samedi 6 février 2021

La vie dans le regard d'un enfant

 


Nous sommes en Angola, après la guerre civile, dans un quartier de la banlieue de la capitale Luanda. Non loin de là, des coopérants soviétiques participent à la construction du gigantesque Mausolée qui abritera la momie du père de la révolution angolaise, Agostinho Neto. La suite logique est la modernisation de cette banlieue jouxtant le Mausolée et surtout situé en bord de mer et qui dit modernisation dit restructuration et donc démolition des habitations et par voie de conséquence déplacement, ailleurs, des habitants. C'est que les bords de mer, c'est intéressant pour les promoteurs immobiliers !

Ondjaki, l'auteur, peint le portrait du petit peuple vivant dans ce quartier pauvre et pittoresque doté de personnalités hautes en couleurs. Au nombre desquelles se trouvent GrandMèreAgnette, l'aïeule d'un des jeunes héros du roman, GrandMèreCatarina, VendeurD'Essence, qui ne peut jamais vendre d'essence faute de ravitaillement, EcumeDeMer, le vieux fou qui se baigne chaque jour dans la mer malgré les interdictions, VieuxPêcheur et sa barque traditionnelle, Charlita et Pi dit TroisQuatorze, les meilleurs copains du narrateur. Ne pas oublier les perroquets braillards agonisant les gens de grossiertés et de slogans révolutionnaires.

Le quartier vit au rythme de la course du soleil dans le ciel, les enfants jouent librement, enfin pas trop car il y a toujours un adulte pour avoir un œil sur eux.

L'électricité est absente sauf chez GrandMèreAgnette car le CamaradeBotardov, dont le vrai patronyme est Bilhardov, l'apprécie et a établi une dérivation depuis le site du Mausolée.

Cet officier russe aime les gens du quartier malgré le fossé séparant les deux cultures. Il essaiera de les prévenir du projet de modernisation mis en place par les dirigeants.

Le récit est celui d'un jeune enfant, avec ses perceptions, son imaginaire et sa vision du monde. La chronologie n'est pas linéaire, tout s'imbrique, se démêle et se mêle au gré des souvenirs qui surgissent. Ce qui fait la force de la narration, et donc du roman, c'est que tout reste cohérent.

Le jeune narrateur et ses amis s'insurgent contre le projet dont l'ampleur ne semble pas ouvrir les yeux des adultes. Les enfants décident de contrecarrer ce qui se trame en utilisant leur ruse, leur ingéniosité et les outils et matériaux à leur portée.

Le lecteur suit avec délice l'élaboration du plan ainsi que sa mise en œuvre pour laquelle les enfants ont puisé dans leur connaissance des télénovelas et films d'aventure. Le monde ne se voit plus pareil lorsqu'on le regarde à travers les yeux d'enfants : tout devient aventure grandiose, sombre secret, dangers incroyables et courage inaltérable sauf quand des bruits inattendus se font entendre dans l'immense entrepôt. Ils découvrent un pan du trafic mis en place par les occupants soviétiques : l'exportation illégale d'oiseaux exotiques dont les perroquets, entassés dans des cages trop petites et condamnés à l'obscurité jusqu'au voyage vers d'autres cieux.

Le style poétique est rythmé, l'écriture mêle rigueur et humour ce qui est savoureux à lire. Les événements préparant la rénovation du quartier sont aussi l'occasion d'intégrer une partie de l'histoire de l'Angola, ses heurts et malheurs au fil des guerres et des révolutions.

On pense, forcément, à « La guerre des boutons » roman donnant la part belle à l'enfance. « GrandMèreDixNeuf et le secret du Soviétique » est dans la même veine : l'auteur chante l'enfance et ses cheminements qui ne sont ceux des adultes, l'enfance et sa vision du monde qui enchante une réalité loin d'être enchanteresse, il chante cette magie qu'a l'enfance pour colorer joyeusement le gris des jours et le noir du deuil.

Ce roman est lumineux et m'a fait oublier la triste réalité anxiogène due au satané virus qui pourrit nos vies depuis mars dernier.


Merci à Masse Critique et aux Editions Métailié pour cette jolie lecture et pour la découverte d'un auteur que je n'avais encore jamais lu.

Quelques avis

Babelio  Jeune Afrique  Temps de lecture Alex Mots à mots




2 commentaires:

rachel a dit…

J'avais adore son premier livre...tu me confortes dans l'idee de lire son second....je l'ai deja dans ma liseuse....;)

Katell a dit…

Quant à moi, je vais m'intéresser de plus près à ce qu'il a écrit avant ce roman. Ce fut une belle découverte.