samedi 29 janvier 2022

Le sel de tous les oublis

 


Je n'avais pas lu de roman de Yasmina Khadra depuis bien longtemps, c'est avec joie que j'ai renoué avec sa lecture en me plongeant dans « Le sel de tous les oublis ».

Ce qui est formidable avec Khadra, c'est qu'il réussit à hameçonner la lectrice que je suis dès les premières lignes.

Nous sommes quelques années après la guerre d'Indépendance, dans une Algérie encore meurtrie par les atrocités subies de part et d'autre.

Adem, instituteur consciencieux, apprend de la bouche même de son épouse, Dalal, qu'elle le quitte pour un autre. En quelques mots, l'univers d'Adem bascule dans le néant, en quelques phrases, Dalal le renvoie face à son inexistence, face à son inconsistance. Aussi, quand elle claque la porte, Dalal emporte le monde avec elle, la Chute du Paradis en un claquement de talon.

Commence alors pour lui une quête du sens de sa vie dans un vagabondage tenant plus de la descente aux enfers qu'à une rédemption.

Adem connaîtra la faim, la soif, la déchéance dans le regard des autres, la violence mais aussi côtoiera la générosité des hommes, sans demande de contrepartie, l'hospitalité paysanne et l'espoir.

Sa route croise celle d'un musicien aveugle au chant prophétique, d'un nain solitaire, assoiffé de compagnie, abandonné par sa tribu et recueilli par des nonnes, des saisonniers aux allures de Lenny et Georges, héros tragiques de Steinbeck, d'un politicien magouilleur profitant de sa position au sein du FNL pour extorquer terres et biens aux paysans pauvres et illetrés.


Khadra m'a lancée dans un road-movie, aux côtés de son héros maudit, au cœur d'une Algérie en pleine reconstruction de ses infrastructures, de sa politique et de son avenir. Chaque étape d'Adem est une mue à l'issue de laquelle, on espère qu'il redeviendra lui-même, grandi par son voyage en quête de son moi, de son identité. L'espoir brille, ténu et fragile, offrant une perspective de renouveau pour Adem, las, l'Eden est sans cesse au loin, tel un mirage des trésors perdus.

Sous la plume empathique et poétique de Khadra, les paysages intérieurs que je me suis fabriqués au gré de mes séjours marocains, accompagnent ceux que l'auteur fait surgir. Il joue, avec brio, entre la noirceur du récit et la poésie lumineuse des descriptions des paysages algériens. Bien que son héros ne soit pas très sympathique, il est carrément insupportable par moment, Khadra, par son empathie qu'il parvient à transmettre, lui donne une dimension d'humanité tragique. Adem est un homme en quête de l'impossible aux allures de Dom Quichotte moderne. Mika, le nain en mal de compagnie, pourrait être son Sancho Pança.

Entre la tragédie sociale de « Des souris et des hommes » et celle philosophique de « Dom Quichotte », Yasmina Khadra dresse un portrait d'une Algérie qui se cherche pour assumer son devenir ainsi que le portrait d'un homme dévasté par ses désillusions et confronté brutalement à une réalité qu'il ne veut pas admettre : un partie du monstre demeure en lui et l'enchaîne jusqu'à ce qu'il se perde dans ses errances.


« Le sel de tous les oublis » est un roman fort, poignant et d'une beauté extraordinaire.


Quelques avis :

Babelio  Le Point   Sens Critique  Hch-Dhalem Livraddict

Lu dans le cadre




1 commentaire:

rachel a dit…

Et bin toute une aventure a connaitre....