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mardi 27 décembre 2022

Bons baisers de Lénine

 


La dernière fois que j'ai lu Lianke Yan, c'était en 2008, année des jeux olympiques d'été à Pékin. J'avais souhaité lire un roman à contre-courant de ce que faisaient passer les autorités chinoises dans les médias. Je n'avais pas été déçue en lisant « Servir le peuple ».

« Bons baisers de Lénine » dormait depuis plus de deux ans dans ma bibliothèque, le défi « En sortir 22 pour 2022 » m'a poussée à le sortir de son rayonnage.


Benaise est un village perdu au milieu de nulle part dans les montagnes du Henan, et chaque habitant y vit « bénaise » autrement dit tranquille et sans souci majeur.

Benaise a une particularité, et non des moindres, qui est d'être peuplée uniquement de gens handicapés, éclopés, malmenés par la vie. Tout ce petit monde vit loin du charivari du monde, en marge de ce dernier, menant son quotidien loin des tracas administratifs des autorités du district.

On apprend, grâce aux commentaires de l'auteur, roman dans le roman, que Benaise est depuis la nuit des temps le refuge des infirmes.

Benaise est « dirigé » par une figure féminine, Mao Zhi, qui ramena dans le giron du district le village. Cette dernière voit d'un mauvais œil le chef du district souhaiter organiser la « benaisade » à laquelle participeront les villageois.

C'est au cours de la fête que vient à l'idée du chef du district d'utiliser les talents inouïs des Benaisois pour créer une troupe de cirque et gagner ainsi de l'argent afin d'acquérir la momie de Lénine, délaissée à Moscou car trop coûteuse à entretenir. Si cela se concrétisait, quelle réussite pour le chef en question et quel rayonnement glorieux pour cette région perdue au milieu de nulle part et quel merveilleux développement économique en perspective. Une occasion unique de mettre en pratique le slogan de Deng Xiaoping « enrichissez-vous ».

A partir de là, commence une aventure rocambolesque, drolatique et incroyable au cours de laquelle tous les défauts et qualités humaines seront passés au crible ravageur de l'humour de l'auteur.

Il est impossible de résumer ce roman fleuve en quelques lignes qui ne lui rendraient absolument pas justice. Il faut le lire, surmonter son organisation déroutante (les notes peuvent devenir des chapitres à part entière) qui m'a rappelé celle de « L'arbre monde » de Richard Power (qui a peut-être lu Lianke) puisque la lecture part des « racines » pour arriver à la dernière partie « les graines ». La narration naît et croît tel un arbre majestueux, emmenant le lecteur dans les méandres des frondaisons, ces petites notes qui apportent, l'air de rien, beaucoup au récit.

La galerie des personnages est croquée de manière drolatique avec juste ce qu'il faut de pointe ironique. Ils sont tous attachants et j'ai suivi avec jubilation leurs aventures et déboires, tantôt riant de bon cœur, tantôt avec émotion.

Je me suis demandé, à plusieurs reprises, pourquoi la censure chinoise n'a pas sanctionné « Bons baisers de Lénine » car Lianke n'y va pas de plume morte pour critiquer l'appareil politique chinois. Aurait-elle bon goût ? Ou l'auteur possède-t-il au plus haut point l'art de l'ironie subtile  et ainsi échapper aux risques d'emprisonnement ? A moins que la censure, devant la notoriété internationale de Lianke, a compris qu'il était un des grands romanciers contemporains.

Lianke met en place avec « Bons baisers de Lénine » une fable extraordinaire, un conte hallucinant où la momie de Lénine tient lieu de Graal communiste. Mao Zhi, elle, espère qu'une fois la quête accomplie, Benaise soit « déjointée » et retourne dans l'oubli afin que tout un chacun puisse y vivre paisiblement, loin des tracas administratifs et des exigences du Parti. Sauf que le chef du district ne tient absolument pas à abandonner sa poule aux œufs d'or. Sauf que... forcément rien ne fonctionnera comme prévu sinon ce ne serait pas amusant. Entre les délires de gloire et de richesse des uns et des autres, s'immisce une angoisse récurrente, celle qui naît de l'opposition entre les idéaux de la Chine révolutionnaire d'hier et la vision nouvelle de la Chine capitaliste d'aujourd'hui.

Yan Lianke réussit, magistralement, à conter cette quête du Graal avec une narration longue (655 pages), un récit protéiforme, frisant carrément le délire (le lecteur est emporté dans un maelstöm de situations relevant du picaresque ou de la farce comique sans filtre), et laisse au lecteur une liberté d'interprétation incroyable.

« Bons baisers de Lénine » est un roman jubilatoire, succulent, parfois cruel, qui m'a embarquée dans un voyage romanesque délirant et joyeux.

Traduit du chinois par Sylvie Gentil

(Roman de 655 pages)

Quelques avis:

Babelio  Sens critique Critiques libres  In libro veritas

Lu dans le cadre

 



 




jeudi 18 août 2022

Les recettes de la vie

 


« Les recettes de la vie » traînait depuis plusieurs mois dans ma PAL. Je me suis promis en janvier dernier d'en sortir 22 pour cette année 2022, projet ambitieux s'il en est quand on sait toutes les tentations existantes capables de détourner le plus déterminé des « challengers » de son objectif.

Tout cela pour dire que ce roman, aux apparences légères, est un petit bijou.

C'est l'histoire d'un père, cabossé par la vie, passant sa vie autour de ses fourneaux, chef cuisinier du « Relais fleuri » dans une petite ville de l'est de la France. Il élabore, sous le regard admiratif et joyeux de son fils Julien, des recettes généreuses, pour le plus grand plaisir des palais de ses clients.

Henri, bougon au grand cœur, aime apporter à Hélène, la belle Hélène prof agrégée de Lettres, le dimanche, ses huîtres au champagne, confectionner la brioche dorée avec son fils à qui il apprend à maîtriser le B.A.ba de la cuisine traditionnelle.

Il y a aussi Lucien, le pote connu pendant la guerre d'Algérie, celle qui a anéanti, dans le plus grand silence, de nombreux appelés en saccageant leurs rêves. Nicole, la serveuse, maquillée comme une voiture volée, adorable femme à la répartie toujours bien ciblée. Enfin, Gabriel et Maria, les amants éternels, vivant dans une isba en lisière de forêt, les anticonformistes qui aideront Julien à grandir.

La vie suit le rythme des préparations et des coups de feu en cuisine, immuables jusqu'au jour où Hélène quitte la maison sans que Henri fasse quoi que ce soit pour la retenir … pourquoi ? C'est ce que se demandera longtemps Julien.

Julien grandit, seul avec son père, Lulu, Nicole, Gaby et Maria, avec un rêve : devenir cuisinier comme Henri au grand désespoir de ce dernier.

« Les recettes de la vie » relate, aussi, la confrontation entre un père et un fils, entre deux êtres que la ligne de partage des eaux qu'est le savoir séparent. Ce roman est également l'histoire de la transmission d'un héritage composé d'un cahier de recettes disparu de la circulation et de la geste de la cuisine. Julien ne peut s'empêcher de cuisiner, de vouloir que son père soit fier de lui et ses compétences. Sauf que Henri ne jure que pas l'obtention du bac afin que son fils accède à une meilleure vie que la sienne, celle du forçat des fourneaux, de la violence exercée sur les commis, la rude réalité du travail en cuisine usant les corps sans merci.

De désobéissance en rébellion Julien tracera sa route jusqu'en fac, lèvera le voile sur quelques secrets de famille jusqu'au dernier adieu à Henri, rongé par la maladie.


« Les recettes de la vie » est le sel des rencontres épicées entre les cuisines du monde que s'appropriera Julien, est fait de tous ces petits riens qui en composent le socle et la mémoire. « Avec Amar, j'apprends que la cuisine peut être à la croisée de tous les chemins. Il me fait cuisiner la saucisse de Morteau en cassoulet avec les épices de sa mère ; m'apprend à préparer la graine de couscous pour accompagner le boeuf bourguignon ; me fait découvrir sa recette de pastilla de canard à l'orange. »

L'auteur, Jacky Durand, porte un regard tendre sur tous ses personnages pour lesquels on ne peut qu'éprouver de l'affection. Rien n'est surfait, la nostalgie est présente sans ostentation, l'émotion affleure à chaque chapitre, on le sait, on l'accepte et on s'y abandonne ou pas.

« Les recettes de la vie » est loin d'être un roman « feel good » littérature, absolument pas d'ailleurs, c'est bien mieux, c'est un merveilleux partage de saveurs, de fragrances, de coups de sang, d'amour et d'amitié …. de la transmission d'une passion pour les belles et bonnes choses que l'on cuisine pour les autres et aussi pour soi.


Quelques avis :

Babelio  Mademoiselle lit  On a lu 

Lu dans le cadre




samedi 30 juillet 2022

L'invitation à la vie conjugale


 

Frileux vis à vis du mariage s'abstenir.... quoique.


C'est l'histoire de plusieurs couples, des vieux et des plus jeunes. Ils se connaissent, se côtoient, s'apprécient plus ou moins. Il y a aussi un célibataire à graviter autour d'eux, Ralph Cotterman dont l'art consiste à tomber amoureux de femmes mariées. Il y a la campagne anglaise, la ville d'Oxford et son université. Il y a la mer et les aquarelles de Rosie. Il y a la nuit propice à l'observation des blaireaux. Il y a des couples perdus dans leurs habitudes. Il y a la vie qui s'écoule, pas forcément dans le sens que l'on souhaiterait.

Le temps fait des ravages, l'ennui conjugal aussi.

Question primordiale issue du triste constat précédent: quel est le secret, quelle est l'alchimie, pour qu'un couple fonctionne ?


Frances Farthingoe s'ennuie dans son manoir, sombre et isolé, au point que seule l'organisation d'une fête peut la sortir de son désespoir et lui redonner de l'énergie pour combler le vide de sa vie.

Rachel Arkwright, agaçante aux yeux de son mari, Thomas, ne pense qu'à une seule chose, depuis que ses enfants volent de leurs propres ailes, rejoindre le cocon douillet de son lit afin d'y dormir tout son soûl.

Mary Lutchins se torture en imaginant la vie de Bill, son époux, si elle partait la première, elle s'inquiète tant qu'elle porte un fardeau, invisible mais si lourd qu'elle en oublie les petits riens délicieux de la vie.

Ursula Knox, épouse de Thomas, professeur, et chercheur, d'économie à Oxford, déteste une seule chose : la vie à Oxford, ville laide et triste à ses yeux, elle qui ne rêve que d'installation à la campagne, loin de tout.


Frances et son mari Toby n'ont plus rien à se dire depuis longtemps, comme Rachel et Thomas. Alors que Mary et Bill sont unis dans leur amour pour la nature ou qu'Ursula et Martin affichent un bonheur conjugal insolent tant ils paraissent être sur la même longueur d'onde.

Qu'est-ce que le bonheur conjugal ? Partager les mêmes passions ? Apprendre l'un de l'autre tout au long d'une vie ? S'habituer aux petites manies de l'autre au fil du temps ? Etre toujours dans l'exaltation de l'amour ? Ou accepter de renoncer à une complicité remplie de tendresse ?

Chaque personnage, sous la plume d'Angela Huth, est un des mondes mystérieux qui font qu'un couple est un couple, même si la courtoisie et le respect ont pris le relais d'une tendresse amoureuse.

Thomas Arkwright peut paraître, d'emblée, détestable en étant d'une froideur à la limite du mépris envers Rachel. Pourtant, au fil du roman, il est délesté de son horripilante envie de séduire les jeunesses grâce à la rencontre avec Rosie Cotterman, une artiste peintre dont il collectionne les tableaux. Il est face à lui-même, face à son néant, face à son désir contrarié de devenir peintre.

Quant à Toby, il s'est réfugié dans l'étude des blaireaux pour ne plus penser au béguin que son épouse, Frances, éprouve pour Ralph qui ne ressent plus rien pour elle. La nuit, en pleine forêt, seul, il attend la sortie des blaireaux, planches de salut pour continuer à avancer.

Et Ralph ? Il court après l'impossible : Ursula qui ne le trouve que simplement sympathique bien qu'un peu pot de colle.


Angela Hunt peint la vie de ses personnages pendant plusieurs mois, ces mois qui s'écouleront entre la réception de l'invitation à la soirée organisée par Frances et le jour J. Les menus faits sont décortiqués, déroulés, scrutés sans aucune malveillance, sans acrimonie. Ils apportent leur lot de petits bonheurs ou de pénibles déceptions. L'écriture de l'auteure est si joliment ciselée, son observation tellement fine, que l'on ne s'ennuie à aucun moment. On les accompagne, on apprend à les apprécier malgré leurs défauts et on finit par constater que ce que peint la plume de l'auteure est le cœur de la vie ordinaire de gens ordinaires. Vie qui, finalement, n'est pas aussi ennuyeuse que cela. Certainement parce que Angela Hunt sait apporter, avec subtilité, de la poésie dans le quotidien de ses personnages auxquels on peut s'identifier sans difficulté. Ils ne furent pas moi, ils furent quelques parcelles de vie.


« L'invitation à la vie conjugale » est un roman qui montre de manière subtile qu'il est important de rester soi quand on vit à deux : cultiver un jardin secret est essentiel même si on autorise son partenaire à en partager quelques bribes. Etre soi pour pouvoir vivre à deux, une réponse apportée pour mener une vie conjugale harmonieuse.

Traduit de l'anglais par Christiane Armandet et Anne Bruneau


Quelques avis :

Babelio  Charlotte  Mumu  Sens critique  Critiques libres

Merci aux éditions de la Table ronde et au Mois anglais 2020 pour cette très belle lecture offerte.

Lu dans le cadre

    



vendredi 29 juillet 2022

L'intimité

 

Quatrième de couverture :

« Alexandre et Ada forment un couple heureux et s’apprêtent à accueillir un enfant. À l’heure de partir à la maternité, Ada confie son premier-né à leur voisine Sandra, une célibataire qui a décidé de longue date qu’elle ne serait pas mère. Après cette soirée décisive, la libraire féministe garde un attachement indéfectible au jeune garçon et à sa famille. Quelques années plus tard, sur un site de rencontres, Alexandre fait la connaissance d’Alba, enseignante qui l’impressionne par sa beauté lisse et sa volonté de fer… »



Alexandre est heureux avec Ada, il le serait encore plus si Ada portait son enfant, à lui. Alors qu'Ada ne semble pas enthousiaste à l'idée de devenir de nouveau mère, elle cède à l'insistance de son compagnon. La grossesse se déroule parfaitement, le départ pour la maternité une simple formalité.

Or, Ada a comme un mauvais pressentiment qu'elle tente de taire. Tout devrait bien se passer … sauf que … Ada fera partie de l'infime nombre, encore trop élevé, des femmes décédant lors de leur accouchement, entre cinquante et cent femmes par an. Alexandre revient seul de la maternité avec un nourrisson dans les bras, sa fille, son enfant tant désiré. Sophie grandit sans mère, entourée par Sandra, la voisine devenue amie intime, et son père devenu un « papa poule ».

Les mois passent, la solitude d'Alexandre le conduit, avec les encouragements de Sandra, à s'inscrire sur un site de rencontres. Après quelques soirées sans conséquence, Alexandre rencontre Alba, une brillante professeure de lettres, célibataire, attachée à son indépendance jusqu'au jour où son père lui fait comprendre qu'être seule ne mène à rien.

Alexandre et Alba se plaisent, aiment prendre leur temps au point que le premier respecte le désir de la seconde de ne pas « consommer » leur relation trop vite.

Alba fait partie d'un courant de pensée affirmant que le sexe n'est pas indispensable pour vivre une vie de couple épanouie. Aussi, quand Alexandre souhaite un enfant avec elle, Alba cherchera toutes les échappatoires possibles pour éviter de concrétiser l'envie masculine. Un terrain d'entente est trouvé, après moult négociations : la gestation pour autrui par une mère porteuse. Mais où la trouver ? Un site internet conduit Alba chez une avocate spécialisée dans ce domaine juridique, Maître Caroline Marchand.


« L'intimité » d'Alice Ferney est le roman de la féminité ou exactement des féminités auxquelles peuvent être confrontés les hommes, mais aussi celui du rapport à la maternité que peuvent entretenir les femmes.

Le roman est construit autour de Sandra, la libraire féministe, célibataire par conviction et sans enfant par choix, d'Alexandre, veuf éploré tentant de reconstruire une cellule familiale pour sa fille Sophie, et Alba, femme intransigeante avec ses principes.

L'autrice explore les différentes façons de devenir mère, d'accepter sa féminité, de la faire vivre ou d'y renoncer. Alice Ferney ne porte aucun jugement sur les actes de ses personnages et encore moins sur leurs choix : elle instaure, plutôt, un dialogue philosophique entre le lecteur et les personnages. Les réflexions émises au cours du roman concourent à montrer combien notre société actuelle repousse, sans cesse, les limites de la nature. Elles soulignent, également, les questions autour des limites de l'éthique pour satisfaire la demande d'un bonheur individuel et familial. J'ai été très touchée par les scènes avec l'avocate et les arguments en faveur, et en défaveur, de la gestation pour autrui. L'ombre tenace des intérêts économiques de certaines entreprises, méprisant bien-être, bienveillance et respect de l'autre, plane sans cesse dès la moitié du roman. Je n'ai pu m'empêcher de penser au roman d'anticipation d'Aldous Huxley « Le meilleur des mondes » soulevant le problème éthique et philosophique de la procréation artificielle. A trop repousser les limites de Dame Nature, l'Humanité n'est-elle pas en passe de paver l'Enfer avec les meilleures intentions du monde ? L'ombre de Nietzsche plane également : à vouloir choisir le mieux, le meilleur, ne s'éloigne-t-on pas de ce qui construit l'homme ? Atteindre la perfection pour égaler le divin n'est-il pas mortifère ? Que reste-t-il d'humain en soi quand les frontières entre possible et impossible sont de plus en plus ténues ? Que reste-t-il de l'intimité féminine, du pouvoir de donner la vie grâce à son corps ? J'avoue que la lecture de « L'intimité » m'a conduite à me poser toutes ces questions, parfois l'émotion se disputait à l'effarement … mais n'est-ce pas ce que l'on demande aux auteurs, savoir bousculer les idées reçues, faire bouger les lignes et provoquer interrogations et réflexions ?

« L'intimité » est un roman qui aurait pu explorer, ausculter encore plus profondément cet aspect de notre société moderne. Ce qui est certain : les problématiques abordées ont eu le mérite de l'être et ouvrent d'autres pistes à suivre car le sujet est tellement vaste qu'il ne peut être traité en un seul roman.

Le roman est servi par la plume délicate, subtile et merveilleuse d'Alice Ferney.


Quelques avis :

Babelio  Carobookine Sens critique

Lu dans le cadre

  



mardi 12 avril 2022

Meurtres pour tuer le temps

 


Ce roman policier attendait depuis trop longtemps sur un rayon de la bibliothèque, le Challenge Un mois au Japon m'a donné l'occasion de le sortir de l'oubli.

Bien m'en a pris.


Les Hayakawa forment une famille bien étrange, ses membres sont soudés, unis, ont des occupations professionnelles honorables sauf que, très vite dans le roman, on apprend qu'au moins trois d'entre eux cachent une part d'ombre à l'insu de tous.

L'annonce de l'arrivée au Japon d'un roi du pétrole connu, un certain Ichiro Tachibanagen vient rebattre les cartes au sein de la famille Hayakawa : il exposera sa collection de diamants légendaires.

La mère, Kayoko, trafiquante d'oeuvres d'art volées souvent par ses soins, ne pense qu'à faire main basse sur les pierres précieuses. Le fils aîné, Katsumi, journaliste indépendant, est tueur à gages à ses heures perdues, acceptant uniquement des contrats sur la tête de mafieux coupables de trahison, aura la lourde charge d'éliminer le roi du pétrole. Mika, la seule fille de la fratrie, est décoratrice d'intérieur côté ville, et arnaqueuse de première dans l'ombre.

Keisuke, le cadet, est avocat stagiaire, afin de pouvoir sortir d'affaire les membres cachotiers de la famille, tandis que le benjamin, Mazami est depuis peu inspecteur de police et a en charge la sécurité des diamants.


La famille se retrouvera, au complet, l'Hôtel VIP, de grand standing, situé sur les rives d'un lac, lieu de villégiature du milliardaire japonais de retour au pays. Bien entendu, aucun Hayakawa ne sait qu'il tombera, à un moment du séjour, sur un des siens.

« Meurtres pour tuer le temps » est un roman policier dans lequel le burlesque cède sans cesse au vaudeville. Les personnages sont confrontés à de nombreux quiproquos les mettant dans des situations désespérément comiques.

L'Hôtel VIP sera le théâtre de manipulations, de mensonges, de meurtres, de rencontres insolites, d'un vol orchestré de main de maître, un commissaire célèbre, Hamamoto, pour être impitoyable avec les malfrats et de multiples révélations qui, parfois, feront vaciller l'équilibre familial des Hayakawa.


Jiro Akagawa mène une danse endiablée entre fausses pistes et vrais indices, perdant avec facétie son lecteur qui en sait plus qui fait quoi, qui arnaque qui, qui veut assassiner qui.

Je me suis attachée au personnage de Keisuke qui, ayant découvert les doubles vies de sa mère, de son frère aîné et de sa sœur, met tout en œuvre pour leur éviter les pires ennuis et, ce, au risque de sa vie. Keisuke est désarmant de gentillesse, de probité et de maladresse tout en étant prêt à enfreindre la loi pour protéger les siens.

L'auteur ne semble pas avoir privilégié la qualité de l'intrigue pour s'attacher au côté humoristique de l'histoire. Ce parti pris ne m'a pas gênée, au contraire il est reposant de lire des polars drôles, fantasques et burlesques. Parfois, j'avais l'impression d'être au milieu d'un film de Buster Keaton tant les situations sont incroyablement cocasses.


« Meurtres pour tuer le temps » est un roman, sans prétention certes, plaisant à lire. Les auteurs japonais de polars peuvent aussi écrire du Cosy mysterie.

Attention, la chute, inattendue, vous fera tomber de votre chaise !

Traduit du japonais par Aude Bellenger-Sugai


Quelques avis :

Babelio  Livraddict  La Littérature japonaise  Fiorile

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jeudi 31 mars 2022

L'Oeuvre au Noir

 



Le titre m'a toujours intriguée et je me suis souvent demandé pourquoi M.Yourcenar a-t-elle choisi ce titre pour son roman dont je n'avais lu que des bribes. J'ai compris, rapidement, la raison de ce choix d'autrice d'une érudition époustouflante.

Zénon est un clerc, un philosophe, un érudit, un médecin, un chercheur, un explorateur du corps et de l'âme humains. Il s'est aussi essayé à l'alchimie. Lorsque que l'on cherche la signification d'oeuvre au noir en alchimie, on tombe sur cette explication : cela « désigne la première des trois phases dont l'accomplissement est nécessaire pour achever le magnum opus », le Grand Oeuvre. "En effet, selon la tradition, l'alchimiste doit successivement mener à bien l'œuvre au noir, au blanc, et enfin au rouge afin de pouvoir accomplir la transmutation du plomb en or, d'obtenir la pierre philosophale ou de produire la panacée. »

 

Marguerite Yourcenar relate la vie extraordinaire d'un homme que la vie aurait pu aigrir mais qui préfère, après s'être émancipé de ses maîtres à penser, parcourir le monde pour étudier la machine fabuleuse qu'est l'homme. Le roman se déroule entre la fin du Moyen-âge et le début de la Renaissance, période pendant laquelle tous les possibles ouvraient ou fermaient les horizons de la pensée, de la littérature, des arts et des découvertes.

Zénon est l'homme marchant sur le pont entre ces deux rives, reliant deux époques historiques.

Il est d'abord l'errant, homme parcourant le monde et ses vicissitudes monstrueuses, violentes, intolérantes ponctuées de phares lumineux des nouvelles connaissances souvent iconoclastes.

Après l'errance vient la vie immobile. Il se réfugie, las des poursuites et mises à l'index de ses œuvres « Prognostications des choses futures » et son « Traité du monde physique », dans un monastère  Bruges, sous le nom de Sebastian Théus, docteur de son état. Il se croit à l'abri jusqu'au jour où quelques novices jouent aux bacchanales dans les souterrains du monastère.

Les désordres de ces derniers le mènent en prison et en procès. Zénon sait qu'il se heurte à un mur, celui des dogmes en vigueur qui condamnent les activités scientifiques osées et l'esprit critique, germes de l'hérésie tant redoutée. Comme il connaît parfaitement la nature humaine, il préfèrera prendre l'issue, fatale certes, qu'il aura choisie en pleine conscience, parce qu'il refuse de se rétracter et de taire la vérité du monde à ses contemporains.

Et si  les trois parties de la vie de Zénon, versé dans l'art de la conversation qui suspend le temps (avec son cousin Henri-Maximilien, le prieur des Cordeliers ou avec le chanoine Bartholommé Campanus), étaient les étapes dont l'accomplissement est nécessaire pour achever le Grand Oeuvre de la connaissance des hommes ? Le magnum opus de Zénon n'est-il pas d'atteindre la connaissance ultime, celle de la quintessence de l'âme ?

 

Quand on suit le parcours de Zénon, on ne peut que se souvenir de Giordano Bruno, brûlé en place publique à Rome, ou aux nombreux penseurs du XVIè siècle persécutés par les autorités religieuses, sans cesse bousculées par l'avancée des sciences tant physiques qu'humaines : plus le monde s'agrandit, plus l'horizon s'élargit, plus le ciel s'explore plus les fondations des dogmes religieux chancellent.

Lire « L'oeuvre au noir » c'est plonger dans une époque où l'obscurantisme religieux provoque les mouvements hérétiques amenant au protestantisme de Luther et de Calvin. Les guerres jettent sur les routes les villageois malmenés, torturés par la faim et la pauvreté, la soldatesque et ses pillages, les épidémies et leurs ravages. C'est aussi penser aux tableaux de Lucas Cranach et de Bosh,

La plume de Marguerite Yourcenar fait la part belle à une phénoménale érudition et à un style raffiné d'une beauté à provoquer des frissons délicieux tant les mots sont choisis avec justesse et portent une force d'évocation extraordinaire.

 

« L'oeuvre au noir » fut une lecture jubilatoire et merveilleuse. J'avais gardé un excellent souvenir de ma lecture des « Mémoires d'Hadrien », je me suis régalée, dans tous les sens du terme, avec ce roman qui dormait depuis des années dans ma bibliothèque.

Quelques avis:

Babelio  Sens Critique  France Culture Critiques Libres  Le Monde La vie errante

Les Inrocks

Lu dans le cadre:


 




vendredi 11 février 2022

Les Variations Goldberg

 


« Les variations Goldberg » est le premier roman de Nancy Huston écrit directement en français, langue parfaitement maîtrisée par l'auteure.

Elle a mis sa narration au diapason de l'oeuvre de Bach, chaque variation donnant la parole à un des personnages du roman.


Un soir d'été, Liliane Kulainn, jeune virtuose, pianiste et claveciniste, invite un cercle d'amis pour un concert de musique de chambre où elle jouera les Variations Goldberg créées par Bach pour tenter de vaincre les insomnies du comte Hermann Carl von Keyserlingk , riche mécène.

Chaque variation est l'occasion pour Nancy Huston d'entrer dans les pensées intimes des personnages, avec délicatesse et finesse.

Liliane réussit-elle la gageure de faire frémir chaque auditeur chacun à un diapason différent ? Elle doit d'abord maîtriser ses peurs que l'on suit au rythme de la danse des doigts sur le clavier.

Chacun est touché, selon sa sensibilité, par un morceau de musique et laisse divaguer sa pensée, son introspection pour se découvrir lentement devant le lecteur.

Certains se demandent ce qu'ils font là, si c'est bien leur place, d'autres s'évertuent à traquer les défauts de leurs voisins ou ceux de la concertiste. On imagine la pièce aménagée pour la prestation, les fenêtres ouvertes sur le monde nocturne de la ville, les intrusions sonores des voitures, des passants, ce qui rend encore plus vivant le concert privé. L'art et la vie se répondent avec harmonie quoique peut en penser un des invités.


Les retours sur soi sont légion : regrets, souvenirs heureux, rage de vivre et rage d'être, souffrances vécues lors de l'apprentissage de l'instrument de musique, éducation sentimentale, fringale de nouveautés et des beautés du monde, perfidies et admirations … sentiments humains déroulés avec une justesse de ton par le style enlevé de Nancy Huston. La magie opère et m'a emportée au gré des Variations qui furent une bande son des plus agréables.


« Les Variations Goldberg » une romance, ainsi le qualifie l'auteure, qui apporte de la douceur dans un monde qui en a grandement besoin. Une romance dont la lecture fait un bien immense quand on se laisse bercer par les mots si bien choisis par Nancy Huston pour peindre la nature humaine avec tendresse et sans complaisance.

Trente Variations pour trente amis, pour trente perceptions uniques et trente portraits intimes.

Et dire que ce magnifique roman attendait depuis six ans sur une étagère de la bibliothèque que je m'en empare et que je m'y plonge avec délice.


Quelques avis :

Babelio  Critiques libres FMarmotte5 Sens critique  Pasion de la Lectura

Lu dans le cadre


  




 


 

mercredi 19 janvier 2022

Célestopol

 


« Célestopol, cité lunaire de l’empire de Russie, est la ville de toutes les magnificences et de toutes les démesures. Dominée par un duc lui-même extravagant, mégalomane et ambitieux, elle représente, face à une Terre en pleine décadence, le renouveau des arts et la pointe du progrès technologique. »


Telle est l'alléchante quatrième de couverture qui n'en dit ni trop ni pas assez.

En quinze chapitres ou nouvelles, Emmanuel Chastellière brosse un portrait des habitants de l'astre lunaire, de leurs fêlures, de leurs espoirs, de leurs colères exprimées ou muettes, de leurs pensées intimes. Une histoire courant sur plusieurs décennies montrant combien une cité florissante peut être fragile.

A Célestopol, seule l'industrie des loisirs et des plaisirs est visible, l'autre industrie, celle qui construit les bâtiments, celle qui approvisionne en énergie, celle qui fait vivre les habitants, est souterraine et invisible. Même les ouvriers se font discrets puisque leurs logements sont édifiés en sous-sol, histoire de ne pas gâcher la vue de ceux qui possèdent de quoi profiter de la folie clinquante de la cité sélène.

Célestopol est un peu la Venise lunaire avec ses canaux de sélenium, des fééries architecturales, ses richesses infinies, ses fêtes, son Doge-Duc, Nikolaï, délirant et ses complots. Célestopol, la cité-état qui tente de s'affranchir de l'autorité impériale russe comme celle de la Terre, la ville qui ne dort jamais et vit à cent à l'heure chaque heure qui passe. Elle est aussi la ville Lumière, le phare de la modernité et de l'innovation, le phare de la créativité et de l'inventivité de l'homme.


« Célestopol » sous l'excellente plume d'Emmanuel Chastellière, m'a embarquée dans un voyage étonnant et surtout inattendu aux couleurs originales du Steampunk, le mouvement littéraire apparu en 1980 dont « les intrigues se déroulent dans un XIXè siècle dominé par la première révolution industrielle du charbon et de la vapeur – steam en anglais - » L'uchronie « Célestopol » utilise la référence l'usage massif des machines à vapeur du début de la révolution industrielle puis de l'époque victorienne. La domination économique n'est pas anglaise mais russe ce qui permet de mettre en valeur tout le romantisme slave dans ses exubérances et ses outrances.

On ne peut s'empêcher de penser à l'univers de Jules Verne et à celui de la littérature russe du XIXè avec les héros torturés par le remords, plein de fièvre romanesque et d'envolée lyrique.

« Célestopol » est aussi le roman, mis en nouvelles, d'un peuple qui apprend, peu peu, à penser par lui-même...un peuple pas comme les autres puisque nous sommes sur la Lune. Les robots ont pris de plus en plus de place au sein de la société sélène : ils sont affectés aux tâches répétitives de la domesticité, aux tâches dangereuses hors de la ville, dans le désert froid et silencieux des espaces lunaires. Petits pas après petits pas, ils acquièrent une première conscience, celle de leur servitude, donc de leur malheur : la vie est loin d'être merveilleuse pour ces « damnés de la Lune » qui forent, qui extraient, qui transportent, qui ajustent, qui servent les puissants jusque dans leurs déviances sexuelles au point de désirer la mort. Ce désir mortifère preuve s'il en est d'un état d'humanité.

Aussi lorsque les robots souhaitent se libérer de leurs chaînes, ai-je pensé à l'oeuvre de Philip K. Dick, notamment son Blade Runner.

Or dès qu'un peuple apprend à penser par lui-même, le soulèvement n'est jamais loin ainsi que la remise en cause de l'assise politico-sociale. Le dénouement est à la hauteur de ce qui est attendu au cours de la lecture jubilatoire.


La suite « Célestopol 1922 » m'attend sagement sur les étagères de la bibliothèque.


Quelques avis :

Babelio  Bélial  Livraddict  Les chroniques du Chroniqueur  French Steampunk

Le chien critique

Lu dans le cadre


 


samedi 8 janvier 2022

PAL en souffrance: en sortir 22 pour 2022!?

 


Maghily est la pionnière, Moka Milla en a diffusé l'idée, JosteinHélénia Gas la suivent et comme je trouve l'idée excellente et pratique, je me suis concoctée une liste de romans à lire pour diminuer ma PAL en mal d'équilibre. Ce ne sera qu'une goutte d'eau dans l'océan de mes bibliothèques.

Il est vrai que pour bien faire il faudrait que je ne franchisse plus, en 2022, le seuil d'une librairie, voeu pieux que je n'ai aucune intention de tenir. Autant j'ai banni le Nutella et les bonbons Haribo et autres horreurs du même acabit, autant il est hors de question de bannir les livres, les librairies et les médiathèques. Toute cette digression pour expliquer la liste ci-dessous.

1 - "La belle amour humaine" de Lyonel Trouillot

2 - "La Mâle-mort entre les dents" de Fabienne Juhel

3 - "Soixante-dix-neuf tiroirs" de Goran Petrovic (lu mais pas chroniqué)

4 - "L'échelle de Jacob" de Ludmila Oulitskaïa (lu mais pas chroniqué)

5 - "Mes seuls dieux" d'Anjana Appachana (en cours de lecture)

6 -  d'Angela Huth "L'invitation à la vie conjugale"

7 - "Une saison  Hydra" d'Elizbeth Jane Howard (lu mais pas chroniqué)

8 - "A la mesure de l'univers" de Jon Kalman Stefansson (en cours de lecture)

9 - "Les recettes de la vie" de Jack Durand

10 - "Saules aveugles, femme endormie" d'Haruki Murakami

11 - "Meurtres pour tuer le temps" de Jiro Akagawa

12 - "Ce qu'il faut de nuit" de Laurent Petitmangin

13 - "Célestopol" d'Emmanuel Chastellière 

14 - "L' Oeuvre au Noir" de Marguerite Yourcenar

15 - "Le premier quartier de la lune" de Michel Tremblay (lu mais pas chroniqué)

16 - "L'intimité" d'Alice Ferney 

17 - "Les grenouilles" de Mo Yan

18 - "Le château blanc" d'Orhan Pamuk (lu mais pas chroniqué)

19 - "Anne d'Avonlea" de Lucy Maud Montgomery (lu mais pas chroniqué)

20 - "Les Variations Goldberg" de Nancy Houston

21 - "Le livre de Gould" de Richard Flanagan

22 - "Bons baisers de Lénine" de Lianke Yan 




8/22 chroniqués
14/22 lus