'un animal qui n'a pas conscience de l'avenir, qui vit au jour le jour, au rythme de son amour des hommes. Pour finir... commencer et achever le roman par des extraits de texte et discours officiels est une excellente trouvaille qui pose le gouffre qui existe entre la raison d'état et le bonheur personnel. Entre les deux, la douleur de la mort, du veuvage, de la solitude, des orphelins, du côtoiement de l'horreur horrifique des tranchées et des marmitages !!!En un mot comme en mille : un livre superbe, écrit avec le coeur, avec amour... si opposé au Goncourt 2003 : pourquoi "Dans la guerre" n'a-t-il pas obtenu ce prix ? Y aurait-il eu conflits d'intérêts ? No comment. Heureusement que l'obtention ou non d'un prix littéraire n'influe pas sur le fait d'apprécier la saveur d'une écriture sensible !!!

Swap: il est arrivé!!!!




Mille et un mercis à Moustafette qui m'a choyée avec ce colis de belles et agréables choses!!! J'ai de belles lectures en perspective, du thé parfumé à la menthe qui me fera voyager dans le Magreb (en attendant l'escapade marocaine de Décembre prochain), des marque-page qui agrémenteront mes livres, un chat porte-bagues qui viendra décorer mon bureau (il en a grandement besoin!!) et deux très jolies cartes qui iront orner le mur de mon bureau!!!



Maintenant, il me reste à boucler le colis pour la personne que je vais gâter (j'espère-rires-). Il partira mercredi et j'y logerai certainement des embruns littéraires malouins!!!



Mais je n'oublie pas notre chère Flo qui a eu cette idée géniale, idée qui permet de tisser des liens au fil des blogs!

mercredi 23 mai 2007

Petite bulle rouge


C'est aujourd'hui Mercredi, jour des enfants.

J'ai envie de vous parler d'un album sans texte, laissant vagabonder l'imagination au fil des pages.

C'est l'histoire d'une petite bulle rouge qui s'envole et qui change et se transforme dès la page tournée. Que devient-elle? Un ballon qui s'envole et rencontre une branche d'arbre: en quoi va-t-il se transformer? En fruit, en fleur? Allez, finalement il devient pomme rouge! De page en page, on la voit, cette bulle, devenir pomme, papillon, fleur, parapluie...Le tout dans un graphisme simple, épuré mais très évocateur. Seule la petite bulle puis ses avatars successifs sont rouges, le reste du décor est en noir et blanc. Une petite merveille à lire, voir et raconter à sa guise (puisque rien n'est écrit et tout est à inventer!).

mardi 22 mai 2007

Tourisme littéraire


Ce Week-End de Pentecôte, se tient l'événement littéraire important du mois: le Festival des Etonnants Voyageurs à Saint-Malo. Cette année, la littérature-monde est à l'honneur...un voyage multiple et infini au gré des continents attend les festivaliers.

Une exposition des planches originales des derniers albums d'Enki Bilal attend les inconditionnels de ce dessinateur et scénariste à l'univers si particulier...un régal intense en perspective!!!

Pour en savoir plus sur les festivités et les joies littéraires cliquez ICI
Un film réalisé par des élèves du lycée Jacques Cartier pour donner envie d'aller à Saint-Malo!


Saint-malo
envoyé par jdebauve