samedi 28 novembre 2020

La lecture c'est la vie!


J'ai laissé passer quelques années avant de rouvrir un roman de Jasper Fforde. J'avais été enthousiasmée par la lecture de « L'affaire Jane Eyre », aussi avais-je un peu peur de ne pas être conquise par « Délivrez-moi ! ».

La crainte a disparu dès les premières lignes du roman et j'ai retrouvé, avec un réel plaisir, notre Thursday Next citoyenne, non plus britannique, mais galloise puisque le Royaume Uni ne l'est plus.

L'affreux et odieux Achéron Hadès est toujours enfermé dans sa prison littéraire, le monde de Thursday est toujours aussi décalé et empreint par la littérature.


Thursday est jeune mariée, heureuse en ménage avec Landen et toujours affublée de son dodo de compagnie. Cette fois, le dodo a une marotte : il couve un œuf. Ce n'est certes pas le nœud de l'intrigue, cependant le détail est récurrent et questionne le fait établi suivant : les espèces disparues recréées par la magie de la science ne peuvent se reproduire. Ainsi en est-il pour les Néanderthaliens. Cela vaudra-t-il pour les dodos ?


Thursday est appelée pour authentifier une pièce de Shakespeare exhumée d'une bibliothèque privée : « Cardenio » réapparaît. Or il est nécessaire de s'assurer de l'authenticité de la pièce disparue. Le service d'enquête de Thursday a pour mission de traquer les plagiats et les faux, de démasquer les faussaires de tout poil et de verbaliser les comédiens prenant un peu trop de liberté avec les textes de Shakespeare. Il est loin d'être aisé de ne pas se perdre dans le dédale des sectes issues des querelles au sujet de l'identité exacte de l'auteur Shakespeare : quand les « baconiens «  ou les « marlowiens » s'invitent sur la scène politique, ce peut être un vrai boulevard pour une personne mal intentionnée en quête de pouvoir absolu.

L'enquête, qui aurait pu, qui aurait du se dérouler selon une routine bien établie, dérape en une course-poursuite contre le Temps afin de sauver le monde d'une catastrophe imminente. Il s'agit, rien de moins, que d'éviter la fin du monde.

Notre détective de choc a à peine quinze jours pour trouver le moment M du petit fait F à l'origine de l'horreur à venir.

Il s'en passera des événements jusqu'au dénouement final ! Le Portail de la prose ? Disparu avec le départ en retraite, et plus exactement la fuite dans le Temps pour se réfugier à l'époque victorienne, de l'oncle Mycroft – j'ai toujours envie d'ajouter le -s car c'est tellement tentant!- Mais doit-on se laisser assujettir par des machines ou des programmes ? Que nenni, l'être humain est capable de prouesses libératoires s'il accepte de suivre un apprentissage pas comme les autres : apprendre à lire à voix haute.

Thursday rencontre, à point nommé par une coïncidence tellement extraordinaire qu'il doit y avoir anguille sous roche, une certaine Miss Havisham des « Grandes espérances », experte dans le voyage au cœur des livres.

C'est l'occasion de suivre l'enseignement de Miss Havisham, seule issue pour sauver le monde et retrouver son époux disparu, « éradiqué ».

Les lecteurs ont intérêt à s'accrocher car Miss Havisham les conduit tout droit dans une bibliothèque unique en son genre : non seulement elle abrite tous les livres écrits depuis la nuit des temps, mais aussi tous les livres en gestation, non terminés ou non édités. Son bibliothécaire n'est autre que le Chat du Chesterhire, enfin non puisque le Royaume Uni n'est plus uni mais il a un nom tellement ridicule qu'on ne veut pas s'en souvenir.


Jasper Fforde emporte le lecteur dans un tourbillon d'intrigues secondaires dont il se délecte avec bonheur, d'une chasse à l'Etre Suprême Maléfique à une fin du monde qui, heureusement, n'aura pas lieu grâce à une enchaînement de circonstances exubérant et jubilatoire.

Ce roman est aussi jubilatoire et protéiforme que « L'affaire Jane Eyre », jubilatoire n'est pas exagéré, loin s'en faut : on sourit, on rit, on déguste et on savoure de la première à la dernière page en suivant les démêlées de Thusday Next avec la Chronogarde, sa hiérarchie, son propriétaire ou encore avec la firme « Goliath », un géant de l'industrie qui se targue de contrôler l'être humain de sa naissance à sa mort au point que le mari de Thursday dit avec justesse au représentant de la firme « Croître pour croître est la philosophie du cancer » (p 88) sous entendant ainsi que le désir d'expansion sans fin de Goliath peut s'apparenter à la colonisation du cancer dans un organisme vivant.


« Délivrez-moi ! » est une uchronie loufoque à l'humour bienvenu en cette période de drôle de confinement qui nous interdit d'entrer dans une librairie pour humer les odeurs des livres, pour feuilleter leurs pages, pour déambuler le long des rayonnages avant de déposer, triomphalement, notre choix de lecture.

« Délivrez-moi » nous délivre des affres du quotidien et de la morosité ambiante. Il est à recommander et à lire sans modération.


Quelques extraits :

« Je m'approchais et posais les doigts sur les volumes immaculés. Ils étaient tièdes au toucher ; me penchant, je collai l'oreille contre leurs dos. J'entendis un bourdonnement lointain, le vrombissement de machines, des gens qui parlaient, un bruit de circulation, des mouettes, des rires, des vagues sur des rochers, le vent d'hiver dans les branchages, un tonnerre distant, une pluie battante, des enfants qui jouaient, le marteau d'un forgeron – un million de sons simultanés. Soudain, j'eus une révélation : les nuages se dissipèrent dans mon esprit et, en un éclair de lucidité, je compris la véritable nature des livres. Ce n'était pas simplement des mots assemblés sur une page pour créer une impression de réalité – chacun de ces volumes était la réalité. Ces livres-là ressemblaient à ceux ce que j'avais lus chez moi comme une photographie ressemble à son sujet. Ces livres étaient vivants ! » (p 157)


« Je repérai la première mention de Miss Havisham, trouvai le bon endroit pour commencer et me mis à lire tout haut, m'efforçant de faire vivre les mots. Car ils étaient bel et bien vivants. » (p 165)


Quelques avis :

Babelio   Sens Critique  Les pipelettes en parlent  A livre ouvert  L'herbefol  George Sand et moi  Lilly et ses livres


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4 commentaires:

rachel a dit…

oh toute une chouette aventure...cela donne envie de connaitre cette pro....et vive les Uchronies bien faites...;)

Katell a dit…

Exactement Rachel, cet auteur est vraiment très agréable à lire tant ses intrigues sont loufoques et formidables.

lcath a dit…

Un auteur inconnu ... pour le prochain mois celte peut-être .

PatiVore a dit…

Si je comprends bien, il faut les lire dans l'ordre chronologique. J'avais repéré L'affaire Jane Eyre à sa parution mais je n'ai jamais lu cet auteur... Il faut que je vois si la bibliothèque a ses titres en rayon !