jeudi 30 septembre 2010

La citation du jeudi #5

Toujours extrait du roman "Le club des incorrigibles optimistes" de Jean-Michel Guenassia. Beaucoup de blogolecteurs se reconnaîtront dans ces quelques lignes.

"Elle ne supportait pas de me parler et que je ne l'écoute pas. A plusieurs reprises, elle m'avait arraché le livre des mains pour m'obliger à lui répondre. Elle avait renoncé à m'appeler pour le dîner et avait trouvé une solution efficace. Depuis la cuisine, elle coupait l'électricité dans ma chambre. J'étais obligé de les rejoindre. Je lisais à table, ce qui horripilait mon père. Je lisais en me lavant les dents et aux toilettes. Ils tambourinaient à la porte pour que je cède la place. Je lisais en marchant. Il me fallait quinze minutes pour aller au lycée. C'était un quart d'heure de lecture qui s'étirait en une demi-heure ou plus. J'intégrais ce supplément et partais plus tôt. J'arrivais souvent en retard et me ramassais des colles à la pelle pour trois retards sans motif valable. J'avais renoncé à expliquer aux abrutis censés nous éduquer que ces retards étaient justifiés et inévitables. Mon ange gardien me protégeait et me dirigeait. Je ne me suis jamais cogné à un poteau, ni fait écraser par une voiture en traversant les rues, le nez plongé dans mon bouquin. J'ai évité les merdes de chien qui maculaient les trottoirs parisiens. Je n'entendais rien. Je ne voyais rien. J'avançais au radar et atteignais le bahut sain et sauf. Pendant la plupart des cours, je poursuivais ma lecture, le livre calé sur mes cuisses. Aucun professeur ne m'a attrapé. J'arrivais en retard quand quelques pages passionnantes m'immobolisaient sur le trottoir durant un temps indéterminé. Le pire, c'était les passages cloutés. J'y manquais plusieurs fois mon tour et, souvent, un klaxon me rappelait à la réalité.
J'ai fini par classer les écrivains en deux catégories: ceux qui vous laissaient arriver à temps et ceux qui vous mettaient en retard. Les auteurs russes m'ont valu une ribambelle de colles. Quand il commençait à pleuvoir, je me rangeais sous un porche pour poursuivre tranquille. La période Tolstoï a été un mois noir. La bataille de Borodino a entraîné trois heures de colle. Quand, quelques jours plus tard, j'ai expliqué à l'appariteur, un pion thésard, que mon retard était dû au suicide d'Anna Karénine, il a cru que je me foutais de lui. J'ai aggravé mon cas en avouant que je n'avais pas compris pour quel motif elle se suicidait." (p 50 et 51)

mercredi 29 septembre 2010

Les enfants ont tous leur période...

"caca boudin" et Stéphanie Blake l'a bien illustré dans son album éponyme de la fameuse expression, scatologique, gravée dans les gènes de tout petit enfant digne de ce nom.
Cela commence comme un conte "Il était une fois un petit lapin qui ne savait dire qu'une seule chose:" Autant vous dire que l'auditoire est attentif et prêt à tout entendre...sauf la suite qui étonne d'abord avant de faire sourire puis carrément rire! Hé oui, le petit lapin ne sait dire qu'une chose: "Caca boudin". Comme c'est gouleyant en bouche, ces deux mots, sésame de la révolte et de l'affirmation de soi. Comme on aime les dire, les redire, sans se lasser une seule seconde.
Donc, notre héros aux longues oreilles, scande à longueur de temps son antienne "Caca boudin" pour répondre à toutes les sollicitations et questions parentales. Les parents du petit lapin en prennent leur parti tout en ne désarmant pas. Un jour, car il y a toujours un moment où la machine bien huilée connait quelques grincements, un jour donc, un loup (il fallait bien qu'il pointe le bout de son nez celui-là!), demande gentiment au petit lapin "Petit Lapin, je peux te manger?" Comme ce dernier lui répond son fameux "Caca boudin" (reprise en choeur assurée lors de la narration de l'histoire), le loup n'en fait qu'une bouchée et le petite lapin se retrouve dans l'estomac du loup. Lorsque celui-ci rentre chez lui et répond à la question de son épouse, c'est un "Caca boudin" qui est entendu. Comme la digestion est difficile (les loups ont une fâcheuse tendance à mal digérer!), on fait appel au médecin..un lapin.Quand le médecin lui demande de "dire aahhhh", il entend "Caca boudin". Ciel, c'est son petit lapin qui a été avalé: n'écoutant que son courage de père, le médecin extirpe son rejeton du ventre du loup et l'accueille par un ironique "Bonjour mon petit caca boudin". Et là, surprise, notre lapin  rétorque, dans une langue des plus soutenue, qu'il ne s'appelle pas "Caca boudin" mais Simon! De retour à la maison, la soupe de sa maman est "exquise" et il ne rechigne pas à la manger. Tout le monde se dit que la période "Caca boudin" est définitivement terminée...en effet, elle l'est bel et bien pour laisser place à une autre expression, bien connue de nos tout-petits..."Prout!".
Derrière les expressions dites "scatos" de nos chères têtes blondes, brunes ou rousses, Stephanie Blake met en scène la soif de liberté et d'autonomie du jeune enfant, son envie d'être indépendant et de faire ce qu'il veut. Cependant, défier l'autorité parentale, pour tester la tendresse, l'amour et les limites possibles à la transgression, amène forcément à des désagréments, que l'on doit assumer: l'entrée en scène du loup est là pour l'édification de nos jeunes révoltés. Un élément essentiel est également présent: lorsque l'on est danger, les parents sont toujours là pour protéger, sauver et aimer malgré la peur éprouvée et la colère.
"Caca boudin" est aussi un clin d'oeil au conte de Perrault "Le Petit Chaperon Rouge", à la peur de la dévoration inhérente à l'imaginaire du jeune enfant, fondamentale à vaincre, soit par les contes et leurs joyeux avatars, afin de grandir en toute sérénité. La peur du loup est un mal nécessaire qui permet à l'enfant d'assumer ses bêtises, de les conscientiser et d'aller au- delà de l'émotion première pour accéder au monde de l'abstraction et donc du raisonnement cartésien.
"Caca Boudin" est à lire sans retenue et je peux certifier le passage d'un moment d'intense complicité et de bonheur des mots partagés. D'autant plus que les illustrations, simples, minimalistes même, sont percutantes (la page noire où est écrit "Caca boudin" faisant référence au ventre du loup, à la noirceur de la peur et du mal, est bien amenée) et le vocabulaire à la portée du tout-petit.



(14/24)

lundi 27 septembre 2010

Quand blanchit le monde

Il fait beau, ce 9 août 1945, à Nagazaki, tout est calme,presque serein: Hiroko a revêtu le kimono de sa mère aux motifs d'oiseaux car elle est fiancée à Konrad Weiss, cet allemand si tendre, si rêveur, qui a fui une Allemagne déchirée par la haine et la peur de l'autre, qui a vécu quelques temps à Dehli chez sa soeur avant de poser sa mélancolie et sa poésie sur des carnets roses, ces oiseaux de mots, au Japon, à Nagazaki. Oui, il fait doux d'aimer et d'être aimée, en ce beau matin d'août où la guerre est si proche de sa fin, où l'avenir peut à nouveau se conjuguer. Il faisait beau ce jour-là et le calme accentuait les battements de coeur d'Hiroko, émue par les baisers de Konrad; il faisait beau, puis ce fut un éclat blanc qui effaça le monde dans une blancheur sépulcrale, qui fit voler en une myriade de douleurs la vie d'Hiroko: son kimono s'imprime dans ses chairs, stigmates d'une barbarie venue du ciel, oiseaux noirs incrustés à jamais, dessins indélibiles d'une vie qui ne sera plus jamais la même, celle d'une survivante de l'horreur. La tragédie de Nagazaki fait d'Hiroko une étrangère parmi les siens, aussi, lorsque son père décède (ne se remettant pas de la bombe), part-elle en Inde chez la demi-soeur de Konrad, Elisabeth Burton. Elle arrive dans un pays dont l'atmosphère est celle d'une fin de règne: l'empire britannique est sur le point de tirer sa révérence et en train de plier les ultimes bagages; au Nord, la partition semble de plus en plus inéluctable.
Les Burton en envoyé leur fils Harry  en Angleterre, leur couple est au bord de l'implosion, Hiroko devient le dérivatif nécessaire à l'équilibre factice d'une famille en déroute. Elle trouve en Sajjad Ashraf, l'employé de James Burton, non seulement une oreille attentive et un professeur d'ourdou mais également un homme délicat, attentionné, qui lui redonnera goût à la vie et lui fera découvrir que l'amour peut renaître des cendres.
Il fait froid, ce soir-là, dans la cellule où Raza, le fils d'Hiroko et Sajjad, croupit depuis son arrestation par une police américaine sur les dents à force de courir après d'éventuels terroristes islamiques. L'horreur inimaginable du 11 septembre 2001 plane toujours et encore sur le quotidien des américains. Raza ne comprend pas comment sa vie a pu le mener jusqu'à l'antichambre de Guantanamo. Il se rappelle son enfance à Karachi, cette enfance sous la double appartenance, cette vie où apprendre une langue étrangère coule de source, où sa mère ne porte pas le voile, ne cache pas ses jambes, une adolescence perturbée par l'impossibilité d'obtenir de bonne note en religion, condition sine qua non pour accéder à l'université, une jeunesse écartelée entre la nostalgie paternelle de l'Inde d'avant la Partition et le voile maternel, translucide, de l'après Nagazaki. Une jeunesse ponctuée par l'admiration pour Harry Burton et l'attirance pour la soif d'absolu des moudjahiddins terrés au coeur des montagnes afghanes. Une vie de jeune adulte passée dans le mensonge, à servir dans l'ombre une CIA dépassée par l'ampleur des mouvements islamistes, une vie passionnante, terrifiante qui lui vaut de nombreuses inimitiés.
Il fait noir et froid, le soir où Hiroko comprend que Raza a sombré dans la nasse impitoyable du sens fou de l'Histoire, qu'un simple coup de fil peut briser une vie et un avenir.
"Quand blanchit le monde" est un roman d'une grande force romanesque dans lequel le lecteur se perd et se retrouve avec délectation, entre émotions intenses et larmes au bord des cils. On plonge dans l'univers de la fidélité envers une philosophie de vie et un regard sur le monde, dans l'univers des trahisons pour un idéal ou plus bassement pour une inamitié, on plonge dans l'Histoire d'une région qui n'en finit pas de sombrer dans la violence, l'incohérence et l'aveuglement, on plonge dans l'univers de l'égocentrisme d'une nation qui pense détenir la vérité et n'a de cesse d'imposer son modèle (qui est tout sauf transposable) à l'Autre, on plonge dans l'autisme d'une nation qui ne veut pas voir, et encore moins entendre, la diversité des peuples.
Kamila Shamsie, à l'aide de son merveilleux personnage de femme libre, n'ayant cure des traditions ou des convenances et décidant de toujours rester debout face aux outrages, qu'est Hiroko Tanaka, parvient, avec poésie et subtilité, à interpeller son lecteur sur la lente valse des violences qui rythment la vie des hommes: la Seconde Guerre mondiale ne s'arrête pas aux horreurs des camps de concentration ou de la dévastation provoquée par la bombe atomique; elle entraîne dans une spirale infernale les violences dues à l'intolérance religieuse, au fanatisme des uns et des autres pour atteindre son point d'orgue avec la réaction en chaîne du soutien américain aux Talibans pour bouter l'Armée Rouge d'Afghanistan qui provoque, en une réplique inattendue, le tsunami du 11 septembre 2001 et la chasse à l'homme interplanétaire.
"Quand blanchit le monde" est une très belle découverte de cette rentrée littéraire 2010. A lire sans modération!

Morceau choisi:

"Ce soupir, comme le hochement de tête de Sajjad lorsqu'il dévissait le bouchon du récipient, était tout ce qui restait des disputes passionnées qui les opposaient autrefois. Aux yeux d'Hiroko, la méticulosité était synonyme de bonnes manières. Pour Sajjad, une tasse de thé fumant apportée à un homme au réveil par une femme de sa famille était un élément essentiel du système complexe d'échanges et de courtoisies qui gouvernait la vie d'une maisonnée.
Parfois, quand Hiroko réfléchissait aux premières années de leur mariage, elle ne voyait d'une longue suite de négociations afin de concilier deux conceptions du monde radicalement différentes. Pour lui le foyer était un espace social, pour elle une retraite privée; il ne doutait pas que leur entourage accueillerait son épouse à bras ouverts si elle adoptait leurs vêtements et célébrait leurs fêtes religieuses, mais elle considérait que ç'aurait été hypocrite de sa part et que l'on devait l'accepter telle qu'elle était; il pensait que l'homme devait subvenir aux besoins de sa famille, elle était déterminée à enseigner; il aspirait à un certain confort, elle était une rebelle née.
Maintenant, Hiroko estimait que leur mariage avait résisté au temps, parce qu'ils étaient tous deux capables de respecter sans amertume les accords passés au terme de négociations, quelq que fussent les points sur lesquels ils avaient dû céder. Ils avaient également la chance d'apprécier la compagnie de l'autre plus que celle de quiconque, avait ajouté Sajjad, un jour où Hiroko lui faisait part de ses pensées. Il y a des détails qui aident, avait murmuré Hiroko, plus tard dans la nuit." (p 188 et 189)



Roman traduit de l'anglais (Pakistan) par Karine Lalechère

Livre lu en partenariat avec Ulike  et le site Les Chroniques de la Rentrée Littéraire.
 
 
 
 
(2/7)





Les avis de Pimprenelle et nanagramme  

dimanche 26 septembre 2010

Dimanche en photo 12


Une interprétation de l'Arche de Noé, dans l'un des enclos paroissiaux visité en août dernier.
Les déambulations photographiques dominicales sont à voir ici .

Dimanche poétique # 25

Jack Kerouac a aussi composé quelques haïkaï...ce que je ne savais pas (Merci Mirontaine!!)

Dirai-je non?
- une mouche se frotte
les pattes arrière.

ShallI say no?
-fly rubbing
its back legs.


jeudi 23 septembre 2010

La citation du jeudi #4

"Longtemps, j'ai vécu dans l'ignorance la plus totale de l'histoire de ma famille. Tout était parfait ou presque dans le meilleur des mondes. On ne raconte pas aux enfants ce qui s'est passé avant eux. D'abord ils sont trop petits pour comprendre, ensuite ils sont trop grands pour écouter, puis ils n'ont plus le temps, après c'est trop tard. C'est le propre d'une vie de famille. On vit côte à côte comme si on se connaissait mais on ignore tout des uns des autres. On espère des miracles de notre consanguinité: des harmonies impossibles, des confidences absolues, des fusions viscérales. On se contente du mensonge rassurant de notre parenté." (p 35)

in "Le club des incorrigibles optimistes" de Jean-Michel Guenassia

Le squelette de la discorde

Un squelette est exhumé sur Okinawa:il s'avère être celui d'une jeune femme, que l'on suppose avoir été enterrée vivante, sacrifiée, au XIIè siècle. Cette trouvaille archéologique met en ébullition le microcosme du village où se situent les vestiges du gùk, ancienne place forte médiévale, dans lequel le squelette est resté enfoui des siècles durant. En effet, dans cette île japonaise, fort éloignée de Tokyo, le chamanisme a laissé de vivace traces dans l'esprit des habitants...notamment dans le coeur d'un aubergiste et de sa fille qui se disent descendre de haute lignée et être des descendants de la jeune femme sacrifiée.
Un jeune homme,Meitetsu, professeur de grammaire japonaise dans un établissement privé, décide de quitter son lycée, après avoir été "arnaqué" financièrement par un de ses collègues. En lisant un article dans un vieux journal, il apprend les remous provoqués par la découverte du mystérieux squelette, l'occasion lui est donnée de partir vers un ailleurs moins gris. Il débarque dans le village, se lie avec Kotono, la jeune archéologue (qui s'avère avoir fréquenter le même lycée que lui....tout comme Sayoko, la fille de l'aubergiste).
L'identité du squelette provoque interrogations et fantasmes parmi les habitants: Kotono pense que la jeune femme a été suppliciée par les gens du gùk qui n'étaient que des pirates, Sayoto estime que la jeune femme était issue des rangs de la noblesse. Quant à Meitetsu, celui-ci se laisse à rêver qu'elle a été séduite par un prince alors qu'elle était prêtresse, vouée à la virginité et que son manquement lui valut d'être enterrée vivante.
Autour des trois personnages principaux (qui tissent entre eux des liens d'amour et de jalousie), gravitent le chef de chantier, un tantinet paresseux et lubrique, deux employées âgées scandant, au gré de leurs sarcasmes ou remarques impromtues, les étapes du récit, l'ex mari de Sayoko, un acteur en mal de rôle,ainsi que l'aubergiste oscillant entre ivrognerie et duplicité.
"Histoire d'un squelette" peut sembler un roman étonnant, dans le sens inhabituel, pour un lecteur de Kawabata, , Mishima ou Murakami (Haruki et Ryu), Yoshimura et Ogawa: pas d'atmosphère insaisissable, pas d'ambiance sombre, poétique, oppressante ou immergée dans un imaginaire subtil; pas de personnages tordus, en souffrance, à la recherche d'un ailleurs contemplatif mais des personnages dont la drôlerie se révèle à tout instant. Cela tient sans doute à l'insularité particulière d'Okinawa qui resta longtemps sous domination chinoise avant d'être annexée par le Japon. Une particularité insulaire étonnante vu que le Japon est un archipel. Okinawa et ses traditions sont très éloignées d'une "métropole" où règne la tromperie aux yeux du héros, natif d'Okinawa. Les relations entre Tokyo et Okinawa semblent être identiques à celles entretenues entre l'Outre-Mer et la France Métropolitaine.
L'initiation du lecteur, par l'auteur, aux diverses traditions d'Okinawa (île rattachée au Japon au début du XVIIè puis occupée par les Etats-Unis entre 1945 et 1972) ) apparaît parfois (voire souvent selon le regard posé sur le récit) longuette à la limite de l'inutile, du coup, la lecture peut devenir laborieuse et ennuyeuse. Cependant, la cocasserie de la création du musée du squelette, pierre angulaire de la reconnaissance de la noblesse familiale de Sayoko, efface les inconvénients du didactisme de l'auteur. Autour de l'idée de musée, gravitent aussi bien l'indifférence de la plupart des habitants du district, peu enclins à subir les discours illuminés d'une jeune femme en quête d'ancêtres nobles, que le lobbying d'associations protégeant les vestiges de la seconde guerre mondiale: Okinawa fut le terrain de sanglants combats héroïques et la bataille qui sonna le glas de l'armée impériale. Quant à l'idée de l'ex mari de Sayoko, de mettre en scène la vie imaginée du squelette, elle apporte une dimension encore plus loufoque à la situation du héros qui se retrouve embarqué dans un engrenage dont l'issue semble risquée.
La chute du récit est à la hauteur des romans japonais: abrupte et subtile à la fois...le lecteur se surprend à sourire et à éprouver une relative compassion pour le héros.
"Histoire d'un squelette" est une lecture originale par son atmosphère et malgré tout porteuse d'un imaginaire du bout du monde où la solitude et le désert joutent entre les lignes.

Roman traduit du japonais par Patrick Honnoré






(2/6)

mercredi 22 septembre 2010

Des papas et des mamans

Pourquoi attendre la fête des mères ou celle des pères pour parler de l'adorable album de Jeanne Ashbé "Des papas et des mamans"?
La galerie de portraits commence par un véritable "gimmick" enfantin "Moi, mon papa il a une moto" puis enchaîne sur une réponse du même tonneau "Et ma maman elle raconte des histoires de rats."! D'emblée, Jeanne Ashbé plonge le lecteur dans l'univers tendre et amusant de l'enfance mais aussi au coeur de l'univers de la tendresse au quotidien et ne cache pas les moments plus difficiles qu'un enfant peut traverser: les disputes entre les parents, le travail qui éloigne un papa ou une maman. Elle met en scène le partage des tâches, la vie dans une société moderne (sans doute un peu idéalisée mais réelle dans beaucoup de familles), les papas qui n'hésitent à jouer avec leur enfant, qui s'occupent de leur repas tandis que la maman peut tranquillement boire son café en lisant un livre ou un journal. La fin de la galerie de portrait explique que "que l'on soit très grand ou très petit, on a toujours auprès de nous un papa et une maman" et beaucoup de gens qui nous aime...c'est ce qui est important et essentiel!
Les illustrations sont douces et colorées, les papas et les mamans de différentes ethnies, mosaïque des peuples de notre planète. Quel que soit l'endroit où l'on vit, le milieu où on est éduqué, la tendresse partagée avec la famille et les proches est un élément fondamendal du développement affectif, psychique et social. Le tout-petit s'identifie aux bébés ou aux petits enfants croqués par l'auteure et s'immerge ainsi dans le message et l'univers concocté par cette dernière: il y a plusieurs façons d'aimer et de s'aimer.
"Des papas et des mamans" est un album d'une grande tendresse dans le non-dit et offre une atmopsphère très poétique grâce à ses illustrations. Un petit bijou, comme la plupart des albums de Jeanne Ashbé, à partager le soir avant le coucher ou en groupe, en classe, avant de se lancer dans la trépidance des activités.



(13/24)

jeudi 16 septembre 2010

La citation du jeudi #3

Cela fait trois semaines que je "loupe" le rendez-vous du jeudi. Entre la rentrée scolaire, la rentrée politique et les réunions qui fleurissent sans oublier les difficiles connections vespérales à internet, il y avait de quoi perdre son latin.
Aujourd'hui, une citation bienvenue en ces temps de crise budgétaire et d'économies d'échelle au détriment de l'essentiel....à apprécier et méditer.

"Si vous trouvez que l'éducation coûte trop cher, essayez l'ignorance." (Abraham Lincoln)

Merci Isabelle pour le courriel qui porte en exergue cette citation brûlante d'actualité!

mercredi 15 septembre 2010

Le retour de la Bibli des P'tits chats

Les vacances estivales sont presque un souvenir, la rentrée des classes est installée, nous entrons dans le vif d'une nouvelle année scolaire, scandée d'albums racontés à mes petits élèves. Cette année, ils sont 28, 20 garçons 8 filles (nom d'un petit bonhomme pourquoi n'y-a-t-il que des gars???? Cela devient lassant à la longue!), 28 paires d'yeux et d'oreilles pour recueillir l'imaginaire varié que je compte leur offrir.
Je commence ce périple avec un album lié à la présence de la mascotte de la classe, PAPOTIN le lapin: "Félicien le jardinier".

Félicien est un lapin qui ne refuse rien à ses voisins admiratifs de ses beaux légumes: ses belles salades pomelées font le bonheur de la poule et de ses poussins, ses carottes celui de la truie et de ses porcelets tandis que ses choux font celui de la chèvre et de ses chevreaux. Tout ce petit monde dégustent la production, Félicien est heureux de faire plaisir...seulement l'hiver arrive et les provisions de Félicien sont épuisées. Aussi décide-t-il de frapper à la porte du poulailler, de la porcherie et de l'étable pour trouver de l'aide. Mais tout a été mangé et un lapin ne se satisfait ni de grains, ni de farine pour cochon et encore moins de foin. Pauvre Félicien au ventre vide! Heureusement, le hasard met sur sa route Annabelle, une jolie lapine qui lui propose de partager son terrier et ses provisions pendant l'hiver! Au printemps, Félicien sème à nouveau salades, carottes et choux dans son jardin. Les légumes deviennent appétissants et la poule et ses poussins s'extasient une fois encore sur leur beauté. Félicien se dit qu'il pourrait partager mais arrivent Annabelle et ses lapereaux....ces derniers se jettent sur les feuilles tendres des salades montrant à Félicien qu'il est responsable de famille nombreuse et ne peut agir inconsidéremment.
On pourrait croire que l'histoire s'arrête là, chacun s'occupant de ses affaires sans prêter attention à l'autre. Or, comme la récolte a été généreuse, il y a suffisamment pour partager un repas entre voisins, sans écorner les réserves pour l'hiver. C'est ainsi que par une belle soirée d'été, Félicien, Annabelle et leurs voisins partage un joyeux repas de saldes, carottes et choux!
"Félicien le jardinier" est un très joli album, tant sur le plan de l'histoire (générosité, spontanéité du don, partage, responsabilité -de bouches à nourrir-, entraide, amitié, amour - Annabelle et Félicien fondent une famille après un hiver passé ensemble - ) que sur celui de l'illustration utilisant le pastel, offrant une ambiance à la fois douce et lumineuse et des plans simples. Les caractéristiques des animaux sont respectées et surtout le lexique utilisé est précis: le lapin vit dans un terrier, la poule dans un poulailler, le cochon dans une porcherie et la chèvre dans une étable (normalement c'est une chèvrerie mais l'auteur s'adresse à de très jeunes enfants). De plus la présence de multiples connecteurs liant le récit est une extraordinaire mine pour la construction du langage, l'approche d'une structuration de la langue. Cet album est aussi un délicieux récit dit de "randonnée" (les personnages font chacun la même chose) puisque Félicien distribue successivement à la poule, la truie et la chèvre puis les sollicite ensuite dans le même ordre.
Un très agréable moment de lecture dont ne se lassent pas les 2/4 ans.


(12/24)

lundi 6 septembre 2010

Le lac

La solitude est la compagne de Gimpei Momoï depuis l'enfance. Elle l'a mené sur les rives du lac près du village de son enfance, elle le mène sur les pas des adolescentes ou des jeunes femmes lorsqu'il déambule dans la rue. Gimpei est fasciné par la beauté éphémère et gracile des jeunes filles, fasciné par la brièveté d'un moment où l'éveil à la sensualité leur donne une aura particulière, essence subtile de la féminité naissante. Cette attirance lui vaudra d'être renvoyé du lycée où il enseigne: après avoir suivi une de ses élèves, Hisako, il entame une liaison cachée avec elle, jusqu'à ce qu'ils soient dénoncés par la meilleure amie de cette dernière. Dès lors, la tristesse et le vide sentimental devient son ordinaire, le jetant dans une errance affective sans fin.
Le lecteur suit Gimpei, au fil de ses rencontres entrecoupées de réminiscences du passé, sensations solitaires qui le mèneront à ce qu'il vit dans sa vie d'adulte, sur un chemin narratif parfois chaotique: Kawabata mêle rêve, fantasmes, souvenirs et réalité, créant un récit dont l'écheveau est difficile à démêlé, ce qui peut agacer comme enchanter. Un personnage féminin prend une place, apparemment démesurée, dans l'histoire, Mizuki Miyako, jeune femme seule, maîtresse d'un vieillard. La rencontre est un peu brutale: Miyako, qui sait qu'un homme la suit, et qui y prend un certain plaisir, prend peur et frappe Gimpei avec son sac qu'elle lâche. Dans ce sac, se trouvent ses économies, réalisées sur le dos de son vieil amant afin de goûter à une certaine indépendance, ce qui la perturbe et qui la mènera au silence. Miyako est comme le reflet féminin de Gimpei: ils ressentent les mêmes sensations de solitude, les mêmes errances, vivent le même vide affectif, il aime suivre les jeunes filles ou les jeunes femmes et elle semble aimer être suivie donc désirable. Cependant, on se demande pourquoi tant d'insistance sur ce personnage (cela court sur une bonne trentaine de pages) qui, a priori, n'apporte guère d'éclairage sur l'ensemble du roman. Sans doute, peut-on le lire comme un aparté qui n'est pas vraiment une digression, comme une légère bifurcation histoire de dérouter (dans tous les sens du terme) le lecteur. Celui-ci se retrouve dans une atmosphère dans laquelle le Japon moderne et ancien se côtoient sans se mêler ni s'ignorer, lignes floues qui laissent ouvertes les portes de l'imagination et de l'imaginaire...l'essentiel étant de se laisser porter par la musique des mots et les images qu'ils suscitent, sans à tout prix vouloir tout comprendre.
Le personnage de Gimfei est ambivalent: il porte en lui une grande violence (ses fantasmes, ses rêves sont teintés de sang, de coups, d'incendies) qui est atténuée par un côté ridicule, drôlatique, celui de son obsession vis à vis de la laideur de ses pieds. Cette laideur, drame de sa vie, lui fait tenir des propos absolument décalés lorsqu'il tente de charmer la jeune masseuse en lui parlant de ses mycoses, réelles ou imaginaires. Il a beau être agaçant et grotesque, il est néanmoins attachant: sa tendance à partir dans les limbes de son imaginaire a une telle force poétique qu'on ne peut que lui pardonner d'être ridicule....et son décalage devient le symbole de l'altérité, de la différence, il est l'image du fou qui apporte poésie et beauté au monde de la normalité. Le monstrueux est toujours un envers du commun et du banal, l'autre côté du miroir (que peut être un immense lac) que l'on peut traverser selon les aleas de l'existence.
"Le lac" n'a pas, à mes yeux, la poésie subtile et lumineuse de "Pays de neige" et "Kyoto" mais possède une force indicible qui emporte le lecteur dans un méandre de sensations et d'interrogations sur lesquelles il ne peut parfois mettre aucune image ni aucun mot...un mystère qui sublime l'absence de compréhension, laissant divaguer l'imaginaire de chacun.

Roman traduit du japonais par Michel Bourgeot et Jacques Serguine (édition 1978)
 
 
 
 
Roman lu dans le cadre du Blogoclub de lecture
 
 
 
 
(Samouraï: 1/6)

dimanche 5 septembre 2010

Dimanche en photo 11

(Photographe: moi)

Le mois d'août sonnait le glas des massifs d'hortensias...cependant, les bleus qui se meurent offrent une belle palette de couleurs passées, à l'ombre des enclos paraoissiaux.
Les déambulations photographiques sont à voir ICI .

Dimanche poétique # 24

Les vacances sont terminées, les dimanches poétiques de Chatperlipopette sont de retour. Pour ouvrir le bal des poèmes, j'ai choisi une chanson/poème de Kerouac, aux allures de chansonnette enfantine....mais pas pour les enfants!

Chanson: Ainsi fion, fion, fion

Cueille ma pâquerette
Chavire-moi la tasse,
Taille-moi dans le sentiment
Pour des noisettes,

Fais que j'ande
Colle-moi l'abat-jour,
Satine-moi la plate-bande
Rose-moi les jours,

Dis mon hoquète,
Sésame ma coquille,
Roule-moi les os,
Tire-moi la sonnette,

Pape-moi les parties,
Pète-moi le pot,
Palpe-moi le pis,
Pique-moi le pruneau.

 (Jack Kerouac, Allen Grinsberg, 1950, in "Jack Kerouac, poèmes")
Traduction de l'anglais (USA) Philippe Mikriammos

La version originale

Song: Fie My Fum

Pull my daisy,
Tip my cup,
Cut my thoughts
For coconuts,

Start my arden
Gate my shades,
Silk my garden
Rose my days,

Say my oops,
Ope my shell,
Roll my bones,
Ring my bell,

Pope my parts,
Pop my pot,
Poke my pap,
Pit my plum.

Les troubadours de Celsmoon sont à lire ICI
Merci à Mirontaine pour la découverte d'un Kerouac poète que je ne connaissais pas!