dimanche 10 janvier 2021

Qu'y a-t-il au bout de la patience? Le ciel ou l'enfer?

 


La rentrée littéraire de septembre est tellement foisonnante que nous échappent, parfois, souvent même, de vraies pépites. Heureusement la sagacité des lycéens met en lumière des livres qui enchantent, remuent, secouent ou désarçonnent.

 

« Les impatientes » roman polyphonique dans lequel le destin de trois femmes, deux adolescentes et une femme trentenaire. Elles sont toutes les trois liées soit par le sang soit par les liens du mariage polygame.

Ramla, Hindou et Safira vivent dans leur chair et dans leur cœur les affres du mariage forcé : les deux premières voient leurs rêves s'effondrer, la troisième sa quiétude de femme unique s'envoler.

Elles n’ont entendu qu’une seule antienne depuis toujours : tu dois être patiente. Or, elles n’en possèdent plus : Ramla voudrait que son père revienne sur sa décision, Hindou qu’on ne la jette pas en pâture à un homme violent et Safira que son époux renonce à l’élixir de la jeunesse.

Derrière les murs des concessions, ces demeures des familles aisées, se cachent des jeux de pouvoir et la détresse des jeunes filles aux rêves tués dans l’œuf. « Munyal », tu es née fille tu vivras dans le « munyal » jusqu’à ce que la mort te délivre.

Derrière les hauts murs des belles propriétés, les filles deviennent les esclaves de leur époux, doivent servir leur co-épouse et attendre le bon vouloir du maître de leur corps. Elles espèrent devenir mère à défaut de recouvrer la liberté.

« Munyal »… patience ! Il est impossible d’aller à l’encontre d’une loi édictée par le Tout-Puissant.

Les chemins se croisent, la vie des trois héroïnes ne sera plus la même après heurts et éloignement. Cependant elles ont un point commun : la révolte, celle qui fait brûler tous ses vaisseaux pour retrouver « l’avant ». Elles refusent le sort qui leur est imposé par l’invocation de la fatalité d’être une fille. Chacune à sa manière essaie de conserver l’espoir et sa dignité.

 

Ramla peut passer son bac avant le mariage, largesse dispensée par son futur époux, la cinquantaine inquiète pour sa virilité. Quoi de mieux qu’un bain de jouvence auprès d’une jeune vierge !

Elle rêvait de devenir pharmacienne aux côtés de son fiancé en Tunisie, elle sera la seconde épouse d’un homme mûr et devra cohabiter avec une co-épouse qu’étreint la jalousie et la colère d’avoir perdu son statut d’unique femme.

Safira mettra en place mille et un stratagèmes pour se débarrasser de sa rivale, se délectant d’élixirs, de filtres magiques récoltés auprès de marabouts célèbres ou pas. Les croyances ancestrales la submergent jusqu’à ce qu’elle comprenne que Ramla est aussi une victime, autant qu’elle-même.

Il y a des scènes savoureuses entre Safira et sa meilleure amie préposée à l’obtention de la potion qui lui fera revenir l’amour inconditionnel de l’époux. L’humour voile le caractère glaçant des situations sans pour autant l’occulter.

Hindou boira le calice jusqu’à la lie : violences conjugales, viols, humiliations qui la conduiront à fuir la concession, manière pour elle de se rebeller contre l’ordre établi. Son chemin sera celui de la folie, seule échappatoire d’une vie qui n’en est pas une. Son histoire est la plus terrifiante des trois, on en sort glacé, tremblant et atterré.

 

Dans le cercle incessant du malheur d’être fille, d’être femme, une lueur, faible et pourtant précieuse : Safira, après avoir compris que sa rivale subit ce qu’elle vit, prend exemple sur elle et apprend à lire et à écrire. Le savoir, la connaissance, premiers pas dans la maîtrise de son destin.

Le roman « Les impatientes » est celui de femmes qui ne se résignent pas même si les conséquences ne seront pas identiques. C’est aussi celui d’un monde dominé de manière absolue par les hommes. Les femmes ne sont là que pour leur « bon plaisir » et si elles n’obéissent pas dur est le châtiment dispensé. Malgré les cris de douleur et de terreur personne ne réagira parce que personne n’y trouvera à redire puisque la volonté du Tout-Puissant est que la femme soit au service de l’homme. C’est ainsi et pas autrement.

 

Malgré la noirceur d’une vie au cœur d’une cage dorée, une brise souffle l’espoir d’une liberté. Un des frères de Ramla, qui lui a fait rencontrer son amoureux, s’élève contre le mariage forcé alors que la main de sa sœur était promise à son ami. Lui et son ami seront poursuivis par les deux familles au point qu’ils n’ont pas d’autre solution que de fuir à l’étranger.

La brise ouvre le cœur des femmes qui relatent leur propre histoire et s’aperçoivent qu’elle est identique à celle de l’autre, qu’elles partagent les mêmes douleurs. Les prémisses d’une solidarité féminine posent les premières pierres d’une lutte contre l’oppression.

 

« Les impatientes » roman d’une bataille pleine de rage pour s’émanciper de l’oppression masculine. Les moyens peuvent sembler dérisoires or ils sont très importants : apprendre à lire, à écrire et conduire pour conquérir son propre destin ou s’enfuir rejoindre un frère avec lequel la correspondance internet fut la corde de la délivrance. Seule Hindou ne trouvera pas la force de sa sœur. Long est le chemin pour que les mentalités changent et ouvrent les perspectives d’un autre possible.

 

« Les impatientes » est un roman-cri, un roman qui met le lecteur dans la peau d’une femme battue et violée, qui le pose face à la complicité familiale, la pire de toute en somme, qui le met face à la folie qui guette les proies fragiles.

Et Djaili Amadou Amal se fait porte-parole de celles qui ne l’ont pas, celles que l’on claquemure dans l’enfer de la soumission aux époux, pères ou frères.

 

« Patience, mes filles ! Munyal ! Intégrez-la dans votre vie future. Inscrivez-la dans votre cœur, répétez-la dans votre esprit. Munyal ! Telle est la seule valeur du mariage et de la vie. Telle est la vraie valeur de notre religion, de nos coutumes, du pulaaku. Munyal, vous ne devrez jamais l’oublier. Munyal, mes filles ! Car la patience est une vertu.

- Dieu aime les personnes patientes. » dit mon père. » (p83)

Quelques avis:

Babelio  Africultures  Sens critique  Jeune Afrique  Critiques libres  Les livres de Joëlle  Alex Caroline


3 commentaires:

rachel a dit…

Oh un livre pas pour moi...deja dans mes indiens, cela m'horripile cette histoire de mariage...pucha...on est au 21 siecle....bref...je passe....;)

Katell a dit…

Il n'empêche que c'est un excellent prix Goncourt des lycéens.

rachel a dit…

oh ouiii tout a fait....j'imagine qu'il est tres bien ecrit...mais le theme n'est pas pour moi...;)