dimanche 25 avril 2010

Dimanche poétique # 18


Pour célébrer l'arrivée de mes poulettes, Picoti et Picota, un dimanche poétique de circonstance grâce à Jean de La Fontaine (1621-1695).



La Poule aux Oeufs d'or

L'Avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,
Pondait tous les jours un oeuf d'or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches:
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches?

Les compagnons troubadours de Celsmoon sont à lire ici .


(La poule aux oeufs d'or de Marc Chagall -1950/1952- Eau-forte sur papier vélin)

samedi 24 avril 2010

Rien à voir avec la littérature

Depuis mercredi après-midi, un poulailler est venu agrémenter le fond du jardin, au grand désespoir de l'Homme de la maison (qui se demande comment faire pour gérer mes idées soit disant farfelues). J'attendais avec grande impatience samedi matin, jour où, à Guingamp, le marchand de volailles trône sur la place dite des petits cochons, sise au pied du château de Pierre II. Après avoir fait la queue (à croire que la campagne environnante s'était donnée rendez-vous devant le camion) et avoir eu le temps, du coup, d'observer les poules présentées sur l'autel de la convoitise humaine, j'ai pu enfin choisir mes deux poules! J'ai opté pour une poule de Marans et une poule Sussex...deux bonnes pondeuses. Elles ont bien entendu un petit nom: Picoti (la Marans) et Picota (la Sussex). L'Homme de la maison est consterné mais reste stoïque (il est en train de gagner son Paradis) et a porté le carton puis transbahuté le sac d'aliment!
Depuis la fin de matinée, Picoti et Picota s'accoutument à leur nouvel environnement; elles ne se sont pas aventurées hors du poulailler, malgré la porte laissée ouverte, mais elles ont picoré la nourriture et les brins d'herbe à portée de bec.
Le Monsieur des volailles m'a dit qu'elles étaient prêtes à pondre...les premiers oeufs devraient poindre leur coquille d'ici une semaine ou deux.
Quant à nos deux minettes, elles sont plus que circonspectes et ne s'approchent guère du poulailler d'où émanent d'étranges gloussements.



(le poulailler et Isatis, ma siamoise. Picoti, en premier plan, et Picota)

jeudi 22 avril 2010

Le maître voyageur

L'auteur/narrateur est enseignant, un enseignant sans classe...il est remplaçant, celui qui prend une classe au pied levé, celui qui souvent est regardé d'un oeil goguenard par les collègues titulaires d'un poste fixe: le remplaçant est toujours un peu le fainéant de service, le bouc émissaire des envieux qui s'ignorent.

Il raconte les émois de la rentrée scolaire de Septembre, toujours un peu particulière car il est sans affectation et attend la "grand'messe" à l'inspection de circonscription avec appréhension, taraudé par le mystère de la classe qui lui sera dévolue. Il croque les retrouvailles entre collègues, la narration des vacances, la reprise des repères indispensables pour commencer dans de bonnes conditions une année scolaire.

Le narrateur tient son journal de bord et le lecteur suit ses tribulations de titulaire mobile au gré des remplacements qui lui font faire souvent le grand écart entre les niveaux: de la petite section de maternelle au CM2 en passant par le CP ou le CE, le quotidien n'est pas toujours facile. Sa petite vie tranquille de remplaçant aurait pu continuer longtemps ainsi sauf qu'un jour, l'inspection l'envoie dans une classe spécialisée où sont scolarisés des enfants difficiles: c'est le choc culturel, celui qui voit s'effondrer tous les repères d'un enseignement traditionnel, celui qui fait regarder d'un autre oeil la transmission des savoirs. Oh, il n'a pas beaucoup d'élèves mais entre les hyper actifs, le violent, l'irréductible et leur point commun, le refus d'apprendre, le refus des contraintes, c'est un avis de tempête qui est annoncé pour le reste de l'année. Notre instituteur ne baisse pas les bras, retrousse ses manches et va au charbon, le sourire aux lèvres, la patience en bandoulière et la pédagogie à l'épaule. C'est son combat contre lui-même, contre les a priori, contre le mal-être des élèves, malmenés par une vie que l'on ne peut parfois pas imaginer, en révolte, qu'il relate avec tendresse et humour. Etre "lâché", sans formation, dans une classe spécialisée est une expérience parfois violente: l'enseignant se retrouve démuni, seul, terriblement seul souvent, sans les outils essentiels pour mener à bien sa mission (le terme est loin d'être exagéré) et il faut extirper du fond de son cartable des alternatives inédites afin d'avancer et faire avancer les élèves qui lui sont confiés. Le lecteur suit les hauts et les bas du moral, de l'ambiance de classe, des relations tissées entre les élèves et l'enseignant, il rit, il sourit ou il peste, sensible à l'arrivée, qui pourrait être drôle si elle n'était pas tristement navrante, du conseiller pédagogique qui...ne conseille rien du tout et s'enfuit très vite, laissant notre héros fort désappointé. Du coup, il se bricole les moyens pour parvenir à avancer dans le programme (ahhhh, le sacro saint programme à suivre et à finir, le cauchemar de tout enseignant surtout lorsque les semaines défilent et le surplace se profile!), tenter de capter l'attention de ses ouailles, certes exécrables mais parfois amusantes et attachantes.

Le lecteur suit le rythme d'une année scolaire, constate que les périodes de vacances sont loin d'être superflues, qu'après 16h30 la classe continue pour l'enseignant (eh oui, les préparations ne se font pas encore toutes seules....dommage), qu'elle s'invite souvent en pleine nuit et que la gestion au quotidien d'une classe est tout sauf tranquille (l'énergie est la compagne de chaque instant de l'enseignant, dès qu'elle flanche, une infime lézarde strie son armure de preux chevalier, sans peur et sans reproche). Il pourra comprendre la solitude de l'enseignant dans une salle de classe désertée par les élèves partis en grandes vacances: plus de bruit, plus de rires, plus de chuchotis, seulement des livres , des chaises et des tables à ranger, du matériel à stocker dans les armoires, le tableau à effacer...un vide angoissant étreint l'atmosphère et une larme peut apparaître au coin des yeux (ça m'arrive chaque année depuis vingt ans). Ce n'est qu'après avoir franchi le sas de décompression (temps du trajet pour rentrer chez soi) que l'ordre des choses revient et laisse la place au sentiment enivrant d'être enfin en vacances....et libre.

J'ai aimé le regard tendre, malgré les difficultés, porté sur le métier d'enseignant par ce prof des écoles plein d'allant et d'optimisme, même si parfois on sent qu'il est un peu désabusé, un regard qui requinque lorsqu'un ras-le-bol assombrit la joie de retrouver sa classe et ses élèves. Il aurait pu être cynique, ironique et amer (car à l'heure actuelle il faut être solide pour ne pas rendre son tablier et aller planter des choux-fleurs), et larder de flèches assassines un système (qui le mériterait grandement) chronophage aux allures d'ogre insatiable. Le parti pris du dessin apporte une note de fraîcheur, une profondeur aussi, à un récit qui aurait pu devenir un insipide témoignage barbant: les bonshommes patates sont trognons à souhait, expressifs et attachants, le N&B souligne le côté saisissant d'une réalité scolaire, peut-être édulcorée par la passion du métier d'enseignant de l'auteur, passion qui ne quitte jamais celui qui a toujours voulu être instituteur (on dit maintenant professeur des écoles...pfff que cela peut être pompeux!) même si le découragement pointe de temps à autre, qui ne peut qu'émouvoir et parfois étreindre sous les rondeurs douces des personnages "patates".
"Le journal d'un remplaçant" est un roman graphique drôle, humoristique, sincère et tendre sur le monde souvent mystérieux des enseignants. Je rejoins Krinein lorsqu'il préconise sa lecture aux hauts fonctionnaires d'état plus prompts à pondre des réformes ou des observatoires à l'infini qu'à écouter tout simplement la vie réelle du terrain,encore faut-il que ces gens importants sachent pousser la porte d'une librairie ou lire des blogs d'auteurs....mais ceci est une autre histoire, n'est-ce pas?



Quelques planches à regarder ici  
Le site de l'auteur ici   son blog   
Les avis de krinein  bdgest   bibliza 

Une journée importante


Aujourd'hui, c'est la Journée Mondiale de la Terre....cela me fait toujours frissonner ce genre de journée car elles sonnent comme un glas, celui des causes perdues. Mais, aujourd'hui plus que jamais, il est essentielle de parler de cette Terre malmenée, violentée par ceux qui lui doivent l'air qu'ils respirent, l'eau qu'ils boivent, la faune et la flore qu'ils exploitent (outrancièrement)...."ceux qui", c'est à dire nous qui lui devons tout simplement la vie.
Un jour, il faudra choisir ce que nous souhaitons léguer aux générations futures: une poubelle désespérante, une Terre asphyxiée, ou une planète gérée durablement avec intelligence, humanisme et solidarité?
Moi, j'ai déjà choisi, et vous?
Un lien intéressant ici 

mercredi 21 avril 2010

La déferlante

Il est des romans que l'on garde longtemps en soi avant de pouvoir écrire toute la gamme des émotions que sa lecture a suscitées, "Les déferlantes" de Claudie Gallay en fait partie. Pourquoi? Sans doute parce que l'écriture de l'auteure, tout au long du roman, fut celle de l'intime, celle d'une souffrance que l'héroïne tente d'oublier pour réapprendre à vivre. Certainement parce que l'écriture de Claudie Gallay fut comme une source serpentant au gré des sensations, des émotions, d'une réalité possible, touchant du doigt les cordes d'une sensibilité que tout un chacun conserve jalousement au fond de lui....d'ailleurs, une personne de mon entourage a eu, et a toujours, un mal fou à partager ce roman qu'elle a reçu comme un cadeau intime, un trésor fragile et inattendu....d'ailleurs, lors de la remise du Prix des Lecteurs 2009 au siège du Télégramme à Morlaix, l'actrice qui lisait, non qui vivait les passages choisis, accompagnés d'une musique délicate et belle, a montré, sans le dire, combien "Les déferlantes" l'avait émue au-delà du dicible...d'ailleurs, ce soir-là, le public privilégié (car ce fut un moment magique) ne fut pas dupe: l'émotion, intense et délicate en même temps, étreignait et sans que l'on puisse y faire grand chose, les larmes faisaient briller les yeux et une magie, digne d'une fée, arrêtait les secondes puis les minutes....d'ailleurs, le silence salé des larmes ravalées plana avant que l'auteure, émue au plus haut point, remercie l'actrice du cadeau déposé à ses pieds, à nos pieds. "Les déferlantes", embruns du Cotentin, apportaient une saveur particulière, inédite, à une lecture qui fut tout sauf anodine pour ceux qui s'y laissèrent embarquer.

La Hague, ses falaises, ses tempêtes hivernales, ses vagues qui sans cesse viennent se briser contre le roc, contre l'immobile aux pieds d'argile, l'immobile qui lentement s'effrite, rongé par l'assaut des déferlantes, rugissantes et voluptueuses dans leur appétit inassouvi. La Hague et sa centrale, à sa réputation sulfureuse dont on ne parle qu'à mots couverts car tabou, car pourvoyeuse d'un matériel vital, d'un matériel permettant de rester au pays. La Hague et ses colonies d'oiseaux marins, migrateurs, que la narratrice recence, compte, observe, dessine pour le Centre ornithologique....la faune et la flore sont-elles sensible au voisinage silencieux, presque invisible, de cette usine de dangéreuse énergie? La Hague, lieu extrême de l'oubli de soi pour tenter d'oublier celui que la maladie a lentement emporté, lieu où la musique tonitruante d'une mer faite de vagues ogresses, mangeuses de roches et d'hommes, dévoreuses de temps et de vies, berceau tourmenté de souvenirs et de peurs enfouis, remontant à la surface à chaque ressac de la vie. La Hague et ses villages perdus, bouts du monde où l'ailleurs est partout, où les silences sont plus bavards qu'on ne croit....la narratrice les écoute, entre les gémissements du vent et le bruissement sourd des déferlantes, les devine, les décrypte pour reconstituer un puzzle de destins malmenés, de pages de vie écornées, froissées, presque déchirées, lacérées par ces rafales impitoyables qui ont dévasté la vie de Nan, cette vieille femme qui à chaque tempête attend le retour de sa famille emportée par les flots un jour de noces, qui ont malmené Théo, vieil homme dont certains silences parlent de secrets, de non-dits, d'oublis jamais tout à fait disparus, qui ramènent Lambert, jeune homme incongru sans pour autant paraître étranger au village tant il rappelle un certain Michel à Nan. Les conversations qui s'arrêtent lorsque la porte du café s'ouvre sur l'étranger, l'ennui des lycéens revenus en week-end, la solitude des habitants qui pensent connaître tout de leurs voisins. Le passé peu à peu entre par une fenêtre entrebaillée, celle d'une narratrice curieuse des autres pour oublier sa douleur solitaire, et fait se croiser des personnages auxquels le lecteur s'attache, comme s'il les connaissait depuis toujours.

Claudie Gallay cisèle ses personnages dans le maillage d'un récit où l'histoire intime de la narratrice se mêle à une intrigue presque policière, celle du mystère d'un naufrage, au cours de l'automne 1967, et d'un phare qui aurait du être lumineux. Or, on sait combien il est insupportable de voir se fracasser les oiseaux marins sur les vitres d'un phare, combien est intense la souffrance de l'impuissance ressentie, face à cette violence, par un gardien de phare: ce dernier a-t-il éteint, juste quelques secondes pour ne plus voir les volatiles voler à la mort? Et le tout-petit enfant, dont on n'a jamais retrouvé le corps, a-t-il vraiment disparu? Autant de questions qui font monter l'intensité dramatique du récit, autant d'interrogations qui minent un village a priori sans histoire, autant de non-dits qui sapent des vies aux apparences solides.
Claudie Gallay construit son histoire avec subtilité, tendresse et une acuité saisissante: le lecteur est au coeur du drame passé qui se tisse dans une lenteur qui met en valeur l'intensité d'une atmosphère à la musicalité bruissante de la mer, dont les déchaînements accélèrent à point nommé le récit, la montée en puissante d'un tableau dont la sérénité peut sombrer à chaque seconde, fragile équilibre d'une dramaturgie orchestrée avec une justesse élégante.
"Les déferlantes" est un roman que l'on emporte avec soi, petite pépite précieuse, que l'on garde en mémoire, telle l'ultime note égrenée par une cloche cristalline, et qui offre des bouffées d'émotions longtemps après en avoir lu la dernière phrase.


 

De nombreux avis de lecteurs chez BOB 

dimanche 18 avril 2010

Dimanche poétique # 17

Henri Michaux (1899-1984), poète belge naturalisé français en 1955, ensoleilla mes cours de français en Terminale et je ne me lasse jamais de ses trouvailles linguistiques ni de ses jeux de mots plus savoureux les uns que les autres.
Aujourd'hui, je me suis laissée tenter par "Le grand combat", poème dans lequel la magie de Michaux fait virevolter les sonorités au gré des inventions langagières.

Le grand combat

Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupéte jusqu'à son drâle ;
Il le pratéle et le libucque et lui baroufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.

L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain
Le cerveau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret.
Mégères alentours qui pleurez dans vos mouchoirs;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et on vous regarde,
On cherche aussi, nous autres le Grand Secret.

« Papa, fais tousser la baleine », dit l'enfant confiant.
Le tibétain, sans répondre, sortit sa trompe à appeler l'orage
et nous fûmes copieusement mouillés sous de grands éclairs.
Si la feuille chantait, elle tromperait l'oiseau.

in Qui je fus Gallimard, 1927



Les compagnons troubadours de Celsmoon vous offrent leurs trouvailles dominicales ici .

jeudi 15 avril 2010

Julien Sorel ou les chemins de l'ambition

Julien Sorel, benjamin d'un charpentier au coeur dur, est un jeune homme ambitieux (et admirateur secret de Napoléon Bonaparte),doté d'une mémoire extraordinaire, lui permettant d'apprendre par coeur l'Ancien Testament et d'accéder à un emploi de précepteur chez Mr de Rênal, maire de Verrières. Julien rêve d'une ascension aussi fulgurante et brillante que celle de son modèle, aussi voit-il une occasion inspérée de garvir les échelons de la société en devenant le précepteur des enfants de Rênal. Julien entre dans l'intimité de cette famille noble, ultra royaliste, devient le familier de ses employeurs, malgré le mépris grandissant qu'il éprouve envers la suffisance de Mr de Rênal et la conscience de classe qui l'amène à un esprit de révolte contre l'ordre établi. Peu à peu, Julien s'éprend de la douceur de Mme de Rênal et gagne son coeur en lui offrant ce que son époux est incapable de lui donner: écoute, discussions, promenades et tendresse. Un jeu de dupe se met en place afin que Mr de Rênal ne s'apercoive de rien jusqu'à ce qu'une abondante fièvre menace la vie d'un de senfants et qu'une bonne âme jalouse dénonce les deux amants. Julien n'a d'autre échappatoire que de fuir la ville et entrer au séminaire de besançon, le temps de se faire oublier, tout en emportant au fond de son coeur l'immense amour qu'il éprouve pour Mme de Rênal. Mais le séminaire s'avère être un lieu où luttes d'influence et sottises se disputent la privauté sur les jeunes âmes un peu rustres des futurs prêtres, la prêtrise étant un des moyens, pour ces rejetons de paysans plus ou moins riches, de gravir quelques échelons dans la société cloisonnée de la Restauration. Le pauvre Julien se morfond et désespère au fond de son séminaire triste à pleurer par l'ampleur de la bêtise et de l'ignorance qui y règnent, jusqu'à ce que le supérieur, l'abbé Pirard, janséniste très mal vu par sa hiérarchie, soit envoyé à Paris puis lui propose de devenir le secrétaire du Marquis de la Mole. Ce que Julien ignore encore, c'est que ce dernier a une fille, aussi belle qu'intelligente et vive, au caractère trempé et à l'âme exaltée et romantique. Une attirance, d'abord niée, naît entre les deux jeunes gens pour se transformer en amour, véritable et sincère pour Mathilde, plus incertain pour Julien. Quand Mathilde annonce qu'elle attend un enfant, la consternation s'abbat sur la famille de la Mole...une telle mésalliance ne peut qu'entraver l'ascension du Marquis et entacher le blason familial; aussi le Marquis annoblit-il Julien. Or, lorsqu'à Verrières, cela se sait, le Marquis reçoit une lettre de Mme de Rênal, dans laquelle la réputation de Julien est mise à mal ce qui a le don de mettre de dernier en furie: il se précipite à Verrières et tire sur Mme de Rênal en pleine église. Commenca alors une douloureuse attente pour Julien: la mort et la perte de son seul et unique amour, Mme de Rênal.

"Le rouge et le noir" est une relecture, comme celle du "Lys dans la vallée" de Balzac, une relecture qui m'a emportée dans un univers dont je ne me lasse pas: l'écriture d'un XIXè siècle où les passions amoureuses sont exaltées et délicieusement compliquées, où les personnages sont extrêmement fouillés et complexes, où la société est décortiquée avec subtilités et humour parfois, ironie souvent.
Julien Sorel est un personnage ambigu: entre l'ambition sociale (qu'il enrage d'être issu d'un milieu paysan) et amoureuse (les femmes semblent être un moyen de parvenir au statut désiré), il se perd dans les calculs et les stratégies les plus cyniques jusqu'au jour où il est pris à son propre piège, l'amour le frappe, le tourmente pour le faire succomber et prouver que,malgré ses divers artifices, il est un homme sincère et émouvant (il est épris d'une superbe enquinineuse, pour ne pas dire ch...se). Quant à Mme de Rênal et Mathilde de la Mole, elles incarnent deux visions de l'amour complémentaires par leurs différences: la première a la tendresse maternelle, la délicatesse des sentiments proche d'une certaine intellectualisation de l'amour; la seconde est l'image de la passion la plus extrême et la plus intransigeante...la terre et le feu, l'alpha et l'oméga du parcours amoureux d'un jeune homme hanté par la peur de n'être rien.

Stendhal explore avec un art consommé, les ficelles d'un déroulement romanesque abouti, complexe tout en opposition (Paris/Province, la noblesse/la roture...) et en symétrie trompeuse: la correspondance amoureuse qui, par deux fois, foudroie l'ascension de Julien, les prémonitions, les répétitions de situations. Les interventions et commentaires du narrateur/auteur omnicient (la frontière est souvent très mince), exprimant des vérités et portant sur le personnage principal un regard à la fois tendre et critique (du coup, l'adhésion du lecteur est largement assurée), les monologues intérieurs des personnages apportent à la structure narrative une dimension réaliste indéniable.
"Le rouge et le noir" est aussi un grand roman d'initiation: le lecteur suit le parcours de Julien du début jusqu'à la fin de son évolution, de son histoire, au gré des rencontres avec ses différents mentors (le vieux médecin militaire, le curé Chélan, l'abbé Pirard) : il vit le conflit entre ses aspirations, ses idées philosophiques, politiques, et les réalités de la société dans laquelle il évolue, provoquant désillusion amertume et désenchantement. La révolte de Julien contre la société, répressive, issue de la Restauration est comme le chemin de la quête de l'amour qui s'achève lorsqu'il renonce à ses ambitions, vaines et stériles, pour affronter sa fin tragique. Son côté égoïste, roué est adouci par sa grande sensibilité, sa passion (ah!!! le portrait de Bonaparte jalousement caché et pieusement regardé!) et la sincérité qui s'en dégage et amène le lecteur à éprouver de l'empathie lors de ses espoirs, ses déboires et ses malheurs.

Lorsqu'on ferme "Le rouge et le noir" c'est un voyage au coeur des passions humaines qui s'achève pour mieux être revécu lors de la prochaine relecture! Un roman de chevet qui repose depuis plus de vingt ans sur les étagères de ma bibliothèque et que j'ai eu un immense plaisir à relire.


(3/12)

Vous avez dit biodiversité?

En cette année onusienne où la biodiversité est mise en avant, Armande fait sienne cet aspect essentiel du monde. En effet, tel un chevalier sans peur et sans reproche, elle part à la conquête du monde des swaps en proposant un mini swap consacré au...café! Je vois déjà les narines frémissantes des afficionados de ce breuvage, noir et velouté, venu des confins du monde, être en émoi. Oyez, oyez, gentes dames et nobles messires, n'hésitez pas à rejoindre le panache échevelé d'Armande et à courir vers l'aventure....au galop!
Tous les renseignements utiles sont par ici !
La photo ci-dessous est une invitation à la débauche et un clin d'oeil aux fans de sexy men ;-)

(si avec une telle égérie du café, la participation ne pète pas les scores, ce sera à ne plus rien y comprendre - rires - )

mercredi 14 avril 2010

Le poisson mouillé

Berlin, 1929: entre l'effervescence de la construction et l'ébullition sociale et politique, la République de Weimar tremble sous les émeutes communistes et les coups de mains des chemises brunes, les SA. Berlin, ville cosmopolite où les réfugiés russes hantent les boîtes de nuits et les coins d'ombre, ville où les plaisirs illicites attirent les nantis des quartiers ouest, histoire de s'offrir quelques frissons en côtoyant les malfrats et els professionnelles. Berlin où la police tente de lutter contre le crime, Berlin désireuse de concurrencer New York, Berlin à la pointe du progrès et des explorations artistiques; Berlin ville de tous les possibles même les plus sordides, ville phare d'une Mittel Europa qui lentement se dessine dans le paysage européen de l'entre deux guerre, ville où, en l'espace de quelques mois, les "poissons mouillés", ces affaires criminelles classées sans suite, deviennent un peu trop nombreux.
Un corps est retrouvé dans une voiture au fond d'un canal: l'homme, non identifié, a été torturé et mutilé. A priori personne ne semble le reconnaître, sauf Gereon Rath, jeune commissaire, de l'inspection E (les Moeurs), originaire de Cologne muté à Berlin en raison d'une affaire embarassante, qui l'a croisé quelques jours auparavant chez sa logeuse: en effet, cet homme, venait, tapageusement, voir le précédent locataire, un russe. Commence alors, pour Rath, une enquête longue et délicate au cours de laquelle sa carrière se jouera de nombreuses fois. Très vite, il comprend que la police est infiltrée par les anciens de 14/18 qui barbotent des armes à l'armurerie, qui entretiennent des relations dangereuses avec des russes tsaristes, et qu'autour du cadavre du canal se greffent moults intérêts divergents, intérêts portés sur le mythique or d'une famille russe, l'or des Sorokine. Rath mettra tout en oeuvre pour élucider le meurtre, comprendre le pourquoi et le comment, car loin de se plaire aux Moeurs, il ne rêve qu'à une seule chose, revenir aux affaires criminelles et faire oublier la bavure de Cologne.
"Le poisson mouillé" est le premier volet des enquêtes du commissaire Gereon Rath et je dois avouer que j'ai été agréablement surprise par la qualité du récit, le déroulement de l'enquête et surtout l'ambiance berlinoise de cette fin des années folles. Volker Kutscher croque avec justesse le monde interlope des nuits de la capitale prussienne, il embarque son lecteur dans une quête difficile d'une vérité, ou plutôt de vérités qui ne seront pas toujours très agréables à dire: les groupuscules paramilitaires encadrés par les nostalgiques de l'Empire et ceux qui n'ont pas accepté les conditions draconniennes de l'Armistice de 1918, les groupes révolutionnaires communistes prônant une véritable révolution du peuple conspuant, comme leurs antagonistes SA, la République de Weimar qui se perd à vouloir mettre de l'ordre dans le chaos des aspirations allemandes. Les prémices d'un coups d'état sont en place (dans 4 ans, Hitler arrivera au pouvoir sans que lui soit opposée une grande résistance, avec une armée de l'ombre qui s'est lentement constituée sous la houlette d'anciens soldats de l'Empire) : stigmatisation de la mollesse socialiste ou du nombre de juifs dans les couloirs du pouvoir, rancoeur due à la défaite ou difficultés économiques des classes populaires. Au fil de l'enquête qui se déroule d'avril à juin 1929, la tension due à la montée en puissance du National Socialisme (à un moment, Rath appelle "nazis" les membres des SA), donnant à Berlin une atmosphère de fin d'époque et le lecteur pressent que plus rien ne sera comme avant.
Ce pavé se lit avec plaisir, malgré le foisonnement de personnages et d'histoires s'imbriquant les unes dans les autres (ce qui ne m'a guère gênée mais je suis une amatrice de l'enchevêtrement des personnages) qui pourrait freiner certains lecteurs: on s'attache très vite au personnage principal, à sa personnalité, à sa vision du monde et à sa fragilité, et on se promène avec bonheur dans un Berlin mythique et pittoresque (celui décrit par Albert Döblin dans Berlin Alexanderplatz: le monde de la nuit, celui des vendeurs à la sauvette, celui des combines louches et minables, celui d'un petit peuple trimant pour tenter de s'en sortir) à la suite d'un Rath infatigable mais faillible, tentant avec l'énergie du désespoir de réparer ses erreurs. La suite de ses aventures est en cours de traduction et c'est avec impatience que j'attends le retour de Gereon Rath.

Je remercie Suzanne de Chez les Filles et les éditions du Seuil pour cette plongée dans une période historique fascinante de l'Allemagne .

Roman traduit de l'allemand par Magali Girault



Les avis de Yv  Véronique  
 

lundi 12 avril 2010

Famille je vous hai-me

Louis raconte ses souvenirs d'enfance, ses blessures, la boue des non-dits et les relations difficiles avec la mère, figure énergique, un peu trop, du clan familial, image négative d'une mère, archétype du matriarcat breton.
Il y a le football, celui par qui est venue l'opprobe (c'est fou ce que "quatorze millions" égarés peuvent avoir un pouvoir de nuisance!), celui qui est la cause d'un exil loin de l'iode bretonne, loin du vent brestois, loin de ce bout du monde salé, parfois froid, toujours accroché à sa rade; la fortune étonnante de la grand-mère suite à une union tardive (les repas au Cercle Marin mènent à tout) Il y a aussi un personnage extraordinaire: le fils Kermeur, le poil à gratter de tout ce petit monde engoncé dans une léthargie bourgeoise, celui qui entraîne Louis dans les mauvais coups, ceux qui donnent à l'enfance le goût amer de l'interdit, le frisson irrépressible du danger; les tablettes de chocolats dérobées au supermarché ont la saveur d'une innocence flouée.

Louis déroule la pelote du passé pour tenter "d'en finir avec tout ça", de crever l'abcès et de pouvoir vivre sans ce poids dans la poitrine: les après-midis avec la grand-mère, les soirées avec le fils Kermeur, les entraînements de foot et la souffrance lorsqu'on apprend à quoi correspondent les lettres des équipes...Louis est dans l'équipe F, celle des mômes qui ne deviendront même pas de bons joueurs amateurs et se casseront le nez devant les portes du sport professionnel, alors que son frère aîné a un avenir de professionnel devant lui. Et puis, cet attachement mortifère aux valeurs de la petite bourgeoisie que sont l'apparence (qui doit être irréprochable pour se démarquer de "ces gens-là" entendez les Kermeur) , le statut social et la sacro sainte peur du déclassement, porte ouverte à la déchéance insupportable aux yeux de la mère de Louis.

Louis écrit pour chasser de manière définitive, ses démons familiaux au grand dam de sa mère qui pense détruire le brûlot par la simple force d'une flamme de briquet, sous les yeux de son fils mi-chagrin mi-amusé, lui qui possède une clé de sauvegarde. L'acte désespéré d'une femme qui ne veut pas que ce soit le destin qui mène la danse mais bien elle, au prix d'une intransigeance maternelle au-delà de l'acceptable. Or, ce feu, purificateur d'un côté et rédempteur de l'autre, permet au père, figure volatile, presque transparent, n'existant que par l'affaire financière qui le jeta dans l'ombre et le silence de la honte sociale, de s'affranchir des carcans d'une prison érigée par sa femme et de sortir à la gare, la tête haute, au vu et au su de tous, la valise de son fils. Le temps efface beaucoup de choses, celles qui ne sont qu'anecdotes dans une histoire familiale, tandis qu'il épaissit celles qui rongent et sapent des vies...tout ce qui peut constituer une vie "du" (noir, sombre, en breton) bretonne.

L'écriture incisive, presque chirurgicale dans l'introspection familiale, de Viel est surprenante au premier abord: tout est au présent, l'actualité de la narration et les retours dans le passé ne se démarquent pas par la conjugaison des verbes mais par les images issues des souvenirs du narrateur. Ce parti pris narratif, entrechevêtrement des époques, surprend, déroute puis trouve un rythme de croisière lorsque le lecteur entre dans l'entrelac des histoires jalonnant la vie familiale et sociale. La tension monte lentement à mesure que les révélations, "les choses sur nous", deviennent plus explicites, approchent les frontières opaques de la dénonciation: le lecteur sent qu'un des protagonistes perdra son sang froid ou sortira la tête du haute de ce conflit muet, larvé dans les profondeurs abyssales de la loi du silence. La famille dévoreuse, la famille vampirisant ses membres les moins préparés à lui résister, la famille microcosme idéal pour la mise en place de psychodrame ou de luttes intestines rongeant les siens plus sûrement que le pire des acides...c'est ce qu'offre, avec intelligence, virtuosité et humour corrosif , "Paris-Brest", un roman familial tendu où les non-dits pourrissent les relations jusqu'au jour où l'un des membres décide de crever l'abcès et de libérer les humeurs, nauséabondes parfois, afin de libérer la parole et les actes. On est troublé, ému et surtout glacé par l'emprise d'une mère engluée dans la dévoration de tout ce qui l'entoure, engluée dans un conformisme certes vain mais ô combien mortifère, par la passivité d'un père, terrassé par un scandale financier qui n'en finit pas de disparaître: famille, je vous hai-me!

Les avis de  bibliobs  antigone  sylvie   armande  midola  clara C.  


dimanche 11 avril 2010

Dimanche poétique # 16

Un haïku de Buson (1716-1783) pour rendre hommage à une saison très prisée au Japon: le printemps, qui commence vers le 15 février, et la floraison tant attendue des cerisiers. La fête des "Hanami" est l'occasion de passer la journée sous les frondaisons fleuries des sakura (cerisier) et d'y partager bonne humeur et repas froid, arrosé de saké bien entendu!

Le printemps qui s'éloigne
 hésite
 parmi les derniers cerisiers


(photographe: moi)

Les compagnons troubadours de Celsmoon vous offrent leurs trouvailles ici !

samedi 10 avril 2010

Une vie dans l'ombre

L'empire Moghol s'est construit sur du sang, des trahisons, des conquêtes, des alliances et la douleur, c'est ce que l'on apprend lorsque Jahanara, fille aînée de Shah Jahan, empereur de cet empire au XVIIè siècle, se retrouve orpheline de mère et est confrontée à la dépression de son père. Ce dernier n'a aimé qu'une seule femme, sa troisième épouse qui éclipsa tant par sa beauté que par son charisme les deux premières, reléguées au fin fond du harem impérial. La détresse affective de l'empereur déstabilise ses proches, inquiète le peuple et Jahanara se glisse, naturellement, dans l'espace laissée par sa mère pour devenir la Begam du palais et du harem. Très vite, elle devient influente auprès de son père: c'est que Jahanara a une intelligence politique et économique aiguë, qu'elle sait oeuvrer pour le bien de l'empire et du pouvoir moghol d'autant plus que son père sombre dans une profonde mélancolie au risque de faire basculer l'empire, qu'il a conquis à la force des armes et du meurtre politique, dans un triste chaos: ses fils sont encore très jeunes et n'ont pas été aguerris aux affaires de l'Etat ni aux affaires de la guerre. L'aîné est versé dans l'étude philosophique et religieuse, il prête une oreille attentive au boudhisme et au christianisme au risque de déplaire à la cour impériale; le second est un peu délaissé et ronge son frein en se disant largement plus apte que son aîné à prendre les rênes du pouvoir paternel. Des rivalités qui augurent bien des bouleversements, bien des conflits et beaucoup de sang versé.
Peu à peu, l'empereur sort de sa torpeur pour mettre à exécution un projet pharaonique: la construction d'un splendide mausolée, en marbre blanc, pour célébrer son immense amour envers son épouse défunte....le Taj Mahal naît d'abord sur les plans pour s'édifier, au fil du récit, splendeur parmi les splendeurs, sous la houlette éclairée d'une Jahanara devenue la princesse de l'ombre, celle qui conseille judicieusement et règne sans partage sur le coeur de son père.
Ce règne d'ailleurs fera de sa vie une existence dans l'ombre, une existence privée d'amour officiel et pourtant comme elle est amoureuse d'un beau courtisan! Mais, son père lui interdira de se marier afin qu'elle reste à jamais à ses côtés, la condamnant à ne pas exister aux yeux du monde, la condamnant à ne jamais quitter le harem impérial. Pourtant, l'amour parviendra à éclairer sa vie mais à un prix douloureux, celui de vivre clandestinement une liaison et une grossesse, celui de ne pas donner le sein à son enfant, celui de ne pas le voir grandir et s'entendre appeler "Maman".
J'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire, dans cette histoire complexe d'une région et d'une époque que je ne connais guère. Puis, peu à peu, la magie des descriptions sous les mots colorés de l'auteure, a eu raison de mes réticences et m'ont permis de me laisser porter par les fastes d'une cour impériale moghole migrant à la saison chaude, en une immense et incroyable caravane, vers les montagnes himalayennes pour profiter d'une fraîcheur bienfaisante. Indu Sundaresan, s'appuyant sur les faits historiques, décrit une époque où l'horreur cohabite avec la délicatesse d'une culture raffinée, où le faste de quelques uns côtoie la misère du plus grand nombre, où l'amour d'un veuf inconsolable fera jaillir du néant un joyau architectural qui défiera le Temps pour devenir le symbole de l'amour, l'unique et inégalable Taj Mahal. L'alternance des chapitres consacrés à la construction de mausolée et à la vie quotidienne d'une princesse prisonnière d'une décision paternelle, offre les respirations permettant de digérer les multiples informations que la béotienne que je suis en histoire hindoue recevait au fil des pages. Le destin particulier de Jahanara a su titiller ma curiosité ainsi que ma sensibilité féminine: Jahanara, malgré la chappe de plomb décidée par son père sur sa sensualité et sa sexualité, parvient à connaître le plaisir ineffable d'un amour réciproque, la comblant charnellement tout en la frustrant au plus haut point. Elle réussit à ne pas se faire réduire par ce destin cruel, conserver une liberté de penser et d'agir, et à garder la tête haute pour devenir une Begam respectée et respectable.

Une plongée dans l'Inde du XVIIè siècle, où perce, lentement mais sûrement, l'intrusion d'un Occident avide des richesses touchées du doigt par le glorieux Alexandre Le Grand.

Je remercie les éditions Michel Lafon pour cette agréable découverte imprévue.

Roman traduit de l'anglais (USA) par Isabelle Saint Martin




Les avis de latite  armande   ifisdead  kathel lounima  soukee  praline 

mercredi 7 avril 2010

A coeur vaillant, rien est impossible, surtout au Printemps!

"Un beau matin, l'écureuil se réveille: autour de lui, rien n'est comme avant." Ainsi commence notre histoire mettant en scène un trio d'amis composé d'un écureuil, d'un hérisson et d'un ours! Pourquoi tous ces changements, pourquoi toutes ces belles couleurs, pourquoi cette atmosphère douce, aux senteurs si fraîches? Pardi, c'est que le Printemps est enfin de retour!!! Le compère ours est affamé après un hiver de jeûne et invite ses amis à remplir leur estomac de toutes les bonnes choses que dame Nature à mis à leur disposition: c'est la course après les champignons, les jeunes baies, les pousses nouvelles, les derniers fruits de la réserve d'automne, les facéties auprès des pauvres vers de terre. Or, notre compère hérisson, lui, ne participe aux agapes printanières: il n'a pas faim, il est tout bizarre depuis sa promenade près de l'étand où il a vu une sublime créature! Notre hérisson serait-il pas hasard tombé amoureux grâce aux effets du printemps? Seulement, ladite belle créature a disparu et compère écureuil se creuse la cervelle pour aider son ami à conquérir le coeur de la belle en question! Pour conquérir les coeurs féminins, il faut être courageux et brave, "se couvrir d'honneur et de gloire" en réalisant les missions les plus folles, comme les chevaliers d'autrefois (l'illustration les déguisant en Dom Quichotte et Sancho Pança est irrésistible d'humour!) qui défiaient des adversaires plus dangereux les uns que les autres!  L'écureuil s'affaire à dénicher de quoi parfaire leur panolie chevaleresque et les essayages sont drôlissimes! Finalement, la panoplie est trouvée et hop, c'est parti pour l'aventure: les mulots, les oiseaux décampent devant les valeureux chevaliers, sans peur et sans reproche, même les lapins s'enfuient...c'est dire combien nos compères sont effrayants. Mais où trouver un adversaire digne de ce nom, car le menu fretin c'est bien mais bon...? Héhéhé, notre compère ours fera l'affaire: voilà un morceau (de bravoure) de choix! C'est l'assaut, le terrible assaut mené de pattes de maître par nos courageux guerriers, qui arrachent la victoire de haute lutte: l'ours est terrassé....par la fatigue d'un plantureux repas printanier! Victoire!!! Mais, il manque un détail au tableau: des fleurs pour la belle, pardi! Notre hérisson, tout intimidé malgré son auréole de gloire, s'approche de la belle et lui offre enfin son coeur avec les fleurs....hélas, la déconvenue est immense: ladite demoiselle s'avère être une brosse abandonnée...oups! Le coeur en charpie, le hérisson regarde tristement l'étang. C'est alors qu'arrive une cane qui rassure nos amis: "Oh, vous savez, ça peut arriver à tout le monde!" en leur montrant un canard en bois. Et puis, la belle saison n'en est qu'à ses débuts: les demoiselles hérissonnes bientôt se promèneront dans les bois!
"L'écureuil et le printemps" est une histoire tendre, drôle où l'humour est à chaque détour d'illustration. Cet album, d'une joliesse absolue, est aussi l'occasion de parler avec les enfants du renouveau de la nature, de la fertilité de la terre et des futures naissances chez les animaux: le réveil de la nature éveille les sens.
C'est un régal que de regarder les clins d'oeil aux aventures de chevalerie, aux défilés de mode et aux combats grotesques. Les illustrations au pastel sont d'une grande poésie et les animaux croqués de manière très réaliste. Les touches de couleurs mettent en valeur le réveil de la nature après un long hiver: le mouvement et le plaisir de glaner de quoi remplir une panse vide virevoltent au bout du pastel et enchantent le lecteur qui n'a qu'une seule envie...rire et retrouver très vite les trois amis!

Album traduit de l'allemand par Julie Duteil

les avis de Gawou  Lecture-écriture  



(7/24)

lundi 5 avril 2010

La couleur grise de l'enfance

Adrian est un jeune garçon de neuf ans, il pourrait être un garçon comme les autres puisqu'il vit dans une petite ville, qu'il aime les glaces, qu'il aime dessiner en rêvant d'avoir enfin un chien. Seulement, Adrian n'est pas comme les autres car sa vie est loin d'être celle d'un petit garçon ordinaire: Adrian vit chez sa grand-mère maternelle, aux côtés d'un oncle, Rory, cloîtré dans sa chambre et sa solitude depuis son accident de voiture, un bolide qui termina sa course contre un arbre, emportant dans les limbes son meilleur ami. Depuis, Rory erre comme une âme en peine, tourmentée par un passé qui ne peut s'oublier, Rory, ombre un tantinet menaçante, ombre dérangeante à l'humour grinçant pour l'oreille d'un petit garçon de neuf ans, solitaire et engoncé dans la peur de sa grand-mère. Adrian tente d'oublier l'absence d'ami, l'absence d'une mère et d'un père, dans le train-train qui rythme son quotidien gris et sans rires, ce quotidien où la peur d'être seul et d'atterrir dans un foyer pour enfants abandonnés scande ses angoisses irrationnelles. D'ailleurs, ce dernier est ébranlé par l'arrivée d'une étrange famille: un homme et trois enfants, deux filles et un garçonnet...détail troublant car une affaire de disparition d'enfants est au coeur de l'actualité du pays. Trois jeunes enfants, deux filles et un garçonnet, ont disparu après avoir été acheté des glaces, des témoins ont vu un homme les suivre...et si ce nouveau voisin était l'homme en question? Pourquoi les volets de sa maison sont-ils toujours fermés? Cache-t-il un sombre secret? D'autant que Nicole, l'aînée qui a le même âge que lui, cultive à plaisir l'ambiguité depuis qu'ils ont fait connaissance. Nicole à la langue bien pendue, Nicole qui semble à l'aise et nullement gênée d'être sans amis, Nicole qui intrigue Adrian, qui le titille sans cesse pour le faire sortir de sa réserve. Entre les sarcasmes de Nicole et la suffisance de Clinton, son seul ami à l'école, Adrian est loin d'avoir confiance en lui, et le climat délétère de la ville, en raison du traumatisme dû à la disparition de trois enfants, est loin de le rassurer.
Dans "Une enfance australienne", Sonya Hartnett entraîne son lecteur dans un monde inhabituel de l'enfance: l'atmosphère est pesante, grise, parfois très glauque, l'insouciance enfantine est absente tandis que les peurs et les angoisses de l'abandon, de la perte, du deuil et de la solitude suintent à chaque mot, chaque phrase. La hantise de l'abandon, tant illustrée dans le conte "Le Petit Poucet", ronge l'âme d'Adrian sans qu'il y ait qui que ce soit capable de le rassurer, de lui montrer qu'il est aimé, car il est aimé par sa grand-mère même si elle est incapable de le lui dire tant par les mots que par les gestes. Le monde adulte apparaît impuissant à calmer cette part sombre que recèle celui de l'enfance et semble inapte à permettre à Adrian de grandir en apprivoisant ces peurs pour lui permettre d'accéder à cette estime de soi essentielle à la construction intime de chaque être humain. L'adulte est tout sauf une personne rassurante, aimante et protectrice: il est démuni et fragile alors que l'enfance a besoin de force supérieure et de sûreté pour entrer, sereine, dans le monde adulte.

Le lecteur est loin de l'atmosphère sucrée et légère des souvenirs d'enfance, il est pris dans le tourbillon sombre des questionnements existentiels d'un enfant perdu dans la forêt de sa solitude sans la présence rassurante des petits cailloux blancs de l'amour parental. Une lecture qui ébranle, qui étreint le coeur jusqu'au dénouement final, loin d'être rassurant. "Une enfance australienne" est un roman, certes qui dérange, écrit tout en sensibilité et subtilité, parcourant les gammes des contes traditionnels pour en sortir un reflet moderne des angoisses intrinsèques à l'enfance.
Merci à BOB et au Serpent à plumes pour cette lecture éprouvante mais d'une sombre beauté.

Roman traduit de l'anglais (Australie) par Bertrand Ferrier


 

Les avis de Pimprenelle   Stephie  Aifelle  Celsmoon  Papillon  Sylire   BOB 

dimanche 4 avril 2010

Dimanche poétique # 15

Un poème de circonstance d'Emile Verhaeren, poète belge (1855-1916), en ce wekk-end de Pâques.

A Pâques


Frère Jacques, frère Jacques,
Réveille-toi de ton sommeil d'hiver
Les fins taillis sont déjà verts
Et nous voici au temps de Pâques,
Frère Jacques.

Au coin du bois morne et blêmi
Où ton grand corps s'est endormi
Depuis l'automne,
L'aveugle et vacillant brouillard,
Sur les grand-routes du hasard,
S'est promené, longtemps, par les champs monotones ;
Et les chênes aux rameaux noirs
Tordus de vent farouche
Ont laissé choir,
De soir en soir,
Leur feuillage d'or mort sur les bords de ta couche.
Frère Jacques,
Il a neigé durant des mois
Et sur tes mains, et sur tes doigts
Pleins de gerçures ;
Il a neigé, il a givré,
Sur ton chef pâle et tonsuré
Et dans les plis décolorés
De ta robe de bure.

La torpide saison est comme entrée en toi
Avec son deuil et son effroi,
Et sa bise sournoise et son gel volontaire ;
Et telle est la lourdeur de ton vieux front lassé
Et l'immobilité de tes deux bras croisés,
Qu'on les dirait d'un mort qui repose sous terre.

Frère Jacques,
Hier au matin, malgré le froid,
Deux jonquilles, trois anémones
Ont soulevé leurs pétales roses ou jaunes
Vers toi,
Et la mésange à tête blanche,
Fragile et preste, a sautillé
Sur la branche de cornouiller
Qui vers ton large lit de feuillages mouillés
Se penche.
Et tu dors, et tu dors toujours,
Au coin du bois profond et sourd,
Bien que s'en viennent les abeilles
Bourdonner jusqu'au soir à tes closes oreilles
Et que l'on voie en tourbillons
Rôder sur ta barbe rigide
Un couple clair et rapide
De papillons.
Pourtant, voici qu'à travers ton somme
Tu as surpris, dès l'aube, s'en aller
Le cortège bariolé
Des cent cloches qui vont à Rome ;
Et, leurs clochers restant
Muets et hésitants
Durant ces trois longs jours et d'angoisse et d'absence,
Tu t'éveilles en écoutant
Régner de l'un à l'autre bout des champs
Le silence.

Et secouant alors
De ton pesant manteau que les ronces festonnent
Les glaçons de l'hiver et les brumes d'automne,
Frère Jacques, tu sonnes
D'un bras si rude et fort
Que tout se hâte aux prés et s'enfièvre aux collines
A l'appel clair de tes matines.

Et du bout d'un verger le coucou te répond ;
Et l'insecte reluit de broussaille en broussaille ;
Et les sèves sous terre immensément tressaillent ;
Et les frondaisons d'or se propagent et font
Que leur ombre s'incline aux vieux murs des chaumières ;
Et le travail surgit innombrable et puissant ;
Et le vent semble fait de mouvante lumière
Pour frôler le bouton d'une rose trémière
Et le front hérissé d'un pâle épi naissant.
Frère Jacques, frère Jacques
Combien la vie entière à confiance en toi ;
Et comme l'oiseau chante au faîte de mon toit ;
Frère Jacques, frère Jacques,
Rude et vaillant carillonneur de Pâques.

(in Les blés mouvants)
 

Les compagnons troubadours de Celsmoon peuvent être lus ici .