jeudi 11 juin 2020

Les deux Angleterre


Nous sommes transportés dans l'Angleterre victorienne du milieu du XIXème siècle dans le Comté du Hampshire appartenant à la région des Cornouailles, région rurale et conservatrice du sud du pays. La vie s'écoule paisiblement au rythme des saisons et des travaux des champs, celle de Margaret Hale, jeune fille élevée à Londres chez sa tante afin de tenir compagnie à sa cousine, revient, après le mariage de cette dernière, auprès de ses parents. Son père est le pasteur de la paroisse de Helstone, sa mère s'occupe de l'école paroissiale où elle dispense les rudiments scolaires aux enfants.
L'harmonie est de temps en temps interrompue par la fatigue et les récriminations de sa mère lasse de rester dans la même cure sans aucune perspective de promotion pour son époux. Par touches légères, Elizabeth Gaskell souligne que le mariage d'amour n'est pas synonyme de vie sans grisaille : entre les réflexions de la mère de Margaret et celle de sa fidèle femme de chambre, le lecteur apprend très vite que Mme Hale aurait pu prétendre à mieux et éviter de vivoter.
Il apprend également, au détour d'une conversation entre les protagonistes, qu'une ombre pèse sur les Hale : l'absence du fils aîné, Frederick, exilé en Espagne suite à une mutinerie alors qu'il servait dans la Royal Navy : sans pouvoir être disculpé, il ne peut rentrer en Angleterre qu'au péril de sa vie.
Le frère du Capitaine Lennox époux de sa cousine, vient un jour leur rendre visite. Au cours de leur promenade, alors qu'ils ont sorti leur matériel à dessin, le jeune homme demande en mariage Margaret qui l'éconduit : elle ne voit en lui qu'un ami, rien d'autre. Autant dire que l'attitude de Margaret est loin de lui plaire.
Les jours s'écoulent dans la tranquillité du Hampshire jusqu'au jour où Mr Hale annonce aux siens qu'il quitte ses fonctions pasteur parce qu'il n'est plus en accord moral avec l'Eglise qu'il sert. On ne saura jamais la nature de la dissidence de l'ancien pasteur.
Un de ses amis d'Oxford, propriétaire à Milton, dans le nord de l'Angleterre, lui trouve un emploi de professeur particulier.
La famille Hale quitte le sud paisible pour rejoindre un nord inconnu et industriel. Margaret se retrouve confrontée avec les us et coutumes d'une ville industrielle en plein développement, des habitudes de vie qu'elle ne connaît pas, qui lui paraissent vulgaires, braillardes et libertaires dans le sens où les gens tiennent à leur franc-parler et leur liberté de parole.
C'est un choc des cultures qu'elle affronte, un choc dont elle en sortira autre.

Margaret ne restera pas longtemps cloîtrée chez elle, contrairement à sa mère qui ne se remettra pas du changement de vie de la famille : elle va à la rencontre des gens et se liera, au fil du temps, avec une famille ouvrière, les Higgins.
Elle rencontre également Mr Thornton, premier élève de son père. Elle le trouve rustre et peu avenant par contre elle aime son sourire, presque enfantin, qui illumine trop rarement son visage.
Bien entendu, il s'éprend désespérement de Margaret qui reste, apparemment, indifférente à ses marques d'intérêt. Or, il est connu que les contraires s'attirent ce qui sera confirmé au cours du roman après une série de malentendus et de quiproquos faisant enfin taire le déni amoureux dans lequel elle se morfond.
C'est qu'au contact des Higgins, Margaret voit s'éveiller sa conscience sociale qui provoquera de vives discussions avec John Thornton. Et si les patrons et les ouvriers pouvaient mettre de côté leurs différences et leurs querelles pour le bien de l'industrie ? Et si chaque « camp » parvenait à comprendre l'autre pour améliorer leurs relations et faire converger leurs intérêts ? Y aurait-il du socialisme dans ce « roman industriel » d'Elizabeth Gaskell ? Si ce n'est pas cela au moins est-ce une vision féminine du monde économique de l'époque victorienne fondé sur l'industrialisation de la production manufacturière.
L'auteure réussit dans son roman à informer et souligner la situation précaire des ouvriers et leurs relations tendues, jusqu'aux éclats violents d'une grève, avec les patrons tout en équilibrant le tout en développant le point de vue et les idées d'un patron avec son personnage John Thornton, opiniâtre, dur avec lui-même et les autres, et malgré tout sensible aux vies misérables que subissent les ouvriers.
Cela aurait pu être un roman lénifiant et pontifiant, or point du tout. Au contraire, l'auteure aime se moquer de ses personnages, les malmener un peu et les mettre face à leur mauvaise foi et leur certitudes pétries d'orgueil qu'il soit d'ordre de l'intime ou du social.
Le lecteur mesure le chemin parcouru par Margaret quand elle retourne vive auprès de sa tante et sa cousine, à Londres, après la mort de ses parents. Comme elle semble incongrue dans la société futile et papillonnante de la bonne société londonienne. Comme elle nous paraît moderne par sa décision d'être maîtresse de sa vie, de ne pas être sous la coupe de qui que ce soit : peu lui chaut l'apparence puisque la réflexion et l'utilisation de ses savoirs sont plus importants à ses yeux. Comme nous mesurons le chemin qui restera à faire aux femmes pour sortir de leur condition féminine de soumission aux désirs masculins.

Une lecture revigorante par sa qualité et ses personnages attachants et hauts en couleurs : ce qui est formidable avec les romans victoriens c'est l'immersion immédiate au cœur de l'histoire, aux côtés des personnages qui deviennent, le temps d'un voyage dans le temps, nos amis.

Lu dans le cadre:








Quelques avis :






8 commentaires:

mimi a dit…

Lu il y a peu,mais juste avant le mois anglais.Je l'ai bien apprécié !
https://leblogdemimipinson.blogspot.com/2020/05/nord-et-sud.html

eimelle a dit…

il a l'air très intéressant!

rachel a dit…

J'ai adore la serie...oui vraiment elle montre les 2 faces de l'angleterre et rien est beau quand tu es en bas....tout un superbe Gaskell

Katell a dit…

@mimi je mets le lien de ton avis.
@eimelle et rachel: le roman comme la série sont excellents.

Alexielle a dit…

J'avais noté Nord et Sud pour une première lecture de l'auteur mais le résumé et ton avis me donnent finalement envie de commencer par celui-ci !

Alexielle a dit…

Qu'est-ce que je suis bête lol ^^ C'est de Nord et Sud dont tu parles ^^ (j'avais noté Les deux Angleterre comme titre ^^).... Donc c'est bien par celui-ci que je débuterai ma lecture de l'auteure ^^ Je me disais aussi que le résumé ressemblait quand même drôlement à Nord et Sud... Pas étonnant ^^

Nathalie a dit…

Déjà noté, mais pas encore lu. J'avais bien aimé "la sorcière".

FondantGrignote a dit…

Oh oui, comme tu dis, on ne s'ennuie pas du tout ; je conserve de ce roman un excellent souvenir !