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lundi 1 février 2010

Découvrir la SF soviétique

Je suis une lectrice friande de SF même si je n'en lis pas autant que je le souhaiterais. Lorsque "Dimension URSS", anthologie de nouvelles SF russes, est passé entre mes mains c'est avec avidité que je me suis lancée à la découverte des auteurs russes (je n'en ai lu qu'un seul: Asimov).
Un univers, loin des conflits interplanétaires ou spatiaux, s'est ouvert au fil des pages, un monde où l'humanisme, la foi en l'Homme ou en la montée bénéfique des progrès scientifiques et technologiques, sont de mise malgré quelques critiques, sousjacentes et savamment distillées à mots couverts, du système soviétique.
Certains auteurs revisitent le mythe de la femme parfaite, rêvée: la Galatée du futur, sublime androïde à la plastique irréprochable, après avoir comblé l'ego créateur de son Pygmalion, lentement use l'accable de son sourire toujours angélique, de son regard toujours attentif (quand il lui demande d'être avec lui) malgré l'absence de lumière dans ses prunelles, érode sa satisfaction de démiurge l'espace d'une rencontre avec celui qui l'enlèvera. La vacuité de la domination du Maître est à l'aune du monde mécanique qu'il a créé: un désert d'affection au coeur duquel l'oasis du souvenir de la femme aimée sur Terre n'est qu'un amer supplice. J'ai aimé la manière dont la légende grecque a été revisitée à laquelle l'auteur a apporté une dimension plus subtile: la maturité ouvre les yeux à notre Pygmalion et lui fait comprendre que programmer des sentiments humains à un robot, aussi sublime soit-il, ne peut remplacer l'être vivant, unique en son genre doté de ses contradictions, de ses impulsions et de son âme. L'être humain est une page vierge qui sans cesse se noircit, qui parfois s'efface pour mieux s'enrichir, une histoire qui ne ressemble à aucune autre. La poésie du regard désabué du démiurge au sommet de son art, imprègne la nouvelle d'une mélancolie sourde, prémice d'une méditation sur la vacuité des avatars programmables.
Le premier texte, une pièce de théâtre "La Terre, Scènes des temps futurs", m'a immédiatement transportée dans la caverne de Platon: une ville souterraine sombre dans lentement dans la nuit des connaissances perdues dans le labyrinthe d'une technologie inemployée, jusqu'au jour où une lueur appelle à monter vers la lumière naturelle de l'extérieur: doit-on briser les chaînes d'une ignorance confortable pour affronter le danger d'une vérité dérangeante? Cette lumière sonnera-t-elle le glas de l'humanité en voie d'extinction ou lui permettra-t-elle enfin un envol salutaire? Une société qui laisse une place trop importante à la robotisation risque, à long terme, de ne plus avoir prise sur le savoir-faire technique et technologique et d'oublier tout ce qui peut la faire vivre et survivre. La déshumanisation des tâches mécaniques est un leurre dont la société moderne ne semble pas prendre conscience.
Certes, le credo des années Rideau de Fer est là et bien là: l'amitié entre les peuples est un des thèmes récurrents ainsi que la peur d'une escalade des menaces guerrières (une des nouvelles "Vingt millards d'années après la fin du monde" de Pavel Amnouel) annonciatrice de la fin du monde; cependant, la vision à dimension humaine des futurs imaginés, entraîne le lecteur dans un univers presque connu. Les écritures sont efficaces, concises tout en apportant une dimension poétique et romanesques aux récits.
"Dimension URSS" est un voyage prenant dans l'espace fantastique d'une littérature soviétique où la SF était le seul imaginaire autorisé par Staline et ses successeurs...on se demande bien pourquoi d'ailleurs.

Lecture en partenariat avec Livraddict et La Rivière Blanche.




L'avis du cafard cosmique  ICI
Une interview de l'auteur de l'anthologie LA

mercredi 3 septembre 2008

Les manuscrits ne brûlent pas!

Par une belle journée printanière, deux moscovites, Berlioz, rédacteur en chef d'une revue littéraire, et Ponyriev dit Biezdomny, jeune poète plein d'avenir. Ils se rendent dans un parc, faire la promenade de l'étang du Patriarche. Alors qu'ils devisent sur un banc, un inconnu, bien hardi, se mêle à leur conversation. D'où vient-il, qui est-il, que fait-il à Moscou? Telles sont les questions qui assaillent nos deux amis. Leur trouble n'en devient que plus grand lorsque l'inconnu, répondant finalement au nom de professeur Woland, leur certifie que Jésus a existé, qu'il la vu, et qu'il leur avance tout une série d'évènements à venir. Bien entendu, nos deux compères, sachant reconnaître l'opium du peuple, n'en croient pas un mot, malgré les étranges visions et paroles vues et perçues par Berlioz! Tout s'emballe lorsque, après le départ du professeur Woland, Berlioz perd sa tête victime d'un accident de tramway....comme l'avait signalé Woland! Le pauvre Biezdomny, horrifié et perturbé par ce qu'il vient de voir, ne sait plus où donner de la raison: la Milice le croira-t-il? Doit-il expliquer par le menu cette rencontre insolite sans risquer d'être arrêter pour folie? Mikhaël Boulgakov, avec Woland, tout droit sorti du Faust de Goethe, narre, décrit, souligne discrètement mais avec grande efficacité, la venue à Moscou, en visiteur, du Diable et de ses accolytes, plus farfelus, ironiques et effrayants que jamais, le chat Behemoth, le grand échalas Koroviev et le tueur, d'une laideur sans nom, Azzazello, qui vont provoquer agitation, incident et diverses autres fantaisies parmi les moscovites. Le Diable qui se moque des principes et des lois, qui ne voit que le coeur des hommes et ne leur dit que ce qu'ils souhaitent entendre. La venue du Diable est loin d'être un fleuve tranquille: entre hallucinations collectives (les passages du spectacle de magie au théâtre et des tenues de soirées revêtues par les femmes qui se retrouvent ensuite en sous-vêtements dans les rues de Moscou, sont absolument délectables, iconoclastes et drôlissimes) et folie Moscou connaît le désordre et l'anarchie, le pouvoir est tourné en ridicule, à mots couverts par un Boulgakov opiniâtre et dénonciateur. En même temps, le lecteur fait connaissance avec des personnages secondaires, mais importants, tels que "le Maître", poète déchu et Marguerite, sa maîtresse et fidèle admiratrice qui, pour rejoindre pour l'éternité son amant dans son enfer personnel, accepte le statut de sorcière et enfourche joyeusement un balai magique. Il côtoie aussi Ponce-Pilate dont l'histoire poignante (cet homme est rongé par le remords d'avoir été lâche et laissé ainsi condamner un Jésus qu'il savait innocent) est contée par Boulgakov entre sincérité et troublante ironie. Dans un déchaînement de récits dignes du meilleur fantastique, Boulgakov écrit un véritable chant d'amour pour son pays, riche en rêves, traditions et en inspirations, tout en dénonçant âprement, sans concession, le régime de la Terreur instauré par Staline: les passages de Biezdomny à l'hôpital psychiatrique où les séances de rééducation mentale sont déguisées en vertueuses prises de calmant accompagnées des sourires des soignants, sont d'une saveur et d'un sel incroyables! "Le Maître et Marguerite" est un roman à l'image des Matriochkas: il y a d'abord l'inspiration du "Faust", puis celle de Méphistophélès ou de la Lune, grâce auxquelles Boulgakov expose son refus de toute forme de pouvoir qui pourrait asservir la pensée ou la création. Il fait de Woland et sa bande de joyeux drilles plus grinçants les uns que les autres, des coupeurs de têtes délirants pourfendeurs de l'institution artistique assujettie au pouvoir mais aussi d'étranges anges-gardiens qui sauvent les âmes à coups de scandales dignes du plus grand Guignol (j'en reviens au théâtre qui se transforme, sous la houlette du magicien retors Woland, en magasin de confection pour dames). Le Diable en rit encore lorsqu'il permet de retrouver le manuscrit brûlé du Maître: la censure peut toujours sévir, il restera toujours des traces de la liberté d'écrire et de penser et les facéties de la bande de Pieds Nickelés de Woland mettent en évidence cette grande vérité...surtout si on ne craint pas la mort! Le burlesque est l'âme vive et brûlante de ce roman dont la lecture n'est jamais ennuyeuse, toujours très instructive sur le quotidien difficile des moscovites des années 30 (la vie en appartement communautaire est d'un glauque certain) et la terreur viscérale inspirée par le pouvoir. Le Mal existe toujours même si on éradique toute croyance religieuse: il vit dans la lâcheté de tout un chacun, lâcheté qui fait renoncer à dire non à l'absurde ou qui fait regarder ailleurs quand l'inacceptable survient. Le plus surprenant est que le Diable, en personne, s'exclame "Les manuscrits ne brûlent pas", paroles d'espoir et porteuses de rêve. D'ailleurs, à y regarder de près, le Diable, dans "Le Maître et Marguerite" est tout sauf un personnage négatif et sombre, bien au contraire: sa sarabande amène la libérté d'être et d'agir à plusieurs personnages et est une pierre essentielle à l'amour éternel du Maître et Marguerite...quant à penser que la main de Dieu n'est guère éloignée de tout cela, il n'y a qu'un petit pas à franchir car l'un et l'autre pourraient être étroitement liés. Un roman foisonnant, luxuriant, palpitant, regorgeant de rebondissements et de scènes improbables où le burlesque et le sérieux s'entrecroisent et s'emmêlent pour le ravissement du lecteur. Une lecture édifiante et sublime!
Roman traduit du russe par Claude Ligny
Un site consacré au roman ICI