lundi 13 juillet 2020

Marais et tranquillité


Tout le monde connaît l'horreur subie par la ville de Guernica lors de la Guerre d'Espagne qui verra Franco au pouvoir pour de longues années de dictature sanglante.
Tout le monde connaît le célébrissime tableau de Picasso, éponyme de la ville, présenté au pavillon espagnol lors de l'Exposition internationale des arts et techniques de Paris en 1937.
Tout le monde connaît l'horreur vécue grâce à ce superbe tableau.
Et si Picasso n'avait pas été le seul artiste à s'interroger sur les tragédies de la guerre et l'importance de l'art pour en témoigner ?

C'est ce que nous relate Antoine Choplin dans son roman, touchant et merveilleux, « Le héron de Guernica » où le jeune héros, Basilio, étrange électron libre, s'arc-boute à reproduire, exactement, le portrait d'un héron habitué du marais proche de la ville.
La guerre civile passe à côté de Basilio, du moins a-t-on, au début, cette impression. Or, très vite, le héron devient une métaphore de la ville : la tranquillité du marais est celle d'une petite ville plus attachée à son quotidien de labeur qu'aux affaires du monde. Le marché, les promenades à la brune des jeunes gens, Basilio au cœur du marais, immobile, habituant le héron à sa présence pour mieux le croquer, le dessiner, le peindre, la vie simple de gens simples.
Le souci de Basilio n'est pas la guerre, même s'il a voulu s'engager auprès des républicains, non, son souci est de parvenir à peindre un héron cendré, son héron cendré, sans qu'il donne une impression de nature morte. Il espère rendre sa peinture vivante comme si le héron devait bouger dans la seconde sous les yeux de celui qui regardera la peinture.
Comment peindre la vie sur une toile sans en perdre sa substance ? C'est ce que recherche Basilio : insuffler la vie dans son dessin. On le suit dans le marais, silencieux comme lui ; on s'installe, immobile comme lui, pour apprivoiser le héron. On goûte à la précieuse sérénité du lieu, oasis de paix et d'eau immobile. Une bulle fragile et délicieuse.
Puis le trouble vient du ciel où les messerschmitts allemands dansent tels des insectes malfaisants. L'enfer embrase la ville en quelques minutes.
Basilio a quitté son marais pour revenir auprès de son oncle qu'il ne trouve pas. Il suivra le curé qui lui donnera la mission de prendre des photos pour immortaliser l'horreur et informer le monde de l'ignominie.
Avec un tact d'une légèreté sublime, Choplin met en scène le bombardement et les cadrages de Basilio : une bicyclette abandonnée dans la rue sera plus parlante que l'escadrille dans le ciel, les taurillons rendus fous par les flammes, saisis par le regard de ce jeune homme sensible, formeront une triade tragique et enflammée achevant sa course, consumée et déstructurée. L'horreur est dans quelques scènes anodines.
A la fin du raid, Basilio se rend au marais... son héron semble immobile, il tente de se relever, de battre ses ailes. L'une d'elles est blessée, brisée. Le sang s'écoule du modèle qui sombre dans l'ombre des hautes herbes... la mort est pudique.
Le héron du matin et celui du soir, deux sommes d'une vie qui s'achève brisée. Aussi, quand on voit Basilio prendre son pinceau pour peindre son héron, on voit aussitôt les personnages du tableau de Picasso : le corps et le visage déstructurés pour montrer l'avant et l'après.
Le jeune artiste, on le sent, on le sait, peint « le héron du matin et celui du soir » en un seul...de l'oeil pétillant de vie à la béance mortelle de l'aile meurtrie.

Picasso n'a pas assisté au carnage de Guernica, Basilio, si. Pourtant le ressenti artistique est le même, la transcription graphique du même ordre.
Antoine Choplin rend magnifiques Basilio et son héron, rend extraordinaire le calme d'une journée comme une autre avant le déchainement des bombes et le martyr de la ville. La douceur de vivre et l'horreur de la mort violente et brutale dans l'évocation d'un héron cendré, image de la sérénité du marais.
On ferme alors les yeux et on regarde le tableau de Picasso, comme Basilio au pavillon espagnol. On voit les corps martyrisés et on voit celui du héron dont la toile ne quittera pas le carton à dessin.

Guernica - Pablo Picasso - 1937


1 commentaire:

rachel a dit…

oh oui ce livre semble bien bon...une autre facon de voir la tragedie...mais a la fin c'est la meme chose..l'horreur....