dimanche 7 février 2021

Cela vous dit de vivre une année en Angleterre?

 


Les trois blogueuses amoureuses de l'Angleterre lançaient le fameux "Mois anglais" auquel j'ai participé pour la première fois en juin dernier. Cette expérience m'a enchantée, aussi, quand elles ont eu l'idée folle de fêter les 10 ans du "Mois anglais" en organisant un challenge "A year in England" (Une année en Angleterre), je me suis dit "j'y vais ou je n'y vais pas?" 

J'ai finalement rejoint les participants et les trois organisatrices que sont Crissylda  Titine et Lou . Le programme est libre, vaste et alléchant augurant de belles découvertes littéraires, de relectures classiques et d'échanges passionnés.

Quel est le programme? Demandez-le, il arrive, il est là!

Février: l'époque victorienne est à l'honneur.

Mars: chouette, le roman policier!

Avril: un auteur Jonathan Coe

Mai: un thème audacieux pour se dire que le Brexit n'empêchera pas de lire un auteur anglais vivant en France ou ailleurs en Europe ou un auteur français écrivant sur l'Angleterre. 

Juin: le Mois anglais fête ses 10 ans.

Juillet: voyages en Angleterre.

Août: à la mer!

Septembre: rentrée des classes et littérature jeunesse.

Octobre: plumes féminines.

Novembre: du roman à l'écran. Certainement pour moi de relire un classique anglais.

Décembre: un Noël anglais.

Chaque mois a son logo to much, les expériences culininaires sont bienvenues ainsi que les reportages photos, séances de ciné (s'ils rouvrent un jour) etc...

Mon dernier séjour à Londres remonte à presque vingt ans et pour m'y rendre j'ai enduré le Shuttle... OMG!



samedi 6 février 2021

La vie dans le regard d'un enfant

 


Nous sommes en Angola, après la guerre civile, dans un quartier de la banlieue de la capitale Luanda. Non loin de là, des coopérants soviétiques participent à la construction du gigantesque Mausolée qui abritera la momie du père de la révolution angolaise, Agostinho Neto. La suite logique est la modernisation de cette banlieue jouxtant le Mausolée et surtout situé en bord de mer et qui dit modernisation dit restructuration et donc démolition des habitations et par voie de conséquence déplacement, ailleurs, des habitants. C'est que les bords de mer, c'est intéressant pour les promoteurs immobiliers !

Ondjaki, l'auteur, peint le portrait du petit peuple vivant dans ce quartier pauvre et pittoresque doté de personnalités hautes en couleurs. Au nombre desquelles se trouvent GrandMèreAgnette, l'aïeule d'un des jeunes héros du roman, GrandMèreCatarina, VendeurD'Essence, qui ne peut jamais vendre d'essence faute de ravitaillement, EcumeDeMer, le vieux fou qui se baigne chaque jour dans la mer malgré les interdictions, VieuxPêcheur et sa barque traditionnelle, Charlita et Pi dit TroisQuatorze, les meilleurs copains du narrateur. Ne pas oublier les perroquets braillards agonisant les gens de grossiertés et de slogans révolutionnaires.

Le quartier vit au rythme de la course du soleil dans le ciel, les enfants jouent librement, enfin pas trop car il y a toujours un adulte pour avoir un œil sur eux.

L'électricité est absente sauf chez GrandMèreAgnette car le CamaradeBotardov, dont le vrai patronyme est Bilhardov, l'apprécie et a établi une dérivation depuis le site du Mausolée.

Cet officier russe aime les gens du quartier malgré le fossé séparant les deux cultures. Il essaiera de les prévenir du projet de modernisation mis en place par les dirigeants.

Le récit est celui d'un jeune enfant, avec ses perceptions, son imaginaire et sa vision du monde. La chronologie n'est pas linéaire, tout s'imbrique, se démêle et se mêle au gré des souvenirs qui surgissent. Ce qui fait la force de la narration, et donc du roman, c'est que tout reste cohérent.

Le jeune narrateur et ses amis s'insurgent contre le projet dont l'ampleur ne semble pas ouvrir les yeux des adultes. Les enfants décident de contrecarrer ce qui se trame en utilisant leur ruse, leur ingéniosité et les outils et matériaux à leur portée.

Le lecteur suit avec délice l'élaboration du plan ainsi que sa mise en œuvre pour laquelle les enfants ont puisé dans leur connaissance des télénovelas et films d'aventure. Le monde ne se voit plus pareil lorsqu'on le regarde à travers les yeux d'enfants : tout devient aventure grandiose, sombre secret, dangers incroyables et courage inaltérable sauf quand des bruits inattendus se font entendre dans l'immense entrepôt. Ils découvrent un pan du trafic mis en place par les occupants soviétiques : l'exportation illégale d'oiseaux exotiques dont les perroquets, entassés dans des cages trop petites et condamnés à l'obscurité jusqu'au voyage vers d'autres cieux.

Le style poétique est rythmé, l'écriture mêle rigueur et humour ce qui est savoureux à lire. Les événements préparant la rénovation du quartier sont aussi l'occasion d'intégrer une partie de l'histoire de l'Angola, ses heurts et malheurs au fil des guerres et des révolutions.

On pense, forcément, à « La guerre des boutons » roman donnant la part belle à l'enfance. « GrandMèreDixNeuf et le secret du Soviétique » est dans la même veine : l'auteur chante l'enfance et ses cheminements qui ne sont ceux des adultes, l'enfance et sa vision du monde qui enchante une réalité loin d'être enchanteresse, il chante cette magie qu'a l'enfance pour colorer joyeusement le gris des jours et le noir du deuil.

Ce roman est lumineux et m'a fait oublier la triste réalité anxiogène due au satané virus qui pourrit nos vies depuis mars dernier.


Merci à Masse Critique et aux Editions Métailié pour cette jolie lecture et pour la découverte d'un auteur que je n'avais encore jamais lu.

Quelques avis

Babelio  Jeune Afrique  Temps de lecture Alex Mots à mots




mercredi 3 février 2021

Dans la savane, qui est le plus fort?

 


Un jour comme un autre dans la savane. Le lion, roi des animaux, se pavane : il sait qu'il est le plus beau, le plus fort, le plus majestueux, que tout le monde le craint.

Il est content de lui et « fier d'être lui-même ».

Soudain...

Un sifflement lui parvient aux oreilles « Sssi tu bouges, j'te mords et sssi j'te mords, t'es mort. » Axiome imparable puisque proféré par un serpent « sinueux, sournois et surtout mortel. »

Arrêt sur image : le lion est pétrifié, patte en l'air, il ne bouge plus.

Le temps s'écoule, les minutes, les heures même, passent. Le lion craque et baisse la tête. L'évidence lui saute aux yeux : le serpent n'est pas du genre à lâcher prise mais plutôt du genre à mordre et réfléchir après.

Le lion tente de se sortir de l'impasse en demandant au serpent pourquoi il en a après lui, lui qui n'avait pas du l'intention de lui faire quoi que ce soit.

Le serpent répond que c'est parce que tout le monde dit qu'il est le plus fort alors que le plus fort c'est lui, le serpent. Car si le lion bouge, il le mord et s'il le mord le lion meurt. CQFD.

S'ensuit un dialogue savoureux entre les deux animaux qui finissent par tomber d'accord pour entreprendre un sondage. Trois avis, des avis de leurs proies habituelles, afin de déterminer qui des deux est le plus fort.

Ils rencontrent une gazelle qui pense sa dernière heure arrivée. Une fois interrogée, elle renvoie les deux lascars au point de départ puisque pour elle, ils sont aussi dangereux l'un que l'autre.

Le lion pense que l'affaire s'arrêtera là et claironne que le serpent et lui sont aussi forts l'un que l'autre.

Euh... « Nan, ssi tu bouges, j'te mords et si j'te mords, t'es mort. »

Vient la rencontre avec un zèbre qui les remet également dos à dos. Et toujours la même conclusion venant du serpent « Nan, ssi tu bouges, j'te mords et si j'te mords, t'es mort. »

Le troisième « témoin » est un éléphant qui met tout le monde d'accord en affirmant que c'est lui, éléphant, qui est le plus fort. Ce qui est vrai.

Enfin le deuxième troisième avis pointe le bout de son nez : la mangouste.

Je vous laisse imaginer la suite puisque vous savez que la mangouste est un des prédateurs du serpent.

Quant à la chute de l'histoire, je la trouve magnifique car elle ouvre la réflexion sur ce qu'est « être le plus fort » par rapport à qui, à quoi ? Le plus fort est-il réellement toujours le plus fort ?

Car la mangouste avant de s'éclipser a raillé le lion en lui faisant remarquer que s'il était le plus fort pourquoi n'avait-il pu se débarrasser seul du serpent. « Un roi sans sujets ne serait-il qu'un verbe sans complément ? »

Vous avez donc quatre heures pour développer le sujet.

« Sssi j'te mords, t'es mort ! » est un album savoureux : les illustrations faites de collage sont très belles, agréables à l'oeil et donnent une dynamique à l'histoire et renforcent son effet comique.

Quant au texte, il est absolument délectable car les jeux de mots sont drôles, les termes choisis pour les animaux sont justes et remplis d'humour et de sarcasme. C'est un pur régal par ses jeux sur les sonorités tels que « avec vous la morsure c'est la mort sûre ».

C'est un conte de randonnée comme je les aime et comme j'aime en lire à mes petits élèves qui ont savouré images et texte avec un réel plaisir puisqu'ils riaient lors des scènes comiques auxquelles sont confrontés les deux héros.

Ajoutons à cela que les auteur illustratrice, Pierre Deyle et Cécile Hudrisier ont su expliquer la technique de chasse de la mangouste et le couperet inéluctable: la mise à mort suivie de la dégustation.

Quelques avis

Babelio  Littérature jeunesse  Sens critique

Un aperçu:





dimanche 31 janvier 2021

Honey(church) qui mal y pense

 


Kate Standford
anime une émission télévisée très prisée « Fakes and Treasures » et décide de quitter le monde cruel de la télévision après avoir été ridiculisée par la presse people.

C'est l'occasion rêvée pour réaliser enfin le projet qui lui tient à cœur : ouvrir, avec sa mère, une boutique d'antiquités à Londres.

Mais rien ne se déroule comme elle l'aurait souhaité. Sa mère semble avoir d'autres projets suite au décès de son époux et a déménagé, en catimini, dans le Devon. Kate la rejoint dans sa nouvelle demeure sans savoir qu'elle irait de surprise en surprise : la campagne anglaise, si calme en apparence, a le don de cacher d'innombrables intrigues car une nurse disparaît puis la gouvernante est trouvée assassinée.

Honeychurch et le Logis du palefrenier accueillent brutalement Kate qui doit dévier littéralement sa voiture dans le fossé pour échapper à un conducteur pressé puis à un tracteur agressif. Bienvenue dans le Devon, ses collines, ses châteaux, ses villages tranquilles, ses habitants chaleureux et ses secrets bien gardés.

A partir de cet instant Kate sera confrontée à une série de mystères qui lui montreront combien les apparences peuvent être trompeuses. Entre sa mère qui au final n’est pas la femme effacée qu’elle croit être, le jeune Harry Honeychurch vivant à fond dans son imaginaire d’enfant fasciné par le destin d’un de ses grands-oncles, aviateur téméraire pendant la seconde guerre mondiale, la Comtesse douairière masquant un esprit vif derrière une perte de mémoire, les serviteurs tous apparentés et un inspecteur décalé, Kate a de quoi être sortie de sa zone de confort.

« Petits meurtres en héritage » est le premier tome de la série « Les mystères d’Honeychurch » et nous fait découvrir des personnages attachants ou excentriques. J’ai beaucoup aimé la relation mère-fille entre agacement réciproque, culpabilité et tendresse. Chacune d’elle vivre selon leur choix quitte à ne pas plaire.

Classé dans le genre « Cosy mystery », « Petits meurtres en héritage » est un roman plaisant, truffé de personnages amusants, grotesques ou décalés. La drôlerie du duo que forment Kate et sa mère prend appui sur leur mauvaise foi réciproque ce qui provoque des situations hilarantes. Petit à petit les fils se dénouent et la raison pour laquelle la mère de Kate tient absolument à rester dans le Devon se dévoile… le passé ressurgit toujours au moment où on s’y attend le moins.

Ce qui compte dans ce roman policier dans lequel le suspense n’est pas des plus intenses, c’est la dynamique des relations entre les personnages, la mise en place des prochains opus et le bon moment que l’on passe en le lisant car l’humour sooo british des principaux personnages et celui de l’auteure sont délicieux.

 Quelques avis :

Critiques libres   Babelio   Northanger  Songe d'une nuit d'été   Livraddict   Histoire du soir  Sélectrice  A livre ouvert   Le thé culturel  The Canniballecteur  Masscritics  

Lu dans le cadre



vendredi 29 janvier 2021

Challenge British Mysteries opus 6

 


Je n'ai repris le chemin de mon blog que depuis peu et j'avoue que le confinement de mars-avril dernier a été un élément déclencheur: la lecture a été l'évident moyen d'agrémenter la réclusion. De nouveau l'envie d'écrire sur mes lectures se fit sentir. "Le Mois Anglais" m'a remis le pied à l'étrier, ce fut une expérience pleine de charme et d'évasion. 

Au fil des mois, j'ai vu sur beaucoup de blogs le fameux Challenge British Mysteries. Cela m'a intriguée, j'ai parcouru quelques blogs dont je suivais avec attention les billets relatifs à ce défi, sans forcément laisser trace de mon passage.

Cette année, je me lance dans cette aventure, à mon rythme. Qu'est-ce que le Challence British Mysteries?

Il a lieu entre le 1er janvier et le 31 décembre 2021. Les pays concernés sont l'Angleterre, l'Ecosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord et l'Eire. On lit des romans, de la BD ou des essais, la littérature jeunesse est bien entendu accueillie à bras ouverts. On regarde des films, des séries, des documentaires.

Le mot des organisatrices, Chez Lou et  Chez Hilde:

« Des crimes, de l’arsenic, des rues anglaises inquiétantes ? C’est surtout pour nous un challenge doudou, car il nous fait passer des moments délicieux avec, souvent, des polars pleins de dentelle, de vieilles demoiselles, de théières, de villages et de salons anglais. Qui plus est cette année, sans la perspective imminente d’un voyage en Angleterre pour cause de covid-19. […] Amoureux de l’Angleterre, amateurs de detective stories et/ou de mystères (sur)naturels, ce challenge est le vôtre ! »

Les catégories sont:

- Esprit es-tu là? (entre 1 à 5 participations)

- Résident de Baker Street (entre 6 et 10 participations)

- Gardien de Highgate Cimetery (11 participations et plus)

Chaque mois, il y aura des thèmes, ce qui peut aider dans le choix de lecture, ils seront annoncés à mesure. 

Janvier/février: Cosy mystery

Comme je débute, je ne compte pas avoir les yeux plus grands que le ventre aussi serai-je plutôt "Esprit es-tu là?". Par contre, je tenterai d'atteindre le statut de "Résident de Baker Street".

Mon premier billet à venir sera celui de ma récente lecture de "Petits meurtres en héritage" premier opus de la série des Mystères d'Honeychurch d'Hannah Dennison.

Enjoy!

jeudi 28 janvier 2021

Le vent de la mémoire se lève

 


Voici un roman d'aventure comme je les aime : du rythme, des interdits que l'on brave, des secrets, des quêtes, un passé riche et mystérieux, des trahisons, des crimes, des hommes au grand coeur et des trésors incroyables.

« Alma, le vent se lève », raconte les aventures d'une adolescente arrachée à sa terre natale, l'Afrique, en partant à la recherche de son petit frère, Lam, disparu.

Mais commençons par le commencement.

La vallée dans laquelle vit Alma et sa famille est à l'image du jardin d'Eden : tout est en harmonie, la terre cultivée donne de quoi vivre, les animaux chassés raisonnablement offre la viande nécessaire. Le paysage est d'une beauté majestueuse. Cependant il y a un interdit édicté par le père, Mosi et la mère Nao, dernière représentante du peuple Oko: il est défendu d'aller au-delà du goulet rempli d'épineux, barrière naturelle entre le petit paradis et le reste du monde.

Un événement viendra bouleverser l'équilibre d'une vie familiale en harmonie avec la nature : un zèbre sans rayure fait un jour son apparition dans la vallée. Alma l'apprivoise et le prénomme Brouillard.

Un an se passe, le mystère de l'arrivée de Brouillard titille la curiosité, toujours en éveil, d'Alma, elle qui aime raconter à son petit frère la vie dans le vaste monde, mélange d'imaginaire et de supposition logique. La saison des pluies bat son plein : lors d'une accalmie, Alma s'aperçoit que Lam a disparu, Brouillard aussi. Où sont-ils passés ? Alma avait découvert qu'une fois l'an la vallée s'ouvre vers l'extérieure grâce aux inondations submergeant le goulet d'épineux, elle avait déniché une pirogue camouflée depuis des années, par qui ? N'écoutant que son courage et sa culpabilité, Alma part sur les traces de Brouillard et Lam., armée de son arc, de son intelligence et de ses dons d'observatrice et de camouflage.

Au même moment, en Europe, à Lisbonne, un adolescent, Joseph Mars, réussit à s'embarquer sur la « Douce Amélie », propriété d'un riche armateur de La Rochelle, Monsieur Bassac. Il a en poche un sésame avec lequel il espère bien amener le capitaine du navire, l'inflexible Gardel, là où on l'attend dans les Caraïbes.

Plus tard, à La Rochelle, le comptable de Ferdinand Bassac pense avoir toutes les cartes en main pour réaliser son plan. La jeune et jolie Amélie Bassac ne sait pas encore qu'elle aura l'occasion de montrer la fermeté de son caractère et son intelligence.


Dans un tourbillon d'événements, le lecteur suit le destin d'Alma et de sa famille, de Joseph Mars, d'Amélie Bassac, des côtes africaines et françaises atlantiques jusqu'aux Caraïbes peuplées de pirates sans foi ni loi, avides des trésors enchaînés dans les cales des navires marchands.

Timothée de Fombelle plonge son lecteur dans l'histoire tragique de l'esclavage, du commerce triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Il peint un tableau de la noirceur des âmes avides de profits : les tribus africaines vendent leurs ennemis aux marchands européens, une « moisson tragique » se met en place, bouleversant pour longtemps l'avenir des captifs. Mosi, le père d'Alma, a fait partie des africains vendant leur peuple.

Il nous conte aussi la beauté des paysages de cette Afrique que l'on vide de ses âmes, de son énergie, de son fluide vital. Il évoque les pouvoirs mystérieux d'une ethnie enviée par tous, dont les membres étaient prisés bien avant l'esclavagisme qui transplantera une partie de l'Afrique en terre américaine : les Okos, un peuple unique qui fut nombreux et florissant, ne vivant que de liberté. On l'encage et il s'étiole, se meurt. Ce peuple porte le nom des oiseaux mouches qui vivent avec eux, les okos. Comme ces délicats oiseaux-mouches vert émeraude au bec d'argent, dès que le froid s'abat sur le monde, ils s'engourdissent. Les Okos, pour ne pas être pris, décide de se rendre invisible et de se fondre dans les forêts. Ils portent en eux la mémoire de leur peuple : la chasse, le jardin, la guérison, le chant et la guerre. Nao possède le chant, Soum, son fils aîné, le jardin, Alma la chasse, l'enfant qu'elle porte la guérison... et Lam ?


Timothée de Fombelle pose les mots justes, son style est ciselé sans être abscons : le lecteur s'identifie tout de suite aux personnages, éprouve les mêmes sentiments qu'eux. Il orchestre la valse des liens entre ses personnages avec virtuosité : on savoure la manière dont tout est fait pour que le sel de l'aventure soit plus piquant. Alma croise, sans le savoir son père, sa mère puis ses frères. Elle est même à quelques mètres de Nao et de Soum. On se dit « cette fois, Alma va se rendre compte que sa mère et son frère sont là. » Sauf que pour Alma, ses parents et Soum sont toujours à l'abri dans leur vallée.

« Alma, le vent se lève » est un roman très bien construit et un roman choral : chaque personnage emblématique est une partition d'un chant digne d'un « Dit ». Quand les harmonies sont au diapason, la force musicale des mots montre combien ce roman aurait toute sa place dans le rayon littérature générale.

Quand on commence le récit, seuls le sommeil ou le devoir d'aller travailler vous font fermer le livre. On le lit avec enthousiasme car Timothée de Fombelle sait faire surgir au détour d'une phrase ou d'une description, les souvenirs de lecture de « L'île au trésor », « Le trésor de Rakham le Rouge », ou le fantôme de Barbe rouge. Le capitaine Garbel peut être aussi effrayant que Long John Silver et aussi omnubilé que le Capitaine Achab de « Moby Dick ». Il y a des scènes grandioses, notamment lorsque la « Douce Amélie » s'engage dans la crique de l'île du taureau. Ou lorsque Nao, la mère d'Alma, entonne, tout bas, un chant qui galvanisera les captifs.

« Alma, le vent se lève » est un grand voyage au cœur d'un monde sans pitié doté de quelques havres de bonté et de beauté.


Un roman à mettre entre toutes les mains.

J'oubliais un détail d'importance : les illustrations sont de François Place et animent magnifiquement le récit.

Citation:

Poussin le charpentier, personnage secondaire qui aura son importance explique à Joseph Mars et Abel Bonhomme le principe de la traite négrière.

«Ils paient le matériel et l'équipage. Ils paient tes trente livres de salaire par mois, Bonhomme. Ils paient le seigneur Bassac qui est le propriétaire de ce bateau, ses chevaux, son tabac, les fontaines de son jardin. Ils paient sa serre remplie d'orangers d'Espagne, les bottines à lacets de sa fille. Ils paient la pierre de toutes les grandes maisons qu'on voit dans les ports. Ils paient les dîners aux chandelles des planteurs dans les îles, leurs orchestres, le cuir de leurs fouets. Ils paient leur générosité quand ces planteurs donnent une pièce à la sortie de l'église. Ils paient la nourriture d'Hercule, le bon chat du cuisinier. Ils paient les impôts qui remontent à Versailles, ils paient donc les plumes plantées dans le chapeau du roi, ses carrosses, ses maîtresses, quelques unes de ses guerres contre l'Angleterre. Ils paient aussi la petite ferme que la reine Marie-Antoinette est en train de se faire construire et le toit de chaume de son pigeonnier. Oui, ces gens-là, les seuls qui ne gagnent rien, ils paient pour tout . » (p117 et 118)

Quelques avis

A lire pour comprendre la désolante polémique autour du roman, premier tome d'une trilogie qui veut montrer le crime contre l'humanité que fut ce commerce triangulaire. La Croix

Babelio  Lucky Sophie  Eva  Mes petites madeleines  Jeune Afrique



mercredi 27 janvier 2021

Aaah... les histoires de crottes, on les aime!


 

« Un jour, dans la clairière du Bois des Fées, une souris rencontra un écureuil. « Tu sais quoi ? Cria-t-elle de sa voix minuscule. Je fais les plus belles crottes du monde ! »


Bien sûr, l'écureuil voulut démontrer à la souris que non, c'était, lui, l'écureuil, qui faisait les plus belles crottes du monde. Aussitôt dit, aussitôt fait, l'écureuil dépose cinq boulettes gracieuses.

Vous devinez la suite : un attroupement se forme autour des deux animaux et c'est à qui prouvera que la plus belle crotte du monde est la sienne. Ainsi, après la souris et l'écureuil, la belette, le putois, le blaireau, le renard, le loup puis le cerf vont de leur crotte jusqu'à ce que l'épervier vienne perturber la conférence au sommet des coprologues en annonçant l'arrivée d'un chasseur.

C'est le sauve-qui-peut général. Hélas, ils n'ont pas le temps de déguerpir car le chasseur a déjà épaulé son fusil.

C'est certain, c'en est finit de ces pauvres animaux.

Mais, non ! Mais non ! Mais non ! Tout le monde sait qu'il est dangereux de ne pas regarder où on pose le pied surtout quand il s'agit de jolies crottes toutes fraîches.

Le chasseur glisse sur celles de la souris et de l'écureuil puis tombe sur quelques autres et enfin achève de se crotter sur les dernières en cherchant à se relever.

Moralité : c'est un jour de CROTTE pour le chasseur qui s'enfuit, généreusement décoré de diverses déjections plus odorantes les unes que les autres.


Je trouve les illustrations superbes : elles sont précises et poétiques – même s'il est question de crottes -, les détails sont subtils. Chaque animal qui entre en scène apparaît juste avant.

Le paysage forestier est délicatement dessiné avec une multitude de détails que l'on prend plaisir à chercher et observer.

Quant au texte, bien que simple il est parsemé de termes précis, donnant une image mentale aux diverses crottes.

La souris fait une « petite crotte allongée », l'écureuil « des boulettes », la belette « des fins tortillons », le putois « une crotte compacte », le blaireau « une crotte sombre et filandreuse », le renard « des crottes torsadées », le loup « une crotte épaisse » qui en laisse pantois plus d'un.

On peut trouver des résonances avec « La petite taupe qui cherchait qui lui avait fait sur la tête » , c'est évident et on apprécie d'autant plus. L'album est aussi un plaidoyer pour la protection de l'environnement de la faune et flore sauvage, ce qui est à noter.


Mes petits élèves ont adoré l'histoire et en demandent la lecture régulièrement.

Un aperçu du travail de l'illustratrice Camille Garoche ici


Quelques planches :







samedi 23 janvier 2021

Comment venir à bout de terribles dinosaures?

 


Le Père Noël a déposé au pied du sapin plusieurs albums pour enrichir la bibliothèque de classe. Parmi eux « Silex ».

J'ai été séduite par la couverture, que je trouve très réussie, et le thème qui ne pouvait que plaire à mes élèves, nombreux à être fascinés par le monde des dinosaures.

Je ne connaissais pas, à ma grande honte, l'auteur-illustrateur qui livre de bien belles planches.


Silex, jeune garçon dégourdi au caractère fort n'apprécie pas d'être raillé par les garçons du clan qui le traitent de «Trois pommes ». Silex n'est pas grand mais....il ne s'en laisse pas compter dans ce monde où la taille semble être un élément déterminant surtout quand on souhaite devenir chasseur.

N'écoutant que son caractère bien trempé, il annonce qu'il part chasser le dinosaure et qu'il rapportera, dans sept lunes, « Un casse-tout, une queue-qui-pique et aussi un …un ... un mange-tout »


Silex n'a-t-il pas commis une folie en lançant un tel pari ?


La quête commence, Silex n'a emporté avec lui que des cordes et sa lance. Très vite on s'aperçoit que Silex, certes n'est pas très grand mais surprenant, intelligent et étonnant. A chaque fois, deux planches, sans texte, proposent aux enfants de suivre les stratagèmes de Silex.

Silex n'est pas grand comme un certain Kirikou et comme lui il est vaillant. J'avais cela en tête à chaque fois que je lisais la phrase « Silex n'est pas grand mais il est surprenant ».

Les « proies » ont aussi une double page (une grande planche) sur laquelle leur mensurations sont signalées. : le casse-tout est doté de « 3 cornes menaçantes,1 collerette osseuse, il pèse dans les 8000 kilos et mesure jusqu'à 8 mètres de long » … et vous entendez, non loin de vous, des « Ohhh », des « Aaaahhh » car le dessin du casse-tout est parlant. Il en va de même pour la queue-qui-pique et le terrible mange-tout

A chaque fois est glissé le point faible de chaque dinosaure : le casse-tout « a un sale caractère. Il ne supporte pas que l'on reste face à lui. » C'est une piste pour comprendre le non-dit de la double page narrant le stratagème de notre jeune héros. La queue-qui-pique « est redoutable, mais peu endurante. ». Le mange-tout ne semble pas avoir de point faible mais sa taille immense et son poids peut devenir un handicap si on applique le conseil de Tonton Galet.

Il y a également un conseil dispensé par un membre de la famille et retenu par Silex bien à propos. Pour le casse-tout « Mais mon oncle Stèle dit toujours : la force sans l'intelligence s'effondre sous sa propre masse. » Pour la queue-qui-pique « Mais bon, comme le dit mon oncle Grès : la patience a beaucoup plus de pouvoir que la force. » Quant au mange-tout « Mais bon, comme le dit tonton Galet : l'union fait la force. »


Quand Silex revient, avant la fin des sept lunes, auprès des siens, la surprise cloue le clan et Tados, le costaud moqueur, en reste presque muet.

La chute est humoristique avec un message qui m'a plu : « Je suis un chasseur, pas un tueur » A méditer.


Le parti pris des couleurs sépia, noir et rouge très foncé est original, efficace et apporte une dynamique à l'histoire.

Histoire qui est loufoque mais on s'en fiche puisque le message essentiel est celui de l'entraide, de la tolérance, l'intelligence, la patience et surtout le respect envers l'autre qu'il soit humain ou animal.


Quelques images







Le blog de Stéphane Sénégas: Clic!

Au coeur d'un marais rabelaisien

 


Il y a cinq ans je savourais le délicieux «Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants », court roman qui m'avait enchantée.

« Le banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs » m'a tout de suite attirée aussi dès que j'ai pu l'emprunter je n'ai pas hésité un seul instant.

Comment parler de ce roman foisonnant sans en dévoiler trop et sans s'éparpiller ? L'exergue peut mettre le lecteur sur la voie :

« Dans nos existences antérieures nous avons tous été terre, pierre, rosée, vent, eau, feu, mousse, arbre, insecte, poisson, tortue, oiseau et mammifère. » (Thich Nath Hanh citant le Bouddha)

La citation intrigue puis est oubliée au commencement de la lecture pour ressurgir au détour d'une phrase. L'art de distiller les sentiers de l'imaginaire est maîtriser par le truculent Mathias Enard.

Revenons à l'histoire. Un jeune thésard en anthropologie, David Mazon, choisit comme terrain d'étude un coin de campagne des Deux-Sèvres, là où on parle non pas « de batailles, de rois et d'éléphants » … quoique... mais où on lève joyeusement le coude en parlant des petits riens et grands événements du quotidien.

La Pierre Saint Christophe, son Café-épicerie-pêche et ses habitués, ses villageois goguenards, ses rumeurs et racontars, son église, son marais, son mode de vie exotique vu de Paris, son maire à la profession un peu spéciale, ses champs, ses troupeaux, son gibier, sa coiffeuse à domicile, son artiste décalé, ses agriculteurs, sans oublier son hiver glacial. Tout un microcosme formant un bouillonnement perpétuel d'énergies venues dont ne sait où.

David a pris pension à « La Pensée sauvage » un gîte à la ferme tenu par une femme avenante et heureuse d'accueillir le jeune homme. Très vite la nécessité d'un moyen de locomotion se fait jour : les Deux-Sèvres ce n'est pas Paris et son réseau de transports étendu. David acquiert la porte sur la liberté de circuler avec une vieille mobylette : sa vie d’apprenti anthropologue peut commencer.

Le roman s’ouvre sur le journal de bord de notre héros ce qui met tout de suite le lecteur dans l’ambiance : le coin perdu, en plein XXIè siècle, est un incroyable terreau pour une étude anthropologique originale car l’exotisme ne nécessite plus de longues expéditions lointaines. Reste-t-il encore des contrées vierges dans notre monde hyper connecté ? A vouloir éloigner les frontières de l’impossible, ce qui est sous nos yeux est devenu invisible et donc intéressant à redécouvrir pour « l’homo citadinus » qu’est David Mazon.

La vie joyeuse et débridée de La Pierre Saint-Christophe est peut-être le reflet de croyances profondément enfouies dans lesquelles la Mort tient le haut du pavé.

La mort est indissociable de la vie et inversement et qui serait le plus à même à l’incarner que le maire du village, Martial Prouveau, croque-mort de son état. Ah ! Il en siffle des verres de blanc, de rouge, de Loire ou d’ailleurs ! C’est pour mieux affronter le compagnonnage de la grande Faucheuse, celle qui remet les compteurs à zéro pour mieux rebattre les cartes. D’ailleurs, monsieur le maire pourrait être un fils de l’Abbaye de Thélème tant sa gourmandise est immense. C’est qu’il a du pain sur la planche : cette année, il organise le banquet annuel de la Confrérie des Fossoyeurs qui se tient à Pâques. Trois jours de trêve avec la Camarde, trois jours durant lesquels les croque-morts (on peut dire aussi thanatopracteurs) ripailleront et festoieront autour des plats les plus délicieusement préparés. Il n’y a pas d’Abbaye de Thélème mais celle de Maillezais où se déroule les agapes présidées par le maire, le Grand Maître Sèchepine, qui fera voter l’entrée des femmes dans la Confrérie, le Chambellan Bittebière, d’un pragmatisme confondant dans l’énumération de ce qu’il a engouffré et le Trésorier Grosmollard qui dénote par sa frugalité. Le tout sous le regard du lecteur au comble de l’étonnement devant la description burlesque dans laquelle se dévoile une pointe d’humour noir, de ce repas gargantuesque. Rabelais s’invite à la fête à la plus grande joie du lecteur qui savoure chaque mot, chaque expression, chaque instant d’une histoire au cœur du roman. Car la tradition du banquet veut que les participants racontent légendes ou contes et Mathias Enard entraîne son lecteur dans un tourbillon de souvenirs du folklore et d’évocations de poètes ou de philosophes Un régal absolu qui se clôt par l’énumération des cent noms de la Mort et l’antienne des fossoyeurs qui « enfin enterreront la Mort, bas-beurre de baratte à couilles ! »

La parenthèse enchantée est refermée, David Mazon a évolué, a même mûri : condescendant envers ces ruraux aux abords frustres et rustres, il en vient à les apprécier au point de renoncer à l’écriture de sa thèse , à quitter sa petite amie pour vivre, en vrai, grandeur nature, la vie rural, le retour à la terre avec Lucie, une jeune agricultrice « bio », dont il est tombé amoureux

La Roue tourne, tourne, inlassablement, elle recycle les âmes, les fait voyager dans le temps, les sexes, les espèces, les différents états de la matière. Car nous avons tous été une multitude de choses ou d’êtres, ballottés au gré des rondes de la Roue.

La Pierre Saint-Christophe est un microcosme dans lequel les personnages ont tous eu une route commune le temps d’une ou mille et une vies.

 

« Le banquet annuel de la Confrérie des Fossoyeurs » n’est pas un roman mais des romans tissés les uns avec les autres, au rythme des chansons, intermèdes contés, séparant les récits principaux.

J’ai aimé me plonger dans l’entrelac des histoires, des souffrances pesant sur plusieurs générations, des fragments de la vie des personnages dispersés au fil du roman que le lecteur prend plaisir à rassembler.

J’ai aimé cette ode à la Vie malgré la Mort qui rôde et profite de la moindre inattention pour s’en emparer afin de redonner la vie. Sous cet angle, la mort est une péripétie au cours de la vie, sans en devenir joyeuse, elle devient familière.

J’ai aimé les descriptions du terroir des Deux-Sèvres permettant de poser les questions auxquelles est confronté notre société : sauver ce qui peut l’être ou continuer aveuglément à foncer droit dans le mur.

J’ai aimé la fin heureuse, qui peut agacer parce que trop idéalisée, quoique pas tant que cela, montrant qu’un retour à la campagne peut ouvrir sur une multitude de possibles.

 

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lundi 18 janvier 2021

Frédéric, le frère de l'Autre

 


Mes libraires préférées ont mis en avant ce titre, parmi cinq autres, lors du prix « Mots et images » 2020.

J'étais un peu dubitative et il est rare que je tente la lecture si d'emblée je ne suis pas emballée, même après la jolie présentation réalisée par Jessi, une des libraires de « Mots et images ».

L'opportunité de lire ce roman s'est présentée récemment aussi me suis-je lancée.


Les Rimbaldiens se saisiront plus facilement que moi de l'histoire du frère d'Arthur Rimbaud, Frédéric de son prénom, garçon peu enclin à l'étude rangé rapidement dans la catégorie des « un peu bête ».

Or, Frédéric Rimbaud, frère de l'autre, Arthur, le célébrissime poète à qui tout réussi même quand sa vie part en morceaux, est tout sauf bête. Il n'est qu'impuissance face à la monstruosité maternelle.

Vitalie Cuif épouse puis « veuve » Rimbaud, est un modèle hallucinant de mère odieuse, castratrice, sévère et cruelle. Elle veut tout régenter, tout contrôler et que tout aille dans son sens.

Autant elle loue l'intelligence fulgurante d'Arthur autant elle méprise son aîné. Telle une ogresse elle dévore ses fils petits bouts par minuscules morceaux jusqu'à en faire des fuyards devant la vie.

Pourtant Frédéric aura un sursaut : celui de s'opposer à l'intransigeance maternelle pour épouser la jeune femme dont il est amoureux. Las, Blanche est issue d'une famille « ennemie » des Cuif, propriétaires terriens prospères en Champagne. les Justin. Déchéance aux yeux de la matriarche Rimbaud qui plongera dans l'oubli son fil aîné pour mieux glorifier Arthur alors elle ne comprend goutte à sa poésie qu'elle n'a jamais lue.


David Le Bailly bataille avec la quasi inexistence d'archives concernant Frédéric, l'autre Rimbaud, se demande s'il parviendra à extraire un maillon important dans l'histoire familiale d'Arthur, le poète.

Malgré le peu d'informations sur Frédéric Rimbaud, l'auteur parvient à tenir en éveil l'intérêt de son lecteur en brossant un tableau doux-amer d'une vie provinciale dans la ruralité profonde, celle qui est oubliée par le centralisme parisien. La brutalité du monde paysan saute au visage du lecteur ce qui est osé et plaisant.

Frédéric, le frère de l'Autre, a beau raté sa vie, selon les critères maternels, il apparaît comme un homme sympathique, bon enfant, ne demandant pas la lune mais une vie tranquille entouré de sa famille. Il n'a que faire des honneurs, de la réussite puisqu'il aime ce qu'il fait, puisqu'il aime les siens.

Je me suis attachée à cet homme de rien, à ce raté conspué par sa mère, sa sœur et son frère qui ne l'épargne pas dans les lettres écrites à leur mère. Jusqu'à quel point Arthur a-t-il été sincère ? A-t-il fustigé son aîné pour complaire à sa mère et ainsi conserver les subsides octroyés ? Est-ce plus facile d'aimer la mère quand on est au loin et plus aisé de lui écrire ce qu'elle souhaite lire ?

Je savais qu'Arthur Rimbaud n'avait pas réalisé que de belles choses dans sa vie, aussi n'ai-je pas été surprise par certains aspects de sa personnalité : antipathique, prétentieux, transformé par l'appât du gain et la vie embourgeoisée au Moyen Orient. Un autre Rimbaud, très sombre, se dévoile peu à peu sous la plume alerte de David Le Bailly qui réussit à maintenir l'équilibre entre fiction et enquête.

Ce qui est effarant c'est de constater combien la mémoire familiale peut s'arroger le droit de bannir le souvenir d'un membre de la famille parce qu'il a refusé le cadre auquel la matriarche voulait le soumettre.

On brûle ce qui nous ressemble et on porte au pinacle ce qui nous fait peur tant l'audace est folle et incomprise. C'est ce qui arrive, pour moi, à Vitalie Cuif veuve Rimbaud : Arthur est tellement lumineux, extraordinaire qu'il ne peut que faire frémir la terrienne qui est en elle. Arthur est un incompris parce que son intelligence sensible était inaccessible à la compréhension commune.

Par contre, Frédéric, l'homme simple, est une aubaine pour une mère telle que Vitalie. Vitalie, on entend vitalité, vie et vit : il y a du mâle dominant en elle, incompatible avec une banale vie conjugale et familiale.

Dire que j'ai passé un moment ennuyeux serait mentir car le rythme du roman est très bien composé. Cependant, je suis passée un peu à côté de « L'autre Rimbaud ».

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samedi 16 janvier 2021

Ma mère, c'est l'Allemagne et mon père, c'est le Führer

 


C'est l'histoire d'une obsession, celle du Führer, lui qui veut bâtir un Reich qui durera au moins mille ans. Un Reich débarrassé des races impures grâce au programme des Lebensborns.

Entre 1935 et 1945, le Troisième Reich et ses SS orchestreront les tentatives de création d'une « race supérieure de germains nordiques ». Toute femme allemande devra offrir son premier enfant au Führer puis le laisser aux bons soins d'un établissement du Lebensborn.

Max, le héros du roman de Sarah Cohen-Scali, raconte sa vie de la naissance à la défaite de l'Allemagne nazie.

L'histoire est glaçante et cruelle dont le ton est donné dès les premières lignes :

« 19 avril 1936. Bientôt minuit. Je vais naître dans une minute exactement. Je vais voir le jour le 20 avril. Date anniversaire de notre Führer. Je serai ainsi béni des dieux germaniques et l'on verra en moi le premier-né de la race suprême. La race aryenne. Celle qui désormais régnera en maître sur le monde. Heil Hitler! »


J'avais lu en 2015 « Kinderzimmer » de Valentine Goby, récit poignant et bouleversant sur les pouponnières au cœur des camps de concentration, je n'ai pu m'empêcher de penser que « Max » était le roman d'une autre atrocité nazie.


Max sait que le Führer veut des Allemands parfaits et dès sa naissance fera tout pour être un bébé puis un enfant modèle afin de ne pas être « désinfecté », mot codé pour euthanasier, parce que malgré les sélections drastiques du programme d'Himmler, la perfection n'est pas toujours au rendez-vous.

Max-Konrad est arraché à sa mère pour être confié à une nourrice : la séparation s'effectue dans la douleur intestinale responsable d'une perte de poids au risque d'être « désinfecté ». Konrad est un dur à cuir, digne du plus bel acier Krupp, Konrad sort vainqueur de la perte de son cordon ombilical invisible. Un seul souvenir demeurera : une photo prise lors du baptême de Max, il pose dans les bras de sa mère aux côtés du Führer.

Notre très jeune héros se construit dans l'amour absolu envers le Führer et le Reich, dans le rejet de tout attachement affectif malgré tous les soins attentifs dont il est l'objet : il devient une vitrine probante du programme « Lebensborn ». Un incident sera utilisé pour en faire un héros. Encore nourrisson, il est enlevé par une détenue puis retrouvé, au bout de trois jours, déshydraté, presque à l'agonie, prisonnier de ses bras décharnés. La prisonnière avait-elle perdu un bébé à son arrivée au camp ? Son enfant a-t-il été mis dans une Kinderzimmer, attendant une mort inéluctable ? Sans doute... certainement.


Max est envoyé en mission en Pologne en tant que « rabatteur » d'enfants blonds aux yeux bleus, utilisables dans un des points du programme d'Himmler, la germanisation par l'enlèvement d'enfants que l'on confiera à de bonnes familles allemandes. Il apprendra le polonais, il sera témoin d'exécutions, de violences et connaîtra le début de la peur.

Il a un rêve : intégrer une école et pas n'importe laquelle, Kalisch, ancien monastère devenu établissement scolaire nazi, « l'école des enfants volés à leurs parents ». Il doit tenir le rôle du garçonnet polonais heureux de devenir allemand et montrer ainsi à ses camarades de classe apeurés le chemin à emprunter pour un avenir meilleur.

C'est là qu'il fera connaissance avec Lucjan (Lukas en allemand), jeune polonais rebelle et astucieux. Lukas sera un des grains de sable dans la belle machine nazie et Max sera aux prises avec les symptômes du traumatisme affectif subi lors de la séparation maternelle. Son draufgängertum, sa combativité, son esprit guerrier, doit être stimulé pour ne pas devenir mollasson, aussi devient-il de temps en temps téméraire au point de jouer avec sa vie.

Malgré ses efforts, Max s'attache à un camarade de classe, Wolfgang, qu'il verra tomber sous le coup de pistolet de leur éducatrice : le gamin n'avait pas salué assez vite un officier SS car il ne se souvenait plus des grades. Mort... Tot... Kaputt et Max apprend à vivre avec l'absence d'un être apprécié. Il a beau vouloir être un monstre, un vrai nazi, il a des failles qui le rendent attachant, un sacré paradoxe tout de même ! Il n'est et ne reste qu'un enfant avec un regard d'enfant.

Au fil des semaines, il s'attache à Lukas qui invente mille et une façons de se faire punir ou de tenter de mourir.

Ils sont enfin mûrs pour Napola, l'école réservée à l'élite du Reich. L'ironie de la situation éclate lorsque Lukas révèle sa judéité à Max qui ne le croit pas un seul instant. Or, c'est la vérité, une vérité dérangeante pour Max qui ne peut concevoir qu'un Juif puisse posséder toutes les caractéristiques des germains nordiques.


Peu à peu les masques tombent, le Reich est aux abois, les programmes s'effondrent et Berlin capitule.

Max, le prototype du Lebensborn, sauvé par Lukas le Juif, croisera la route d'une femme élégante et triste, porteuse d'une photo qui trouvera écho dans les souvenirs sensoriels de notre héros.

La défaite du Troisième Reich jettera sur les routes des milliers d'orphelins, des centaines de jeunes gens embrigadés dès leur plus jeune âge dans les rouages de l'idéologie nazie, des âmes perdues que les services sanitaires alliés tenteront de remettre debout.

« Max » est un roman qu'on ne veut pas lâcher malgré l'horreur du sujet : les camps de concentration ont dévasté physiquement des milliers d'hommes et de femmes, les Lebensborns ont dépouillé des milliers d'enfants de leur identité et de leur avenir. La sélection programmée d'un bout à l'autre de la chaîne de vie au prix d'une horreur indescriptible.


Un roman ado à lire absolument. Même si l'auteure n'épargne rien au lecteur : langage cru et scènes obscènes.


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