Après l'univers de Louis Pouliquen, je vous invite à entrer dans celui de Jean Echenoz, par le biais d'un extrait de son roman "Nous trois".
"Le simoun, vent très chaud, se lève par bourrasques au sud du Maroc saharien. Il y produit des tourbillons compacts, brûlants, coupants, assourdissants, qui masquent le soleil et gercent le bédouin. Le simoun reconstruit le désert, exproprie les dunes, rhabille les oasis, le sable éparpillé va s'introduire profondément partout jusque sous l'ongle du bédouin, dans le turban du Touareg et l'anus de son dromadaire.
Le Touareg, bâché de bleu, se tient coi sur la bosse de sa bête. Près de lui, statufiés sous la tourmente, trois autres Touareg attendent que ça se tasse. Le sable fait monter un socle, poussière de pierre autour des chevilles des animaux. Quand le plus jeune des Touareg, affolé, crie qu'il s'enlise et ça ne va plus du tout, ses aînés ne lui répondent pas. Sous leur housse, ils n'ont pas dû entendre la voix du débutant. C'est qu'autour d'eux la tempête grince énormément.
Mieux instruits que le jeune méhariste, ses aînés savent que le phénomène arrive du coeur du continent, qu'un aquilon venu d'Afrique centrale déchire de temps en temps le grand désert du Nord dont il fait bouillir l'étendue stérile et transporte l'écume au-delà des mers. Se délestant à la surface des eaux, telle une montgolfière, des sacs de sable du Grand Erg, faisant frémir au passage le titane des Boeing, le désert vole vers l'Europe dont il va poudrer le Nord-Ouest, perfectionner le revêtement des plages et propulser des grains dans tous les engrenages." (p 12 et 13)
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