dimanche 28 septembre 2008

Paysage culturel breton


En ce jour dominical, un clin d'oeil de circonstance pris en juillet dernier, avant un sublime concert clôturant le festival "Le printemps de Lady Mond" de Belle-Isle-en-terre (22). Le concert avait lieu dans la chapelle d'un hameau de Belle-Isle (LocMaria). Lorsque j'y pense, j'en ai encore des frissons d'émotion!
Bon dimanche à tous!

samedi 27 septembre 2008

Quand le Japon entre dans la modernité


Dans ce recueil de trois nouvelles, Kafû entraîne le lecteur dans un univers où la poésie et la rêverie sont inépuisables. Par petites touches subtiles, dispersées mais ô combien prégnantes, il nous conte la joie des plaisirs de la vie, le bonheur des digressions mais aussi combien il est difficile d'entrer dans l'ère du Japon moderne.
"En eau peu profonde" relate la préparation d'une fête pour le retour de l'étranger d'un ami. La discussion tourne autour de la manière d'organiser la réception: dans une auberge traditionnelle ou dans un hôtel à l'occidentale? D'emblée, le filigrane de la nouvelle apparaît: la fissure grandissant chaque jour entre l'Ancien Temps et l'appel de la modernité. Chacun y va de sa proposition, de son idée: est-il vraiment nécessaire de respecter la tradition des réceptions pour les départs comme pour les retours? Ne sera-t-il pas pénible pour l'ami revenant d'un séjour en Occident de s'asseoir à la japonaise sur les tatamis? Les interrogations fusent, s'emmêlent, s'annulent et finissent par amorcer un débat sur les plaisirs de la vie, sur la façon de se divertir et surtout sur la nécessité de se faire plaisir en se divertissant! Mais l'appétit immense de plaisir n'est-il pas du libertinage? D'ailleurs le libertinage est-il une attitude négative? Après tout, est-ce péché que d'aimer prendre du plaisir tant auprès de geishas qu'autour d'une bonne table? Une complainte débute alors: aujourd'hui il n'y a plus moyen de s'amuser réellement, la débauche et le libertinage n'ont plus la saveur délicieusement suave et parfumés d'antan! Kafû, chantre du quartier des plaisirs, offre alors à son lecteur son érudition des textes anciens et cite à plaisir les poèmes chinois et classiques....un vrai régal surtout lorsque l'on sait qu'il fut un "viveur", un noceur impénitent et qu'il fréquenta jusqu'au bout les danseuses d'Ajasusa!
Dans "Feu d'artifice", Kafû met en avant, de manière très délicate et diffuse, la fameuse affaire Kôtoku. Ce dernier fut le pionnier du socialisme japonais dont le nom est attaché au complot de haute trahison de 1910 entraînant son arrestation puis son exécution par le pouvoir en place: ce prétexte fut-il utilisé par ce dernier pour se débarasser enfin d'un empêcheur de tourner en rond? Toujours est-il qu'à cette époque, les intellectuels japonais, les écrivains comme Kafû se turent malgré la honte éprouvée par ce silence. Le militant du droit du peuple, du suffrage universel et de la démocratie parlementaire s'éteignait, laissant un vide et un horrible silence. Kafû, distille les allusions aux manifestations du peuple pour un droit plus égalitaire dans un contexte des plus anodins: le tapissage des parois des placards! Sous le prosaïsme des gestes d'un quotidien banal, il laisse vagabonder sa mémoire et ses réflexions sur les évènements politiques du Japon qui s'ouvre, lentement mais sûrement, à la modernité.
"C'était une de ces journées couvertes, quand la saison des pluies approche enfin de son terme. Un vent frais agitait sans trêve le store de ma fenêtre." (p 29) La saison des pluies, propice à l'évasion de la grisaille grâce aux souvenirs, scande la réminiscence du narrateur.
Dans "Interminablement la pluie", le narrateur, retiré du monde en raison d'une santé fragile, reçoit une lettre d'un ami cher, ami qui entretient une liaison, en tout bien tout honneur, avec une joueuse de shamisen. Il lui a construit une maison nommée "Pavillon des Billets Galants" et se plaît à y jouer les maîtres de cérémonies.
Nous sommes à la saison des pluies, saison redoutée par le narrateur car propice aux maladies et fièvres, saison où les vêtements chauds ne sont pas superflus. Le début de l'automne lui envoie des souvenirs heureux, ceux des plaisirs anciens qui sombrent peu à peu dans l'oubli. "Les temps ont changé. Quand on vit des temps où même garçons et fillettes de bonne maison s'engagent avec frénésie dans les mouvements de lutte contre l'alccol et le tabac, aspirer encore à la netteté d'un plateau à tabac épousseté chaque matin, songer à la bonne âpreté d'un thé vert, à l'exact degré d'un saké bien chauffé et à d'autres désirs du même ordre, n'est-ce pas devenu un comble de stupidité?" (p 46) Oui, les temps changent en ce début de XXè siècle pour le Japon féodal, celui d'Edo. Il est difficile pour certains, attachés aux traditions japonaises, d'entrer de plein pied dans l'ère moderne sans être empreint d'une douloureuse nostalgie.
Au fil du récit, Kafû écorne certaines traditions tels que le mariage arrangé (auquel il fut contraint lui aussi) ou encore le manque de liberté d'expression et d'être. C'est qu'il a goûté à la liberté lors de son séjour en France et il n'est guère aisé d'oublier ce confort au retour. "Interminablement la pluie" est la nouvelle où Kafû laisse vraiment libre cours à ses rêveries et surtout à son érudition extraordinaire, érudition qui transporte le lecteur dans les délices de la poésie classique, des images sublimes et subtiles sur les plaisirs de la chair mais aussi ceux de la contemplation du monde. La relation entre Le Maître du Pavillon-des-Billets-Galants et la jeune joueuse de shamisen qu'il souhaite éduquer à l'ancienne, est le prétexte à regretter, une fois encore, le passé d'une époque sur le point de s'achever. L'ancien et le moderne, une partition éternelle sur laquelle la nostalgie du passé côtoie une relative fascination pour le devenir. La nostalgie vient-elle de la vieillesse qui voit d'un oeil désespéré la jeunesse devenir de plus en plus lointaine? Ou vient-elle d'un monde que l'on n'a guère envie de quitter pour entrer dans un autre dont les repères sont à modeler?
Il ne se passe pas grand-chose, du moins en apparence, en surface, dans ces trois récits. On pourrait avoir l'impression d'une interminable et insipide divagation des souvenirs. Or, Kafû est tout sauf inodore, transparent et sans saveur: il berce, délicieusement, son lecteur au rythme particulier de la marche de la mémoire, au rythme sensible des mots et des images, au flot, tranquillement vagabond, des poèmes et de la pluie qui, même si elle tombe à torrent, ne submerge pas l'espace. Il fait défiler un Japon qui se cherche encore, écartelé entre Hier et Demain avec un Aujourd'hui d'où les repères sont absents. Pour se raccrocher au temps qui passe, la mémoire est là et soutient l'esprit enclin à la dérive. Kafû exprime aussi l'espoir de plus grande liberté d'agir et de penser, loin de toute obédience à quoi que ce soit; la liberté de la plume et des idées serait une bouffée d'oxygène extraordinaire pour l'écriture japonaise! Le silence des hommes de lettres japonais lors de l'affaire Kôtoku explique-t-il l'envie de retraite loin du monde du narrateur du recueil, narrateur qui est le double de Kafû: pourquoi rester dans le monde lorsque l'on n'y participe pas aux cris de "banzaï"? Le regarder de chez soi et méditer sur le Japon passé et à venir? Peut-on regarder disparaître le Japon d'autrefois, celui du monde des plaisirs sans avoir envie, par mille et un petits détails, d'éphémères images et ambiances intimes, de fugaces bruits de pluie clapotant sur les toits, sur le sable des allées, de le faire revivre et aimer? C'est ce beau voyage que le lecteur fait en lisant, empreint d'un halo de nostalgie, ce recueil de nouvelles...à déguster et savourer lentement!

Récits traduits du japonais par Pierre Faure

jeudi 25 septembre 2008

L'élégance discrète des veuves

Cinq disparus célèbres, cinq portraits et des concommitances que l'écriture de Claude Pujade-Renaud fait revivre de fort jolie manière.
Qui sont ces célèbres et chers disparus? Michelet, Stevenson, Schwob, Renard et London, cinq écrivains qui ont marqué chacun à leur manière leur temps et leur époque. Cinq disparus et donc cinq veuves, dépositaires d'un héritage éternel et précieux: les écrits de leurs époux, leurs regards sur le monde et la société de leur époque, une photographie autant personnelle qu'universelle.
Ils ont voulu capturer le temps et l'espace par leurs pérégrinations à travers le monde: les voyages au long cours sur les océans ou à travers l'Histoire.
Claude Pujade-Renaud montre combien il est difficile pour celle qui reste, pour le veuve, d'être le gardien incontesté du grand homme qui est parti. En lisant ces cinq récits, on remarque que les veuves se font toutes détester par les exégètes de l'oeuvre de leur époux: elles accaparent, édulcorent ou même pire détruisent les traces écrites laissées par l'écrivain. Elles ont un double fardeau à porter: la disparition de l'être aimé et la vindicte de l'entourage éditorial. Elles ne se connaissent pas, ou alors ont entendu des choses et d'autres au sujet des compagnes des écrivains disparus, mais elles sont les témoins des moments intimes de leur compagnon, de leurs secrets. Parfois, en lisant les carnets intimes de leur grand homme, elles découvrent des aspects bien inattendus de celui qui partagea leur vie pendant des années!
Claude Pujade-Renaud fait parler ces cinq femmes, leur fait raconter leur Michelet, leur Stevenson, leur Schwob, leur Renard ou leur London, celui de tous les jours, lorsque le masque tombe. Elles furent passionnées, aventurières ou encore maternelles et sensuelles. Certaines ont eu des enfants, d'autres la blessure secrète et douloureuse de ne pas en avoir eu. Certaines ont pris la plume pour écrire Leur grand homme au risque de s'attirer les foudres des comparses de ce dernier. Ont-elles vécu leur vie comme elles l'entendaient, sans être étouffées par la grandeur de leur compagnon? Ont-elle réussi une vie professionnelle où elles se sont épanouies? L'une fut actrice de théâtre renommée, les autres souvent partagèrent l'appel du large avec leur homme, une autre fut une mère de famille et une épouse parfaite, cachant sous une apparente simplicité une sensibilité et un regard critique élaboré. Elles allèrent, toutes, jusqu'au bout aux côtés de leur grand homme, sans fléchir devant l'adversité: ainsi Fanny Stevenson accompagnant l'exil douloureux mais nécessaire de son époux jusqu'au moment de l'agonie.
Lorsqu'elles ouvrent la boîte aux souvenirs, étrange boîte de Pandore, certains moments de la vie de leur grand homme sont embarassants et ternissent un peu l'image que l'on se fait d'eux...le mythe en devient-il moins beau? On pourrait le croire, je pense tout simplement que cela donne une image plus humaine de ces prodiges de la création. Leurs faiblesses ne font qu'ajouter à leur aura: en fermant le livre de Claude Pujade-Renaud, une seule envie assaille le lecteur, la lecture ou la relecture des écrits de ces grands auteurs.
"Chers disparus" est le roman des voix des femmes qui ont vécu aux côtés d'auteurs immenses, vivant les affres de la création, la difficulté d'écrire, et affrontant, avec courage, le charisme de leur compagnon qui une fois disparu ne leur appartient plus. On les aime, on les plaint ou on les déteste (c'est vrai que l'on désapprouve le geste terrible de Mme Renard qui brûle des pages et des pages du journal de son mari!) mais on ne peut que les admirer d'être restées sans fléchir aux côtés d'hommes entièrement pris par leur créativité, leurs angoisses, leurs maux ou leur épouvantable caractère.

Un livre où l'écriture sert l'émotion et le courage inébranlable de ces femmes qui envers et contre tout tiennent à l'image de l'être aimé. Un voyage dans l'intimité du quotidien, dans l'intimité de la création, dans le jardin secret des auteurs qui ont su faire rêver le monde.


L'avis de Sentinelle

mercredi 24 septembre 2008

Histoire de mélange


Petit Bleu et Petit Jaune vivent chacun dans une maison: bleue pour le premier, jaune pour le second. Ils sont amis et s'aiment beaucoup. Un jour qu'ils se serrent fort l'un contre l'autre, ils deviennent tout verts et leurs parents ne les reconnaissent plus!

Une histoire où les illustrations sont d'une simplicité épurée et très belle: des taches de couleurs virevoltent au fil des pages, les lieux sont symbolisés (le tunnel, la coline, la ronde...) et d'une approche très facile.
Le tout est un récit sur la tolérance envers la différence, sur la magie du mélange des couleurs et surtout sur l'amitié enfantine. Leo Lionni aborde aussi la relation parents/enfants et le métissage des êtres et des cultures.
Le texte est simple, avec des formules répétitives qui posent bien les choses "Voici Petit Bleu" "Voici Petit Jaune" "Attends-moi à la maison" "je dois sortir" "ils creusent un tunnel" "ils rencontrent Petit Orangé".....Les phrases ne sont pas complexes, propositions scindées par une virgule ou une conjonction de coordination "Tu n'es pas notre Petit Bleu, tu es vert". La langue est certes simple mais elle pose correctement les jalons de la grammaire et du vocabulaire. De plus, la mise en scène étant interactive "Voici Petit Bleu", l'enfant est d'emblée accroché par l'histoire.
Une histoire où les ingrédients d'une quête initiatique (celle de la prise en main de son destin et la recherche de soi) sont présents: l'interdiction de quitter la maison, le départ/abandon des parents, la transgression qui après la liesse des retrouvailles entre les deux petits amis entraîne une catastrophe puis la réparation du problème trouvée, incidemment, par les enfants, enfin la réconciliation finale dans laquelle les enfants et les parents se mélangent.
Une très belle histoire, qui derrière des apparences simples, regorge de questionnements philosophiques pour apprendre à grandir. En un mot comme en mille, Petit Bleu et Petit Jaune est à mettre entre toutes les mains!

images empruntées sur amazon.fr


lundi 22 septembre 2008

Pour un début de semaine

avec le sourire....
Quel super héros es-tu? Quelle intéressante question, n'est-ce pas!

Votre résultat:
Tu es Green Lantern






















Green Lantern
75%
Superman
60%
Supergirl
58%
Spider-Man
55%
Robin
48%
Iron Man
45%
Wonder Woman
43%
Hulk
40%
Catwoman
40%
The Flash
35%
Batman
25%
Tête brulée.Tu es fort
tenace et très imaginatif.

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Quelqu'un pourrait peut-être me dire qui est ce Green Lantern????

dimanche 21 septembre 2008

Vous souvenez-vous?

Agathe Laborde, la lectrice de la reine Marie-Antoinette, raconte les derniers jours de la Cour à Versailles. Elle est émigrée en Autriche, à Vienne, et elle se souvient....
De Versailles, sa puanteur, ses miasmes, sa crasse que tentent désespérement de masquer les froufrous et les parfums des courtisans. Des pièces où les rats font la sarabande la nuit venue, où la vermine grouille dans les perruques, où l'ombre est le royaume d'un peuple de rongeurs trottinant pour festoyer des remugles des Grands. Elle se souvient d'un Versailles d'où les enfants sont totalement absents, écartés très vite chez les nourrices au fin fond des campagnes. De personnages aussi discrets qu'importants à l'image de l'Historiographe de Louis XVI, perdu au fin fond du château, sous sa soupente, entouré de livres, de cartes et de parchemins qui encombrent le moindre recoin (il dort sur une paillasse au fond d'une vieille armoire....remplie de livres!). Elle se souvient de cet homme haut en couleurs et en senteurs épouvantables: le capitaine de La Grande Ménagerie qui ne se lave jamais et exhale des fumets plus atroces que ceux des animaux de la Ménagerie. Il regarde mourir, impuissant et triste, les uns après les autres, les grands animaux de zoo royal, le lion et l'éléphant, symboles de l'avenir menaçant la royauté française.
Agathe se souvient du Petit Trianon, seul endroit de Versailles où la Reine est enfin elle-même: gaie, simple, fraîche et riante. Marie-Antoinette, frivole, virevoltante, insouciante, ne pouvant pas se concentrer longtemps sur une lecture mais aimant feuilleter, inlassable, son Cahier des Atours, roman vivant des toilettes qu'elle a portées. Le Petit Trianon, paradis de l'intimité où la Reine peut être une mère attentive et aimante, sans avoir à respecter la pesante étiquette de la Cour, où elle peut rire, folâtrer aux côtés de son amie la plus chère, Gabrielle de Polignac, aussi lisse et imperturbable qu'une goutte d'eau glissant sur les plumes d'un cygne.
Elle revoit encore, l'amoureux secret de la Reine, qui la guette et l'attend sans espoir et avec une constance tellement pitoyable qu'elle en devient belle. La vie versaillaise peut être paisible et sordide, belle et répugnante, cage dorée caquetante où s'ébattent, vainement, les locataires d'une volière bruyante qui n'attend qu'une seule et unique chose: un regard de leurs majestés, l'espoir infime d'être remarqué après une interminable station debout (il faut avoir jarrets et molets bien musclés pour résister au train d'enfer de la Cour!).
Puis affluent les souvenirs de l'incertitude de la situation politique: Versailles est muet, a le souffle court, est insomniaque et perd tous ses repères: on se parle sans prendre garde au rang de son interlocuteur, c'est qu'il fait sombre dans les couloirs jonchés de détritus où s'avachissent les courtisans, effrayés par l'attente et l'angoisse, absourdis par le départ des serviteurs!
La nuit du 15 Juillet 1789 est lourde d'angoisse après la prise de la Bastille, forteresse réputée imprenable! Les manants ne devraient pas tarder à venir chahuter la Cour à Versailles, on dit que le Peuple serait en route, on dit qu'il a des armes, on dit qu'il y a des tracts distribués dans les rues sur lesquels 286 noms à abattre pour que les réformes se fassent, on dit beaucoup de choses moins rassurantes les unes que les autres. Pourtant le peuple semblait joyeux selon les journaux! Le temps s'écoule lentement lorsque les bougies ne brûlent pas, lorsqu'il fait plus sombre que dans un bois, lorsque les conversations, à voix basse, se tiennent sans se voir, lorsque l'errance dans les méandres du château est lugubre. Pourquoi a-t-on laissé les philosophes colporter des idées subversives comme celle du droit au bonheur ou de l'émancipation par son travail? Voilà où cela mène: à la peur glaçante, à l'envie de fuir au plus vite le navire qui est en train de sombrer. Que l'on regrette le temps de Louis XV où les auteurs appartenaient aux Princes sans avoir le privilège de manger à leur table, mais une voix s'élève dans le noir "Tous les Philosophes ne sont pas de "beaux esprits", des amuseurs. Les vrais Philosophes sont indépendants. Ils travaillent. Ils pensent. (les derniers mots étaient soulignés avec une emphase qui se voulait blessante) Il y a du bon et même de l'excellent chez les Philosophes. Qui n'a pas lu L'Esprit d'Helvetius ou Le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau ne saisit rien de la dynamique de l'époque." (p 85 et 86).
Sous la plume et par le prisme du regard de Chantal Thomas, la nuit, à Versailles, devient une scène de roman fantastique: les ombres deviennent le domaine des sorciers et autres êtres magiques inquiétants. Versailles est un navire en perdition que son capitaine ne contrôle plus. C'est la fin d'un monde. Les vagues de peur se succèdent aux semblants de mondanité: Versailles est dans l'attente de l'arrivée de la Révolution à ses portes et de la fin d'un style de vie tandis que La Panique étreint les logeants du château.
Le château est ouvert aux quatre vents: il n'y a pas une grille à avoir une serrure; c'est devenu le règne de l'obscurité, celle qui permet de se cacher, de se terrer mais aussi celle qui permet de ne pas voir ce que l'on ne veut surtout pas voir: la réalité sordide et terrible d'un univers qui s'écroule dans le fracas de l'angoisse. Versailles, dans une ambiance digne du fantastique, se transforme en une étrange Cour des Miracles: les réduits, logements des courtisans, sont mis à sac, les malles s'empilent, les voitures sont chargées, les rats quittent les lieux insalubres de la royauté qui s'effondre. La sédition est dans les rangs des serviteurs qui n'ont plus peur du bâton ni de la canne de leur maître: "Tu sais ce que j'ai fait hier matin quand le duc de Richelieu est entré? Non, quoi? Rien. Tu veux dire que tu n'as pas frappé deux fois du pied en clamant: Son Excellence le duc de Richelieu? Je n'ai pas moufté. Le duc s'est arrêté à l'entrée du salon, a attendu. M'a regardé. Rien. Rien, j'te dis (il hurlait, fou de son audace, et gigotait des jambes contre la statue). Tout duc et pair de France qu'il est, je n'ai rien fait. Pas un mouvement, pas un mot. Et pourquoi l'annoncer? Il le sait comment il s'appelle. Il a beau être une ruine avant l'âge. Un dégénéré, un fruit pourri des débauches de son père, il sait quand même comment il s'appelle. Son nom, c'est la dernière chose qu'on oublie." (p 124)
Agathe se souvient également, après cette nuit d'interrogations, de la fuite des courtisans qui abandonnent non seulement le château de Versailles mais aussi et surtout leurs enfants confiés aux nourrices à la campagne " C'est des gens qui partaient avec bagages que j'ai gardé l'image la plus vive. A cause de leur allure ridicule. A cause d'un mélange d'empressement et d'empêchement, de leur maladresse, touchante, qui se révélait à nu. Par leur seule manière de fuir, ils dérogeaient. C'était peut-être là l'origine de leur honte: non pas s'enfuir, mais qu'il faille s'enfuir dans ces conditions. Sans une tenue de voyage décente, comme le soulignait à son propre usage la Reine, quelques heures auparavant. Beaucoup, cependant, encore plus égarés par le sentiment d'urgence, s'en allaient les mains vides. Il leur semblait que leur vie tenait à un fil, que s'ils tardaient ils allaient périr victimes d'un massacre collectif." (p 204 et 205)
Quitter Versailles déchire le coeur d'Agathe Laborde: l'adieu à la chambre minuscule et aux livres tant aimés et lus, cocons douillets et chaleureux, est touchant et empreint d'une intense émotion car la vie ne sera plus jamais la même pour cette admiratrice lointaine, par le rang, de la Reine.
"Versailles était ma vie. Et comme pour ma vie, je ne m'étais jamais vraiment représenté ce que pouvait en être la dernière journée. Ni même qu'il y aurait une dernière journée, avec un matin, un après-midi, un soir, et rien d'autre de l'autre côté de la nuit. Rien de connu en tout cas. " (p 223)
Chantal Thomas dans "Les adieux à la Reine" réussit à nous faire vivre les derniers jours de Versailles, symbole de la puissance royale, entre terreur, angoisse et regards amusés sur les moeurs hallucinant des courtisans, faune extraordinairement exotique. Marie-Antoinette apparaît certes frivole, insouciante, éprise de plaisir et de belles choses, mais aussi fragile, délicate et terriblement perdue dans un monde où la méchanceté et le mordant sont de mise. L'Histoire se construit sur d'infiniment petits hasards qui font que quelques instants d'hésitation, d'incertitude, provoquent la basculement d'une vie, d'un monde, d'une époque. Nous sommes pris dans le piège sombre, oppressant et angoissant de l'attente d'un drame imminent, le souffle coupé, le coeur battant la chamade, à l'écoute du moindre bruit venant de l'extérieur. Le trou noir de la Révolution absorbe, lentement, irrémédiablement, les fastes délabrés d'un monde à l'agonie. Une belle fresque du crescendo d'une panique historique.
L'avis de malice

vendredi 19 septembre 2008

Wild Wild West

Voilà un roman américain comme je les aime et dont je ne me lasse jamais! Des paysages splendides, des personnages durs et tendres à la fois, de la sueur, juste ce qu'il faut de haine et de passion et une histoire sombre et grave aux allures de western moderne. Le tout coloré d'une plume enlevée (Thomas Savage fait partie de l'école du Montana et en fut le pionnier), drôle et acide, dressant un portrait d'une société américaine rurale où les égratinures laissent de profondes traces.
"Le pouvoir du chien" contient tous ces ingrédients pour le bonheur du lecteur qui s'embarque dans l'Ouest américain, le Montana, des années 20.
Nous sommes dans une petite ville, isolée, presque miteuse: les immigrés européens viennent s'échouer sur les terres ingrates laissées par les grands propriétaires de ranches, possédant et surtout contrôlant l'eau, denrée rare et précieuse au plus haut point. Le seul moment intense de l'année est la venue de l'immense troupeau de Phil et Georges, deux frères aux caractères bien différents. Autant le premier, esprit brillant à l'intelligence vive et parfois cruelle, sait se faire respecter par les employés, autant le second peine à s'imposer, à trouver sa place, lui qui met du temps à intégrer des savoirs nouveaux. Phil est devenu un véritable cow-boy, malgré l'origine aristocratique de la famille (leurs parents sont de la côte est, issus de la meilleure société bostonienne), comme s'il avait toujours vécu dans le Montana, au coeur des montagnes et de la nature sauvage. Il sait tout faire et manie avec brio le couteau pour façonner de délicates figurines en bois et les subtilités de la langue, aussi règne-t-il en tyran sur toute la maisonnée. Il y a cependant une faille dans ce roc masculin: sa misogynie notoire et trop intense pour ne pas cacher une blessure ou un lourd secret. Phil aime humilier, en joute verbale ou aux poings, les personnes qu'il méprise tandis que Georges cherche toujours le consensus et l'aplanissement des conflits. C'est ainsi qu'un soir, en ville, Phil humilie John Gordon, le médecin du pays, certes enclin à boire plus que de raison pour oublier son échec professionnel, en lui renvoyant méchamment une image de raté et de pleutre. Est-ce un manquement que de ne pas faire payer les consultations à ceux qui n'ont pas les moyens financiers? Sans doute pour Phil pour qui être sensible est une marque de faiblesse et si l'humanité de John Gordon n'apporte pas l'aisance matérielle et financière, elle n'en est que plus louable et digne de celui qui a prêté le serment d'Hippocrate. John ne supporte pas cette confrontation désastreuse qui anéantit le peu d'estime de soi qu'il possédait encore: il choisit de disparaître, laissant Rose, son épouse, et son jeune fils Peter, garçon solitaire et perdu dans des rêveries infinies. Quelques mois plus tard, Georges épouse Rose et expose celle-ci et son fils au caractère destructeur de Phil. L'harmonie disparaît très vite sous les remarques cyniques et les attitudes méprisantes de Phil vis à vis de Rose. Peu à peu, la peur et le manque de confiance en soi font sombrer Rose dans l'oubli, fallacieux, offert par l'alcool. Pendant que Rose pour affronter le quotidien a besoin de son whisky, Peter, étudiant sérieux et brillant, étudie avec attention les livres de médecine de son père. Compte-t-il y trouver la solution aux malheurs de sa mère? Espère-t-il y puiser de quoi rabattre la superbe de Phil? Jusqu'au dénouement final, le lecteur sera embarqué par Thomas Savage dans une ronde grandiose orchestrée avec finesse et art.
"Le pouvoir du chien" a les couleurs et les saveurs d'un western traditionnel mais derrière les paysages splendides du Montana, Thomas Savage sait dissimuler le mal être et la haine de soi, la mesquinerie, la douloureuse question indienne, la misère affective des uns et la candeur des autres. Au gré d'indices dissiminés subtilement dans le récit, Savage dresse le portrait d'un monde masculin machiste qui ne peut accepter et encore moins afficher l'homosexualité. Phil cache son attirance pour les hommes derrière sa misogynie exacerbée, sa haine des invertis, des efféminés et l'amitié virile avec Bronco Henri, le cow-boy presque mythique; en lisant certains passages, j'ai un peu retrouvé certaines atmosphères du film "Le secret de Brokeback Mountain", un exil intérieur qui ronge le coeur et n'apporte que solitude. Le lecteur sent monter l'intensité dramatique du récit (le personnage de Phil apporte avec lui le sentiment de malaise qui refroidit les lieux où il se tient, on a la sensation que le mal incarné par lui s'insinue dans le moindre interstice des phrases) et ne peut voir dans la relation étrange nouée entre Phil et Peter qu'une bombe à retardement car il n'y a guère de points communs, hormis l'intelligence brillante, entre les deux hommes: le premier est abrupte, cynique et méchant tandis que le second est délicat et sensible. L'ego joue souvent des tours à ceux qui s'y attendent le moins....
Un roman passionnant, foisonnant de détails sur le mode de vie des ranchers dans les années 20, sur la splendeur des paysages, un roman qui offre d'immenses frissons d'effroi et un éventail d'émotion des plus diverses! Une lecture intense et la découverte émerveillée d'un très grand auteur américain! Surtout, ne pas oublier de lire la post-face d'Annie Proulx qui éclaire et enrichit la lecture du roman de Savage!!!


Roman traduit de l'anglais (USA) par Pierre Furlan

mercredi 17 septembre 2008

La magie du lotus

Monsieur Lo est un pêcheur solitaire et pauvre, vivant sur sa vieille jonque. Cette année est pauvre en poisson et Monsieur Lo est triste, passant ses journées à attendre des poissons qui ne viennent pas. Un jour d'orage, une vieille femme lui demande de traverser le fleuve: Monsieur Lo n'hésite pas une seule seconde et lui rend ce service. Elle lui donne des graines en remerciement. Ces graines ne sont pas comme les autres graines: ce sont des graines venant de la gorge d'un dragon et possèdent de vertus magiques. Le soir venu, Monsieur Lo les sème avec délicatesse....De ces graines naît un splendide champ de lotus et l'un deux laisse échapper une douce mélodie "Lian, Lian, Lian". La fleur s'ouvre et une magnifique petite fille apparaît et virevolte dans les airs, un lotus magique dans la main. Lian transforme tout ce qu'elle touche en richesse et beauté: ainsi la jonque devient-elle un magnifique bateau rouge, les pauvres vêtements de Monsieur Lo des habits dignes d'un empereur, la misérable et chiche table un banquet des plus raffinés. Monsieur Lo est comblé: chaque jour, Lian lui offre de nombreux poissons charnus qu'il peut partager avec les villageois; chaque soir, Lian retourne dormir dans son lotus, à minuit . Un tel bonheur ne pouvait rester confidentiel....les prodiges de Lian parviennent aux oreilles de Tan, la fille du préfet, qui exige d'avoir Lian. Un soir, les gardes du préfet déboulent chez Monsieur Lo, le maltraitent, saccagent le champ de lotus et le bateau puis le font prisonnier: Monsieur Lo n'a pas voulu dire où se trouvait Lian. Cette dernière, à son réveil, ne peut que constater les dégâts. Une seule personne peut l'aider: la vieille femme de la montagne.
Lian parviendra-t-elle à sauver Monsieur Lo? Nous sommes dans un conte, dans le Merveilleux aussi l'issue ne peut être qu'heureuse pour Monsieur Lo et Lian. Quant à la fille du préfet, jeune fille capricieuse car affeusement gâtée, sa cupidité, son égoïsme et sa méchanceté on peut supposer, sans beaucoup se tromper, qu'elle ne goûtera pas longtemps aux dons extraordinaires de Lian.
"Lian" est un conte chinois traditionnel où la bonté, la solidarité, le partage sont des valeurs humaines essentielles, triomphant de l'égoïsme, de la cupidité et du pouvoir absolu exercé sans discernement. Le pot de terre ne se brise pas forcément au contact du pot de fer quant le coeur est pur. Il y a un peu de Pinocchio dans Lian: le charme se rompt sous la folie de Tan et Lian n'est plus le farfadet lumineux du lotus. Le quotidien reprend ses droits, le labeur rythme les heures mais la joie de vivre et d'aimer n'en est que décuplée!
Un conte qui ne peut que ravir petits et grands, servi par de très jolies illustrations rappelant les peintures traditionnelles, leurs personnages parfois stylisés, les mouvements déliés des pinceaux donnant vie aux scènes évoquées. L'encre de Chine magnifie les illustrations de Chen Jiang Hong et est un régal pour les yeux et une invitation à la rêverie poétique. "Lian" est une porte merveilleuse que l'enfant peut ouvrir afin de faire ses premiers pas dans La Grande Chine....une étape d'un long et splendide périple ("Dragon de feu", "Le prince tigre"...) au coeur des contes traditionnels, des mythes fondateurs de cette civilisation chinoise fascinante au plus haut point.

samedi 13 septembre 2008

ô Beyrouth!

La guerre civile fait rage à Beyrouth, séparant ce qui co-habitait sans souci, brûlant souvenirs et avenirs, barrant les rues et ruelles où autrefois on se promenait insouciant, transformant la ville millénaire et éternelle en un stand de tir permanent.
Dix mille fois, on court pour sauver sa peau, dix mille fois on sue de peur et d'angoisse, dix mille fois le sifflement des bombes fait se terrer les hommes, dix mille fois on vit dans le noir et dans l'indigence, dix mille fois l'espoir meurt et renaît, dix mille fois les pleurs succèdent aux rires pour venir mourir sur un barrage. Dix mille nuits, dix mille jours à tenter de grandir, de vivre, d'aimer dans un Beyrouth martyrisé, asphyxié, meurtri et viscéralement divisé. Beyrouth, le Liban, petite Suisse du Moyen-Orient, s'effrite au fil des pans de murs éclatés par les projectiles meurtriers et aveugles, misérable otage de la folie humaine.
C'est dans cet enfer à ciel ouvert que deux jeunes garçons, Bassam et Georges, tentent de grandir et de devenir des hommes. Ils font les quatre cents coups dans les ruelles défoncées du secteur chrétien et des échappées belles sur la moto de Georges, cheveux au vent, provocation et insouciance en bandoulière: les snipers pourraient, d'une seule balle faire voler leur vie en éclats.
Derrière le sordide d'une guerre civile qui rend aveugle et sourd aux anciennes amitiés du temps de la concorde, l'auteur-narrateur, fait vivre à son lecteur les rares choix qui s'offrent à de jeunes garçons puis jeunes hommes pour survivre: l'aide aux milices et les magouilles ou les petits boulots qui amènent à peine de quoi vivre à la maison. Rawi Hage emmène son lecteur à la suite des femmes, en éternel deuil, ahanant sous le poids des malheurs, des rares courses et des efforts pour monter les étages des immeubles éventrés, sans ascenceur...l'électricité a un fonctionnement cahotique et aléatoire. Le quotidien des habitants de Beyrouth, ceux qui n'ont pu partir vers des cieux plus cléments, a les couleurs de l'espoir avorté d'un lendemain meilleur, des attentats ensanglantant les quartiers, arrachant des vies à l'aveugle, des balles sifflantes traversant les airs et traçant un sillage hallucinant la nuit.
Le Beyrouth du narrateur est celui de scènes aussi tragi-comiques qu'effroyables: on sourit au commencement du récit de la bataille contre les chiens et on frissonne à la fin; les chiens abandonnés par leurs maîtres fortunés aux affres de la rue, la meute la plus chère du monde à la tête de laquelle règne un bâtard hargneux. Cette meute aux multiples pedigrees prestigieux devenant un cauchemar et un danger pour ceux qui restent est encerclée et laminée par le mailice dans un déchaînement de coups de feu et de violence. Un miroir tragique de la situation libanaise: une bataille sanglante entre chiens enragés?
La guerre ne cache pas l'envie de vivre de la jeunesse, l'envie des jeunes filles de montrer leur jeunesse éblouissante: les fêtes sont joyeuses, sensuelles et charnelles...le pied-de-nez nécessaire pour garder un semblant de normalité.
Ce qui est frappant dans le roman de Rawi Hage, c'est le portrait effrayant de l'emprise des milices, ici dans le secteur chrétien. Emprise qui dérive très rapidement vers un système mafieux: la drogue, les machines à sous, les prélèvements dans les commerces et les divers trafics....efforts de guerre, soutien patriote, de jolis mots pour cacher la mégalomanie du pouvoir de la mitraillette.
Comment ne pas avoir envie de partir à l'étranger pour se construire un autre avenir? Bassam, le narrateur, et Georges décident de détourner une petite partie des profits des machines à sous, afin de se constituer un pécule et partir. Peu à peu, les chemins des deux amis d'enfance se séparent: Bassam voit avec tristesse Georges rejoindre la milice, et partir au combat. Bassam qui ne peut oublier que vit de l'autre côté une partie de sa famille. Bassam connaîtra la violence de l'enfermement dans les geôles de la milice, la torture, la terreur et l'appel de la vengeance. Il connaîtra aussi la douleur d'une amitié sur le point de s'achever car il ne peut comprendre ni accepter certains actes de son ami: fournir en cocaïne une maîtresse, en faire une junkie pour s'accaparer les richesses de son vieux mari ou le massacre commis sous l'influence de la drogue de deux camps de réfugiés (ils ne sont pas nommés mais le monde entier se souvient de l'horreur).
Beyrouth offrirait-elle seulement deux voies: la folie meurtrière ou l'obscession de partir? La liberté revêt parfois l'image d'une perdrix dans le sillage d'un navire, derrière une fenêtre d'hôtel, reminiscence d'une enfance libanaise sur les hauteurs de Beyrouth, passé dont une page se tourne pour toujours.
Beyrouth, Paris, Rome, un voyage terrible et émouvant qui emporte dans son sillage les effluves de la peur, de la violence, du sang versé, de la poudre, du mensonge et de l'inconcevable pour celui qui n'a pas vécu le drame de la guerre. "De Niro's game" est une relation d'un Beyrouth soumis aux pires exactions, aux pires peurs, aux pires folies et où la vie est comme une partie de "roulette russe" pour les adolescents et les jeunes hommes embarqués par les volutes envoûtantes de la poudre et des rails blancs qui jouent leur vie sur une balle comme s'ils vivaient leur "Voyage au bout de l'enfer", celui au bout duquel on perd son innocence.
Une lecture prenante, rythmée par le nombre "dix mille" leitmotiv, antienne d'un quotidien où la peur et l'incertitude semblent sans fin. "De Niro's game" est une photo hallucinante d'un enfer sur terre, écrit de belle manière et où les mots décochent leur flèche et n'occultent en rien la désepérance de ceux qui le subissent, de ceux qui parviennent à s'en éloigner, accompagnés d'une blessure difficile à cicatriser. Une très jolie découverte grâce à Violaine de Chez les Filles.


Roman traduit de l'anglais (Canada) par Sophie Voillot



mercredi 10 septembre 2008

C'est la rentrée des P'tits Chats!

Cet album fait partie des incontournables de l'école maternelle surtout en ce début d'année scolaire qui sonne le glas des rêveries et jeux des longues vacances estivales.
"Calinours va à l'école" d'Alain Broutin (texte) et Frédéric Stehr (illustration) est le cheminement, très personnel, de Calinours, adorable ourson blanc, vers l'école et sa maîtresse, Marie-Agnès "qu'il aime beaucoup, beaucoup".

En chemin, Calinours rencontre Monsieur Sanglier qui lui apprend à peindre et dessiner avec les pieds (si, si, c'est possible!) puis Monsieur Renard avec lequel il fait de la pâte à modeler et réalise un camembert! Bien entendu, à chaque fois Calinours repart en emportant ses réalisations, peinturlupette et camembert, et à chaque étape il porte les traces de ses exploits: la barbouillette et les mouillettes avec les pieds laissent les pattes bien colorées et tasser la pâte à modeler avec son derrière laisse les poils tout collés! Sans compter que ses haltes le mettent en retard. Tant et si bien qu'arrivé enfin à l'école, cette dernière est finie. Mais Calinours a la chance d'avoir Marie-Agnès comme maîtresse: elle le rouspète très gentiment tout en le complimentant pour sa peintulupette et son camembert qui vont rejoindre la dînette et le mur, et en lui faisant un gros bisou parce qu'il a quand même bien travaillé.

C'est sûr, demain, Calinours sera le premier arrivé à l'école!!!

"Calinours va à l'école" montre une école bien agréable où le jeu, les patouilles qui ne prêtent guère à conséquence (quand la peinture salit, un coup de gant de toilette et ça part....normalement....) et où les maîtresses sont très compréhensives....comme dans beaucoup d'écoles maternelles, surtout en début d'année et lors de la première scolarisation.

Le texte est très agréable, très musical aux rimes qui "dérouillent" l'écoute et aux images amusantes et tendres. Dire "Pour faire une peinturlupette, on touille dans la barbouillette, ensuite on fait des mouillettes avec les deux pieds et on saute sur le papier" et ce sont les sourires et les rires de l'auditoire assurés!

L'entrée dans l'album est à l'image des illustrations et du texte: très tendre et poétique: "Ecoutez....On entend les rossignols. Les petits oiseaux font leur premiers vols. C'est l'heure d'aller à l'école."

Une histoire qui suit un ourson loin d'être angoissé d'aller à l'école, loin des appréhensions et de la non-envie d'y aller...bien au contraire. Idéale pour une rentrée joyeuse et souriante.

mardi 9 septembre 2008

Vivre et écrire, écrire et vivre

Une écriture simple, agréable, dotée d'un humour ravageur et délicieux. J'ai aimé la simplicité avec laquelle, Annie Dillard parle de la difficulté d'écrire, d'aligner des phrases satisfaisantes et cohérentes. Les retraites pour écrire dans des endroits impossibles: les cabanes au fond d'un bois ou d'un jardin, un box sans une seule fenêtre dans un garage, une cabane dans une île loin dans le Nord glacé, isolée de tout et riche de tout! Les petits riens de sa vie d'écrivain, peu de nourriture parfois elle écrit au bord de l'inanition car embarquée totalement dans son projet. L'écriture est tout sauf un long fleuve tranquille, c'est l'accouchement au forceps et parfois une douloureuse délivrance.
Annie Dillard est profondément attachée à la terre, à la mer, à la nature qui entoure l'humanité et que l'on ne doit pas ignorer. Elle porte un regard réflexif sur sa pratique d'écrivain, de poète sans pour autant sombrer dans le dogmatisme: son style de vie, sa vision du monde lui est propre et convient à son inspiration. Elle ne profère et n'assène aucun précepte, aucune ligne de conduite essentielle à toute création, loin s'en faut! Certes, elle a le sens du sacré, du beau, le profond respect de la Nature sans pour autant l'ériger en esthétique universelle.
Elle s'interroge sur ce qui la pousse à s'installer devant une table et une feuille blanche pour écrire des mots encore et toujours. "En écrivant, tu déploies une ligne de mots. Cette ligne de mots est un pic de mineur, un ciseau de sculpteur, une sonde de chirurgien. Tu manies ton outil et il fraie un chemin que tu suis. Tu te trouves bientôt profondément engagé en territoire inconnu. S'agit-il d'une impasse, ou bien as-tu localisé le vrai sujet? Tu le sauras demain, ou dans un an". (p 11). L'écriture est un lent et long périple sur des sentiers inexplorés qui peuvent guider l'écrivain comme l'égarer et le faire tourner en rond. Ecrire peut être du bricolage, de l'ascèse (se retirer au plus profond de soi-même loin du monde et des autres) ou de la haute-voltige (être aussi aérien et en communion avec les éléments qu'un oiseau en vol, frôlant les versants rocheux de la montagne perdue dans la brume): de ces différentes voies peuvent sortir la réussite d'un récit ou l'échec d'une histoire. Il est inutile de thésauriser les bons mots, les bonnes idées ou les belle phrases: on doit plutôt les utiliser immédiatement sinon c'est empêcher, plus tard, les futurs joyaux de resplendir.J'aurais pu citer le récit dans son entier car elle a le sens de la formule et des images: les descriptions des paysages qui l'entourent sont vraiment magnifiques et donnent un aperçu de son talent de paysagiste littéraire (on la rapproche de Thoreau), elle les peint avec une sensibilité de botaniste (lorsqu'elle parle de son vol en compagnie du voltigeur Dave Rahm, le lecteur se trouve à leurs côtés et frôle avec eux les flancs de la montagne surgissant du brouillard)!
Annie Dillard déroule ses mots comme une chenille son fil pour atteindre la lumière de la phrase parfaite qui s'est faite tant attendre. Une étrange alchimie entre l'observation de la nature et des menus faits du quotidien (le partage d'une partie de base-ball avec des enfants musiciens, fendre du bois pour se réchauffer et retrouver le fil d'une histoire...) s'instaure pour aboutir au noircissement d'une page blanche comme celle qui opère entre la lecture et l'écriture.
D'aucun pourrait avoir l'impression d'être floué en lisant "En vivant, en écrivant" qui est plus un récit qu'un essai sur ce qui nourrit la création littéraire. En effet, on a le sentiment de voir une bobine de fil qui se déroule pour s'enrouler ensuite et se dévider à nouveau dans un désordre joyeux et multicolore. On est loin de la linéarité d'un essai théorique, on est au coeur des sensations éparses, diffuses, confuses parfois, d'une écrivaine qui vit dans le monde qui l'entoure même si, parfois, elle s'en isole volontairement. L'écriture est un acte sensible, sujet à la distraction, aux digressions offertes par un rayon de soleil, des bruits de la rue, un nuage qui passe, une ondée ou un vol d'oiseaux: la vie ne peut que faire intimement partie du processus de l'écriture. Un très agréable moment passé dans l'intimité de la création littéraire.


Morceaux choisis:

"Les gens qui lisent ne sont pas trop paresseux pour allumer la télévision; ils préfèrent les livres. Je ne peux pas imaginer projet plus navrant que de se bagarrer pendant des années pour écrire un livre qui essaie de plaire à des gens qui, avant tout, ne lisent pas." (p 31)

"Qui qualifierait de bonne une journée passée à lire? Mais une vie passée à lire - voilà une bonne vie. Une journée qui ressemble comme deux gouttes d'eau à toutes les autres journées des dix ou vingt dernières années ne fait pas l'effet d'être une bonne journée. Mais qui dirait de Pasteur ou Thomas Mann qu'ils n'ont pas eu une bonne vie?" (p 47)

"Tu dispose tes feuilles le long du bord de la table et tu arpentes ton travail. Tu longes les rangées; tu arraches quelques mauvaises herbes, tu déplaces quelques plants, tu creuses à certains endroits, penchée au-dessus des rangées, les mains pleines comme un jardinier. Deux ou trois heures plus tard, tu as fait une marches excessivement lugubre de quinze kilomètres. Tu rentres chez toi et prends un bain de pieds." (p 63)

"Qui m'apprendra à écrire? désirait savoir un lecteur. La page, la page, cette blancheur éternelle, la blancheur de l'éternité que tu couvres lentement, affirmant la griffonnage du temps comme un droit, et ton audace comme une nécessité; la page, que tu couvres opiniâtrement, que tu détruis, mais en affirmant ta liberté et ton pouvoir d'agir, comprenant que tu détruis tout ce que tu touches, mais le touchant néanmoins, parce que agir vaut mieux qu'être là dans l'opacité pure et simple; la page, que tu couvres lentement de l'entrelac tortueux de tes viscères; la page dans la pureté de ses possibilités; la page de ta mort, à laquelle tu opposes toutes les excellences défectueuses que peut réunir ta force vitale: cette page t'apprendra à écrire." (p 78 et 79)

"Pourquoi lisons-nous, sinon dans l'espoir d'une beauté mise à nu, d'une vie plus dense et d'un coup de sonde dans son mystère le plus profond? L'écrivain peut-il isoler et rendre plus vivace tout ce qui dans l'expérience engage le plus profondment notre intellect et notre coeur? L'écrivain peut-il renouveler notre espoir de formes littéraires? Pourquoi lisons-nous, sinon dans l'espoir que l'écrivain rendra nos journées plus vastes et plus intenses, qu'il nous illuminera, nous inspirera sagesse et courage, nous offrira la possibilité d'une plénitude de sens, et qu'il présentera à nos esprits les mystères les plus profonds, pour nous faire sentir de nouveau leur majesté et leur pouvoir? Que connaissons-nous de plus élevé que ce pouvoir qui, de temps à autre, s'empare de notre vie et nous révèle à nos propres yeux éblouis comme des créatures déposées ici-bas dans l'émerveillement? Pourquoi la mort nous prend-elle ainsi par surprise, et pourquoi l'amour? Encore et toujours, nous avons besoin d'éveil. Nous devrions nous rassembler en longues rangées, à demi vêtus, tels les membres d'une tribu, et nous agiter des calebasses au visage, pour nous réveiller; à la place, nous regardons la télévision et ratons le spectacle." (p 95 et 96)

"Un écrivain cherchant un sujet ne s'intéresse pas à ce qu'il aime le plus, mais à ce qu'il est seul à aimer. D'étranges crises s'emparent de nous. Franck Conroy aime ses figures de yo-yo, Emily Dickinson sa lumière rasante; Richard Selzer aime le péritoine luisant, Faulkner le fond de culotte sale d'une fillette, visible quand elle monte dans un poirier." (p 89)

"...plonger une plume dans l'encre, plonger une feuille de papier dans un bain coloré, plonger une pagaie dans la mer et aller Dieu sait où. La ligne verte des photons forme des mots au rivage des ténèbres. Ces mêmes ténèbres se vident derrière l'écran en un cône illimité. Irons-nous encore ramer, nous qui croyons qu'à force de ramer nous risquons pour de bon de passer par-dessus le rebord et de tomber? Prendrons-nous encore le large en ramant vers les cieux?" (p 116)

Traduit de l'anglais (USA) par Brice Matthieussent

Un avis plutôt mitigé ICI

samedi 6 septembre 2008

La chute d'Icare


Un livre, "La ligne d'ombre", à la couverture parsemée de morceaux de ciment, arrive sur le bureau du narrateur, Argentin vivant en Angleterre, remplaçant de la destinataire, Bluma Lennon, professeur de littérature à l'université de Cambridge. Cela l'intrigue et il part à Buenos Aires à la recherche de l'expéditeur, Carlos Brauer.
Qui est cet homme? Comment Bluma l'a-t-elle connu? Que s'est-il passé entre eux?
Carlos Maria Dominguez, à pas feutrés, fait de cette interrogation et de cette recherche une agréable enquête policière, à la limite du fantastique, au cours de laquelle le détective amateur qu'est ce professeur argentin va à la rencontre d'un étrange personnage et d'une étonnante folie. Le lecteur suit le périple du narrateur, ouvre de grands yeux et demeure fasciné par l'univers si particulier des bibliophiles.
Carlos Brauer était un collectionneur d'éditions espagnoles, de livres d'art et de romans français et russes du XIXè: sa maison était envahie par les livres, à tel point que sa femme et ses enfants l'ont quitté, rangés sans l'être dans un enchevêtrement inouï! "Il les gardait n'importe comment, car il n'avait pas les moyens de préserver son oeuvre impressionnante...Bauer a toujours été un lecteur compulsif. Tout son argent finissait dans les livres. Dès que j'ai fait sa connaissance il y a des années chez les bouquinistes du marché de Tristan Narvaja, j'ai su que son obsession était incurable. Cela se voit à la peau légèrement parcheminée de ceux qui sont atteints de cette maladie." (p 45 et 46). Carlos n'avait plus de système de rangement consigné sur fiches, hormis celui de ne pas faire se côtoyer certains auteurs. " Le pire de tout, ce qui me donne le plus de travail, c'est le problème des rapports affectifs...à éviter de réunir sur un même rayon deux auteurs qui ne s'entendaient pas. Il n'osait pas , par exemple, placer un livre de Borgès à côté d'un volume de Garcia Lorca, que l'Argentin avait traité d'"Andalou professionnel"...Il m'a expliqué qu'il travaillait sur un système de fractales suffisamment ouvert pour permettre un déplacement des livres sur les rayons en fonction de critères dynamiques, en aucun cas fondé sur de simples conjectures (...) Il a prôné la mort du fichier thématique avec une telle véhémence que pendant quelques jours il a réussi à me donner le change (...) il insistait sur le fait que les livres présentant des affinités méritaient d'être regroupés dans un autre ordre que l'ordre vulgairement thématique." (p 58, 59 et 60). Au fil de ses recherches, le narrateur apprend que Carlos a sombré, doucement, lentement mais sûrement dans la folie: il dîne en compagnie d'un livre, traité comme un invité. Il a ses marottes: quand il lit un roman du XIXè, il le lit à la bougie puisqu'à cette époque l'électricité n'existait pas. Un soir, il s'est endormi sans souffler la bougie et la catastrophe arriva: l'incendie ravageur qui engloutit ses archives où étaient consignées les références de ses ouvrages facilitant leur recherche! Certes les livres n'avaient pas trop souffert mais Carlos sombra dans un délire incompréhensible: il partit sur les bord d'une lagune perdue, léchée par les vagues de l'océan, et s'y fit construire une cahute avec ses livres! Dans ce lieu perdu où rien ne se passe, rien n'arrête le regard, Carlos s'est retiré avant qu'un nouvel éclat de folie l'amène à détruire sa cahute pour en récupérer un livre, La ligne d'ombre de Conrad. Pourquoi Carlos a-t-il détruit son ultime havre de paix pour ce livre? La réponse peut décevoir comme être enthousiasmante... elle m'a étonnée, fait sourire et finalement enchantée car j'ai trouvé qu'elle remettait tout à sa place.
Que dire de ce roman sinon qu'il est un hymne à l'amour des livres, aux lecteurs compulsifs qui achètent romans, essais ou revues à en faire craquer les murs de leur maison. "La maison en papier" peint avec justesse, et juste ce qu'il faut d'humour et de gravité, la vie d'un collectionneur averti, irrécupérable, que la douleur d'avoir perdu ce qui lui permettait de trouver ses chers ouvrages a fait sombrer dans une folie destructrice. Le danger de la littérature et de l'amour des livres est là, il défile sous les yeux du narrateur et de son lecteur, il est tapi dans l'ombre des rayonnages des bibliothèques et est prêt à saisir l'âme si l'on n'y prend garde. O, doux et terrible danger qu'on craint certes mais qu'on ignore avec méthode. On ne regarde plus les poissons d'argent du même oeil: ces insignifiantes créatures seraient d'insatiables ogresses mangeuses de pages jaunies, au délicat craquement lorsqu'on les tourne.
"La maison en papier" est une délicieuse fable, aux effluves sulfureuses du danger qui guette tout un chacun: les livres peuvent dévorer celui leur offre une trop belle et grande place; c'est leur taille et non leur contenu qui perd Carlos Brauer! On y est bercé par la beauté, la richesse, la grande culture du récit, on y rencontre pour mieux les retrouver Conrad, Borgès, Lorca, Tolstoï et les autres au détour de chaque page.
Oui, la littérature peut être dangereuse car plus on lit et plus on sait que c'est infini! Oui, les livres sont dangereux car ils n'étanchent pas la soif du lecteur mais l'alimentent sans cesse.
Oui, lire "La maison en papier" est dangereux parce qu'on en sort avec une seule envie: lire et relire les auteurs rencontrés, caresser, palper, respirer les livres de sa bibliothèque et du coup d'en ressortir un pour s'y plonger!

Merci encore à Bladelor de faire voyager ce roman et de propager la lecture compulsive!

Roman traduit de l'espagnol (Argentine) par Geneviève Leibrich




mercredi 3 septembre 2008

Les manuscrits ne brûlent pas!

Par une belle journée printanière, deux moscovites, Berlioz, rédacteur en chef d'une revue littéraire, et Ponyriev dit Biezdomny, jeune poète plein d'avenir. Ils se rendent dans un parc, faire la promenade de l'étang du Patriarche. Alors qu'ils devisent sur un banc, un inconnu, bien hardi, se mêle à leur conversation. D'où vient-il, qui est-il, que fait-il à Moscou? Telles sont les questions qui assaillent nos deux amis. Leur trouble n'en devient que plus grand lorsque l'inconnu, répondant finalement au nom de professeur Woland, leur certifie que Jésus a existé, qu'il la vu, et qu'il leur avance tout une série d'évènements à venir. Bien entendu, nos deux compères, sachant reconnaître l'opium du peuple, n'en croient pas un mot, malgré les étranges visions et paroles vues et perçues par Berlioz! Tout s'emballe lorsque, après le départ du professeur Woland, Berlioz perd sa tête victime d'un accident de tramway....comme l'avait signalé Woland! Le pauvre Biezdomny, horrifié et perturbé par ce qu'il vient de voir, ne sait plus où donner de la raison: la Milice le croira-t-il? Doit-il expliquer par le menu cette rencontre insolite sans risquer d'être arrêter pour folie? Mikhaël Boulgakov, avec Woland, tout droit sorti du Faust de Goethe, narre, décrit, souligne discrètement mais avec grande efficacité, la venue à Moscou, en visiteur, du Diable et de ses accolytes, plus farfelus, ironiques et effrayants que jamais, le chat Behemoth, le grand échalas Koroviev et le tueur, d'une laideur sans nom, Azzazello, qui vont provoquer agitation, incident et diverses autres fantaisies parmi les moscovites. Le Diable qui se moque des principes et des lois, qui ne voit que le coeur des hommes et ne leur dit que ce qu'ils souhaitent entendre. La venue du Diable est loin d'être un fleuve tranquille: entre hallucinations collectives (les passages du spectacle de magie au théâtre et des tenues de soirées revêtues par les femmes qui se retrouvent ensuite en sous-vêtements dans les rues de Moscou, sont absolument délectables, iconoclastes et drôlissimes) et folie Moscou connaît le désordre et l'anarchie, le pouvoir est tourné en ridicule, à mots couverts par un Boulgakov opiniâtre et dénonciateur. En même temps, le lecteur fait connaissance avec des personnages secondaires, mais importants, tels que "le Maître", poète déchu et Marguerite, sa maîtresse et fidèle admiratrice qui, pour rejoindre pour l'éternité son amant dans son enfer personnel, accepte le statut de sorcière et enfourche joyeusement un balai magique. Il côtoie aussi Ponce-Pilate dont l'histoire poignante (cet homme est rongé par le remords d'avoir été lâche et laissé ainsi condamner un Jésus qu'il savait innocent) est contée par Boulgakov entre sincérité et troublante ironie. Dans un déchaînement de récits dignes du meilleur fantastique, Boulgakov écrit un véritable chant d'amour pour son pays, riche en rêves, traditions et en inspirations, tout en dénonçant âprement, sans concession, le régime de la Terreur instauré par Staline: les passages de Biezdomny à l'hôpital psychiatrique où les séances de rééducation mentale sont déguisées en vertueuses prises de calmant accompagnées des sourires des soignants, sont d'une saveur et d'un sel incroyables! "Le Maître et Marguerite" est un roman à l'image des Matriochkas: il y a d'abord l'inspiration du "Faust", puis celle de Méphistophélès ou de la Lune, grâce auxquelles Boulgakov expose son refus de toute forme de pouvoir qui pourrait asservir la pensée ou la création. Il fait de Woland et sa bande de joyeux drilles plus grinçants les uns que les autres, des coupeurs de têtes délirants pourfendeurs de l'institution artistique assujettie au pouvoir mais aussi d'étranges anges-gardiens qui sauvent les âmes à coups de scandales dignes du plus grand Guignol (j'en reviens au théâtre qui se transforme, sous la houlette du magicien retors Woland, en magasin de confection pour dames). Le Diable en rit encore lorsqu'il permet de retrouver le manuscrit brûlé du Maître: la censure peut toujours sévir, il restera toujours des traces de la liberté d'écrire et de penser et les facéties de la bande de Pieds Nickelés de Woland mettent en évidence cette grande vérité...surtout si on ne craint pas la mort! Le burlesque est l'âme vive et brûlante de ce roman dont la lecture n'est jamais ennuyeuse, toujours très instructive sur le quotidien difficile des moscovites des années 30 (la vie en appartement communautaire est d'un glauque certain) et la terreur viscérale inspirée par le pouvoir. Le Mal existe toujours même si on éradique toute croyance religieuse: il vit dans la lâcheté de tout un chacun, lâcheté qui fait renoncer à dire non à l'absurde ou qui fait regarder ailleurs quand l'inacceptable survient. Le plus surprenant est que le Diable, en personne, s'exclame "Les manuscrits ne brûlent pas", paroles d'espoir et porteuses de rêve. D'ailleurs, à y regarder de près, le Diable, dans "Le Maître et Marguerite" est tout sauf un personnage négatif et sombre, bien au contraire: sa sarabande amène la libérté d'être et d'agir à plusieurs personnages et est une pierre essentielle à l'amour éternel du Maître et Marguerite...quant à penser que la main de Dieu n'est guère éloignée de tout cela, il n'y a qu'un petit pas à franchir car l'un et l'autre pourraient être étroitement liés. Un roman foisonnant, luxuriant, palpitant, regorgeant de rebondissements et de scènes improbables où le burlesque et le sérieux s'entrecroisent et s'emmêlent pour le ravissement du lecteur. Une lecture édifiante et sublime!
Roman traduit du russe par Claude Ligny
Un site consacré au roman ICI

lundi 1 septembre 2008

Souvenirs et devenirs

De Murakami Haruki, je n'avais lu que "Chroniques de l'oiseau à ressort" (ici) qui m'avait enthousiasmée, et j'ai, sur ma PAL depuis près d'un an "Kafka sur le rivage". Il m'a fallu attendre la lecture commune du Blogoclub pour me lancer à nouveau dans l'univers de Murakami.
Autant dire tout de suite que ce roman n'a rien à voir avec les Chroniques!
Hajime est enfant unique et rencontre Shimamoto-san à l'école, elle est aussi enfant unique. Elle a une particularité: elle boite et a une jambe plus courte que l'autre. Une tendre amitié naît entre eux: ils écoutent ensemble de la musique classique, du jazz, s'inventent des mondes à eux, partagent les sourires complices et les premières émotions d'une sensualité qui s'éveille. Un amour qui ne dit pas encore son nom est en gestation sous les effleurements, les regards et les sourires. Mais la vie décide de changer le cours du destin des deux enfants: Hajime déménage à quelques arrêts de train, change d'école, d'environnement et de camarades. Il pense souvent à Shimamoto-san, va la voir deux ou trois fois avant de laisser filer le temps et les occasions. Ils se perdent de vue et semblent s'oublier dans le tourbillon de la vie.
Hajime vit une adolescence ordinaire: amis, lycée, bonnes et mauvaises notes et envie de découvrir plus concrètement les mystères de la féminité. Hajime est un beau jeune homme, sportif, attirant le regard des filles; il ne remarque pas les filles les plus belles mais regarde celles qui ont un petit quelque chose qui fait tout leur charme: il aime les légers défauts, les petits riens qui déséquilibrent une harmonie. C'est ainsi qu'il se lie à Izumi en compagnie de laquelle il tente d'explorer les joies de l'amour charnel....la citadelle est difficile à conquérir et un incident de parcours va ruiner ses chances de conquête. Hajime apprend que son égoïsme peut faire souffrir l'autre et son estime de soi se fissure un peu.
Les années passent, les études s'achèvent, un travail insipide scande les journées ennuyeuses d'Hajime, toujours à la recherche d'une âme soeur. Un jour, une silhouette drapée dans un manteau rouge retient son attention par son apparence et sa légère boiterie: est-ce Shimamoto-san? Pour en avoir le coeur net, il la suit longtemps sans jamais osé une seule fois aborder l'inconnue jusqu'à ce qu'un homme vienne lui intimer l'ordre de cesser ses manigances en lui remettant une forte somme d'argent. Qui est cette femme à la folle ressemblance avec son amour d'enfance? Il n'en saura pas plus et reprend le cours lancinant de sa vie monotone.
Le temps coule, Hajime rencontre une jeune femme dont le père est un riche entrepreneur, il l'épouse et se lance dans l'aventure en ouvrant un puis deux clubs de jazz. Il a tout pour être heureux: une épouse, des enfants, une affaire qui marche, une aisance financière certaine, une apparence d'homme jeune malgré la quarantaine grâce aux longueurs de piscine et un flair imparable pour créer une ambiance plaisante pour les clients. Un soir de pluie, une femme vient prendre un cocktail: c'est Shimamoto-san, grain de sable inattendu dans le déroulement du quotidien. Elle est mystérieuse, insaisissable, terriblement belle, sensuelle et ne boite plus. Commence alors pour Hajime une descente au coeur de ses souvenirs, de ses rêves enfouis et des sentiments qu'il croyait éteints. La passion ne couve que pour mieux crépiter à la moindre étincelle: Hajime et Shimamoto-san vont expérimenter cette douloureuse route amoureuse jusqu'au choix ultime oscillant entre folie et raison.
L'histoire s'installe lentement, laissant le temps aux personnages de prendre corps, de s'affirmer et d'entrer dans la vie. Cette dernière est en apparence sans histoire, presque anecdotique, tendue vers une morne ligne d'horizon d'un calme presque angoissant. D'ailleurs, les légers accrocs dans le récit (la rupture avec Izumi, le faire-part de decès de la cousine d'Izumi, première amante de Hajime, la silhouette rouge suivie dans la rue) sont autant d'avertissements des futures secousses qui perturberont la ligne d'horizon d'Hajime. On sait que le grain de sable va arriver et qu'il chamboulera la vie des personnages, aussi l'attend-on avec impatience et appréhension. L'apparition de Shimamoto-san dans le paysage monotone et calme d'Hajime, rythmé par un jazz mélancolique et feutré, ouvre une fenêtre mortifère sur l'amour: Hajime peut basculer à tout moment et jeter aux orties sa petite vie ordinaire et insipide.
"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil" est un roman des réminiscences et de la folie: au sud de la frontière, un morceau de phrase d'une chanson de jazz que Hajime et Shimamoto-san écoutaient en rentrant de l'école, qui révèle son sens décevant à l'âge adulte; à l'ouest du soleil, le cheminement fou qui lance parfois sur la route les paysans de Sibérie qui n'en peuvent plus de la plaine enneigée sans rien à l'horizon pour briser la perspective. Le désenchantement côtoie la déraison, le sentiment marital la passion dévorante et mortifère. J'avais parfois l'impression d'être dans le film "In the moon for love" et voir les amants de l'impossible, que sont Hajime et Shimamoto-san, se frôler dans leurs regards dévorants, le soir, en écoutant du jazz devant leur cocktail et leurs souvenirs. Le même rythme lent, sensuel de l'attente et de la satire sociale lancinante et ironique derrière l'autodénigrement de Hajime (le déterminisme du résulat des études, les carcans sociaux, les absences conjugales des hommes, la solitude des épouses confinées à l'éducation des enfants et à la tenue du ménage...). Une histoire du monde où regards sur le passé, réalisation de la vie professionnelle et l'épanouissement personnel se heurtent parfois à l'aune de ce que l'on a pu rater malgré la réussite apparente.

Roman traduit du japonais par Corinne Atlan






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