mercredi 9 décembre 2015

Décembre n'est pas que le mois du Père Noël

Noël est associé avec le Père Noël, le traîneau, les rennes, la hotte, le sapin, la cheminée et les cadeaux tant attendu.
Les albums foisonnent sur le personnage principal des fêtes de l'Avent, on ne sait plus où poser les yeux.
Il est une tradition de l'est de la France: le pain d'épice vendus sur les étals des marchés de Noël. Tradition allemande également ce qui a pourvu notre imaginaire collectif d'histoires plus ou moins inquiétantes autour de ce délicieux gâteau au miel.
Je n'ai pas choisi le conte traditionnel de "Hansel et Gretel" doté d'une maison de pain d'épice abritant une horrible sorcière; non, j'ai opté pour un autre conte, dit de randonnée, où le pain d'épice est à l'honneur sous la forme d'un drôle de bonhomme.
Vous avez reconnu le célèbre "Bonhomme de pain d'épice". J'aime lire et raconter cette histoire à mes élèves en période de Noël: elle propose une "respiration" dans le cumul des histoires de Père Noël tout en apportant les saveurs d'une pâtisserie que l'on ne mange que pour l'Avent.

Comme mon auditoire est en dernière année de Maternelle, je lui lis le conte traditionnel accompagné d'une variante publiée chez la très belle maison d'édition "Didier Jeunesse".
Le conte édité chez Nathan a des illustrations simples, "vintage" aurais-je envie de dire, très plaisantes: elles nous plongent dans une autre époque et nous nous y baignons avec plaisir.
Ce conte, dit de randonnée, met en scène une pâtisserie découpée en forme humaine, en bonhomme, prenant vie à la sortie du four. 
C'est la course poursuite des gourmands avec l'objet de toutes les convoitises... le fameux petit bonhomme qui court, court en narguant ses poursuivants (la vieille femme, le vieil homme -son mari- la vache, le cheval et les paysans.
L'obstacle à franchir est la rivière au bord de laquelle se trouve un renard. Ce dernier répond à la provocation du bonhomme de pain d'épice par une indifférence remplie de malice.
Il aide le petit bonhomme à traverser la rivière, le mettant en confiance, étant son seul recours pour échapper au cortège de gourmands. Peu à peu, l'unique ressource du p'tit bonhomme est de se réfugier sur le nez du renard qui en profite pour le croquer une fois de l'autre côté de la rive.
Les enfants font tout de suite la relation avec "Roule galette" et trouvent le renard très malin bien que "pas gentil" - aux yeux de certains -. Ils se délectent du refrain lancé par le bonhomme de pain d'épice "J'ai échappé à..., cours, cours aussi vite que tu le peux! Tu ne m'attraperas pas, je suis le bonhomme de pain d'épice."
La morale de l'histoire? Quand on souhaite quelque chose, inutile de crier "Je veux", jouer sur le charme et l'intelligence fine rapporte plus.

La variante du conte traditionnelle, est un album au graphisme original, poétique et épuré, "P'tit Biscuit ou L'histoire du bonhomme de pain d'épice qui ne voulut pas finir en miettes". Les illustrations, pastels, montrent ce qui est sous la terre, à l'intérieur la maison de la grand-mère, comme si l'environnement était transparent.
L'histoire reprend la confection d'une pâtisserie de pain d'épice à laquelle on donne forme humaine. Le bonhomme s'enfuit parce qu'il ne veut pas finir en miettes (c'est le sous-titre). Il avance dans la forêt à "petits pas biscuités". Au fil de sa promenade il fait des rencontres lorsqu'il entend "j'ai faim". A la souris il offre à croquer son petit doigt, au serpent un bras puisqu'il en a deux il lui en restera toujours un, au hibou un pied puisqu'il en a deux il lui en restera toujours un. A chaque fois, on lui dit merci.
La dernière rencontre, avec le loup, est plus angoissante puisque ce dernier aimerait le croquer en entier. De toute façon, c'est lui qui décide, et toc! Le petit bonhomme de pain d'épice s'enfuit en laissant un bout de ventre, de chemise, de nombril et de main: le loup ne lui a même pas dit merci. Ainsi, avons-nous la preuve que les loups sont de vrais malotrus impolis, prenant ce dont ils ont envie sans demander la permission.
Notre héros biscuité revient au logis bien fatigué. Et c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase: la grand-mère, affamée, le rouspète, tout "débraillé"qu'il est il lui faut donc "égaliser tout ça". Croc, croc, miam, elle ne laisse que la tête. La mangera-t-elle ou la gardera-t-elle pour plus tard?
Le petit bonhomme prend son destin en main et décide pour elle... en l'avalant toute entière.
Il peut se reposer, le ventre plein. Et la grand-mère? Bah, pour elle, l'histoire est terminée voyons!

J'aime beaucoup les différents niveaux de lecture de cette variante: entre le conte de randonnée, les clins d'oeil à l'histoire du "Petit chaperon rouge", l'univers ambivalent de la forêt et le mythe de la dévoration, celle qui fait perdre son innocence, celle qui provoque les catastrophes de la psyché humaine. Peur, répulsion, attirance et fascination, les mamelles d'un conte bien réussi, celui qui fait grandir et prendre conscience qu'un jour on sera grand, qu'il faut se méfier des apparences, qu'il faut savoir se perdre pour mieux se retrouver.

Comme quoi, un simple morceau de pain d'épice peut ouvrir la voie vers un imaginaire protéiforme.
A lire sans modération!