mercredi 18 novembre 2020

Hissez les voiles et larguez les amarres!


Depuis le temps que je me promettais de lire, enfin, ce classique de la littérature jeunesse, le Mois Celte m'a permis de découvrir un beau roman d'aventure.

 

Le jeune Jim Hawkins aide ses parents à tenir l'auberge « L'Amiral Benbow » sur la côte anglaise. Un jour, un vieux loup de mer inquiétant, répondant au nom de Bill Bones, débarque pour prendre pension.

La scène d'arrivée de Bones est digne des premières pages de « L'auberge de la Jamaïque » : temps lugubre et inquiétant, silhouette sombre de l'auberge et apparence effrayante du loup de mer rappelant l'oncle du roman de Daphné du Maurier. Le lecteur sait qu'il y aura des moments sinistres et effrayants ce qui l'amène à s'y confronter rapidement.

Jim, notre jeune héros, est autant effrayé que fasciné par Bones, vieil aventurier, aux allures de pirate, ivrogne, braillard et colérique.

L'atmosphère s'alourdit quand un aveugle patibulaire vient rendre visite à Bones : Chien Noir, également pirate, est le messager de mauvais augure, il lui appose la « tache noire » .Les heures de Bones sont comptées. Une attaque d'apoplexie le terrasse alors qu'au même moment le père de Jim trépasse.

Cela commence à sentir le roussi pour Jim et sa mère qui partent quérir de l’aide au village voisin. C’est sans compter avec la peur des villageois qui n’osent affronter la bande de Chien Noir. Ils les dotent d’une pétoire et la promesse de leur envoyer le docteur Livesey et ses hommes.

De retour à l’auberge, voulant récupérer le montant de la pension due par Bones, Jim et sa mère trouvent dans la chambre le coffre du pirate, l’ouvrent et s’emparent de leur dû, ni plus ni moins. Cependant Jim emporte le paquet récupéré par simple curiosité. Ils ont juste le temps de s’enfuir avant l’arrivée de Pew et Chien Noir.

Un peu plus tard, Jim est invité avec le docteur Livesey chez le Chevalier Trelawney afin de relater sa mésaventure. Jim ouvre le paquet et découvre une carte au trésor. Aussitôt une fièvre s’empare des trois héros et une expédition est montée pour rejoindre l’île au trésor à bord de l’Hispaniola.

Ce que nos héros ne savent pas c’est qu’une partie des compères d’un ancien pirate a été engagée… heureusement que le flair du capitaine Smollett limitera les ennuis. Car forcément, il y en aura des ennuis.

Jim fait la connaissance du charismatique et inquiétant Long John Silver, unijambiste, maître coq de l’expédition, doté d’un perroquet haut en couleurs. Son attitude affable est trop polie pour être honnête et l’avenir donnera raison à la méfiance de Smollett.

Au cours du voyage, Jim caché dans un tonneau de pommes presque vide, surprend une conversation de Long John Silver avec ses affidés et comprend qu’une mutinerie aura lieu avant le voyage du retour. Jim et ses amis s’organisent pour ne pas être pris de court.

Il y aura combat entre les mutins et le groupe de Jim puis une « guerre des positions » pour enfin parvenir au dénouement. L’apparition d’un pirate marronné (c’est-à-dire abandonné trois ans plus tôt sur l’île par ses compères) Ben Gunn sera un élément essentiel de l’aventure au même titre que les désobéissances de Jim dues à sa juvénile curiosité.

 

Je me suis délectée de ce roman d’aventure et de pirate excellement servi par la personnalité extraordinaire de Long John Silver : on ne rencontre pas tous les jours un pirate aux manières courtoises et au langage châtié, le tout teinté de réelle cruauté. Le regard de Jim, jeune garçon d’à peine treize ans, oscillant entre fascination admirative et répulsion, fait que LJS ne semble pas aussi cruel et assoiffé de sang qu’il pourrait l’être. Le lecteur devine que la violence peut exploser à chaque instant du récit, que le vernis de Long John peut s’écailler en un éclair, ce qui fait le sel de la lecture : il se pourrait que… or l’once d’humanité présente chez le pirate unijambiste s’impose en compagnie de Jim. LJS est malin comme un renard, courageux comme un tigre, futé comme seuls peuvent l’être les as de la roublardise, et maîtrise l’art de la dissimulation. Stevenson réalise avec lui l’archétype du pirate qu’on ne peut que trouver sympathique. Oui, il est très difficile de détester et de trouver odieux ce personnage.

Les rebondissements et le suspense tiennent le lecteur en haleine, le fait tourner les pages sans jamais se lasser. Allez, encore un petit chapitre, ça ne peut pas faire de mal.

 

Ce qui importe, dans les romans de flibustiers ou de joyeux pirates sans vergogne, ce n’est pas vraiment le trésor, même s’il est le moteur de la recherche, mais plutôt la garantie de vivre une aventure sur les mers lointaines, se battre contre l’adversité, déjouer des complots et des trahisons, brailler au gré du rhum bu sans modération, de se confronter à des pirates au langage fleuri et à l’humour décapant. "L'île au trésor" c'est tout cela.

On prend un grand bol d’air en lisant ce roman très moderne dans l’écriture juste et humoristique de Stevenson.

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mercredi 11 novembre 2020

Noir écossais


Ce 11 novembre, en plus d'être une journée de commémoration importante, est aussi celui de la lecture commune autour des romans de Peter May.

J'ai choisi de lire le premier volume de la trilogie écossaise « L'île des chasseurs d'oiseaux ».

Finley Macleod, inspecteur de police sur le continent, est appelé à se rendre sur Lewis, son île natale, pour apporter son expertise dans l'enquête sur un meurtre dont le mode opératoire a de grandes similitudes avec celui dont il a la charge à Edimbourg. Dès l'autopsie faite, l'inspecteur Macleod ne croit plus au lien entre les deux affaires. Que cela cache-t-il ?

Fin a quitté l'île de Lewis depuis plus de dix-huit ans et n'y a remis les pieds uniquement le temps des obsèques de sa tante. C'est avec appréhension qu'il revient sur les lieux de son enfance, de son adolescence et du début de son âge d'homme. D'autant qu'il sort à peine d'un deuil difficile : celui de la perte de son jeune fils unique de huit ans, renversé par un chauffard.

La victime est un des garçons qui avait l'habitude de harceler et malmener les plus jeunes dont Fin. Il est peu de dire que les souvenirs affluent et entraînent l'inspecteur dans la spirale du passé, un passé douloureux qui sera révélé par infimes touches tout au long du roman.

« L'île des chasseurs d'oiseaux » est un roman policier dans lequel l'enquête criminelle est un prétexte pour mettre en lumière ce qui s'est passé dix-huit ans plus tôt sur l'île d'An Sgeir, rocher plutôt inhospitalier sur lequel, depuis des générations, se rend une douzaine d'hommes de Lewis, pour massacrer deux milles gugas, oisillons des fous de bassan. L'équipée, dangereuse, dure deux semaines et peut être vue comme un rite de passage pour les jeunes hommes dont c'est la première participation.

Dix-huit ans plus tôt, le père du meilleur ami de Fin, Artair Macinnes, a perdu la vie au cours de l'équipée annuelle, en sauvant celle de ce dernier.

Fin Macleod se retrouve face à son passé, sur ce bout de terre d'Ecosse battu par les vents et les flots. Les paysages décrits de manière somptueuse sont un écho de l'humeur de Fin: la tristesse infinie du deuil d'un enfant.

Le roman avance entre les souvenirs marquants de l'enfance de Fin et de sa bande de copains et la progression de l'enquête. L'île de Lewis est un endroit, pour les jeunes gens, à quitter absolument afin d'espérer construire un meilleur avenir. La seule échappatoire est l'école : obtenir de bons résultats scolaires est un passeport pour l'université de Glasgow et le départ de l'île.

Le lecteur assemble les pièces du puzzle avec patience, au fil des confidences et des révélations que suscitent le retour au pays d'un de ses enfants.

Le jeune Fin cultive l'art d'être aveugle, l'habilité à rater les occasions d'exprimer ses sentiments ou ses émotions et laisse passer, à plusieurs reprises, le bonheur. On ne peut lui en tenir rigueur car la vie n'a guère été tendre avec lui : devenu orphelin à l'âge de huit ans, il est recueilli et élevé par sa tante qui est loin d'être la tendresse personnifiée. Elle n'est pas méchante, elle est plutôt originale et vit hors des sentiers battus, cependant elle n'est guère chaleureuse.

L'enfance blessée passe, assortie des cours particuliers que le père d'Artair donne à son fils et à Fin en qui il décèle des capacités à apprendre et étudier. Ces cours sont évoqués, plusieurs fois, en quelques phrases. Leur évocation est celle d'un souvenir pesant, d'une lourde atmosphère empreinte de silence alors que la transmission du savoir devrait être allégresse.

L'amour d'enfance, Marsailie a épousé Artair et a perdu son éclat : la vie pesante de l'île et l'alcoolisme brutal d'Artair a transformé la jeune fille gaie et sûre d'elle en une ombre triste. Le couple a un fils unique, Fionnlagh, jeune homme réservé qui n'éprouvera aucune joie à faire partie des Douze à se rendre sur An Sgeir. La détestation d'en être renvoie Fin à ce qu'il a éprouvé quand il fut désigné pour vivre cet honneur.

Les rouages du mécanisme de la mémoire se mettent en branle chez Finley provocant un déclic qui ne sera pas sans conséquences.

Peter May orchestre et assure avec brio le suspense jusqu'à la dernière phrase du roman au point que la lectrice que je suis n'a absolument rien vu venir. N'est-ce pas là la force d'une intrigue bien ficelée  ancrée dans la cruauté ordinaire ?

Une très belle découverte qui me fera retrouver avec plaisir le second opus de la « Trilogie écossaise » : je me suis attachée au personnage, tout en ombres et lumière tamisée, de Finley Macleod.

Une très belle citation donnant le ton au roman :

"Le monde, Marsali, c'est comme le temps. On ne le change pas. Et on ne le façonne pas. C'est lui qui nous façonne."

Quelques critiques

Sens critique  ça va mieux en l'écrivant  Papillon  Le noir   Livraddict  Hélène  L'île aux livres  Lettres d'Irlande et d'ailleurs  Tant qu'il y aura des livres  Babelio  

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dimanche 8 novembre 2020

L'irlande gourmande


Ce dimanche du Mois Celte, est dédié à l'Irlande. Enna a ouvert le bal des fourneaux avec son Colcannon, plat irlandais aux belles saveurs hivernales.

J'ai suivi son exemple et, après quelques recherches sur internet, je me suis décidée pour une recette de dessert: le Barmbrack, gâteau aux fruits secs préparé plutôt lors de la Samhain (ou Halloween). Merci La tendresse en cuisine !

La recette se réalise sur 4 jours: le premier pour la macération des fruits secs, le deuxième pour le mélange des fruits macérés avec les ingrédients secs puis la cuisson, les deux derniers jours le gâteau est recouvert et laissé en paix afin que les parfums se diffusent.

Ingrédients:

- 375g de fruits secs au choix (j'ai mis 100g de raisins secs, 100g de baies de goji, 100g de cranberries et 75g d'amandes)

- 225g de farine

- 1/2 sachet de poudre à lever (j'ai mis un sachet entier)

- 1 oeuf (je remercie nos cocottes)

- 50 ml (50g) de whisky

- 250 ml (250g) de thé noir infusé (en l'occurrence de l'English Breakfast)

- 125g de sucre roux

- 1/2 cc de 5 épices

Préparation:

Jour 1

Mettre le mélange de fruits secs dans un grand bol ou saladier (on peut mettre tous les fruits secs que l'on veut, on peut aussi n'y mettre que des raisins secs)

Ajouter les 50 ml de whisky puis les 250 ml de thé noir infusé (inutile de laisser refroidir le thé)

Laisser macérer jusqu'au lendemain.

Jour 2

Préchauffer le four à 170°c (th 5/6)

Verser dans un saladier les ingrédients secs (farine, poudre à lever, sucre roux, les 5 épices). Bien les mélanger.

Commencer à incorporer l'oeuf entier en tournant.

Verser les fruits secs macérés et le reste du liquide dans le saladier. 

Mélanger le tout pour obtenir une pâte collante et dense. Il est conseillé de le faire à la main. 

Tapisser le moule à cake avec du papier sulfurisé. C'est une précaution importante pour ne pas rater la phase démoulage. Verser la pâte et répartir harmonieusement dans le plat.

Enfourner pour 1h à 170°.

Sortir le moule puis le recouvrir et l'oublier deux jours.

Jour de la dégustation

Le Barmbrack a embaumé le placard de la cuisine pendant deux jours, vous n'en pouvez plus d'attendre... il est grand temps de passer à la dégustation.

Après le démoulage, couper le gâteau en tranches pour accompagner un tea time des plus attendus.

Bon appétit!

Cuisiné dans le cadre:









Se souvenir des belles choses

 


Dès les premières lignes du roman le décor est planté : maison ancienne au milieu de nulle part, loin de tout, des collines verdoyantes et un homme qui se prépare à partir en voyage aux Etats-Unis, son pays natal. Une silhouette au loin qui se rapproche et provoque la sortie d'une femme énergique armée d'un pistolet. Elle tire en l'air au grand dam de l'homme sur la marche d'escalier.

Daniel Sullivan doit se rendre à l'anniversaire de son père qu'il n'a pas vu depuis des années. Lorsque la petite famille quitte son domicile pour accompagner Daniel à l'aéroport, ce dernier entend, à la radio, le nom d'une femme dont il n'a plus de nouvelles depuis plus de vingt ans. Elle fut son premier véritable amour, sa première douleur et sa première honte.

Se joue une partition polyphonique : celle des souvenirs des principaux personnages du roman et leurs destins croisés.

Comment Daniel pourra-t-il expliquer à son épouse Claudette, ancienne star de cinéma qui organisa, de main de maître, sa disparition du monde ? Epouse fantasque, intransigeante et exigeante, Claudette a une emprise particulière sur le monde et les siens tout en étant assujettie aux opinions de sa mère, la très française et parisienne Pascaline.

 

« Assez de bleu dans le ciel » s'articule autour des moments clés de la vie de ses personnages. Ainsi peu à peu le lecteur parvient-il à recoller les pièces d'un puzzle, celui de la vie d'un mariage et de sa lente dissolution.

Maggie O'Farrell cisèle ses personnages avec tendresse et humour : ils sont tour à tour charmants, amusants, graves, émouvants et agaçants.

Chacun à sa manière vit une fuite en avant lorsque certaines situations leur échappent. Cette fuite implique, à chaque fois, la séparation, ou la perte, de ceux qu'ils aiment. C'est ce que nous faisons également dans la vie, selon les circonstances et notre personnalité. Et c'est pour cette raison qu'ils nous touchent tant.

Daniel Sullivan, brillant professeur de linguistique, vit une fuite en avant en cumulant les addictions : sexe, conquêtes, stupéfiants et alcool. Il perdra les meilleures années de vie avec les enfants de son premier mariage, dans les méandres boueux d'une procédure de divorce américaine plus que tortueuse. La conséquence est qu'il baissera les bras et quittera le pays pour l'Irlande, terre de ses ancêtres.

La fuite en avant est un peu une histoire de famille puisqu'il découvrira que sa mère en a été victime : elle a étouffé un coup de foudre dans un mariage mal assorti. Une douleur muette avec pour refuge ses enfants et ses livres.

Daniel sombrera au tréfond de ses angoisses et de ses addictions jusqu'au moment où son fils aîné le prendra sous son aile, le temps qu'il soigne et expulse le trop plein de dégoût de soi lors d'une expédition touristique jusqu'au désert de sel d'Acatama, dans les Andes chiliennes. L'auteure nous transporte avec beaucoup de poésie dans ce paysage majestueux où les sédiments et autres minéraux n'ont pas été altéré depuis que la mer s'est retirée il y a des temps immémoriaux. Il y assez de bleu tant à Atacama qu'en Irlande pour tisser le destin d'un homme.

Devant le spectacle extraordinaire du désert de sel, le lecteur se plaît à imaginer que Daniel comprend que le prix à payer pour renaître et reconquérir son épouse est d'aller au bout de sa démarche et de dire que leur réconciliation peut avoir lieu... comme il s'était réconcilié avec les enfants de sa première union. On quitte, ravagé, pour mieux revenir en se souvenant des cachettes d'enfants, ces lieux magiques frontière entre réalité et merveilleux.... se souvenir des belles choses.

« Assez de bleu dans le ciel » est un roman qui m'a enchantée par la justesse du ton, la justesse des personnages, par l'art de l'auteure de faire plonger le lecteur dans les réminiscences tant des personnages que les siennes. La poésie est au détour d'une phrase, d'une description, une plage, un feu dans le poêle, une tasse de thé, un désordre artistique, le tumulte enfantin... la vie, tout simplement la vie.

Quelques avis

Romans sur canapé   Dans la bulle de Manou   Mots pour mots   Sens critique   Livraddict

Lu dans le cadre:





jeudi 29 octobre 2020

Un Dit de l'esclavage


 « Le 124 était habité de malveillance. Imprégné de la malédiction d'un bébé. Les femmes de la maison le savaient, et les enfants aussi. »

Ainsi débute le roman de Toni Morrison « Beloved ». Ainsi le lecteur sait-il d'emblée que l'histoire ne sera pas joyeuse, qu'il y aura des cris, des larmes et du sang.

Nous sommes en 1870, en Ohio, à Cincinnati au 124 Bluestone Road où la colère d'un esprit tapageur, en quête d'apaisement, fait voler les meubles, où la lumière fait apparaître des flaques de sang sur le sol, où la présence physique d'un bébé marque de son empreinte la porte du four de la cuisine.

Que s'est-il passé pour que le 124 Bluestone Road devienne un lieu hanté et empreint de malheur ? Pourquoi cette solitude suintant la malédiction ? Pourquoi Sethe reste-t-elle au cœur de ce désespoir avec sa fille Denver ? Personne ne leur parle, aucune visite, l'ostracisme les enveloppe dans un voile d'invisibilité.

Le lecteur suit le chemin tracé par l'auteur, sans savoir où cela le mènera... enfin si jusqu'au bout du roman car dès la première phrase il est happé par le tragique qu'il sent être le moteur du récit.

A mesure que les souvenirs de Sethe, puis de Paul D, se déroulent, on chemine au cœur de l'histoire muette de l'esclavage et de ses violences insoutenables.

« C’est vrai, dit Toni Morrison dans une de ses interviewesje voulais que le lecteur se sente kidnappé, sans préparation, sans explication, sans itinéraire préétabli. Exactement comme le furent les esclaves. Je ne cherche pas à séduire, ou à convaincre le lecteur, je veux qu’il se sente emporté là de gré ou de force. » Et c'est ce qui m'est arrivé, j'ai emprunté les chemins désignés par l'auteure, j'ai marché aux côtés de Sethe et de ses cauchemars, de Sethe et de sa faute.

Très vite, le lecteur sait que l'enfant dont l'esprit enferme le 124 et ses habitantes dans une mise au ban de leur communauté, n'a pas eu une mort sereine et que cette dernière lui a été donné par une main qui n'aurait pas du lui ôter la vie. L'infanticide sourd à chaque avancée du récit, on le sait sans se l'avouer car le geste est terrifiant et glaçant.

La Guerre de Sécession est terminée depuis longtemps sans avoir effacé les stigmates des ravages qu'elle a occasionné en son amont puis en son aval.

L'émancipation des esclaves les a précipités sur les routes en quête d'une place dans ce qui aurait pu devenir un nouveau monde. Certains y parviendront, d'autres se perdront.


Sethe a fui le Bon Abri, la plantation à laquelle elle appartenait, pour rejoindre la mère de son mari, Baby Suggs, et ses jeunes enfants. Elle fuit, enceinte, vers l'Ohio, état de l'Union où les esclaves fugitifs peuvent trouver refuge. En chemin, elle rencontre une jeune fille blanche, Amy Denver, qui l'aide à mettre au monde sa dernière-née qu'elle prénommera Denver. Enfin, elle parvient au 124 Bluestone Road et retrouve les siens. Elle se pense tirée d'affaire jusqu'au jour où arrivent le nouveau propriétaire du Bon Abri et ses hommes de main, à la recherche des fuyards. Sethe, affolée, désespérée, ne veut pas qu'elle et ses enfants retombent entre les mains du planteur. Une seule sortie se présente à elle : tuer ses enfants pour qu'ils ne connaissent pas les horreurs de l'esclavage, puis se tuer. Seule la fillette de deux ans n'en réchappe pas. Sethe est arrêtée, emprisonnée puis libérée, hantée par son geste empreint de folie.

Puis, dix-huit ans plus tard, apparaît une une jeune fille, sortie de nulle part, se faisant appeler Beloved... seul mot qu'a pu faire graver Sethe sur la tombe de sa petite fille. Est-elle l'incarnation de cette dernière ? Pourquoi vient-elle ? Cette présence dérangeante puis de plus en plus mortifère, est-elle le moyen pour Sethe de faire la paix avec le fantôme de sa fillette morte ?


Toni Morrison tient son lecteur par un récit où elle enchâsse d'autres récits éclairant le passé des personnages. Il se laisse prendre par les multiples analepses, récits rétrospectifs dans le récit, permettant à l'indicible de devenir, petit à petit, audible : l'indicible de l'infanticide et l'indicible de la réalité de l'esclavage trop souvent lissée dans les manuels historiques.

Il y a des scènes absolument terrifiantes dont celle des esclaves enfermés dans des cages à étage, échouées au fond d'une tranchée, en proie à la violence insane des gardiens. Paul D narre l'horreur petit bout par petit bout tant c'est insoutenable : si le premier de la ligne tombe, tous les autres tombent à sa suite... tenir pour ne pas provoquer des morts en cascade.


« Beloved » est un roman magnifique, écrit avec réalisme tout en n'écartant pas les passages poétiques. Il parle aussi bien de l'horreur de l'esclavage que de l'amour, la force, la culpabilité et de la solidarité. Il est foisonnant de par son style particulier, fourmillant d'allers-et-retours entre le présent et le passé, tiraillant parfois le lecteur qui n'a pas toujours le choix du chemin à emprunter. Et ma foi... c'est plaisant d'être embarqué sans connaître de balisage : c'est que nous devons raccorder les blancs du récit en rebondissant d'ellipses en analepses et ce pour notre plus grande joie.

Une très belle découverte littéraire.

Quelques avis

Lettres & caractères  Sens critique  Le dévorateur  

Un regard de critique sur le personnage de Beloved

Approche critique de la fiction afro-américaine

Lu dans le cadre du 



mercredi 28 octobre 2020

En attendant le Mois Celte

 


J'ai pris goût à ces mois à thème même si pour le dernier opus, consacré à la littérature américaine, je suis à la traîne.

Au revoir les States, bonjour Irlande, Pays de Galles et Ecosse!



Les dates à retenir:

- 08 novembre: journée irlandaise

"Assez de bleu dans le ciel" de Maggie O'Farrell

- 11 novembre: Peter May

L'île des chasseurs d'oiseaux"  de Peter May

- 13 novembre: journée "classique"

"L'île au trésor" de Robert Louis Stevenson

- 16 novembre: journée galloise

"Délivrez-moi!" de Jasper Fforde 

- 18 novembre: un roman social.

J'ai jeté l'éponge faute de temps pour chiner un roman à la médiathèque.

- 20 novembre: journée polar

"La maison des mensonges" (bientôt en ligne)

- 25 novembre: Val McDermid

Jai choisi "lignes de fuite" (en cours de lecture) 

- 27 novembre: Paul Lynch

- 30 novembre : journée écossaise

J'ai choisi "Nuage de cendres" de Dominic Cooper, auteur écossais.

Enjoy!




(crédit photo: moi -  Irlande Pâques 2012)

mardi 20 octobre 2020

Voyage au bout d'une marche


 1864, après avoir incendié Atlanta, le général Sherman commence une longue marche à la tête d'une armée de soixante mille hommes pour rejoindre la Caroline. En chemin il écrase les troupes confédérées exsangues et cependant combattives.

A sa suite une autre armée, celle des esclaves libérés dont il ne ne sait que faire, des groupes de déserteurs, des blancs profiteurs du chaos, des voleurs, des familles dispersées …. et un photographe.

Au milieu du désastre, Pearl, une jeune « négresse blanche » fruit des amours du maître de la plantation avec une de ses esclaves. Elle croisera une galerie de personnages hauts en couleurs traînant avec eux les effluves épiques ou sordides, le tout mêlé d'un certain érotisme et d'un évident macabre. Pearl, noire à la peau blanche, déguisée garçon pour se protéger des assiduités soldatesques, porte en elle l'ambiguité de ce que le Sud vit : une force dévastée qui lentement se relèvera après la paix.

« La marche » est un peu une Cour des miracles ambulante : la grandeur d'âme côtoie le glauque et la violence au nom de la survie. Pearl est un personnage lumineux dans le sens où si elle conserve un peu de naïveté, elle sait à quoi s'en tenir et surtout elle comprend, très vite, qu'aider et soigner sont des actes d'amour, de compassion et de tendresse. Elle apporte tout cela à ceux dont elle croise la route, leur offrant le soleil de son sourire, de son rire, la douceur de ses mains et de ses bras, sa foi dans l'avenir malgré l'adversité.

On peut lire un peu partout que « La marche » commence où s'achève « Autant en emporte le vent », en effet, c'est le point de départ : où s'arrêtera la folie guerrière de Sherman ? Raser le Sud, le mettre à genou au point de l'humilier est-ce la solution et le clef de la paix ?

Les personnages qui défilent dans la galerie hétéroclite de E.L Doctorow, ont chacun leur interprétation et tentent de tirer leur épingle du jeu. La toile de fond politique et morale a des accents Tolstoïens tout en étant moins ambitieuse sans pour autant être fade.

J'ai retrouvé en Sherman, personnage central, ma lecture de « Je suis fille de rage » de Jean-Laurent del Socorro : il est maniaco-dépressif, à la limite de la psychose. Il est ambitieux, cruel et compatissant, un paradoxe vivant, pas plus abolitionniste que cela puisqu'il n'hésite pas à abandonner à leur triste sort les esclaves libérés. Sherman est la figure du guerrier inspiré, craint, subtil dans ses analyses, colérique, poussant au bout d'eux-mêmes ses soldats au bord de la rupture nerveuse et physique. Les scènes d'assaut sont horribles, horrifiques et épouvantables. C'est qu'à la guerre, pour un général tel que Sherman, on ne compte pas les larmes ni le sang versé.

Comment ne pas s'arrêter sur le chirurgien autrichien, d'une froideur absolument glaçante, Wrede Sartorius, pour qui la guerre est une aubaine : elle lui fournit des blessés « défis chirurgicaux » en puissance, lui permettant de peaufiner ses hypothèses et de les expérimenter. Praticien dénué de compassion et d'empathie, il est d'une dextérité incroyable, il est un puits de sciences médicales, il est dans la découverte pour faire progresser la médecine et rien d'autre ne l'émeut.

Quant aux joyeux déserteurs confédérés, Will et Arly, d'une jeunesse confondante, le lecteur ne peut rester indifférent à leur sens pratique de la survie : il suffit de changer d'uniforme au bon moment. Ce qui les amène à vivre des situations dramatiques teintées de cocasserie.

Puis il y a Emily, la jeune fille de bonne famille qui jette aux orties convenances et statut social : elle suit la cohorte protéiforme de l'armée « Sherman » et devient infirmière, assistante de Wrede Sartorius dont elle tombera amoureuse. Elle y gagnera un chagrin d'amour et surtout une liberté de penser et d'agir : elle prend conscience de sa force intérieure et de sa capacité à survivre.

On ne peut oublier le colonel, un tantinet original, qui a décidé d'emmener avec lui son jeune neveu à qui il passe tous ses caprices. Ce gradé répondant au doux sobriquet de Kil Kilpatrick, à la tête d'un corps de cavalerie, jouisseur invétéré est gluant de lubricité et de cruauté.

Au fil des kilomètres rythmés par les bottes usées des soldats, un monde nouveau se dessine dans le Sud des Etats-Unis. Un monde où les frontières s'estompent dans les marécages pour renaître au pied d'un escarpement ou d'une montagne. Un monde entre ombre et lumière, entre joie et désespoir.

L'Amérique qui émergera de la Guerre de Sécession, sera celle de la dispersion, à l'aune des billets de la banque centrale Confédérée, à Milledgeville qui virevoltent , tourbillonnent avant de s'éparpiller au gré de leur danse. La transformation sauvage, à la hussarde, du Sud, est en filigrane dans le texte de E.L Doctorow : un art de vivre et une société s'envolent au cœur des brasiers dévoreurs de tout ce qui a été et ne sera plus.

La blessure profonde a-t-elle été réduite ? Rien n'est moins sûr quand on y regarde de plus près. La blessure est de celles qui ne cicatrisent que lentement ce qui rend la guérison si fragile. Pearl est un peu le symbole de tout ce drame : le présent défait avec violence le passé et trace un avenir qui pourra être ensoleillé si on sait suivre avec délicatesse son tracé ténu.

« La marche » est un roman sans concession et une peinture subtile et élégante d'une trance d'Histoire américaine écrite dans les larmes et le sang.

Quelques avis :

Critiques libres   Wodka  Lecture écriture

Lu dans le cadre du :



dimanche 11 octobre 2020

Voltige, bouts de tissus et goût du risque


 « A Vladivostok, dans l’enceinte désertée d’un cirque entre deux saisons, un trio s’entraîne à la barre russe. Nino pourrait être le fils d’Anton, à eux deux, ils font voler Anna. Ils se préparent au concours international d’Oulan-Oude, visent quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre. Si Anna ne fait pas confiance aux porteurs, elle tombe au risque de ne plus jamais se relever.

Dans l’odeur tenace d’animaux pourtant absents, la lumière se fait toujours plus pâle, et les distances s’amenuisent à mesure que le récit accélère. »


Il est des rencontres étranges et cela a commencé avec celle de la couverture, du titre et de mon regard. Je suis très sensible aux couvertures des romans, peut-être à tort mais qu'importe, aussi mon regard a-t-il été attiré par celle de « Vladivostok circus ».... sans doute le portrait du félin sauvage en costume très digne.

Elle s'est poursuivie par la lecture du roman et s'est achevée par la rencontre, en vrai, avec l'auteure invitée par la librairie guingampaise « Mots et images ». Ah... j'oubliais, lors de la reprise des goûters littéraires « Mots et Compagnie » chez « Sidonie et Cie », autre lieu incontournable de Guingamp, Gilbert a appâté la lectrice que je suis par un avis très élogieux de ce roman. L'affaire était donc entendue.


Nous sommes à Vladivostok, au moment des deux dernières représentations de la saison avant que le cirque ne ferme ses portes.

Nathalie, jeune costumière tout juste diplômée, arrive pour honorer un contrat de quelques semaines auprès d'un trio spécialisé dans l'exercice très difficile de la barre russe.

La barre russe : deux porteurs, un ou une voltigeur(se), une confiance vitale entre chacun des membres .

La jeune femme revient dans la ville où elle a passé quelques années avec son père, professeur d'université. Elle a l'impression d'être un chien dans un jeu de quilles car elle n'est pas attendue si tôt, accueillie par Léon, le metteur en scène et vérificateur des attaches. Le trio n'a qu'un mois pour peaufiner le numéro qu'il présentera à un important festival international des arts du cirque, à Oulan-Oude : l'enjeu est immense et le défi grandiose, réalisation par Anna, la voltigeuse, d'un quadruple saut périlleux avant de retomber sur la barre.

Nathalie prend à cœur sa mission qui est de réaliser les costumes du trio pour leur numéro à Oulan-Oude. Elle observe les artistes, elle les respire, elle les suit, elle les apprivoise afin de réussir à les habiller de lumière. Ils sont en Sibérie, la taïga, les bouleaux, les branches souples, Anna est une liane, une panthère des neiges, Anton et Nino des tronc solides, du tissu « camouflage », une queue serpentine et des oreilles, des casques ornés de branches. Belle idée sauf que les tissus sont rêches et peu souples, les casques encombrants, la queue inadaptée pour la voltige. Belle idée mais dangereuse.

Du dépit puis le défi est à nouveau relevé pour aboutir au sublime habit de lumière pour une voltigeuse défiant l'immensité étoilée. Le velours épouse les mouvements des corps, les souligne sans les entraver, la piste aux étoiles peut recevoir le numéro du trio.

« Vladivostok circus » est un roman d'ombre et de lumière : l'ombre des secrets des personnages, celle de leurs blessures intimes, la lumière du dépassement de soi, celle de l'espoir, celle de la joie procurée par ce que l'on fait, celle qu'on éprouve quand on touche à l'absolue beauté.

Par touches subtiles, le quotidien d'un entraînement au sein d'un cirque désert, est magnifié sous la plume délicate d'Elisa Shua Dusapin. Le cirque sans représentations, sans artistes, sans public, devient un lieu où le fantastique peut surgir à tout moment. D'ailleurs ne sent-on pas l'odeur prégnante des écuries et des cages des animaux disparus depuis des années ? Elle hante les lieux, plane lorsque la nuit tombe. La magie des exploits sportifs des hommes a remplacé celle des numéros animaliers, issus d'une époque révolue.

L'auteure joue avec la tension du récit : les personnages parviendront-ils à s'accepter, à se comprendre au-delà de leurs blessures, de leurs regrets ? La confiance est si difficile à installer que parfois le lecteur est tourmenté par les menus dérapages lorsque Anna se rebiffe, lorsque Anton a un geste malheureux envers le chat étique de Léon, lorsque le premier essayage est une catastrophe, lorsque Nathalie engluée dans sa peur de la chute mortelle l'essaime jusqu'au trio.

En quelques mots bien pesés, Elisa Shua Dusapin rend tangible l'atmosphère d'un lieu peu commun voire insolite. Elle joue, avec brio, avec le pouvoir d'évocation des mots et réussit à montrer combien le poids des responsabilités de chacun est lourd d'enjeux vitaux : une inattention, un matériel défectueux et la mort peut s'inviter.

Ce court roman est un long fleuve tumultueux à l'apparence calme : comme dans un roman japonais la surface des mots et des phrases dissimule un tumulte intérieur et une multitude de dangers. Faut-il apprendre à lâcher prise quand il est encore temps ? La réponse réside dans l'épilogue ainsi que dans les passages de la lettre qu'écrit Nathalie, la narratrice, à son père.

Un joli roman servi par une très belle écriture incisive et poétique.

Quelques avis:

Babelio Bibliosurf   En attendant Nadeau  Collection de livres   

mercredi 7 octobre 2020

Les doux rivages de l'enfance

 


Tom Sawyer est un jeune orphelin recueilli, avec son frère, par sa tante. Nous sommes dans les années 1844, dans le Missouri, avant la Guerre de Sécession.

Mark Twain nous conte les aventures de ce jeune garçon débordant de vie, de facéties et plein de gentille malice. Tom a à peine mis un point d'orgue à une frasque qu'il en fomente une autre en compagnie de son ami Huckleberry Finn, jeune vagabond en marge de sa famille biologique et en retrait de la société.

Quel jeune garçon, ou fillette, n'a pas rêvé un jour de devenir pirate féroce au grand cœur ? Ou encore chevalier, héros militaire ou découvreur de trésor ? Les enfants en ont rêvé.... Tom l'a fait.

C'est ainsi que le lecteur est entraîné dans une aventure extraordinaire mise en œuvre par Tom : la recherche, sur une île du Missouri, non loin de la petite ville imaginaire de Saint-Peterburg, d'un trésor de pirate. Chacun sait que les pirates enfouissent leur trésor dans un coffre sur une île déserte.

Bien entendu, les garçons n'en découvrent pas malgré tous leurs efforts. Bien entendu, ils n'avaient informé personne de leur escapade, et pour cause – la traversée est dangereuse et nécessite l' « emprunt » d'une barque – ce qui provoque la panique en ville quand leur absence prolongé est découverte. Bien entendu, Tom quittera l'île discrètement et apprendra que tout le monde les croient morts, bien entendu il se fera une joie de revenir discrètement avec ses compagnons d'aventure en ville afin d'assister, bien cachés, à leurs funérailles. Bien entendu, les loustics ne peuvent résister aux moments de grande émotion lors du service funèbre et se jettent dans les bras de leurs parents. Ils éviteront les fessées tant les familles sont heureuses de les retrouver sains et saufs.


Twain écrit, et c'est lui qui le souligne, une « épopée de l'enfance », « un hymne en prose » dont Tom est le personnage principal et est le petit garçon qu'il a pu être.

Tom déteste l'école du dimanche et l'école tout court : dès qu'il peut faire l'école buissonnière il ne rate pas l'occasion car les chemins aux alentours de la ville sont tellement plus attirants et intéressants que les leçons mornes du vieil instituteur.

Twain met à profit les frasques de son héros pour égratigner de bon cœur les méthodes d'enseignement, les modalités d'éducation de l'époque, la morale ou la médecine, les médicamentations de la tante de Tom sont joyeusement inappropriées en raison de sa crédulité face aux boniments qu'on peut lui servir.


« Tom Sawyer » c'est aussi le regard rempli de tendresse que l'on pose sur l'enfance, sa magie de l'insouciance, ses premiers émois amoureux, sa soif de découverte et de savoirs et sa tendance aux superstitions enfantines  comme venir au cimetière à minuit avec un cadavre de chat. D'ailleurs, lors de cette escapade nocturne en compagnie d'Huckleberry Finn, il aura à braver la justice expéditive (aux yeux de l'auteur) des hommes pour sauver un innocent accusé de meurtre. Joe l'indien, ombre dangereuse et terrifiante, planera sur le récit et il sera un « deus ex machina » lors de l'aventure périlleuse de la grotte.


Le lecteur se régale à chaque page, à chaque facétie du vaillant et inventif loustic qu'est Tom Sawyer. J'ai ri lors de l'épisode de la remise en peinture de la barrière au cours duquel Tom parvient à contourner la punition en faisant faire le travail par les autres gamins. Il comprend très vite que la nature humaine est un tantinet envieuse : il fait passer sa punition pour une mission hautement importante puisque Tante Polly lui a confié ces travaux de peinture au lieu d'en charger Jim son esclave ou Sid le petit frère de Tom. Forcément repeindre la palissade devient un travail remarquable : Tom échange les mètres à peindre contre diverses précieuses reliques tels que les billes, les tickets de l'école du dimanche à collectionner afin de recevoir un exemplaire de la Bible, des cerfs-volants et autres hameçons et bâtons de réglisse.


En un mot comme en mille …. ce ne fut que du bonheur à lire.

Quelques avis:

A la lettre  Takaliresa  Babelio


Lu dans le cadre du Mois Américain




samedi 19 septembre 2020

New York, New York

 


New York, quartier de Manhattan. Un chantier de démolition trouve, dans l'amoncellement de gravats, des ossements humains.

L'inspecteur Pendergast, agent du FBI, débarque avant les enquêteurs de la police de New York, et sollicite l'expertise d'une archéologue du Museum Naturel, Nora Kelly. Il s'avère que les restes humains sont ceux de trente-six adolescents victimes, dans les années 1880, d'un tueur en série.

L'enquête commence pour Pendergast, Nora Kelly et un empêcheur de tourner en rond, journaliste au NY Times, William Smithback.

Le nom du sérial killer de 1880 est rapidement établi, il s'agit du Dr Leng, étrange médecin gravitant dans les cercles d'érudits voyageurs et explorateurs ou riches acquéreurs de « curiosités » scientifiques pour alimenter leurs cabinets de curiosités, très en vogue à l'époque.

Qui est ce Dr Leng ? Autour de quoi tourne les recherches qu'il enveloppe de mystère ? Alors que ces questions sont au centre de l'enquête de Pendergast, plusieurs meurtres sont commis sur le même mode opératoire. Leng serait-il toujours en vie ? Un admirateur dérangé reproduirait-il ses crimes en démembrant chacune de ses victimes ?

Le lecteur suit la progression de l'enquête en compagnie de Pendergast, Nora et Smithback, il remonte le temps, examine les archives, se perd dans les cartons et les conjectures, empreinte les mêmes chemins tortueux que les enquêteurs et se perd dans le dédale d'une chambre des curiosités pas comme les autres dotée d'un labyrinthe effrayant.


Comme pour tout roman policier il est très difficile d'être exhaustif pour susciter l'envie chez autrui de le lire, sans « divulgâcher » l'intrigue, ses tenants et aboutissants. C'est frustrant, ô combien !

Que peut-on en dire alors ?

Les personnages sont attachants, l'intrigue est parfaitement ficelée, les auteurs savent quand lâcher du lest pour mieux ferrer leur lecteur. Le trio est parfaitement en harmonie avec juste ce qu'il faut de disputes et de désaccords pour que la sauce prenne. L'homme du Sud des Etats-Unis qu'est l'aristocratique Pendergast est l'image d'Epinal des familles sudistes riches et cultivées : sûr de lui, fortuné, beaux costumes taillés sur mesure, Rolls-Royce Sylver Wraith de 1959, appartement splendide au Dakota, éducation impeccable. Cet agent du FBI très autonome a l'art de provoquer des catastrophes lors de ses séjours new-yorkais ce qui se révèle exact. Smithback tente de le fuir comme la peste sans y parvenir car l'enquête le passionne également ce n'est pas tous les jours qu'un tueur en série revient d'entre les morts pour recommencer ses macabres prélèvements. Quant à la jeune et jolie Nora Kelly, fiancée de Smithback, elle traîne aussi quelques casseroles derrière elle, notamment une recherche en Utah qui ne se termina pas aussi bien que prévu. Sa mésentente avec son supérieur au Museum, sera un élément important dans le déroulé du roman participant ainsi au dédale d'interrogations quant à l'auteur des crimes présents et passés.

Les rencontres improbables de personnages a priori tellement différents qu'un travail en commun semble peu efficace est un élément récurrent dans la littérature policière au point qu'il en devient cliché. Or, il y a des romans dans lesquels les clichés sont efficients et servent, de manière excellence, l'intrigue. C'est le cas dans « La chambre des curiosités ».


J'ai beaucoup apprécié la description du New York de la fin du XIXè siècle : les bas quartiers insalubres, glauques et sombres, les adolescents esseulés tant la dureté de la vie frappe les familles les plus pauvres, recueillis dans les hospices de la ville. Elle est un personnage à part entière du roman, apportant une dimension architecturale au récit : la verticalité bourgeoise et nantie et l'horizon dénué d'espace des classes laborieuses et souffreteuses.


Autre élément important du roman : l'irrationnel. Parfois, le lecteur a l'impression de nager en plein délire, c'est que les longues méditations de Pendergast sont un moyen de le faire remonter dans le temps et de revivre l'ambiance d'un quartier des années 1880. C'est ainsi qu'est retrouvé l'hospice où a vécu Mary Greene, 19 ans, une des victimes du Dr Enoch Leng. L'artifice littéraire peut déranger cependant il participe au caractère original de Pendergast... Aloysius de son prénom, ce qui ne doit rien au hasard.

Quant à une des pierres philosophales, parvenir à découvrir la formule de l'éternité, l'enquête en fait un de ses axes non négligeable puisqu'il touchera à une partie de l'histoire familiale de l'inspecteur mais aussi à celle d'un personnage secondaire mis en lumière lors du dénouement.


Une jolie découverte qui m'a donné envie de lire la suite des aventures de ce héros pas comme les autres.

Quelques avis parfois divergents

Sens critique  Critiques libres  Des livres et vous  Quand le tigre lit


Lu dans le cadre du Mois Américain