lundi 31 mars 2008

Petit peuple de Pékin


Contrairement à ce qu'on pourrait tout d'abord penser, "Histoire de ma vie" n'est pas l'autobiographie de Lao She. "Histoire de ma vie" est un long texte extrait de son roman (en fait c'est un recueil de nouvelles!)"Gens de Pékin".
Lao She relate les pérégrinations d'un vieil homme: ce dernier a appris le métier de colleur de papier avant de devenir agent de police, inspecteur puis militaire. Ce vieux Chinois, avec beaucoup d'humour retrace les différentes étapes de sa vie: il a été quitté par sa femme, s'est donc retrouvé seul pour élever ses enfants et du trouver moult expédients pour les nourrir et les loger. Il a vu la fin de l'Empire, l'occupation par les légations étrangères et les premières années de la République.
A la lecture de la vie de ce vieil homme, on constate que tout est déterminé dès le départ, que le fatalisme imprime la vie sociale chinoise: si on naît dans une famille pauvre, sans appui, on restera pauvre, sans appui, "sans piston" et tout espoir de grimper un tant soit peu dans l'échelle sociale est bien mince, voire irréel. Mieux vaut en rire sinon on passerait sa vie à larmoyer sur son sort....du moins c'est ce que pense le vieillard à la fin de sa vie. Il faut aller de l'avant pour ne pas végéter et saisir chaque maigre occasion pour améliorer son ordinaire.
"Histoire de ma vie" est aussi le roman des petits métiers manuels tels que celui de colleur de papier. Il consiste à préparer des figurines de papier à brûler pour les diverses cérémonies religieuses qui jalonnent la vie: les enterrements, les mariages, les naissances...Avant la fin de l'Empire, les familles ne lésinaient pas sur les figurines ni sur le nombre de cérémonies, tout était fait dans les règles "Dans ce temps-là, quand un homme mourait, on ne faisait pas les choses aussi chichement qu'à présent. (...) La différence, c'était que, lorsqu'il y avait un mort, la famille endeuillée n'hésitait pas alors à dépenser un argent fou et ne reculait devant aucun sacrifice pour respecter les convenances et sauver ainsi les apparences. Rien que pour la confection funéraire, on en avait pour une jolie somme d'argent." (p 11) Le colleur de papier exerçait aussi ses talents dans les maisons: changer les papiers des murs, des fenêtres... ce qui peut être nocif pour la santé car il y respire poussières et colle.
Le narrateur fait allusion au métier de marieur qui demande tact, psychologie et prestance sans oublier l'art de la conversation et des négociations! Les jeunes gens ne se marient qu'avec l'homme ou la femme que la famille a choisi. Le narrateur possède cela ainsi que des rudiments d'écriture et de lecture ce qui fait oublier son manque de beauté et lui confère une certaine aura malgré la modestie de son métier. Il en est fier et orgueilleux jusqu'au jour où son épouse s'enfuit du domicile conjugal, abandonnant enfants et époux! La vie lui semble, d'un coup, bien vide et bien précaire et le métier de colleur de papier peu rémunérateur. Il lui faut changer de métier et surtout affronter le regard des autres et ne montrer ni arrogance qui ferait de lui un indifférent ni tristesse outrancière qui ferait de lui un lâche.
De fil en aiguille il deviendra policier, métier qui à l'époque ne semblait guère prisé et encore moins respecté. Malgré ses connaissances en écritures et lecture, il ne pourra accéder qu'à un poste subalterne....le déterminisme frappe encore, aggravé par l'omniprésence, en Chine, du piston et des appuis des notables: on ne prend pas en compte les compétences mais l'importance du piston! Notre homme est bien désappointé d'autant qu'il ne peut pas vraiment profiter de sa situation pour améliorer, par des combines, son ordinaire. Il a l'impression de s'être encore fait grugé et accepte sa malchance avec fatalisme et une pointe d'humour. Pointe d'humour qui lui permettra de regarder les côtés positifs de la vie et de continuer à aller de l'avant bien qu'il ne puisse offrir une éducation convenable à ses enfants qui sauront à peine lire et écrire.
A la suite du narrateur, on parcours les rues et ruelles de Pékin, on y rencontre le petit peuble comme on croise les notables ou les mandarins, on y observe différents métiers et de nombreux petits commerces. On sent l'odeur de friture, de beignets, de soupe et de légumes. On entend les cris des pousse-pousse, des gardes, des vendeurs de journaux, des chalands.
Parfois, le narrateur agace un peu avec ses récriminations, ses lamentations, son éternelle malchance et ses fanfaronades. Mais, on ne peut s'empêcher de l'accompagner dans ses indignations muettes car l'injustice est difficilement acceptable.
Lao She utilise la langue colorée du petit peuple chinois, le peuple laborieux qui courbe l'échine sous le poids des angoisses de manquer de l'essentiel pour survivre jusqu'au lendemain.
"Histoire de ma vie" laisse le lecteur sur sa faim car ce n'est pas un texte intégral présenté par la collection Folio 2€ mais un extrait d'oeuvre romanesque (ici "Gens de Pékin"). On peut considérer ce texte comme une mise en bouche mais, au final, la frustration est présente: cela montre les limites des textes extraits d'une oeuvre; le contexte, le rythme de narration ne sont plus perceptibles et lecteur a du mal à situer les personnages. Cependant, pour ne pas terminer sur une note négative, "Histoire de ma vie" permet une approche de l'écriture de Lao She, pour celui qui ne l'a jamais lu, écriture très colorée, très vive, acérée et sans concession dans le regard porté sur la société chinoise du début du XXè siècle.


Texte traduit du chinois par Paul Bady, Li Tche-houa, Françoise Moreux, Alain Peyraube et Martine Vallette-Hémery
erratum: "Gens de Pékin" n'est pas un roman mais un recueil de nouvelles! Le texte en italique rouge est à mettre en bémol ;-)

dimanche 30 mars 2008

Une photo pour un dimanche


Le printemps devient de plus en plus palpable....un bouton de magnolia s'épanouit à Vichy.
Bon dimanche à tous!

samedi 29 mars 2008

"Et si c'était niais?"

Je suis, en règle générale, une lectrice bon public: j'essaie toujours de trouver le petit côté positif accrocheur d'un roman qui m'a laissée un peu indifférente.

Eh bien, cette fois, je n'ai rien trouvé pour sauver le roman que je viens de lire dans le cadre du Prix des Lecteurs du Télégramme 2008. Je vous devine impatients de connaître le titre de cet ouvrage qui défiera le Temps. Un roman de Guillaume Musso? Un livre de Marc Levy? Non, seulement le roman d'un auteur, inconnu jusqu'à ce jour, "Ton silence est un baiser" de Denis Labayle. J'aurais du me méfier en lisant le titre digne de la collection Harlequin ou de Barbara Cartland (j'en ai lu quelques uns quand j'étais pré-pubère....aïe! quel aveu de faiblesse).

Dois-je vous livrer le cadre de l'intrigue? Allez, je ne suis pas chien, j'aime partager (sourire fielleux et ironique....surtout ne vous croyez pas obliger de lire jusqu'au bout!) mes ressentis littéraires.

Un virus, venu d'Asie (cela ne vous rappelle rien?), dévaste l'humanité et son économie. La Récessession est partout, quelques ilôts sont encore protégés du virus, au hasard les USA et la Grande-Bretagne, les sans-abris plus nombreux chaque jour, les colonnes de réfugiés sans fin. La panique est à deux doigts d'éclater. Un congrès de chercheurs en virologie se tient à Boston. Il permettra de faire le point sur les résulats des recherches récentes et surtout à Franck Gauthier et Maud Lafitte, amants depuis 15 ans, de se retrouver après un an de séparation. Devant l'ampleur du désastre humanitaire, Maud appelle les scientifiques à ne pas privilégier les brevets, mannes fiancières pour les grands groupes pharmaceutiques, mais à offrir leurs futures solutions aux pays ravagés par l'épidémie.

Ce qui aurait pu être intéressant à développer est hélas mis en arrière-plan, pâle et insipide, de l'histoire: comment le virus est-il apparu, ses conséquences sur l'évolution des sociétés modernes, les modifications de comportement social des hommes, la gestion politico-économique, par les élites au pouvoir, des diverses pénuries qu'une telle épidémie entraîne. Tout cela passe à la trappe au profit d'une histoire d'amour passionnel d'un inintérêt abyssal. L'auteur embarque le lecteur dans un récit, celui de la passion qui unit Franck et Maud, à deux voix, celles des deux amants qui se répondent. C'est vite lassant car d'une platitude affligeante. Pourtant, la quatrième de couverture annonçait quelque chose de plus consistant: " (...) De cette tragédie mondiale, Denis Labayle parvient à faire surgir des moments de bonheur radieux. Comme un chant, les voix des deux amants alternent, s'enlacent et se répondent. Engagé, intense et lyrique, ce roman est une ode à la liberté, et davantage à l'amour, seul idéal à tenir encore ses promesses." Là encore, j'aurais du être plus circonspecte.

Je vous épargnerai les citations...l'écriture est plate, incolore, inodore et sans saveur. Une certitude à l'issue de cette lecture-pensum: je ne voterai pas pour ce titre! Pourquoi n'ai-je pas fermé, purement et simplement, ce livre avant la fin? Par masochisme? Non, une envie de connaître la nature du virus, de lire un bout, même minime, d'engagement idéologique de la part des personnages (lisses, insignifiants et en rien attachants) et le fait de participer à un Prix de lecteurs, m'ont amenée à persévérer. Si je vous dis que la chute est à la hauteur de ce ratage littéraire, vous n'en serez pas surpris?! Pourtant, il y avait matière à écrire un bon thriller et une critique de nos sociétés capitalistes, mercantiles, qui dilapident, dans l'insouciance "bling-bling" du "capitalisme de la frivolité", les ressources naturelles de notre planète. Si l'auteur avait inversé le prisme du récit, le résultat aurait été peut-être moins désastreux.



jeudi 27 mars 2008

L'or du passé


quatrième de couverture:

"Un été, en Normandie. Dans une maison en bord de plage, un jeune couple et leurs jumelles s'installent dans leurs vacances. jeux de plage, baignades et promenades tissent le quotidien des jours. L'homme, cependant, s'échappe de plus en plus souvent pour rendre visite à une vieille dame singulière, Alice Berthier, rencontrée par hasard. Sa maison, derrière un portail envahi de lierre, semble figée par le temps. Des fétiches sacrés, livres, photographies, s'entassent dans les armoires, toute une mémoire liée à une tribu indienne, les Hopi. Dans un jeu de conversations fascinantes, Alice va distiller des pans de son histoire : son voyage, adolescente, en Arizona, dans le sillage d'André Breton, la fascination des surréalistes pour la culture sacrée des Hopi. Mais, de visite en visite, alors que l'homme semble pris au piège de cette rencontre, Alice va progressivement révéler le secret de sa vie."

Je découvre l'univers de Claudie Gallay par ce roman à l'atmopshère intimiste. Tout est feutré, figé dans le temps malgré quelques sorties et les éclats des non-dits dans la vie d'Anna et du narrateur. La Normandie en toile de fond, tableau parfois impressionniste, univers un peu flaubertien, un drame balzacien s'enivre de cet été pas comme les autres. André Breton et les surréalistes apparaissent, reflets d'un passé merveilleux teinté d'une douleur indicible pour Alice, vieille femme autoritaire et mystérieuse. Entre les averses, les sorties à la plage, les baignades, les courses et l'attirance irrépressible pour la demeure ancestrale d'Alice et de Clémence, la vie conjugale d'Anna et du narrateur se dissout en filigrane. On ne saura jamais le nom de cet homme, fasciné par le récit des cérémonies sacrées des Hopi. Le lecteur écoute, sans se lasser, le séjour de Breton et des surréalistes aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, fuyant l'Occupation allemande. Alice faisait partie du cercle des exilés, avec son père. L'Arizona est scandé par la pluie normande, par le thé de Clémence, par l'apparition fulgurante d'un étrange enfant dans le jardin, par les allées-et-venues du chat Voltaire. Alice raconte les masques, les poupées rituelles, les danses, la présence des Blancs perçue souvent comme sacrilège par les Hopi, tous ces gestes ancestraux qui subjuguèrent les surréalistes exilés. Le narrateur traîne son envie d'ailleurs dans l'écoute du récit d'Alice, son mal être dans la fuite de la vie familiale. Les petits riens, les gestes du quotidien donnent un rythme lent, lancinant, presque hypnotique, au récit. Une poésie s'en dégage et pointe la part d'ineffable de l'existence....on se croirait parfois dans un roman japonais: les descriptions magnifient le quotidien et illuminent le roman....l'or du temps fascine et émerveille.
"Dans l'or du temps" est un roman de la mémoire et de ses méandres: Alice, en déroulant le fil de ses souvenirs, fait remonter à la surface une profonde douleur, muette et cruelle, qui trouvera une trouble issue un soir d'hiver. Un roman qui peut dérouter comme enchanter...moi, il m'a enchantée!

"C'est l'heure encore calme du matin." (p 7)

"On a ramené un caillou chacun. Après les filles ont voulu leur glace et on les a achetées comme on avait dit,cassis-fraise pour Anna, vanille-pistache pour moi et les filles tout chocolat. (...) Le lendemain, on a placé les cailloux côte à côte sur la terrasse. Le mien à côté de celui d'Anna et ceux des filles, l'un au-dessus de l'autre. Les filles ont voulu qu'on prenne des photos. Les cailloux seulement et puis une autre avec les cailloux et nous. Pour les cailloux et nous, Anna a dû mettre sur automatique et revenir en courant." (p 86)

"J'ai poussé l'autre porte. Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. La curiosité, sans doute. Derrière, ça sentait bizarre. J'ai cherché l'interrupteur. Du plat de la main. Sur la droite. Le long du mur. La lumière a jailli, violente. La pièce était grande, les murs recouverts de bois. Un lustre de cristal pendait au plafond. La lumière venait de là. Sous le lustre, une grande table. Sur cette table, une nappe et des couverts. Une vingtaine et puis des chandeliers. Je me suis avancé. Il y avait du pain dans les corbeilles, des tranches sèches et grises. Je les ai touchées, on aurait dit de la pierre. Une carafe. Vide. Des traces de dépôt à l'intérieur. Certaines chaises étaient normalement placées derrière chaque assiette et d'autres dans un désordre qui laissait à penser que des gens s'étaient trouvés ici et qu'ils en étaient brusquement partis. Un foulard sur un dossier. Une veste. Un ours en peluche. En me détournant, j'ai vu qu'il y avait un sapin dans le fond de la pièce. Des guirlandes. Quelques boules." (p 193)

"Et là dans un coin d'herbes tellement à l'ombre qu'il y faisait encore nuit, j'ai vu les petites lumières. Des lumières presque bleues. je me suis levé. Les lumières ont disparu alors j'ai repris ma place sur le banc et je les ai vues à nouveau. J'ai fait cela plusieurs fois. Et à chaque fois que je voulais m'approcher, les lumières disparaissaient. C'étaient des lucioles.(...) Je les ai regardées. Longtemps. Je les ai regardées jusqu'à ce qu'il me soit impossible de les voir. Leur lumière de lucioles progressivement absorbée par la lumière plus forte du jour. Et même quand il me fut impossible de les voir. Parce que je savais qu'elles étaient là. Petites lumières tenaces." (p 296)

Les avis de Lily camille lire

Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés

mercredi 26 mars 2008

L'entre deux mondes


"Un homme coincé entre deux mondes vit et meurt seul. Cela fait assez longtemps que je vis ainsi, en suspension".

C'est le héros du roman qui parle ainsi, lui l'immigré venu d'Afrique, venu d'Ethiopie où la révolution se déroulait dans le sang. Stéphanos tient une petite épicerie dans un quartier défavorisé de Washington. Il a du mal à joindre les deux bouts, les factures s'accumulent sans être réglées, le temps passe dans un marasme désenchanté. Sépha Stéphanos est seul, entre deux mondes, entre deux sociétés, entre deux cultures: l'Amérique et l'Afrique se côtoient sans vraiment se rencontrer sauf lorsqu'un jour, près de chez lui, emménagent une jeune femme et sa petite fille métisse. Judith et Naomi vont apporter un souffle américain dans la vie tranquille et bien réglée de Sépha, un souffle qui chamboulera son horizon et ses sentiments. Très vite, elles deviennent son rayon de soleil: Naomi partage ses lectures avec lui (les scènes de lecture à haute voix des "Frères Karamazov" sont belles et émouvantes, une parenthèse spatio-temporelle dans la morosité quotidienne), Judith une soirée qui hélas laissera une légère amertume chez Sépha. "Je regardais une fois encore autour de moi dans le salon de Judith, avec cet arbre de Noël trop grand et ces cadeaux d'une générosité absurde. Ce que Judith voulait, c'était un autre Africain pour remplacer celui qui l'avait abandonnée, elle avait bien mal choisi. Je n'étais pas cet homme-là. La bouilloire se mit à siffler dans la cuisine. Une façon de siffler bien spéciale, comme un petit chantonnement censé ressembler, me dis-je, à un chant d'oiseau matinal." (p 185 et 186)
"Par un pertuis rond je vis apparaître/Les belles choses que porte le ciel" (Dante in La Divine Comédie - "L'Enfer" -), ces belles choses, Sépha ne peut se les approprier, lui qui vivote dans son épicerie où s'accumule poussière et vieils articles. Sépha a l'art de rater les bonnes occasions au grand dam de ses amis d'exil, Joseph, du Congo, et Kenneth, du Kenya: il n'a pas l'esprit d'entreprise américain qui réalise une aventure avec trois fois rien, il cerne le rêve américain sans pouvoir le concrétiser. Aussi, Sépha préfère-t-il déambuler dans les rues populaires ou huppées de la ville, suivre un couple de randonneurs citadin, sentir le parfum d'un printemps qui s'annonce, s'attacher aux multiples petits détails de la vie de tous les jours (les clochards qui s'installent sur les bancs, les pauses-déjeuner sur les pelouses ensoleillées, le balayage de Mme Davis...) Pourtant, il a tenté d'aller vers la réussite: il s'est inscrit à l'université pour passer un diplôme et s'ouvrir une autre voie mais, rapidement il souhaite devenir autonome et ouvre alors sa boutique. Là, il se trouve bien: il peut lire et lire encore les romans empruntés à la bibliothèque, il voyage par procuration, il apprend la culture américaine, occidentale (sans vraiment s'intégrer), il s'évade de son quotidien. En effet, le quartier deshérité se désertifie peu à peu pour laisser place à une autre catégorie sociale: une classe supérieure qui investit à bon compte dans un immobilier bon marché et embourgeoise le secteur. Expulsions, déménagements intempestifs, rénovation, scandent la vie de Sépha et ses voisins. La communauté noire est en passe de devenir minoritaire, Sépha regarde cela d'un oeil extérieur et lointain...il est toujours entre deux eaux, entre deux rêves, entre deux continents. Il tente de créer des liens entre ses deux cultures, entre les deux situations: la vie à Washington n'est pas si facile que cela et parfois elle ressemble à celle que l'on peut vivre à Addis Abeba (la pauvreté côtoie l'aisance ici comme là-bas), les petits riens permettent de vivre au jour le jour et d'espérer toujours un avenir meilleur. Sépha est nostalgique de son pays bien qu'il sache que jamais il n'y retournera, il culpabilise, malgré tout, d'avoir abandonné sa mère et son frère, là-bas en Ethiopie...est-ce pour cette raison qu'il ne parvient pas à réussir à gravir l'échelle sociale alors qu'il possède de belles cartes en main? Est-ce pour cela qu'il n'arrive pas à s'intégrer sentimentalement? Est-ce pour cela qu'il rêve de l'impossible relation amoureuse avec Judith? L'enfer de Sépha est sa nostalgie et sa culpabilité mais il sait comment y survivre: en saisissant les "belles choses que porte le ciel"....Naomi et ses lectures et ses rires et ses colères, le soleil jouant dans les feuilles, ces petits riens qui participent à la réalité de son existence.
Dinaw Mengestu nous ouvre les portes du souvenir et du désenchantement dans un récit fort où passé et présent se mêlent se répondent et s'éclairent. Les personnages de Sépha, Kenneth, Joseph, Judith et Naomi m'ont émue parfois jusqu'aux larmes: leurs solitudes sont poignantes, leurs désenchantements et leurs errances aussi. Chacun, à leur manière, cherche leur chemin, la route à suivre pour exister pleinement et s'installer dans la société. Le plus difficile à réaliser, dans la vie, est peut-être le fait de choisir une vie plutôt qu'une autre et d'éviter une éternelle suspension entre Enfer et Paradis.

"Il y a environ huit cent quatre-vingt-trois pas entre ces marches et mon épicerie. Une distance que je peux couvrir en un sprint de moins de dix secondes, ou en moins d'une minute si je marche. Ce sont toujours les premier et dernier pas les plus durs. Nous nous éloignons et tentons de ne pas regarder en arrière, ou bien nous restons de l'autre côté des portes, terrifiés de découvrir ce qui nous attend, maintenant que nous sommes revenus. Entre-temps, nous titubons à l'aveuglette d'un endroit et d'une vie à l'autre. Nous essayons de faire de notre mieux. Il y a des moments comme ça, cependant, où nous ne bougeons pas et où tout ce que nous avons à faire est de regarder en arrière vers la vie que nous avons menée. Pour l'heure, je suis persuadé que ma boutique a l'air plus idéale que jamais. je la vois exactement comme j'ai toujours voulu la voir. A travers le feuillage des arbres qui longent l'allée coupant la place, il y a une boutique, ni délabrée ni idéale, une boutique que, en dépit de tout, je suis heureux de dire mienne." (p 304)

Roman traduit de l'anglais (USA) par Anne Wicke




Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés

interview de l'auteur ici

mercredi 19 mars 2008

La Voie de l'insignifiance


Ils sont partout et on ne les remarque pas. Ils nous frôlent, nous évitent, se faufilent dans la foule citadine sans que nous les remarquions. Qui sont-ils ces discrets? Les membres d'une société secrète? Les adeptes d'une discipline morale et sportive inconnue?
Toujours est-il que Les Discrets se voient contraints de se faire remarquer: quelqu'un les a repéré et semble vouloir les éliminer en les épinglant sauvagement, tels des papillons capturés. La peur s'installe dans leurs rangs et Louis Pinson fait appel à un détective, Johnny Spinoza. Commence alors une course poursuite contre le temps et le tueur. Pour approcher le tueur et éclaircir le mystère, Spinoza reçoit l'initiation vers la Voie afin de devenir, lui aussi, un discret.
Quelle est cette Voie? Celle de l'effacement de soi, celle de la disparition dans la légèreté de l'invisibilité au regard des autres. Un rêve de SF où la cape d'invisibilité, de la normalité absolue, revêtue grâce à l'entrée en méditation, permet de survoler le monde, les êtres et les choses, d'être partout et nulle part.
J'ai aimé cette idée du Discret, de cet être invisible car terriblement normal, malgré certaines longueurs lorsque Arnaud le Gouëfflec explique la Voie, ce nouveau Tao citadin. L'enquête policière est bien menée, haletante: le tueur est-il un des Discrets? Ou alors, quelqu'un qui les a surpassés, surclassés? La chute est surprenante et bien trouvée: les Discrets, malgré tout leur art de l'effacement, sont parfois négligents et laissent des traces, infimes mais suffisantes, de leur ancienne vie!
"Les discrets" est un roman policier aux accents de science-fiction et au rythme délirant des fluidités du flou au milieu des foules (ah! ces couloirs infinitésimaux, dans la foule, qui s'ouvrent sur un autre espace-temps où les Autres semblent s'être arrêtés!). L'écriture d'Arnaud Le Gouëfflec est agréable, plaisante, vive et originale, parfois grinçante et rappelle celle de Serge Joncourt. Du coup, le roman a un goût de trop peu: j'aurais aimé qu'il soit plus long et aille plus loin dans le délire décalé.


Quelques passages:



"Je commençais à entrevoir la manière dont les discrets s'y prenaient pour disparaître: on peut se cacher derrière un symbole, s'enfouir dans un costume, pour peu qu'il représente quelque chose de connu. Le déjà-vu est un puissant anesthésiant. Le pardessus rend invisible." (p 55)


"Le discret ne se lance dans la Voie qu'après mûre réflexion. On ne se dissout pas à la légère, voyez-vous: c'est un chemin sans retour. Le plus souvent, les candidats ont déjà développé d'appréciables capacités d'insignifiance. On a vu de snovices capables de se rendre au restaurant, de commander, de manger, de régler l'addition et de quitter les lieux sans que personne, pas même le garçon, fasse attention à eux. Pour nous, c'est un talent en friche, qu'il nous faut cultiver." (p 62 et 63)


"La clef première de la discrétion volontaire, monsieur Spinoza, est de cultiver cet état dans lequel les gens s'anesthésient eux-mêmes, mais de s'y promener l'esprit aux aguets, et de maîtriser l'art de s'abrutir. Ecartelés entre l'humain et la machine, nous ne valons guère mieux que des automates: plus nos gestes sont trempés dans l'habitude, plus notre comportement devient mécanique.
Il esquiva une dame qui fonçait sur lui.
Nous autres discrets, sommes devenus de spécialistes de cette étrange mécanique humaine des fluides. Nous en avons dégagé des lois pour mieux nous y mouvoir et, au lieu de lutter contre le courant, nous nous baignons dans le liquide amniotique de la ville!"
(p 67)

L'avis de Joelle pascal



mardi 18 mars 2008

Les 9 vies de la chaussure


Le personnage principal de ce roman est une chaussure, seule sur un toit d'immeuble parisien. Autour d'elle, se mêlent, se croisent les histoires d'une partie des habitants de l'immeuble. Autant de portraits, autant de vies, autant de solitudes cachées derrière les vitres.
Une petite fille, insomniaque ou somnambule, regarde par la fenêtre de sa chambre: elle est ravie, elle a vu un ange, un ange qui a perdu sa chaussure. Avait-il des ailes? A-t-il dit quelques mots? Le rêve semble s'être matérialisé dans la chaussure sur le toit, preuve que le rêve n'en est pas forcément un! A partir de cet instant, la chaussure connaît de multiples aventures, racontant la solitude des hommes.
C'est l'histoire de cette jeune fille, noire, amoureuse d'un sans papier qui s'est fait expulsé: elle crie son horreur et sa douleur dans l'anorexie et l'espoir qu'un jour, son amoureux viendra récupérer sa chaussure, abandonnée sur le toit. Personne ne peut saisir le manque qui l'habite, personne ne peut soupçonner la folle solitude devant un espoir irrémédiablement perdu mais on peut comprendre combien la chasse à l'homme orchestrée pour satisfaire les statistiques peut être laide, on peut saisir le dégoût provoqué par celui qui "donne" le gibier à la meute.
Les récits s'enchaînent, satire sociale ou adaptation littéraire d'un mythe grec (amenant le héros à un fiasco sentimental hallucinant!), exercice de style où le conte de fée peut devenir une réalité, mais une réalité grinçante et mordante (l'idéalisation peut provoquer l'aveuglement d'un homme et l'amer ratage d'une vie car n'est pas Cendrillon qui veut!)
Les différentes tonalités des récits emmènent le lecteur dans un dédale d'images, de mots, de rythmes et de personnages qui se croisent, se parlent, s'ignorent, se chamaillent, se détestent et se font souffrir. Cela sous les yeux acérés de deux chiens et d'un chat qui se piquent de philosophie, de littérature ou de prophéties tragiques. La chaussure est toujours présente, seule, immuable, sur le toit: une évidence, une invisibilité et une oeuvre d'art. La chaussure symbole de la solitude, de l'abandon et de l'effacement? L'ultime nouvelle semble être là pour apporter une réponse au mystère de la chaussure sur le toit sans vraiment éclairer la lecture. D'ailleurs est-ce vraiment nécessaire d'éclairer un mystère en ne réussissant qu'une chose, embrouiller encore plus?
Cependant, je n'ai pas boudé mon plaisir et "La chaussure sur le toit" reste une lecture amusante avec un faux air de légèreté qui souligne le thème central du roman: la solitude des êtres.

lundi 17 mars 2008

Taggée aussi!


Antigone, Nath et Joëlle m'ont taggée. Aussi, m'y suis-je collée de bonne grâce (je râle pour la forme...oh, l'hypocrite Chatperlipopette!)


Règlement :

donner le lien de la personne qui vous tague - préciser le règlement sur votre blog - taguer 6 autres personnes en mettant leur lien en fin de billet - répondre aux dix questions suivantes :



1- Le trait principal de mon caractère : emporté
2- La qualité que je désire chez les hommes : la sérénité
3- La qualité que je préfére chez les femmes : la gentillesse
4- Mon principal défaut : un côté "soupe au lait"
5- Ma principale qualité : la fidélité aux êtres aux idées et aux choses
6-Mon occupation préférée : la lecture bien sûr mais aussi la cuisine
7- Un plat qui me met l'eau à la bouche : il y en a tellement!!!!
8- Mes mots favoris : liberté égalité fraternité
9- Ce que je déteste par dessus tout : la méchanceté, la trivialité, le côté matuvu
10- Un rêve : au pluriel! liberté égalité fraternité.....et surtout un bébé!


Il me faut désigner des victimes, 6 en l'occurrence! Je serai curieuse de connaître les réponses de rennette loutarwen maijo majanissa virginie et nanou

dimanche 16 mars 2008

Pour clore le Printemps des poètes


Un poème de Verlaine (1844 - 1896) consacré à la lune. Eloge de l'autre, éloge de la lune....


Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques

Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.


Paul Verlaine

(in "Fêtes galantes" - 1869 - )


L'aube d'une saga norvégienne


Le XXè siècle, à Bergen, commence par la découverte du corps d'un notable de la ville: le consul Frimann. Les inspecteurs Moland et Berstad sont dilligentés par le commissaire Krohn-Hansen sur les lieux du crime pour récolter indices et témoignages. Seulement, en ce siècle naissant, il n'est pas aisé d'enquêter sur les puissants personnages d'une ville et encore moins bien vu de mettre son nez de policier dans leurs affaires....surtout quand une jeune et jolie femme, Maren Kristine Pedersen, peu avare de ses charmes se trouve connaître nombre d'entre eux!
Mais il faut absolument trouver le coupable ou du moins un coupable pour que le petit cercle des notables recouvre paix et tranquillité! Les pauvres inspecteurs Moland et Berstad vont donc se lancer dans une recherche impossible et finalement alpaguer un pauvre lampiste (qui aura le bon goût, ?, de se suicider lors de son arrestation) d'origine modeste, Jens Andreas Hauge. L'affaire est close et la vie reprend son cours dans la ville de Bergen.
On pourrait croire que Gunnar Staalesen amorce ainsi un roman policier d'anthologie. Or, peu à peu, derrière l'intrigue policière, filigrane ténu mais récurrent, commence une narration particulière: l'épopée d'une ville norvégienne qui aborde l'aube du XXè siècle avec plus ou moins de soubresauts historiques, économiques et sociaux!
Nous sommes dans une saga, non pas islandaise, mais norvégienne, moderne et étonnante! Gunnar Staalesen entraîne son lecteur dans les dédales de l'Histoire, des histoires de multiples personnages qui se croisent, s'éloignent et se rapprochent les uns des autres parfois l'espace d'un instant, parfois pour tout une vie!
On côtoie les grandeurs et petitesses des hommes en vue de Bergen: leurs habitudes amoureuses auprès de la belle et troublante Maren Kristine Pedersen, qui au fil du récit s'avère être tout sauf une vulgaire "cocotte" (moi, elle m'a beaucoup plu et beaucoup émue), leurs privautés sur les jeunes bonnes qui voient en peu de temps leur vie sociale partir en fumée , leurs côtés "requin" et sans pitié dans les affaires. L'inspecteur Moland, de loin en loin, aura plusieurs fois l'occasion de se remettre sur la piste du véritable assassin du consul Frimann: des questions sont soulevées, des doutes s'installent....une histoire de masques qui change tout. Puis un coup de théâtre qui hélas n'apportera que frustation aux inspecteurs comme au lecteur: le suicide d'un notable, acteur principal (mais sur le déclin) du théâtre de Bergen, Robert Gade. Pas de lettre mais le lecteur sait qu'il en a écrit une à son ancienne maîtresse, Melle Pedersen, une lettre dans laquelle il lui révèle le nom du véritable assassin! Là, le lecteur est aux prises avec les pires souffrances: il est à deux doigts de savoir et la toute-puissance de l'auteur vient lui refuser l'indice qui le mettrait sur la voie! Diantre, quelle habilité de la part de l'auteur, quelle maestria!!! En effet, ce dernier recommencera ce manège, terrible pour les nerfs, une seconde fois et sans lasser son lecteur dans le récit de l'histoire de Bergen! Le temps de connaître et reconnaître les différents personnages, le temps défile, le siècle naissant voit une première guerre mondiale ravager l'Europe continentale, les sousmarins allemands régner sur la mer du Nord, la Manche et la mer Baltique, la révolution russe teindre en rouge la Russie, la conquête de la Norvège par le rail, les émeutes et les grèves former une lutte des classes, l'exode rurale s'accentuer, les prédicateurs itinérants prêcher et berner les jeunes filles en fleurs, les incendies ravager puis remodeler Bergen, les dynasties croître et devenir puissantes, les alliances se faire et se défaire et les mouvements fascistes prendre leur essor.
Dans le premier tome, les patriarches familiaux sont au faîte de leur puissance, Moland succombe aux charmes de Maren Krisitine, les épouses délaissées prennent leur mal en patience, les enfants grandissent. Dans le deuxième volet, les premiers laissent peu à peu la place aux seconds, certains masques tombent, on frôle par deux fois la révélation de l'identité de l'assassin, le suspense est à son comble malgré l'intensité des données historiques et sociales sur une ville qui voit un siècle mourir pour s'ouvrir et s'épanouir au suivant.
Ces deux premiers volets du "Roman de Bergen" sont impossible à résumer et d'ailleurs, serait-ce vraiment utile? Ce qui compte, c'est l'ambiance, l'atmosphère trouble, épique et sublime que met en place Gunnar Staalesen: tous les ingrédients d'une excellentissime saga historico-policière sont présents. Le lecteur ne s'ennuie pas une seule seconde même si l'enquête devient inexistante parfois! Les portraits des personnages, tant secondaires que principaux, sont d'une justesse extraordinaire, d'une véritable complexité psychologique, les descriptions sont une vraie mine de renseignements sur la vie quotidienne des norvégiens citadins comme ruraux, riches comme pauvres. On entend les bruits des rues, les voix des personnages, on sent les odeurs des bureaux, des bateaux, de la mer, des montagnes. On hume les hivers rigoureux, les printemps pluvieux ou radieux, les étés fugaces mais ensoleillés. On se retrouve dans les maisons bourgeoises, on tremble pour la vertu des jeunes bonnes, on se voile la face devant les actes impardonnables des jeunes messieurs avinés sur une Tordis désespérée d'effroi, on sent la chaluer du brasier qui avale Bergen une nuit de décembre. Le lecteur est et vit dans Bergen, en Norvège, en ce début de XXè siècle!
Que dire d'autre sinon que j'attends avec impatience de lire la suite du "Roman de Bergen", de retrouver les personnages hauts en couleurs ou détestables et surtout de connaître l'auteur du crime de la nuit de la St-Sylvestre 1899!

Roman traduit du norvégien par Alexis Fouillet
Les avis de cuné michel

samedi 15 mars 2008

Le vent nous emportera




Il y a quelques années, j'ai vu le film d'Abbas Kiarostami "Le vent nous emportera". Dans ce film, un poème était récité, poème éponyme de Foroukh Farrokhzad (1935 - 1967). "Elle fut la première poétesse iranienne à s'exprimer en tant que femme avec le courage que cela implique" (in pierdelune.com).



Le vent nous emportera


Dans ma nuit, si brève, hélas
Le vent a rendez-vous avec les feuilles.
Ma nuit si brève est remplie de l'angoisse dévastatrice
Ecoute! Entends-tu le souffle des ténèbres?
De ce bonheur, je me sens étranger.
Au désespoir je suis accoutumée.
Ecoute! Entends-tu le souffle des ténèbres?
Là, dans la nuit, quelque chose se passe
La lune est rouge et angoissée.
Et accrochés à ce toit
Qui risque de s'effondrer à tout moment,
Les nuages, comme une foule de pleureuses,
Attendent l'accouchement de la pluie,
Un instant, et puis rien.
Derrière cette fenêtre,
C'est la nuit qui tremble
Et c'est la terre qui s'arrête de tourner.
Derrière cette fenêtre, un inconnu s'inquiètepour moi et toi.
Toi, toute verdoyante,
Pose tes mains - ces souvenirs ardents -
Sur mes mains amoureuses
Et confie tes lèvres, repues de la chaleur de la vie,
Aux caresses de mes lèvres amoureuses
Le vent nous emportera!
Le vent nous emportera!


Forouhk Farrokhzad

(photo extraite du film "Le vent nous emportera" - 1999 -)

D'Oslo à Sydney

Harry Hole, inspecteur de police à Oslo, atterrit en Australie à Sydney suite au meurtre d'une jeune ressortissante norvégienne. Harry Hole fera équipe avec Andrew Kensington, inspecteur à l'étrange statut issu de la minorité aborigène. Ensemble, ils se lancent sur les traces d'un serial-killer au cours d'une enquête qui les emmènera dans les coins reculés d'Australie, les bars interlopes de Sydney, les antres new-age apparues sur les vestiges de la génération "peace and love" des hippies.
On fait connaissance non seulement avec l'Australie, vue par un européen du nord, mais aussi et surtout avec le héros récurrent: l'inspecteur Harry Hole. On apprend que ce dernier a été envoyé en Australie afin de se racheter une bonne conduite. Suite à une course poursuite qui s'est achevée par une collision au cours de laquelle son coéquipier meurt, il est établi qu'Hole était sous l'empire de l'alcool au moment de l'accident. Harry Hole s'en sortira et deviendra abstinent.
Seulement, il est des situations extrêmes qui peuvent faire replonger l'abstinent dans la spirale infernale de l'alcool. Ainsi en sera-t-il pour notre inspecteur d'Oslo qui ne vit plus que dans un brouillard alcoolisé et avec une "gueule de bois" quasi permamente. Cependant, on ne peut s'empêcher de l'apprécier ce Harry Hole: on devine son opiniâtreté, son humanisme, son désir de vérité et sa capacité à aimer. En effet, Jo Nesbo nous présente tout sauf un super héros, un super policier au flair infaillible, aux idées claires et nettes, mais un homme, tout simplement, avec ses défauts et ses qualités. Un homme qui sait qu'il faut voir au-delà des apparences, au- delà des faits immédiats, au-delà de l'arbre qui cache la forêt. Il sait qu'un fil conducteur peut l'amener dans le sillage du meurtrier en série. Harry Hole s'intéresse aux seconds couteaux, aux témoins les moins importants, guidé par le récit de quelques légendes aborigènes, récits qui peu à peu l'aideront à comprendre la vérité qui se cache souvent sous l'évidence. Une galerie de portraits jalonne l'enquête, personnages hauts en couleurs comme le clochard, parachutiste déclassé pour alcoolisme, le clown travesti et un peu magicien, la prostituée sagace et réaliste, le gardien de l'aquarium, les policiers d'une ville perdue dans le bush australien.
Aux côtés d'Andrew Kensington, Harry, comme le lecteur, apprend que l'Australie s'est érigée sur l'accaparement des terres aborigènes, peuple aux civilisations multiples, que ce pillage a été le fait des premiers colons aux gloires peu brillantes (c'était des criminels, des bagnards) qui peu à peu ont assis une société nouvelle. Puis le rejet total des indigènes a conduit à enlever les très jeunes enfants à leur mère pour les élever dans des orphelinats d'état (j'avais eu cette information dans un roman policier de Philip McLaren) afin de tenter leur intégration dans la société australienne. Peu à peu, on se rend compte que ce pays neuf et pourtant empreint du passé ancestral aborigène, est confronté à l'archaïsme religieux du puritanisme anglo-saxon et à l'esprit de liberté: l'idéologie hippie côtoie le conservatisme le plus oppressant, Sydney accueille la plus grande communauté homosexuelle et le bush profond l'honnit....et les surfeurs beaux, musclés et bronzés croisent les "ploucs" arriérés des campagnes, les plages sont certes sublimes mais l'océan infesté de requins, les bushs sublimes de solitude et d'horizon infinie mais les rivières infestées de crocodiles voraces.
Dans ce pays-continent, terre de contrastes, Harry Hole se débat dans une enquête scandée par une légende aborigène, celle de Walla, le chasseur, Moora, sa fiancée et Bubbur, le serpent: la sanglante réalité de l'enquête est l'echo du triangle de la légende, une histoire d'amour et de mort.
Une rencontre littéraire qui me faisait un peu peur car j'avais lu beaucoup d'avis positifs sur les blogs....et j'avais pu voir l'auteur au Festival des Etonnants Voyageurs à St-Malo l'an dernier. Au final, aucune déception et une belle rencontre avec ce Harry Hole attachant.... "Rouge gorge" attend dans ma bibliothèque que je le lise!

Roman traduit du norvégien par Elisabeth Tangen et Alexis Fouillet

Une interview de Jo Nesbo ICI

Ils l'ont lu aussi: FrédériqueB polarweb bouquin yueyin



vendredi 14 mars 2008

Eloge du printemps



François Villon est passé à la postérité pour ses ballades, Charles d'Orléans (1394 - 1465) pour sa poésie, bien sage, et ses rondeaux.

J'en ai lu quelques uns et celui qui m'a inspirée est un éloge du printemps....n'oublions pas que cette année Le printemps des poètes a pour thème "L'éloge de l'autre". Ce soir, l'autre est le printemps.



"Le temps a laissé son manteau"


Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau.


Il n'y a bête ni oiseau
Qu'en son jargon ne chante ou crie:
Le temps a laissé son manteau.


Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d'argent d'orfèvrerie,
Chacun s'habille de nouveau:
Le temps a laissé son manteau.


Charles d'Orléans

(in "Poètes et romanciers du Moyen-Age", la pléiade)

De l'autre côté du miroir

Nous sommes en Cisjordanie, Cham, un jeune officier de Tsahal, part en permission et se fait dérober ses papiers d'identité. Au check-point, il reste discuter avec un adjudant. C'est là que tout bascule, l'espace de quelques coups de feu. L'adjudant tombe, Cham, blessé, est fait prisonnier. Commence alors un voyage étonnant et peu ordinaire, entraînant le jeune soldat israëlien et le lecteur dans un monde où les repères n'ont plus cours. Cham, sous le choc, est amnésique, perd son identité pour en recouvrer une autre, pour devenir l'Autre,prenant le nom d'un disparu palestinien. La mémoire perdue lui fait traverser le miroir, regarder au-delà et voir autrement le déroulement du monde. Cham devient Nessim, fils d'une veuve aveugle Asmahane, frère d'une jeune fille anorexique Falastin, Cham devient palestinien, Cham vit le couvre-feu, les vexations, la peur, la haine, le désarroi et l'envie que ces absurdités s'achèvent. L'autre côté du miroir est fait de mirador, de filtrages, de champs désertés par leurs paysans, d'olives récoltées dans la peur, de fouilles humiliantes et d'irrespect de l'autre.
Le voyage de Cham/Nessim est celui de l'altérité et du double avec tout ce que cela comporte d'interrogations, d'étonnements, de douleurs, d'amour et d'étrangeté. Ce jeune officier ira jusqu'au bout de lui-même, ira jusqu'au bout de sa découverte: celle d'un cousinage tellement proche qu'il en devient absurde de se battre et s'entretuer. La guerre israëlo-palestinienne engendre d'improbables rencontres et d'incroyables rapprochements devant l'outrance des violences commises de part et d'autre: les pacifistes existent dans les deux camps, au péril de leur vie, et tentent de faire entendre la voix de la tolérance et de la compréhension.
Haddad emmène son lecteur, au gré de son écriture d'une intense poésie, dans les méandres des sentiers et des ruelles, dans les labyrinthes des quartiers assiégés et des sentiments contradictoires, dans le ventre sombre de pleurs, de peur et de sang d'une tragédie vécue par deux peuples qui ne sont pas encore en mesure de se comprendre. "Palestine" est un roman qui est un plaidoyer à l'arrêt de l'occupation et de la constructions de colonies israëliennes. Comme Nessim/Cham, le lecteur ne peut comprendre qu'un peuple puisse en faire souffrir un autre au nom d'une idéologie qui en d'autres temps (pas si lointains) a fait frémir l'Europe entière!
Un roman empreint d'humanité qui s'interroge sur le regard que pourrait porter un officier israëlien devenu un fugitif palestinien sur la réalité de ce monde coupé en deux. Une lecture sublime qui ne peut laisser indifférent!



Quelques passages:



"Dans le poudroiement ocre du petit matin, le paysage s'épanouit en éventail, avec ses terrassements méandreux où s'alignent les oliviers. La corne d'une lune pâlie désigne, très loin, les faubourgs indéfinis d'Hébron. Au pied de la colline, autour d'éminences moindres, les vestiges d'un bourg et le tracé calcaire d'anciennes closeries se perdent en vis à vis d'escarpements ça et là excavés de grottes aux contours géométriques. Un champ de pierres dressées qu'un muret entoure s'étend à main gauche, entre deux routes crevassées où s'amasse la poussière. - C'était un village heureux, dit pour lui-même le fedayin rendu nerveux par de mouvantes réverbérations sur la ligne d'horizon." (p 22)


"Dans la lumière verticale, les champs d'oliviers ont un tremblement argenté évoquant une source répandue à l'infini. L'ombre manque à midi, sauf sous les arbres séculaires aux petites feuilles d'émeraude et d'argent, innombrables clochettes de lumière au vent soudain et qui tamisent le soleil mieux qu'une ombrelle de lin. A l'est d'Hébron, du côté des colonies et au sommet des collines, ils ont presque tous été arrachés, par milliers, mis en pièces ou confisqués, sous prétexte d'expropriation, de travaux, de châtiment." (p 47)

jeudi 13 mars 2008

L'humour en poésie


ou l'éloge du rire en rimes!

Il existe bel et bien! Le poème humoristique ou épigramme. Au XVIIè siècle, Théophile de Viau (1590 - 1626) en composa qui furent publiés à titre posthume.

L'épigramme est un court poème qui s'achève par un trait d'humour, sur une notation amusante, souvent satirique.


XLV


Tu dis que Georges est paresseux;
Ton discours est peu véritable;
Car il est toujours parmi ceux
Qui sont des premiers à la table.


XLVI


Un larron, conduit et mené
Dans la prison où l'on le loge,
Est sur-le-champ examiné;
Et lui dit comme on l'interroge:
Hélas! encore ai-je pis fait.
Fais-nous donc, dit le juge, entendre
En quoi tu crois avoir méfait.
De m'être, dit-il, laissé prendre.


XLVII

Un certain, sans grande raison,
Ecrit au-dessus de sa porte:
Par cet endroit en nulle sorte
Le fou ne passe en ma maison.
Il faut donc, dis-je, que le maître
Entre chez lui par la fenêtre.


Théophile de Viau

(in "Oeuvres poétiques, éditions posthumes, épigrammes")

C'est l'histoire d'un mec qui....


"C'est l'histoire d'un mec qui...." pourrait dire Coluche. En effet, c'est l'histoire tragi-comique d'un homme qui court après un emploi stable et gratifiant. Il a en poche une licence de lettres qui ne lui sert strictement à rien et une envie de s'installer dans la vie: avoir une maison, une femme, des enfants et pourquoi pas écrire Le Grand Roman Américain! Hélas, mille et une fois hélas, ce sera la course à l'échalote: 42 petits boulots en 10 ans à travers les Etats-Unis. De la pêche en Alaska, ce bout du monde où le froid, le sel et le dur labeur se disputent au mirage des dollars vite amassés, à chauffeur de poids lourds ou déménageur, rien ne lui sera épargné! "Sans m'en rendre compte, je suis devenu un travailleur itinérant, une version moderne du Tom Joad des "Raisins de la colère". A deux différences près. Si vous demandiez à Tom Joad de quoi il vivait, il vous répondait: "Je suis ouvrier agricole". Moi, je n'en sais rien. L'autre différence, c'est que Tom Joad n'avait aps fichu quarante mille dollars en l'air pour obtenir une licence de lettres."
On suit les tribulations de Iain Levison avec horreur mais aussi avec un sourire, voire des rires, aux lèvres: point de mirabilisme, de gémissements, de pleurs ou d'apitoiement sur soi, mais une sacrée dose d'humour corrosif! Cette dernière lamine le rêve américain (en fait le capitalisme échevelé) en moins de temps qu'il faut pour le dire et avec plus d'efficacité qu'en larmoyant! Cela se passe aux Etats-Unis mais pourrait aussi bien se passer en France...le surréalisme des situations ne paraît guère éloigné!
Ce qui est frappant dans ce récit, c'est la croyance profonde des petites gens de pouvoir faire fortune très vite en créant sa propre entreprise ou en investissant dans des projets attrayants (qui se révèlent être de véritables attrape-nigauds!). La réalité, triste à pleurer si elle n'était contée avec un humour décalé, entraîne les rêves les plus fous dans les abysses de la déception et de l'éreintement à la tâche! Ah! l'épisode du déménageur "associé" (hummm une terminologie finement étudiée pour faire accroire un état de fait inexistant: la possibilité d'être son propre maître et maîtrisé le travail!) qui doit respecter des délais plus fous les uns que les autres au nom de la performance....irréalisable mais toujours vantée. Ou encore, celui de l'artisan plombier qui trouve une fin tragique pour avoir voulu tenir ces fameux délais irrationnels! On en rit, pour ne pas en pleurer, mais c'est une immense tragédie car le gâchis humain est incommensurable.
Iain Levison pointe le regard sur la plus perverse des logiques du libéralisme: changer d'appelation un travail pour donner l'impression de progresser socialement alors que dans les faits c'est toujours "travailler plus pour gagner moins"! La liberté d'entreprendre permet à certains rapaces du monde du travail d'abuser de la détresse des "précaires", qui souhaitent avoir une vie stable, normale, en les faisant payer au prix fort des séminaires bidons, des postes d'associés inexistants qui se révèlent être un miroir aux alouettes. Et surtout, les clauses en tout petits caractères sur les contrats d'embauche (qui font plus d'une dizaine de pages!) où l'embauché découvre qu'il ne bénéficie de l'assurance maladie qu'au bout de 90 jours....délai qu'il n'atteint que très rarement car soit il aura quitté son "job", soit il aura été viré, pour une faute anodine mais essentielle, de son "job" grâce à la vigilance mesquine d'un chef (payé pour cela)! Bienvenue dans le monde merveilleux des faux-semblants et des vraies tragédies: on pleure et on rit car l'humour sauve de tout et surtout du pire!


Récit traduit de l'anglais (USA) par Fanchita Gonzalez Batlle



mercredi 12 mars 2008

Un petit tour au XVIIè siècle



En compagnie d'un poète: François Tristan L'Hermite (1601 - 1655). Son oeuvre se situe dans une période de transition: le baroque est encore présent dans la poésie, la littérature, la peinture, tandis que pointe la codification stricte du classicissisme.

J'ai choisi un sonnet de 1648 dans lequel le poète magnifie son appartement, en le personnifiant et en utilisant une technique descriptive faite d'énumération, d'évocation de la magnificence....On ne peut s'empêcher de lire ce poème avec un sourire en coin car il y a une pointe d'humour sous la plume de F. Tristan L'Hermite (ce qui n'engage que moi)....l'éloge d'une beauté en cache un autre!



Logement non pareil, superbe appartement
Où tout l'art d'Italie est passé dans la France,
Lambris qui paraissez faits par enchantement,
Où partout l'or éclate avec magnificence.

Tableaux que l'on regarde avec étonnement,
Où de savants pinceaux marquent leur excellence,
Cabinets de cristal dont l'aimable ornement
Des beautés d'alentour redouble l'abondance,


Riche diversité de meuble précieux,
Bain, volière, orangers, quartier délicieux
Où loin des bruits confus la vertu se repose,


Beaux objets, vous donnez de la merveille à tous;
Mais sans vous faire tort on peut dire une chose,
C'est que votre maîtresse a plus d'appas que vous."


François Tristan L'Hermite

(in "Vers héroïques")

Danaé de Harmensz Rembrandt (1606 - 1669)

Le Prix des Lecteurs du Télégramme

de Brest....C'est parti pour 9 lectures (j'ai déjà lu, il y a quelques mois, un des 10 titres retenus par le jury) qui me semblent passionnantes!

Deux billets consacrés aux 2 premiers titres empruntés, "Palestine" de Haddad et "Tribulations d'un précaire" de Levison, sont en attente d'être publiés sur le blog.