jeudi 31 juillet 2008

Bientôt les JO


La semaine prochaine les JO de Pékin s'ouvriront dans le faste et l'oubli des déchirures de cet immense pays qui n'a absolument pas besoin des contrats européens pour se développer...encore moins du tourisme occidental.

Nicolas Sarkozy, bien entendu, se rendra à la cérémonie d'ouverture....dommage, mille et une fois dommage!


Cliquez ICI

La semaine prochaine, Chatperlipopette diffusera trois clips réalisés par le Théâtre du Soleil (dirigé par Ariane Mnouchkine), un peu comme un compte-à-rebours.
"Le 8 août 2008, Nicolas Sarkozy représentera la France et l'Europe à la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Pékin.Avant ce jour, nous vous demandons de regarder les trois mini films que nous avons réalisés avec l'aide de dissidents chinois, de réfugiés tibétains, de nos amis cinéastes de Mémoire Magnétique et de nombreux bénévoles d'ici et d'ailleurs.Se sont joints à nous Reporters Sans Frontières."

S'il vous plaisent, n'hésitez pas à les diffuser....les grains de sable peuvent enrayer les pires machines.
NB du 1er août:
Rennette faisait avec justesse la remarque suivante: Pékin a décidé de censurer l'internet pendant la durée des jeux! Cette décision, très démocratique, est passée comme une simple dépêche sans grands commentaires de la part des principaux médias. Est-ce donc si anodin que cela et peu inquiétant?
Y a-t-il encore des journalistes pour se lever, mettre le doigt sur l'inadmissible et le nommer? Ce silence est une véritable honte!
Dormez tranquilles, bonnes gens, car.....Tout va très bien Madame la Marquise.

Que la nature est belle


L'été approche, une effervescence fait bruisser la forêt et la montagne en une douce explosion d'arômes, de camaïeux verts, d'éclosions plantureuses. L'été qui approche à grands pas ne sera pas comme les autres pour les trois personnages principaux de ce roman verdoyant, rempli des beautés de la nature encore laissée tranquille par les hommes.
Deanna Wolfe est garde pêche et garde forestier et vit en solitaire dans la montagne depuis près de deux ans. Elle a une passion: les prédateurs et notamment celui qui a été inlassablement chassé par l'homme et qui inlassablement s'adapte et revient plus superbe que jamais...le coyote! Cette partie du Kentucky semble être devenu le territoire d'une meute discrète, augurant d'une belle harmonie pour la faune et la flore de son coin de paradis. Deanna garde cette découverte pour elle afin de ne pas attirer les foudres peureuses et inadaptées des fermiers du coin.
Las, son fragile équilibre va être mis à mal avec l'apparition d'un jeune homme, Eddie Bondo, fils d'éléveur de moutons et ennemi inconditionnel du coyote! Partagée entre sa folle attirance envers cet homme et sa passion protectrice pour le coyote, Deanna ne se reconnaît plus. Chaque minute passée avec l'homme qui deviendra son amant, est une tentative pour lui faire comprendre combien la haine du coyote est sans fondement et dangereuse pour l'équilibre environnementale.
"La vie d'un carnivore, c'est la plus précieuse de la pyramide, ça, c'est une chose. Dans le cas d'un coyote, ou d'un grand félin, la mère passe une année entière à élever ses petits. Pas simplement quelques semaines. Elle doit leur apprendre à pister et à chasser, ainsi que tout ce qui se rapporte à cette activité. Elle aura même de la chance si un seul de ses jeunes passe au travers. S'il se fait pincer, toute l'année de boulot de la mère n'aura servi à rien.(...) Si tu lui tires dessus, Eddie, voilà ce que tu mets par terre. Une grande part des chances de sa mère de pouvoir se perpétuer au cours de sa vie. Et tu lâches à travers le monde le millier de rongeurs supplémentaires qu'il aurait pu manger. ça ne se résume pas simplement à une seule vie." (p 363 et 364)
"Tu vises, dit-elle. C'est comme ça que tu dis? Vous n'êtes plus que tous les deux, seuls au monde?
-Oui, j'imagine." Il haussa les épaules.
"Mais c'est faux. Ce tête-à-tête n'existe pas. Cette bête s'apprêtait à faire quelque chose d'important à ce moment-là - à manger un tas de choses, ou à se faire manger. Cette foule de choses liées les unes aux autres au milieu desquelles tu vas créer un vide. Elles ne peuvent pas toutes être tes ennemies, car tu es toi-même l'une d'elles."
(p 364)
"Partout on organise des chasses. ce n'est un secret pour personne puisqu'on en fait la publicité dans les catalogues d'armes à feu. Il y en a une en ce moment même, en Arizona, la Chasse de tous les dangers, avec un prix de dix mille dollars à la clef pour celui qui tuera le plus. (...) C'est un massacre de prédateurs, point final. On se contente d'empiler les cadavres. Des lynx, des coyotes, des couguars, des renards - tout ce qui répond à leur définition du prédateur.
- Pas les renards.
- Si, justement, les renards. Certains de tes collègues sont même terrifiés par le petit renard gris. Un animal qui ne vit que de souris et de sauterelles.
- ça n'a rien à voir avec la peur, dit-il.
- Tu imagines les ravages que vont faire ces types en Arizona, en l'espace d'un seul week-end, et toutes ces souris et ces sauterelles qui vont pulluler à cause d'eux? Si toutes ces années de travail maternel pour rien ne te donnent pas mauvaise conscience, pense au moins à ces saletés de rats."
(p 365) Lors des pérégrinations de Deanna et Eddie au coeur du domaine fédéral, on découvre des paysages grandioses, l'utilité de la moindre petite bestiole dans le grand cycle de dame Nature. On a l'impression de se retrouver dans un Paradis perdu pour ceux qui ne savent pas ouvrir leurs yeux, leurs bras, leurs mains, leur nez mais aussi leur coeur: l'Amérique mâle, le fusil en bandoulière en prend pour son grade de même que les lâchetés du pouvoir fédéral (on offre des primes d'abattage de prédateur, c'est à dire ours et surtout coyote tout en créant des réserves naturelles pour se donner bonne conscience.).
Lusa a épousé Cole, un fermier, et a quitté son labo de recherche pour le suivre au milieu de nulle part. C'est qu'elle avait rêvé de devenir fermière, au coeur de la nature, entourée d'arbres et de papillons, et pourtant elle ce demande en ce jour de mai, où les senteurs de chèvrefeuille embaument l'air, comment elle a pu en arriver là: elle lit en cachette, elle est rejetée par ses belles-soeurs et surtout doit partager l'espace de la maison familiale avec le fantôme de sa belle-mère! Lusa ne supporte plus ses querelles conjugales et pense sérieusement à quitter Cole. Le destin en décidera autrement: Cole meurt brutalement dans un accident de voiture, la laissant seule, désemparée de chagrin et de solitude, avec une ferme endettée et un avenir plus que sombre. Les relations familiales évoluent: doutes, silences pesants, regards fuyants jusqu'au jour où Lusa apprend d'un part qu'une de ses belles-soeurs, Lois, se meurt du cancer et qu'elle décide de se charger des deux enfants et d'autre part que la famille craint de voir la maison familiale, pleine de souvenirs et de doux fantômes, ne plus jamais leur appartenir (si Lusa se remarie un jour). Les arômes de confiture de cerises, de conserves de tomates, de courgettes et autres légumes foisonnant de son jardin, adoucissent les chagrins des uns et des autres. Cependant, comment faire pour survivre sans se lancer dans la culture cynique du tabac? Lusa, arabe par sa mère et juive par son père, se souvient de l'importance des fêtes religieuses et regardant le calendrier s'aperçoit que les fêtes musulmane et juive se dérouleront en même temps! Une idée, saugrenue et folle, germe dans son esprit: un de ses cousins vend de la viande de chèvre à New-York et est partant pour s'associer avec elle. Lusa parcourt le comté pour récupérer les chèvres dont les fermiers veulent se débarasser: le troupeau grandit, le bouc fait son office et les bêtes défrichent et entretiennent les champs! Lusa réussira-t-elle son pari? Dès le départ, le lecteur sent que la réponse ne peut être que positive sans que cette perpective soit gênante pour le déroulement du récit. Certes, on peut arguer le fait qu'un happy end semble un peu trop naïf et facile mais l'argument littéraire n'est pas, à mon sens, à ce niveau. Le coeur de la narration est la nature, ses beautés et ses interactions essentielles pour l'équilibre de tous. L'histoire de Lisa est celle d'une femme qui souhaite vivre de sa terre sans préjudice à la nature qui l'entoure: les papillons sont utiles, les herbes folles aussi tout comme les insectes butineurs et les animaux à poils ou a plumes et l'activité humaine doit s'harmoniser avec cela plutôt que de les combattre aveuglement.
Garnett, un vieux monsieur solitaire et veuf, et Nannie Rawley passent leur temps à se chamailler: ils sont voisins depuis toujours mais ont des vues différentes sur l'usage des pasticides et autres joujous chimiques. Le premier, issu d'une famille autrefois argentée, ne jure que par le Roundop et autres poudres de perlimpinpin nocives au point d'avoir remplacé sa belle toiture de tuiles anciennes pour une couverture d'amiante (ah les belles années 70!!!), la seconde est une écologiste convaincue qui s'est lancée dans la production bio. Le duel est caricatural à souhait (mais il faut bien cela pour marquer les esprits): le potager de Garnett n'est qu'un fiasco tandis que celui de Nannie regorge de légumes splendides, luisants et charnus à souhait....comme ceux que vendent les Amishs au marché (mais Garnett accepte leur vision du monde puisque c'est une vision religieuse!). "Aujourd'hui Garnett se proposait de se rendre directement là-haut et de frapper à sa porte grillagée, mais, en remontant l'allée, il avait remarqué que ses échelles et son matériel de cueillette étaient dispersés en vrac dans la partie ouest du verger. Il traversa juste en contrebas de son grand jardin potager, qui paraissait bien entretenu aussi, il fallait l'admettre. Comme par magie, elle obtenait brocolis et aubergines sans employer de pesticides. Garnett avait lui-même renoncer à planter du brocoli - réduit à du fourrage pour chenilles arpenteuses -, quant à ses aubergines, elles grouillaient tellement de puces terrestres qu'on les aurait dit grêlées d'une volée de chevrotines. Il inspecta son maïs, dont le plumet venait bien, avec deux semaines d'avance sur le sien. Avait-elle tout de même des vers dans son maïs? Il s'interdit de l'espérer." (p 310)
"Très bien. Quand vous répandez dans votre champ un insecticide à large spectre comme le Sévin, vous tuez du même coup les insectes nuisibles et les insectes prédateurs, vlan! Si l'équilibre règne au départ entre les prédateurs et les proies, et qu'ils soient détruits en nombre égal, alors les nuisibles qui survivent se multiplieront après le traitement, et rapidement, parce que la plupart de leurs ennemis auront tout bêtement disparu. Et les prédateurs, eux, diminueront parce qu'ils auront perdu la plus grande partie de leurs ressources alimentaires. Si bien qu'entre deux traitements vous finissez par multiplier le nombre des indésirables et vous décimez ceux qui vous sont utiles. Et à chaque nouveau traitement, ça empire." (p 315)
En effet, Garnett est le prototype même de l'Américain rural moyen: Dieu et la Bible sont à la base de tout mode de vie. B.Kingsolver, en filigrane, égratine doucement mais sérieusement, la pensée créationiste qui ne développe qu'une seule chose: l'obscurantisme et l'intolérance. La bataille de Garnett est de faire renaître le chataîgner d'Amérique laminé par une maladie: lorsque les arbres ont commencé à être atteints et que le mal s'est avéré ne pas pouvoir être endiguer, les Garnett du comté se sont précipiter pour les abattre sans réfléchir au fait, scientifique, qu'il y a toujours des survivants aux épidémies! Le pauvre Garnett essaie sans relâche les croisements qu'il replante et entoure de tous ses soins chimiques...jusqu'au jour où il apprend que des spécimens ont survécu sur les terres de Nannie! Bien entendu, ce couple de voisins qui se détestent tellement qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'ils s'apprécient au fond d'eux-mêmes, sans se l'avouer. D'ailleurs, au fil des disputes, Garnett se rend bien compte que sa défunte épouse a du développer son cancer en respirant la poussière des pesticides, il se rappelle des précisions écrites en tout petits caractères qu'il n'a jamais osé lire pour ne pas avoir à regretter l'utilisation de ses sacs de mort lente!
Les personnages principaux, au cours du récit, que l'on pourrait croire indépendants des uns des autres, vont subtilement se rapprocher: les menus faits de leur vie se croisent et convergent les uns vers les autres: de surprise en surprise, les liens se tissent et se nouent en une très belle histoire où l'espoir en la vie est plus fort que tout!
"Un été prodigue", lecture du Blogoclub, est un roman foisonnant, emmenant le lecteur par monts et par vaux au cours de longues et belles descriptions de la région des Appalaches. B.Kingsolver embarque son lecteur dans son histoire, au rythme des courses de Deanna dans le domaine fédéral, des rêveries et des papillons de Lusa, des chamailleries de Garnett et Nannie, et le fait se passionner, à son grand étonnement, pour le sort des coyotes, des papillons de nuit, de la dure loi de la chaîne alimentaire et des alternatives agricoles! L'auteure sait jouer à merveille de la suggestion d'images provoquées par ses mots, ses phrases et leur rythme. "Un été prodigue" est un cri d'amour pour l'harmonie entre la Nature et l'Homme, pour la tolérance et le respect des espèces (dont fait partie l'Homme) mais aussi un beau roman écologique.

Roman traduit de l'anglais (USA) par Guillemette Belleteste



Les avis des lecteurs du Blogoclub ICI

mercredi 30 juillet 2008

La lessive d'antan


En ce moment, dur, dur de rédiger un billet de lecture (et pourtant j'en ai des chroniques en retard!)...entre, justement, les lectures et le farniente le temps passe vraiment très, très vite.

En attendant mon prochain commentaire, une photo prise au fil de l'eau à Pontrieux, petite cité de caractère aux nombreux lavoirs. Ces derniers ont été rénovés et animés avec des objets (relatifs au monde du linge) d'antan. Une bien jolie balade effectuée sous le soleil de Juillet.

lundi 28 juillet 2008

Mots de celui qui part


Un adolescent, presqu'un jeune homme, Frédéric se meurt d'un cancer des os à l'hôpital, entouré d'autres adolescents cancéreux. Dès les premiers mots, la révolte prend à la gorge devant cette jeune vie écourtée, cette vie grignotée par la maladie qui amenuise à chaque opération la hanche de Frédéric.
Frédéric bien sûr est révolté par l'injustice de la loterie de la vie: il la hurle dans les mots qu'il couche sur son cahier lorsque la souffrance est trop grande de se voir partir, comme ça alors que la vie n'est qu'à son aube. Il devient le poète "Métastase" pour résister à la morbidité, pour se faire des anti-corps à coups de poèmes, à coups de mots et d'images à mettre sur l'indicible et inommable, à coups d'humour noir et corrosif.
Les roses sont garnies d'épines, épines que le lecteur reçoit à chaque page lue, le coeur étreint, le coeur serré à la lecture des espoirs qui n'en sont pas, des rêves, du réalisme lumineux d'un Frédéric extraordinaire. Refusant la loghorrée des bons sentiments des uns et des autres, Frédéric apporte réconfort courage et espoir à ceux qui resteront après lui, ses parents comme ses frère et soeur. Une complicité émouvante entre sa grand-mère et lui est peinte en filigrane, entre les poèmes de Métastase et les conversations lors des visites du week-end: le regard d'une aieule qui voit les rôles inversés, le regard d'une grand-mère qui a compris, sans doute parce que sa vie est derrière elle aussi, que la compassion ne doit pas se transformer en gémissements ni en complaisance. Frédéric n'a pas besoin de mettre à nue son âme: sa grand-mère est prête à l'accompagner jusqu'au bout, à lui tenir la main en recherchant pour lui les poèmes de Pietro Metastase dans toutes les librairies du Québec.
A regarder venir vers soi la mort, à petits pas comptés mais sûrs d'eux, forcément, la philosophie et la religion deviennent des questions importantes, même lorsque l'on n'a que dix-sept ans. La religion ne semble être qu'une illusion permettant d'adoucir la vision de la tragique condition d'être humain, tout comme l'aspiration au bonheur, miroir aux alouettes qui s'efface dans le regard de Marilou qu'il ne pourra jamais serrer contre lui mais qui lui offre une image poétique à couper le souffle "L'essence de la vie, c'est la vanille" et devant laquelle son "Je rêvais d'être la Grande Pyramide/ invincible et éternel,/ mais je suis un jardin de porcelaine/ sous une pluie de météorites." s'incline.
Comme on peut être cruel au seuil de la mort, comme on jette aux orties les lambeaux du masque de bienséance: la lucidité, douleur intense, repousse la mièvrerie qui rôde à chaque visite et expose une réalité proche, la disparition injuste d'un jeune être, son accompagnement par ses parents désemparés d'impuissance et de mutisme (on ne peut rien dire face à l'inéluctable qui ne soit que futile parole déplacée).
Sylvain Trudel avec "Du mercure sous la langue" est loin de nous offrir une lecture divertissante mais sait ouvrir les yeux de son lecteur sur sa conscience et la manière de la sonder: sa plume est un scalpel implacable, d'une extrordinaire poésie, qui pousse le lecteur dans ses derniers retranchements tout au long du monologue de Frédéric. Cependant "Du mercure sous la langue" n'est pas un roman dont on sort anéanti, loin de là, c'est un roman qui est un hymne à la vie, à l'envie de vivre, un message apaisant pour ceux qui restent et qui doivent continuer leur route. Frédéric est rempli de tendresse pour son entourage, il l'aime et souhaite le protéger de toute douleur et de toute souffrance. La mort est souvent une grande leçon de vie.
Une lecture poignante, "coup de poing", pendant laquelle il faut lutter pour ne pas être submergé par l'émotion dégagée par la qualité extraordinaire de l'écriture.
Mille et un mercis à Malice qui a eu la gentillesse de me prêter ce très très très beau roman.

Les avis de Malice Yvon biblioblog

dimanche 27 juillet 2008

C'est dimanche


Mercredi, en cherchant un joli pichet à eau chez un potier (que je n'ai trouvé qu'à Paimpol), balade ensoleillée à Pontrieux où de jolies enseignes s'affichent.

vendredi 25 juillet 2008

Le pouvoir de l'ombre


Osvaldo Campos est psychanalyste à Lisbonne et se prépare à rejoindre son épouse dans la soirée pour fêter l'avènement du deuxième millénaire. C'est sûr, ce soir il ne fera pas faux bond et ne téléphonera pas, piteux, pour dire qu'il a été retardé et qu'il est sur la route (alors qu'il n'a toujours pas quitté son cabinet). C'est certain, ce soir, Maria Cristina ne pourra pas lui reprocher son retard ni ses manquements de promesse: il sera à l'heure et ce sera elle qui le fera attendre! Seulement, le destin en décidera autrement: en ce soir de millénaire en partance, il perdra sa femme, puis en rencontrera une autre, sa "patiente magnifique", Maria London, fille du grand et richissime architecte London Loureiro, sera sur le point de lui révéler un secret qui l'entraînera dans une aventure aux conséquences les plus folles.
Osvaldo est seul, chassé du domicile conjugal, emménage dans son cabinet et semble s'emberlificoter dans les histoires de ses patients jusqu'à rompre avec toute déontologie respectable: aller dans la sphère privée de ces derniers. C'est ainsi qu'il se retrouve à emprunter le bus avec un patient, à converser avec une inconnue noctambule de l'immeuble, à aller endormir un bébé qui a fait des nuits de ses parents un enfer et à rechercher, sur les quais de Lisbonne, les paquebots vus en rêve par Maria London.
Avec une habilité grandiose, Lidia Jorge orchestre une narration complexe d'une richesse romanesque incroyable. Les menus faits, insignifiants en apparence, comme les étapes essentielles, sont imbriqués dans les fils finement torsadés de l'angoisse existentielle des patients en pleine désespérance, dans l'écheveau inextricable des souffrances psychiques et de l'obsession de l'être humain, regard désabusé sur l'irrél de l'existence. Osvaldo tombe dans les rets d'une enquête digne d'un thriller américain: entre la filière des travailleurs clandestins, des passeurs de drogue que l'on délivre dans une clinique clinquante, l'existence floue de paquebots sur lesquels des ventes aux enchères aux senteurs de poudre blanche ont lieu, et les malversations de grands personnages publics, le lecteur vit un "Miami vice" lisboète des plus étonnant et des plus angoissant. Osvaldo, le "simple déchiffreur d'histoires" se mue en déchiffreur d'une histoire des plus sordides où la lâcheté, la soif inextinguible du gain provoquent la chute des âmes pures.
Lidia Jorge place le lecteur dans un poste d'observation privilégié: celui-ci assiste non seulement au combat inégal qui dépasse Osvaldo Campos mais aussi à sa vie intérieure dont il partage l'angoisse et la tension psychologique éreintante. Elle montre de manière magistrale que ce qui dépasse la fiction c'est bien le réel et que rien n'est plus réel que le monde onirique, deux faces de cette réalité où règne un immense mensonge à l'ironie mordante: le combat de l'ombre est un chemin de croix au bout duquel la mort peut surgir. Les ombres sont insaisissables, comme les souvenirs brûlants de la junte militaire d'avant la révolution des oeillets, comme ceux de la guerre en Angola, traumatismes vivaces. Ces ombres, souvent au coeur du pouvoir, soulignent à quel point la tentation totalitaire de nos sociétés modernes est loin d'être une image ou une illusion: le citoyen ordinaire doit alors vivre avec cette déviance incontrôlable malgré le droit de vote.
Lidia Jorge expose les méandres des angoisses intimes des uns et des autres avec une justesse et une atmosphère digne d'un grand thriller. A petites touches subtiles, elle construit une intrigue qui, dotée d'étranges tentacules, enlace et étreint le lecteur tout en construisant une relation forte entre ce dernier et les personnages.

J'ai mis du temps à intégrer le rythme narratif, je me suis demandé maintes fois où commençait la fiction et où s'arrêtait le réel mais très vite, je me suis retrouvée embarquée dans cette aventure hallucinante et pourtant terriblement ordinaire: le combat du pot de terre contre le pot de fer. J'ai tremblé lors des séances avec "la visiteuse du soir" qui attend, supplice toujours remis à la prochaine fois (le professeur Campos va-t-il oui ou non poser la question tant attendue par cette femme-enfant!), qu'Osvaldo lui demande enfin pourquoi elle lui raconte ses rêves si réels? En effet, le lecteur subodore très vite que dès qu'Osvaldo sentira qu'il existe une vraie réalité sordide derrière les rêves de paquebot de la "patiente magnifique", ce dernier franchira le Rubicon et s'engagera sur un chemin tortueux et dangereux.
"Nous combattrons l'ombre" est un magnifique roman noir à découvrir tant pour la qualité et la richesse de son écriture que pour son impeccable et impériale orchestration! Une très belle découverte d'une auteure portugaise que je ne connaissais absolument pas! Elle a écrit, entre autres "La couverture du soldat", "Le jardin sans limite" et "Le vent qui siffle dans les grues"....rien que ces titres donnent envie de s'y plonger!

Roman traduit du portugais par Geneviève Leibrich

Des interviews de l'auteure ICI et LA puis un entretien video ICI

jeudi 24 juillet 2008

Comment faire aimer les légumes à vos enfants?

Mélanie est une petite fille aux multiples qualités: elle est aimable, gentille, serviable, travaille bien à l'école, apprend sans rechigner ses leçons, fait ses devoirs sans râler. Bref, en un mot comme en mille, Mélanie est une petite fille formidable! D'ailleurs, n'a-t-elle pas décidé, pour ses 9 ans, d'inviter toute sa classe à la maison?! Certes, nous ne sommes qu'au début de l'année et il se passera bien des semaines avant que le grand jour n'arrive, il coulera beaucoup d'eau sous les ponts au gré des chamailleries d'enfants, des disputes de récréation!
Mélanie a malgré tout un petit défaut: elle adore recevoir des cadeaux! Dès qu'il y a du papier et un ruban noué, les objets ainsi cachés l'intriguent et aiguisent sa curiosité ainsi que sa faim inextinguible de surprise. "Elle est toujours ravie lorsqu'on lui offre un cornet surprise. Peu importe qu'elle soit toujours déçue par le contenu. Peu importe le cadeau. Ce qui compte, c'est l'attente, la pile de boîtes voilées, le moment de les ouvrir, le saut vers l'inconnu! Une fois, on lui a offert des boîtes gigognes, une douzaine de boîtes les unes dans les autres jusqu'à la minuscule dernière boîte vide. Quel cadeau astucieux!" (p 13)
Comme beaucoup d'enfants qui ne manquent de rien, Mélanie serait bien embarassée de dire ce qui lui ferait vraiment plaisir: elle n'a besoin de rien en particulier. Elle compte les mois, les semaines, les jours, les heures et mêmes les minutes qui la séparent du jour de son anniversaire: c'est que pour elle ce jour est très important et que cette année, elle veut inviter tous ses camarades de classe, sans leur dire (sauf aux meilleures copines) que c'est son anniversaire (quelle abnégation!!!)! Ses parents refusent la présence des petits frères ou petites soeurs ou autre membre de la famille.... Mélanie angoisse un peu à mesure que le grand jour arrive: et si la fête ne se déroulait pas bien? Et si personne ne venait? et si, et si et si... En attendant, avec l'aide de sa grande soeur, Mélanie prépare une liste de jeux pour égayer la journée, elle pense à sa tenue, ni trop sophistiquée, ni trop simple, et apprend, au fil des jours, quelques désistements (ah! les rendez-vous chez le médecin ou le dentiste, les entraînements de foot...).
Le fameux jour, tant attendu, arrive: les premiers invités arrivent (Olivia et son petit frère Olivier, pourtant on avait dit sans les petits!) avec sous le bras, non pas un joli cadeau enrubanné mais deux splendides poireaux du jardin de leur pépé! Les suivants apportent (eh non toujours pas de cadeaux!) qui des carottes, qui des navets, qui de belles pommes-de-terre, qui des oignons, qui un bouquet garni, qui le céléri. La pauvre Mélanie se doute bien qu'il y a eu complot mais comme elle est une petite fille "bien sous tout rapport" (on ne refuse jamais un cadeau) elle ne pleure pas malgré son envie immense de verser des larmes. A mesure qu'elle pose les légumes sur la table de la cuisine, Mélanie les regarde d'un autre oeil: ces légumes ont des couleurs, des odeurs, des touchers plus agréables et beaux les uns que les autres, ils en deviennent beaux!
"En les prenant, elle ne peut s'empêcher d'observer comment c'est fait, un poireau. Elle enlève les rubans et la cellophane et elle se met à étudier cette plante toute en longueur. Ses yeux s'attardent sur la base du poireau avec sa queue velue composée de fils blancs et roses entrelacés pareils à des spaghettis à peine cuits, à la fois souples et rigides comme s'ils s'étaient battus avant de se séparer de la terre. Elle s'amuse à les peigner avec les doigts écartés(...) Ses doigts quittent cette barbiche pour tâter le corps du poireau. Ce n'est pas tout à fait blanc mais plutôt blanc teinté de jaune et de vert avant de devenir subitement vert clair puis d'un vert indiscutable au sommet. Elle trouve que le feuillage ressemble à une tresse en train de se défaire. Elle aime le sentir dans sa main fermée parce que c'est lisse et modestement luisant, à la fois ferme et souple. C'est comme si le poireau vivait." (p 22 et 24)
Le dernier invité apporte, lui, un énorme paquet: Mélanie est ravie et s'empresse de le déballer. La boîte contient une très grande casserole transparente et à l'intérieur se trouve une recette. Une recette? Mais de quoi? Quoi, vous n'avez pas deviné? Que peut-on faire, après avoir trouvé de la bonne viande dans le réfrigérateur, avec des poireaux, oignons, céléri, persil, carottes, navets et pommes-de-terre? Un indice: ça cuit doucement longtemps, longtemps.
Susie Morgenstern, avec sa verve et son humour habituels, nous décline une bien jolie recette d'un plat que l'on aime concocter pour et avec des amis. Toute la chaleur du don s'égrenne au fil des cadeaux fleurant bon le jardin, toute la futilité des cadeaux s'évanouit devant l'aspect plus qu'appétissant des légumes frais cueillis. La plume de Susie Morgenstern virevolte sous les fragances potagères multiples de ce qui mijotera dans le pot-au-feu de Mélanie et ses amis: le lecteur entend le babillage des enfants en train d'éplucher les légumes, le doux bouillotement de l'eau où mijotent les ingrédients. Fermez les yeux, ouvrez vos oreilles et sentez ce pot-au-feu extraordinaire qui fait aimer les légumes à Mélanie!
Albert Giordan a illustré ce roman amusant de photos des légumes cités et de la splendide casserole...un seul regret: qu'elles ne soient pas en couleurs et qu'elles ne libèrent aucun parfum.


La rubrique "la bibli des p'tits chats" ne reviendra qu'en Septembre....à très bientôt les petits et les grands chats!

mercredi 23 juillet 2008

Lire et Voyager

J'ai participé au swap Lire et Voyager qui m'a poussée dans mes derniers retranchements: en effet, il fallait créer de ses petits doigts de fée, doigts de fée que je ne possède pas au plus haut point. Mais, n'ayant peur de rien, surtout pas du ridicule, je me suis lancée dans l'aventure de la création. Et figurez-vous que je m'en suis sortie....du moins, je le pense, j'en saurai plus lorsque mon colis sera ouvert par ma swappée.

J'ai donc bricolé un marque-page, décoré un carnet de voyage sous les conseils et l'aide efficace de mon cher et tendre, et orné une jolie boîte.

Côté lecture, je pense m'en être sortie honorablement et j'espère que ma swappée passera d'excellents moments de détente en compagnie des deux romans que je lui ai envoyés.

Comme toujours, les swaps sont toujours un moment amusant et stressant lors des recherches et de la mise en oeuvre du colis....mais c'est un plaisir sans cesse renouvelé pour moi!

Un aperçu des paquets et du colis:


J'attends maintenant mon colis avec impatience et curiosité

lundi 21 juillet 2008

Pique et couds!


Madelaine Delisle, soixante-dix-huit ans, en se penchant un peu trop à son balcon pour regarder les tenues portées par les passantes, tombe de sa terrasse. Le temps de sa chute, elle déroule le film de sa vie.

A quatorze ans, son père l'abandonne, suite au décès de son épouse, avec sa soeur, dans un couvent. Elle y apprendra à taire ses émotions, à se battre pour tenir psychologiquement, à nouer une belle amitié et surtout à coudre. Elle deviendra couturière et sera placée chez Mme Volladier où elle courbera la tête sur son ouvrage mais pas l'échine. Elle partage ses repas avec Léonarde, reine de la cuisine, et seconde mère. Sous sa houlette, Madelaine saura apprécier les bons petits plats, le goût et les saveurs de la cuisne, garder le regard droit, les épaules droites et un rayon de soleil, celui que les moments fugaces de bonheur construisent dans le cocon de la mémoire et des sens, pour colorer les jours sombres. Madelaine épluche les anciennes revues de mode, remisées dans le grenier par Mme Volladier. Cette dernière fut une élégante aux subtiles et splendides toilettes: lors d'une soirée peu ordinaire, le vague à l'âme de la dame fera danser devant les yeux éblouis et émerveillés de Madelaine les robes des grands couturiers parisiens, chatoyantes, aériennes, audacieuses et précieuses. Dans la tête de Madelaine, ces étoffes soyeuses, luxueuses, lumineuses, dansent jusqu'à ce qu'un jour, elle rêve d'un modèle qui n'est issu d'aucune revue de mode: elle a créé son modèle en dormant et elle le réalisera de ses mains. Ainsi commence l'ascension inattendue d'une petite main orpheline dans le monde étourdissant de la mode. Madelaine monte à Paris, elle travaille dans l'atelier de couture de Madame Germaine, les échos des audaces de Coco Chanel, de Christian Dior font venir les élégantes qui souhaitent copier les tenues haute-couture. Madelaine traverse la guerre en solitaire, comme si elle la vivait en lointaine spectatrice. Lorsque les affres de l'Occupation cessent, que reviennent les jours d'insouciance de la Libération, Madelaine virevolte dans les bras de beaux soldats jusqu'à ce qu'elle rencontre Tadeusz, au tatouage au bras, au passé douloureux qui le fait prendre la fuite à chaque Noël. Une petite fille, Lucie, arrive et Madelaine, loin de ressentir un instinct maternel, fuit son mal-être et son malaise dans le travail des collections. Pourquoi ne parvient-elle pas à aimer sa fille, à vouloir jouer avec elle, lui parler, lui faire découvrir le monde? Pourquoi un tel rejet de son rôle de mère? Pourquoi est-elle si différente des autres femmes? Les réponses seront longues à faire surface et à éclairer le chemin de Madelaine. D'ailleurs, Madelaine et Tadeusz s'éloignent peu à peu pour se perdre et se retrouver, comme dans la chanson de Jules et Jim, Lucie ne supporte plus que sa mère l'habille....elle n'est pas une simple poupée, elle est sa fille tout de même! Ne peut-elle pas l'aimer vraiment sans se cacher derrière les tissus, les aiguilles et le mètre-ruban? Madelaine, sous le poids de ses démons intérieurs auxquels elle ne peut encore donner de nom, s'isole dans le rythme effréné des créations et des collections....jusqu'au jour où elle décide de tout abandonner et de devenir une grand-mère, à défaut d'avoir été une mère. La chute de la terrasse ouvrira d'autres horizons à Madelaine et lui apportera toutes les réponses à ses questions.
"Le temps d'une chute" est un roman distrayant, transportant le lecteur au coeur d'un monde qui attire et intrigue: celui de la mode, celui des tissus aux noms évocateurs d'ailleurs chatoyants et mystérieux. Les robes, les jupes, les manteaux volent et virevoltent au rythme des époques, des chansons, des poètes, de la Nouvelle Vague, des audaces de Chanel et de Dior. Quelques phénomènes de société sont effleurés, anecdotes dans le récit (les rancoeurs des femmes endurant les privations qui s'acharnent sur de jolies jeunes filles, trop jolies pour être honnêtes?, la percée des stars de cinéma, fleurons de la dernière mode, la maigreur malsaine des mannequins que l'on porte au pinacle comme si les stylistes à la mode s'ingéniaient à martyriser le corps de la femme, à nier la féminité de la femme) qui auraient gagné à être plus développées. Tout comme le personnage de Madelaine qui ne m'a pas paru avoir été traité autrement que superficiellement: tout va trop vite, et rien n'est creusé vraiment ce qui est dommage. Madelaine est un personnage qui, certes, m'a plu mais ne m'a pas enthousiamée plus que cela. Même Tadeusz et Lucie auraient mérité un approndissement.
La quatrième de couverture indique "Roman d'initiation, du désir de donner et de la nécessité du choix": on retrouve ces ingrédients dans le roman mais sans relief, sans émotion. J'ai ressenti de la froideur, et a aucun moment je n'ai eu envie de m'identifier à un seul des personnages.
Je ne peux pas dire que je me sois ennuyée au cours de ma lecture mais, hormis quelques passages où l'imaginaire est emporté sous la houle du riche vocabulaire varié désignant les étoffes, peu de choses me resteront. Une agréable et délassante lecture d'été, vite lue, vite oubliée, au cours de laquelle le générique de l'émission "Frou-Frou" me trottait dans la tête.


J'ai aimé ces passages:

"Eté 1962. Elle n'a choisi pour cette première collection d'hiver que deux couleurs, noir et blanc, mais ses noirs sont infusés de printemps,d'été et d'automne, ses blancs irisés de givre et de soleil. De faux noirs languides, voluptueux; des blancs chauds, soyeux." (p 183)

"Robe en georgette de soie perle brodée de rosaces de cristal, capeline nuage d'ivoire. Robe d'Infante courte en organza blanc de craie, veste drapée de roses en tulle albâtre. Robe en satin de soie sculpté givre, visage voilé de dentelle crème. Dolman de flanelle blanc d'Espagne, pantalon de gabardine fileté blanc de zinc, blouse de crêpe de Chine grège." (p 187 et 188)

Roman lu dans le cadre du Prix Landerneau




vendredi 18 juillet 2008

Les imaginaires ont leurs parfums

Depuis plusieurs mois j'ai délaissé l'excellente initiative de Vanessa: les passeurs d'imaginaire. En mai-juin, le thème mettait les parfums à l'honneur et en illustration, Vanessa a mis l'affiche du film "L'odeur de la papaye verte", film que j'avais adoré!
Les parfums, les senteurs, accompagnent tous les âges de la vie.

L'odeur maternelle est la première à nous accueillir lors de notre entrée dans le monde, odeur inscrite au plus profond de notre mémoire, au plus profond de nos sens. Elle ne nous quittera jamais même si nous l'oublierons, ou plus exactement nous croirons l'oublier.
Peu à peu, les odeurs, les senteurs et les parfums du monde construisent notre mémoire olfactive des lieux, des êtres, des mets ou des paysages.


Qui ne se souvient pas de l'odeur particulière de la rentrée des classes? Les tables portent encore les senteurs de l'été qui s'achève, celles de la solitude silencieuse des lieux du savoir, celle des armoires fermées où dorment, patients, cahiers et crayons, règles et fusains, feuilles et gommes, livres et manuels.




L'été apporte une large contribution à l'éventail des parfums. Le soleil éclatant sous lequel mûrissent les blés d'où s'échappe une odeur sèche et craquante de céréale. La pluie estivale sur la route goudronnée fumante et exhalant sa lointaine senteur de champ pétrolifère. La terre humide de l'averse passée libérant son parfum musqué d'humus et d'entrailles où croissent racines et radicelles. L'été c'est aussi l'odeur des melons qui mûrissent dans les compotiers, celle des fraises et des cerises, des abricots et des pêches dans lesquelles nous mordons à pleines dents, celle des mûres que nous cueillons sur les talus, entêtante et miellée.


Ma mémoire olfactive me rappelle l'heure du goûter alliant l'odeur du chocolat en barre ou de confiture à celle du lait perlant aux mamelles des vaches, à la campagne, peu de temps avant la traite. Mais aussi celle du foin fraîchement retourné, celle de la terre nouvellement labourée.
Je me souviens des odeurs chaleureuses de la cuisine où ma mère s'affairait en rentrant du travail: je faisais mes devoirs dans ma chambre et dégustais par avance le repas du soir....même l'odeur des endives au jambon me faisait saliver alors qu'une fois dans mon assiette, elles représentaient un vrai calvaire!


Les livres savent prendre au piège le nez de celui ou celle qui se laissera prendre au parfum envoûtant des pages dormant sur l'étagère d'une librairie.
Il est des parfums désagréables mais pas rebutants pour autant: celle du fumier, celle des feuilles qui lentement pourrissent, celle de la rivière suant sa vase sous le soleil, celle de la sueur des enfants au retour d'une récréation active faite de courses et de roulades sur le bout de pelouse de la cour.

Il est des senteurs inoubliables: celles de l'intimité de deux corps qui se rencontrent dans la moiteur sensuelle, découverte sans cesse renouvelée, éternel émerveillement.

Il est des voyages sans fin au gré des parfums rencontrés au hasard des rencontres, des chemins, des routes ou des êtres. Les odeurs sont aussi des carnets de voyages de l'invisible et de l'indicible qu'une fragance inopinée fait rejaillir à la surface de la mémoire. Ces senteurs enfouies ou juste recouvertes d'autres parfums, sont les soubassements, les fondations et la charpente de chacun d'entre nous...elles nous façonnent, jamais à l'identique, et font de nous ce que nous sommes et ce que nous deviendrons. Une partition d'effluves, d'arômes et de bouquets apaisants ou entêtants, agressifs ou lénifiants, musique transparente et muette des épidermes et des corps.

jeudi 17 juillet 2008

L'assassin fumait des blondes


Depuis le 1er Janvier 2008, il est interdit de fumer dans tout lieu public et au travail: loi libératrice pour les uns, les non-fumeurs enfumés depuis des décennies, loi inique pour les autres, les fumeurs qui évacuent leur stress grâce à ce geste si simple, si commun, tellement passe-partout...sortit un briquet, une clope, l'allumer et en tirer une bouffée de volupté.
Fabrice Valantine, brillant chasseur de tête, appartient au club des irréductibles fumeurs au grand dam de son épouse. La pression des non-fumeurs devient de plus en plus forte, au bureau seul le patron brave encore l'interdiction; aussi, un jour, Fabrice cède-t-il, malgré son scepticisme, à la demande de sa femme: consulter un hypnotiseur, la coqueluche "hype" pour arrêter enfin de fumer! La séance semble avoir réussi: Fabrice n'éprouve plus l'envie de fumer.
L'ambiance au bureau est tendue: le patron parle de se retirer des affaires et les paris sur sa succession vont bon train. C'est à Fabrice que Hubert Beauchamps-Charellier décide de passer le flambeau lors d'un tête-à-tête. La joie n'est que de courte durée: FBC est retrouvé mort dans son bureau. Le conseil d'administration nomme en urgence Franck Louvier, un jeune loup, dynamique et aux dents longues dans la plus pure lignée des "killers" du monde des affaires! L'enfer commence pour Fabrice qui se retrouve relégué dans un placard: il craque et se grille une cigarette. La stupeur de Fabrice devant l'absence absolue de plaisir est égale à son incompréhension du phénomène: il a envie de fumer mais la cigarette ne lui apporte plus d'apaisement ni de plénitude.
L'invraisemblable se produira lors d'un incident domestique: Fabrice a un voisin coutumier de violences conjugales sur son épouse; cet homme misérable et abject, après avoir envoyé sa femme à l'hôpital suite à un passage à tabac trop virulent, bricole un jour l'embrasure d'une fenêtre de son appartement. Fabrice s'aperçoit que le reflet de sa montre gêne un peu l'abominable voisin, en équilibre précaire à sa fenêtre, et si le miroir du salon était de la fête et débarassait l'immeuble du voisin? Fabrice remet le miroir en place, allume une cigarette et ressent un extraordinaire plaisir entre les volutes de tabac et le corps inanimé du voisin....Fabrice vient de commettre un meurtre parfait et de retrouver intact, sous l'adrénaline de l'acte, le plaisir intense du fumeur. Révélation surprenante, lumineuse et indicible, premier pas vers le paradis perdu du fumeur.
Fabrice suit son instinct et étoffe son tableau de chasse au fil des mois jusqu'au jour où un grain de sable enraye le déroulement des évènements.
"Fume et tue" est un roman noir à l'humour dévastateur qui réussit le tour de force de rendre sympathique héros, un Robin des Bois des temps modernes (ses victimes ne sont que des ordures et des salauds patentés), et de rire de la loi anti-tabac.
Antoine Laurain s'exerce, en filigrane, à une satire des moeurs sociales et économiques tant dans la sphère privée que dans le monde du travail (la description de Franck Louvier et ses sbires à la "Men in black" est particulièrement savoureuse et grinçante).
Une lecture jubilatoire où l'ambiance drôlatique laisse percer l'inquiétude dans les volutes tabagiques d'un fumeur qui ne rêvait que d'une seule chose: la paix, au bureau et à la maison, en compagnie de ses cigarettes. Une question me taraude: aurait-il été intéressant que la morale ne soit pas sauve? En effet, j'ai vraiment apprécié le côté provocateur et iconoclaste du personnage et du sujet de l'intrigue aussi du coup la fin m'a-t-elle paru un brin trop sage.

"J'allumai la dernière benson qui me restait avant de ressortir dans la nuit en quête d'un paquet, comme ces grands fauves qui errent dans la savane endormie à la recherche d'une proie. Le geste. Il ne me restait plus que le geste comme présence rassurante. Craquer un briquet, allumer le tison, tenir la cigarette entre le majeur et l'index, porter le filtre à mes lèvres. Jusque là tout allait bien, après tout s'effondrait. la fumée fit son aller-retour dans les poumons et, là, rien. Je décidai de l'éteindre après quelques bouffées." (p 163)

Livre lu dans le cadre du Prix Landerneau







mercredi 16 juillet 2008

Dur de grandir


Un garçonnet, Sébastien, part, pour la première fois en colonie de vacances. Il rejoint la troupe dans le train...il est le plus petit de la bande. Pourtant il a quand même huit ans, voire douze dans sa tête et sa mère lui dit souvent qu'il a un sens de la répartie bien à lui. C'est le départ, il faut être courageux et ne pas montrer combien on préfèrerait rester auprès de sa maman.
L'arrivée n'est pas très engageante: visite des dortoirs et surtout, surtout inventaire du contenu de la valise "Sors tes affaires, une par une. A chaque affaire, tu me dis le nom et la quantité. (...) Je voyais bien qu'elle allait noter tous les habits que j'avais emportés, mais je ne voyais pas à quoi ça pourrait bien lui servir puisque mes habits étaient là. Quand on fait une liste de choses, c'est une liste de choses qui manquent, comme pour aller faire les courses, pas une liste de choses qui sont déjà là. Mais bon, j'avais pas envie qu'elle me traite encore de petit coquin devant les autres, alors j'ai commencé. - Mon tee-shirt bleu avec un Mickey, quantité: un - Tous les mecs se sont marrés." (p 28 et 29)
Qu'il est difficile d'être le plus petit dans un groupe de grands et de se faire intégrer parmi eux. Sébastien se morfond jusqu'au jour où Fabien, le chef de la bande des garçons, lui demande s'il est déjà sorti avec Elodie la mono. Sébastien retourne dans tous les sens la question pour répondre que oui, il est déjà sorti avec elle (lors des promenades ou la fois où elle l'a puni et sorti, en lui tirant l'oreille, du réfectoire). Et un défilé d'enfants commence: c'est à qui voudrait avoir le plus de détails sur ses "sorties" avec Elodie, même les filles, telle que Marion "préado de douze ans", ravie de constater qu'il est "précoce"!!! Sébastien est heureux, la colo est super cool, il s'est enfin in-té-gré! Et c'est le soir de la boum que les choses se gâtent: Elodie et la directrice de la colo ne sont pas du tout mais alors pas du tout contentes d'apprendre que Sébastien est sorti plusieurs fois avec Elodie! Résultat: punition sévère, pas de boum et surtout, Sébastien dormira tout seul dans le couloir! Bien entendu, les autres gamins font comme s'ils ne le connaissaient pas car la directrice a dit: "C'est très mal ce que tu as fait, Sébastien. Très, très mal." Sébastien a envie de pleurer mais "Je me suis retenu. Elles seraient trop contentes, Elodie la saucisse, et cette directrice pourrie. J'allais être très brave, en béton, un dur de dur, comme disait mon père. Et puis surtout, j'avais envie de comprendre ce qui m'arraivait. Ce n'était pas possible que je sois puni pour rien." (p 62). Est-ce à cause des tomates farcies qu'il a recrachées ou du demi-pain au chocolat trouvé par terre et mangé ou encore à cause du yaourt entre les deux yeux? Rien ni fait et Sébastien pleure dans le noir parce qu'il ne comprend pas ce qui lui arrive!
Mais comment comprendre, lorsque l'on est petit, que certains mots peuvent être graves et blessants pour les adultes?
Quelques années plus tard, un jour d'hiver, Sébastien a treize ans et va rejoindre Marion, une camarade de classe qu'il aime beaucoup. Sur le banc du jardin public, il comprend enfin, ce que signifie "sortir avec quelqu'un"!
"Dur de dur" est un texte émouvant et tendre. Agnès Desarthe montre bien comme il est difficile de grandir et de saisir la véritable portée de certains mots. Elle montre aussi combien la méchanceté, innocente souvent, d'un groupe peut faire souffrir, combien des mots de "grands" dans la bouche de "petits" peuvent être dangereux. Elle montre enfin qu'il est beaucoup plus beau de découvrir, au moment adéquat, le sentiment le plus doux qui soit: l'amour et le frisson des baisers.
L'avis de Malice

mardi 15 juillet 2008

A coeur ouvert


La clématite du jardin est en pleine floraison. Une envie de partager cette belle couleur violette.

lundi 14 juillet 2008

L'avenir peut-il être inscrit dans la pierre?


Un beau jour, en Thaïlande, l'apparition d'un monument hors norme, vient bousculer le quotidien de la planète Terre. C'est un immense obélisque, lisse, noir et miroitant qui annonce une victoire grandiose, d'un certain Kuin, qui aura lieu dans vingt ans! D'où sort-il? Qui l'a envoyé? Par quel procédé encore inconnu sur Terre? Peu à peu, à mesure que ces apparitions de pierre s'étendent à travers le monde, on parle de "Chronolithes": abolissent-ils le temps? Le nient-ils? En font-ils un non-sens? Toujours est-il que ces étranges blocs vont bouleverser la vie de Scott Warden qui se retrouve embarqué dans une course et une enquête des plus échevelées en compagnie de son ancien professeur de physique, l'excentrique Sulamith Chopra, d'un ancien compagnon d'aventure thaïlandaise, Hitch Pailey, d'un membre du FBI, Morris et d'un assitant de Sue Chopra, Ray....et cela pendant quasiment vingt ans.
Robert Wilson emmène son lecteur sur une Terre exangue à force d'avoir été exploitée par l'homme. La pollution a mis à mal la biodiversité, les nappes phréatiques et aquifères sont en voie d'assèchement, les changements climatiques entraînent des exodes inexorables et inquiétants, la marchandisation du monde mis à genoux les économies mondiales notamment celle de l'Asie, zone géopolitique où la déstabilisation des états et des sociétés provoque le chaos. Les pays asiatiques sont aux mains des potentats locaux qui se livrent à une guérilla sans fin et destructrice. Seuls l'Amérique du Nord et l'Europe semblent résister au désastre économique mais au prix de la désespérance de leurs habitants et de la montée en puissance des cellules kuinistes, les clubs copperheads. Nous sommes en 2020 autant dire un futur très, très proche et très réaliste.
Les Chronolithes deviennent des symboles de la puissance à venir de Kuin, cet inconnu qui force l'admiration, qui inquiète et qui provoque un sentiment de résignation au sein des peuples dans l'attente de son avènement. Pourquoi se battre puisque Kuin sera, de toute manière, vainqueur...c'est inscrit sur les Chronolithes c'est à dire dans l'avenir! Kuin, figure charismatique à laquelle s'accrochent désespérement les laissés pour compte, les abandonnés de l'économie contraints de vivre dans les bidonvilles des périphéries urbaines. Kuin, ses Chronolithes amenant en pélerinage, en hadj, des milliers d'hommes et de femmes, jeunes pour la plupart, vers leurs lieux d'apparition. Les Hadjis parfois sans foi ni loi, hormis celle de la violence et de la force, à l'aulne de celle engendrée par les obélisques gigantesques engoncés dans la glace et dévastant les paysages.
"Les Chronolithes" amène le lecteur à s'interroger: l'avenir est-il déjà tout tracé, inéluctable? Peut-on reconstruire le présent à partir d'un futur destructeur? Le hasard existe-t-il vraiment ("Tout est lié Scotty, même si nous ne voyons ni les boucles ni les noeuds. Le passé et l'avenir, le bien et le mal, le çà et le là...Tout cela ne fait qu'un." p 343 et 344)? A travers le récit, a postériori, du narrateur, l'auteur n'impose rien à son lecteur, n'interfère pas sur sa compréhension du message. Le narrateur explique les conséquences des évènements sur sa vie privée, les hasards qui n'en sont sans doute pas (il rencontre inopinément les personnes qui marqueront les grandes étapes de sa vie: Sue, Adam...), les éléments de réponse à la présence des Chronolithes.
Un roman qui happe dès les premières pages, écrit avec justesse, sans grosses ficelles lassantes, par un auteur qui aime ses personnages, qui aime ses semblables donnant ainsi au récit une dimension pleine d'humanité et d'espoir.

"Le monument. Tout d'abord, il ne s'agissait pas d'une statue (...) mais d'un pilier à quatre côtés au sommet lisse et conique. Constitué d'un matériau qui évoquait le verre, mais à une échelle ridicule et impossible. Il était bleu, de ce bleu profond et insondable des lacs de montagne qui parvient à paraître à la fois paisible et inquiétant. Malgré son opacité, il semblait translucide. Le côté face à nous - le côté nord - était couvert de croûtes blanches. J'ai identifié avec stupéfaction de la glace qui se sublimait lentement dans la lumière moite. Dans la forêt dévastée humide de brouillard, à la base du monument, des monticules de neige en train de fondre masquaient l'intersection entre l'objet et le sol." (p 22 et 23)

Roman traduit de l'anglais (Canada) par Gilles Goullet

Les avis de cultureSF ratsdebibliothèque l'araignée phénixweb et celui plus contrasté de viclay

dimanche 13 juillet 2008

Poème bédouin


Dhou'l-Roummah (mort en 117- de l'Hégire - / 735 (de notre ère chrétienne)


"Dernier poète bédouin, il participa quelque peu à la guerre des rimes entre Djarîr et Al-Farazdaq, sous les premiers califes omayyades. Ses poèmes sont une source de premier ordre pour les lexicographes arabes: de lui date la fixation de la langue. Ses compositions sont ardues et savantes, amis il arrive parfois à une beauté formelle incomparable."


Adieu


Connais-tu cet endroit unique, désert ravagé,
que le temps a voulu effacer pour l'éternité?
Le siècle dure use sans fin la nouveauté du neuf;
il abandonne, à chaque étape, un reste de foyer.
Trois pierres noires, là...c'est tout...un lieu de campement...
mais l'hippodrome d'Al-Walid a sombré tout entier,
sauf quelques piquets de tente enfoncés au ras du sol;
tout a disparu, éparpillé par les accès brusques de fièvre.
ô Mayya! Tes lèvres par un orfèvre ciselées,
après le sommeil, et ton corps, tendre rameau brisé!
Je revois les deux prunelles, un cou gracile et blanc;
je revois les flancs alanguis où affleure le sang,
uniques, affolant la poursuite au mépris des gazelles...
nous tuant sans pitié sous le blâme et la réprimande.
Elle a vu ma pâleur, elle a vu mes rides multiples,
après les injures du temps et du siècle superbe,
dépouillant tout mon corps de sa frondaison de jeunesse;
feuilles mortes, quand on agite un rameau nu, qui tombent...
ou plutôt j'ai rompu l'étreinte, acceptant le refus,
et la soeur des Banou-Labîd en a été surprise.
Tant, qu'elle m'a fui et qu'elle a fui mon frère Mas'oud.
Elle vit deux hommes prêts pour un voyage lointain,
qui prenaient pour vêtements les ténèbres de la nuit,
traînant loin sur le sable deux longues robes ouatées...

Les mots du désert

Lorsque je suis allée au Festival des Etonnants Voyageurs, au détour d'un stand, je suis tombée sur une anthologie de la Poésie Arabe. J'ai succombé d'une part à la couverture que je trouve très belle et d'autre part à la quatrième de couverture, très alléchante:
"Fille du désert et du manque, sans cesse alertée par la solitude et l'absence, telle est la poésie arabe, cultivée quinze siècles durant par une succession de génies remuants, iconoclastes, gourmands des mille et une saveurs du verbe - et ces mille et une images (licites ou illicites) qu'éveille dans le coeur de l'homme l'aiguillon du désir.Fontaines destinées à réjouir les coeurs altérés, jardins parfumés, filles offertes, tendres éphèbes aux yeux de gazelle, nuits éclairées de lune où circule la coupe de vin ambrée: le poète nous murmure que cela est tout...et rien - puisque la seule richesse vraiment désirable, pour l'homme bien né, est celle des mots...."

Je picore, au gré des envies et des musiques naissant de la lecture...parfois c'est cru, parfois d'une beauté à couper le souffle, toujours désarçonnant car je n'ai pas l'habitude de ce rythme, de cette scansion.

Une très belle découverte transformée en livre, non de chevet, mais en recueil à saisir entre la poire et le fromage (il est sur la table de la cuisine), entre une sortie dans le jardin et un retour sur le canapé, avec un thé à portée de main.

samedi 12 juillet 2008

Un ange passe

Gabriel est sur le quai désert et morne d'une gare perdue au milieu de nulle part. La gare est celle d'une petite ville bretonne où la grisaille humide fait briller les rues et les toits d'ardoise. Pas une âme qui vive dans les rues, l'hôtel, modeste, se trouve dans une rue tranquille, le soir tombe....Y-a-t-il un endroit où l'on peut se restaurer? Pas vraiment, peut-être le café du Faro un peu plus loin. Gabriel s'y rend, le patron José est d'humeur morne: sa femme est hospitalisée et c'est elle qui s'occupe de la cuisine, alors vous comprenez bien que question restauration, ce ne sera guère possible!
Gabriel prend une bière puis, José lui demande si le reste d'un ragoût de morue lui dirait.
Commence alors une étrange histoire entre Gabriel, José, la jolie réceptionniste de l'hôtel, deux paumés, junkies sur les bords, et complètement en bout de course de l'amour et de la vie. Les destins se croisent, se frôlent, s'imbriquent en une danse faite de rires, de joies, de solitudes à combler, de passés que l'on souhaiterait oublier....le tout sous le regard goguenard d'un grand panda en peluche, gagné à la fête foraine.
Qui est Gabriel, venu de nulle part et pourtant si familier, si rassurant, virtuose culinaire transformant l'épaule d'agneau en symphonie de senteurs et de goûts? Gabriel est-il un ange annonciateur?
Le lecteur apprend, dans les passages en italique, que Gabriel a eu une vie avant l'errance. Une jolie et belle vie, où les siestes estivales se vivent dans le balancement du hamac, dans le bourdonnement des insectes, dans la respiration sereine et douce d'une fillette. Une jolie et belle vie qui part soudain en lambeaux et fait exploser la vie en mille et un morceaux qu'on ne pourra jamais recoller, une vie à jamais éparse, perdue pour toujours. La banalité du malheur, la banalité de la tristesse infinie et de la culpabilité d'avoir été absent. Les passages en italiques distillent, au fil de leur apparition, le malaise qui grandit et étreint, sans en avoir l'air, le lecteur.
Gabriel pourrait être un ange: il redonne le sourire à José, l'aide à surmonter sa douleur, est à ses côtés lorsque l'espoir revient; il offre à la jolie réceptionniste, Madeleine, l'opportunité de plaire et de rencontrer enfin le véritable amour; il accompagne Rita, la paumée, dans la joie d'une amitié chaleureuse. Oui, Gabriel a tout de l'ange: le sourire, la gentillesse, le sens du don, la patience et l'amabilité. Mais qu'a-t-il à annoncer? Que le bonheur, ce sentiment de douce plénitude, peut disparaître brusquement? Comment garder la sensation agréable et chaleureuse du bonheur...avant qu'il ne se sauve?
Pascal Garnier conte avec son talent inimitable et son humour dévastateur une histoire, des histoires tristes et émouvantes à la fois: au fil de l'histoire, les douleurs de chaque personnages passent de la banalité à l'extraordinaire lors de la chute, inattendue et excellement amenée, du récit. Les derniers passages sont une véritable sarabande où la stupeur édifiante mène la danse. Le quotidien est transfiguré en épopée délirante et grinçante que le lecteur lit avec délectation. L'ordinaire cache, subtilement, les horreurs de la réalité et le panda, avec ses yeux cerclés de noir, cernes de peluche, regarde défiler les aléas et les turbulences inattendues de la vie. Le panda pourrait être un morceau de l'auteur au coeur du roman: il respire l'empathie envers les personnages tout comme Garnier!
"Comment va la douleur" avait été une lecture jubilatoire, "La théorie du panda" est aussi un bijou tant sur le plan de la langue (Pascal Garnier est passé maître dans l'art de la formule) que sur le plan de la construction du récit: le lecteur est happé par le cheminement des personnages, notamment par celui de Gabriel, enigmatique et inquiétant parfois, et reçoit l'estocade finale lors de l'emballement ultime de l'histoire auquel il ne s'y attend absolument pas!
Un régal à lire, une écriture douce-amère où la pointe pessimiste ne plombe pas le récit....loin de là même: elle lui donne un véritable souffle de roman noir, très noir!


jeudi 10 juillet 2008

Un peu de "Heq"



"Elle accoucha en voyage, comme il était courant parmi les femmes nellagottines. Elle posa un bout de peau de castor dans le trou qu'elle avait creusé dans la forêt et s'y accroupit, appuyée sur ses genoux et ses mains. Elle entendait encore la voix des Indiens qui s'éloignaient lorsque l'enfant sortit et, gémissant à voix haute d'épuisement, elle le souleva et le détacha de son corps d'un coup de dent. Puis elle le lécha et se releva, étourdie. Elle l'enveloppa dans la peau, en tournant le côté taché de sang à l'extérieur, accrocha le ballot au bandeau qui entourait sa tête et suivit la tribu. Tout en marchant, elle envisagea la possibilité de fuir, mais repoussa immédiatement l'idée. Elle était trop fatiguée après l'accouchement et trop loin de la côte où vivaient les Inuit." (p 36 et 37)



"Pendant son séjour chez les Kutchin, elle avait entendu, vu et appris énormément. Et même si les Kutchin ressemblaient beaucoup aux Inuit, leur nature et leur façon de vivre étaient autres. Ils étaient fiers, avides d'honneurs et adoraient les conflits. A l'inverse des Inuit, qui préféraient maintenir la paix à tout prix. Elle les avait détestés, mais jamais craints, car à bien des points de vue ils semblaient à la fois enfantins et ignorants.
La terre était leur mère et personne ne pouvait la posséder. Shanuq avait souri à chaque fois qu'elle avait entendu cela, c'était si évident. Si évident qu'aucun être humain ne pouvait posséder ni la terre, ni le ciel, ni la mer. La guerre était leur père et celui-ci les menait sans cesse au combat.
Ils luttaient pour les choses les plus futiles. Pour des femmes, des possessions éphémères. Pour voler des armes, des outils, des peaux et de la viande, et pour pouvoir découper le coeur et le foie de leurs ennemis, qu'ils mangeaient crus. Le mauvais sang de la guerre roulait dan sleurs veines, et elur cruauté était grande. Ils pouvaient entrer en conflit avec les Mangeurs de Caribous Sauvages, bien que ce soient des parents, et ils luttaient contre les Dogrib, les Cree et les Nahani quand ils les rencontraient. S'ils ne trouvaient pas d'hommes du peuple athabascan à tuer, ils montaient attaquer les Inuit dans le Nord. On ne pouvait faire aucune confiance à ces hommes."
(p 37 et 38)

Le chant du Grand Nord


De Jorn Riel je ne connaissais que ses fameux et hilarants racontars. C'est avec une grande curiosité que je me suis plongée dans ce roman croisé au détour d'un rayon de bibliothèque.
"Heq" nous emmène aux temps d'avant l'Histoire, aux temps immémoriaux des premiers hommes. Il nous embarque également dans le Grand Nord américain, après que le détroit de Bering ait été traversé par des tribus nomades.
L'Humanité s'est essaimée sur les cinq continents, partie à la conquête de terres et de nourriture. Riel nous conte l'histoire de Heq, un Inuit, et de sa famille, l'histoire de leur voyage vers la frontière du monde, là où naissent les vents terribles de l'hiver, là où résident les esprits....quelques milliers d'années après l'arrivée des premiers hommes sur le continent américain.
Heq est le fruit de l'union d'une Inuit, Shanuq (sa mère) et d'un Indien des plaines (les Hommes-Chiens), Shapokee (son père), chef suprême et sorcier-guérisseur de sa tribu, union forcée puisque sa mère avait été capturée par la tribu paternelle. Elle lui donna le nom de Heq, nom de son grand-père au savoir immense. Tout comme sa mère, Heq est curieux de nature et aime aller à la découverte de ce qu'il ne connaît pas. Le lecteur le suit dans son initiation, dans ses parties de chasse ou de pêche. Le lecteur est en symbiose avec les familles Inuits et découvre leurs rites, leurs coutumes, leur approche de la vie familiale, du plaisir charnel, leur acceptation de la différence (le frère d'Heq, Tyakutyik, est à la fois homme et femme, une originalité qui est loin d'être rejetée par le groupe).
"Heq, le chant pour celui qui désire vivre" est un splendide roman ethnographique dans lequel la fascination et l'amour pour le Grand Nord et ses peuples, faunes et flores, éprouvés par Riel sont un hymne permanent à la beauté et à la tolérance. En effet, ces peuples de l'extrême, ont été sans cesse repoussés vers le Nord par d'autres peuplades plus agressives, plus conquérantes qu'eux. Pourtant, les coutumes et croyances des Indiens et des Inuits sont loin d'être étrangères les unes aux autres.
De l'Alaska au Groenland, en passant par Béring, le lecteur parcourt les espaces immaculés traversés par les élans et les ours, sources de vie et gages d'abondance, les estuaires glacés où dansent cétacés, poissons et phoques. Le désert blanc, riche et d'une beauté à couper le souffle, se déploie sous la plume de conteur extraordinaire qu'est Riel, s'avance au son des griffes des chiens de traîneau, vaisseaux d'un désert de glace et de froid.
Riel, avec "Heq", entame une trilogie Inuit ("Arluk" puis "Soré" continue et achève l'aventure commencée par "Heq"), courant sur mille ans, qui débute au début de l'an 1000 de notre ère. Une trilogie, voyage dans le temps et dans l'espace, voyage au coeur d'une civilisation d'une richesse culturelle et spirituelle trop longtemps occultée. L'Occident "civilisé" (???) a oublié le rapport sans détour avec la nature: la scène d'accouchement au beau milieu d'un environnement hostile montre combien le fait d'être accroupie facilitait autrement mieux le travail de la parturiente que la position allongée... le meilleur vernis civilisé n'est pas toujours celui qu'on croit!
Jorn Riel écrit un merveilleux chant redonnant la place qui lui revient au peuple inuit.
"Heq" est un roman touchant, poignant, au rythme des chasses, des courses en traîneaux, des hivernages dans les igloos où le talent de narrateur est hautement prisé lors des veillées. Le décor qui pourrait être monotone et qui n'est qu'une immense variation des blancs, bleus et verts au coeur d'une symphonie venteuse. Un roman comme je les aime, qui emporte l'esprit, le temps de la lecture (et un peu plus), hors du temps et de l'espace, une respiration, presqu'une méditation, qui apporte un autre regard sur les choses et les êtres.
Des passages ICI

Roman traduit du danois par Inès Jorgensen

Les avis de Pascal, artlivre michel-islor (beaucoup plus réservé) ikiru et Gaïa (les éditions).