samedi 16 juillet 2016

Sous le soleil...un peu de fraîcheur suédoise

Ce n'est pas "La Croisière s'amuse" quoiqu'il y ait un peu de similitude. Les passagers n'embarquent pas pour des latitudes ensoleillées, ils amorcent un voyage initiatique vers l'Antarctique.
Chacun a un but pour ce périple : oublier les souffrances d'une vie, regarder la vie telle qu'elle est tant qu'on peut s'en souvenir, photographier une faune unique, admirer les oiseaux marins notamment les majestueux albatros, se dire qu'on est au bout du monde, fouler le sol du Pôle sud, paradoxe suédois ? Peut-être qu'un Pôle attire vers un autre Pôle.

La Croisière s'amuse au vitriol : quand un mari aimerait se débarrasser d'une épouse trop volage, tous les moyens sont bons sauf que le grain de sable est toujours présent sous la plume humoristique de l'auteure Katarina Mazetti.

La Croisière s'amuse avec ironie : Alba, une grande voyageuse, au crépuscule de sa vie, observe les membres du groupe, microcosme sociétal, avec une sagacité de scientifique. Les similitudes entre les humains et les animaux sont réelles et souvent burlesques : l'Homme n'est qu'un animal parmi tant d'autres, ni plus ni moins.
Alba consigne ses observations dans un carnet éphémère, pour le plaisir de constater que ses analyses sont pertinentes. On se régale à la lire, on en rit, on en a les larmes aux yeux parfois car la vérité non seulement peut déranger mais surtout touche et provoque l'émotion.

La Croisière s'amuse avec joie : celle de Wilma, la petite professeure obscure, celle qui rit à la vie, celle qui est le bout-en-train du groupe, celle qui offre un visage heureux, tellement heureux qu'il y a, obligatoirement, un bémol. Le rire est le pied-de-nez à une vie qui ne fait pas de cadeau, le rire est l'ultime arme pour faire reculer la douleur et l'obscurité qui guette tout un chacun. Le rire, thérapie inhérente à l'être humain : le rire sauve-t-il de tout ? S'il n'y réussit pas, du moins contribue-t-il à repousser les limites de l'horreur quand on la subit.

« Ma vie de pingouin » est un roman à plusieurs voix, chacune d'elle apporte sa musicalité, son histoire, sa perception du monde. L'auteure reste dans la veine qui fit son succès, celle de « Le mec de la tombe d'à côté », ce qui est jubilatoire pour le lecteur.
Le roman semble léger, or derrière le cocasse ou le burlesque, se dévoile, entre les mots, une profondeur bienvenue. Entre la vacuité d'une vie et le message écologique, un éventail conséquent de la nature humaine est présenté, en toute simplicité.

« Ma vie de pingouin » un roman qui aère l'esprit tout en le nourrissant, le "tout en un" à lire à l'ombre d'une tonnelle, au jardin accompagné d'un thé glacé, ou d'un parasol sur une plage surpeuplée. Dépaysement garanti dans la joie et la bonne humeur.






vendredi 15 juillet 2016

C'est l'été, vite un rafraîchissement norvégien!

Norvège, archipel du Svalbard au Cercle Polaire. Longyearbyen, la capitale, vit au rythme de la nuit polaire et de sa mine de charbon.
Tout le monde se connaît, tout le monde se croise et se côtoie. Qu'on y vienne pour quelques mois, quelques années ou tout une vie, ce bout de terre, au goût de confin du monde civilisé, laisse son empreinte.
La ville porte encore les blessures du dernier accident mortel de la mine. Un mineur, Per Leikvik en a réchappé en abandonnant au fond une partie de lui-même. De mineur expérimenté, il est devenu l'idiot du village, solitaire, décalé et inquiétant.

Tout est de glace et encore de glace dans cette nuit polaire qui n'en finit pas. Tout est étrange, angoissant et pesant : la nuit de la mine, ses boyaux anciens où erre le « sixième homme », ombre parmi les ombres, au plus profond de la terre; la nuit polaire en surface. Au milieu, des hommes et des femmes avec leurs émotions, leurs histoires, leurs peurs, leurs soucis. Des enfants qui jouent à cache-cache, qui jouent au métier de leur père. Des dames oeuvrant dans les associations, tricotant, cousant, cuisinant et épiant tout et rien. Les balades en motos-neige, brisant le silence polaire, les ours blancs, les rennes convoités par des gens sans scrupules. Tout semble lisse, sans histoire sauf qu'il n'en est rien.

La banquise est un personnage important au même titre que la mine : autour de ces pôles s'articulent la vie, les vies plus ou moins débridées des protagonistes. 
Le noir de la mine rempli de suie, de poussière, d'excavations, d'aspérités luisantes, de veines minérales, est un océan profond au-dessus duquel craquent les glaciers ; le bleu sombre de la nuit polaire irisant la glace, bien qu'à l'air libre, oppresse tout autant : le froid, l'immensité solitaire et uniforme étouffent un lecteur pris dans une tourmente glaçante tant elle est insidieuse et discrète.

Le roman imbrique plusieurs histoires, histoires impliquant divers personnages que la narration reliera entre eux au fil des chapitres.
La vie sur cette île est difficile pour celui ou celle qui n'y est pas né. Le manque de luminosité affecte le corps, les sens, l'âme : on en sort fortifié ou on plonge dans la dépression ou la folie.

Ella, la fille du nouvel ingénieur disparaît sans laisser de trace. On imagine le pire d'autant qu'il y a la présence de « l'homme aux bonbons ». Elle sera le fil conducteur d'une narration construite comme une chorale : des solos, des choeurs, des réponds, des reprises, des duos, le tout avec harmonie et dissonances bienvenues.
Autour d'Ella, le lecteur croisera les parents et leur histoire, une femme trompée par son mari, une épouse volage, des contrebandiers, un chercheur spécialisé dans la sauvegarde des hardes de rennes sauvages, une fête de la lumière, des policiers, des commères. 
Aucun personnage n'est privilégié car chacun apporte sa pierre à l'édifice qui se construit sous les yeux du lecteur, pas d'indice caché à la vue de tous. 
Alors, pourquoi ce roman est-il prenant ? Parce que le suspense est instauré avec habilité et originalité: l'auteure laisse son lecteur maître de ses suppositions, de ses déductions, de son enquête. A lui de relier les événements relatés au présent ou au passé, plus ou moins proche, à lui de se laisser guider par son expérience de lecteur. D'emblée, il sait que le « sixième homme » sera à l'aune du mythe minier, l'ombre parmi les ombres d'où jaillira une partie de la lumière.
Chaque personnage apporte un élément du décor, participe à l'atmosphère particulière de la vie au Cercle polaire.

Monica Kristensen a réussi un excellent roman policier sans action trépidante, sans effets de manche alambiqués, elle a narré un quotidien perturbé par un concours de circonstances qui engendre un enchaînement d'actes et de situations qui tiennent en haleine. La chute est très surprenante, d'une efficacité redoutable.

« Le sixième homme » est un roman dans lequel on entre intrigué et dont on ressort avec des sensations multiples produites par l'ambiance polaire décrite avec brio par l'auteur. Le lecteur étranger à ces paysages se sent un peu chez lui sur l'île de Svalbard.