lundi 24 août 2009

Quand Hollywood était muet


Jun Nakayama est une ancienne star hollywoodienne du cinéma muet: il coule des jours paisibles, dans un quartier huppé de Los Angeles, dans sa retraite dorée, due aux bons placements immobiliers et fonciers réalisés lors de sa période faste. Il est célibataire, seul et n'ai jamais retourné au Japon. Chaque semaine, il déjeune avec une de ses voisines, Mme Bradford, une femme pétillante et pleine d'allant, fantaisie agréable brisant le quotidien bien réglé de notre charmant vieux monsieur. Mais le hasard vient toujours frapper à la porte au moment le plus inattendu et cela en la personne d'un jeune homme, scénariste, inconditionnel du cinéma muet et grand admirateur du jeu de Jun Nakayama. Ce dernier, plutôt désarçonné et interloqué, refuse tout d'abord d'écouter le jeune homme et lui raccroche au nez....c'est sans compter avec l'opiniâtreté du jeune américain et la remontée par palier d'un passé qu'il croyait enfoui définitivement.
C'est ainsi que le lecteur se laisse guider, au gré des souvenirs de Jun, au coeur des années 20, aux débuts du cinéma, industrie folle et joyeuse où les hommes et les femmes forcent le destin et la réussite par des paris plus risqués les uns que les autres. Entre frivolité et contexte socio-politique difficile pour les étrangers aux Etats-Unis, Jun glisse du statut d'étudiant brillant à celui de star montante du 7ème art. Une fulgurante ascension malgré sa nationalité, malgré le racisme envers les asiatiques, fait de Jun un exemple de réussite sociale: des planches du théatre du quartier asiatique à la pellicule des films, chemin qui l'éloigne encore plus d'un éventuel retour au Japon. Cependant, même s'il devient une icône aux yeux de certains, nombres de ses compatriotes lui reprochent de camper l'archétype du personnage asiatique, fourbe, faux, méchant, stéréotype du regard américain et occidental sur l'Extrême-Orient: Jun ne fait-il pas pire que mieux pour l'image du Japon? Ne cède-t-il pas trop facilement aux sirènes, trompeuses, de la célébrité éphémère...d'autant que l'animosité croissante des américains envers les chinois et les japonais enveniment les rapports sociaux, économiques et politiques. Mais Jun ne pense qu'à perfectionner son jeu, la subtilité du placement de son corps, d'un geste, du mouvement d'un sourcil ou la subtilité d'un mouvement des lèvres. Le muet est l'art de la subtilité du mouvement corporel, la subtilité de la photographie et de la lumière...tous, ingrédients essentiels de la transcription en images d'atmosphères, d'ambiances et de sentiments. Alors qu'il se trouve au sommet de son art, Jun stoppe subitement sa carrière en 1922. Pourquoi cette soudaine disparition? Parce que les propositions des studios se faisaient de plus en plus rares en raison de son appartenance ethnique? Parce que, malencontreusement, il a été mêlé au meurtre d'un metteur en scène, meurtre jamais, officiellement, élucidé?
La proposition du jeune scénariste remue la vase des occasions manquées, des mauvais choix, des croisements ratés, et lui fait prendre conscience qu'il est temps d'affronter les démons du passé, sans fausse honte et sans crainte et d'accepter de se regarder enfin dans la glace et de vivre enfin.
"Si loin de vous" est un roman où la nostalgie sur le temps passé est un des moteurs, voire une méditation sur ce qu'on laisse derrière soi, sur ses erreurs et errances. Mais c'est aussi un délicieux voyage au coeur de l'émergence d'un nouvel art qui prendra une place grandissante: le cinéma, d'abord muet puis parlant. Les fêtes sur Sunset Boulevard dessinent l'insouciance, la vitalité et la folie d'un métier qui flirte avec tous les excès, où les zones d'ombres et de lumières peuvent être mortifères et mystérieuses....Hollywood sera toujours Hollywood, un mode aux limites toujours repoussées et aux relations des plus sulfureuses entre subversion et raison.
Nina Revoyr souligne aussi, avec délicatesse, la difficile intégration des non-occidentaux et les conditions drastiques imposées par les lois gouvernementales. En filigrane, la peur de l'autre, le rejet de la différence et le mépris envers ce qui n'est pas soi.
"Si loin de vous" est une lecture qui nous entraîne dans le tourbillon naissant d'un siècle qui verra grandir l'éclosion d'un nouvel art, le cinéma, déclinaison parfois extravangante des histoires en images et en sons. Les accents nostalgiques teintent de sépia les collines de Los Angeles et étouffent les sons d'une modernité bruyante pour que les années qui filent et défilent n'aient pas le goût amer des regrets....il y a du Kazuo Ishiguro, quelque part entre les lignes et sous les émotions ce qui est loin d'être déplaisant!!!
Au final, le roman de Nina Revoyr, est une lecture plus que plaisante malgré une lenteur, certainement voulue afin de faire ressentir la nostalgie latente et le sépia de l'ambiance des souvenirs, qui derrière le rythme presque ralenti scande une descente au coeur de l'intériorité que le héros a voulu oublier. Un rythme qui s'affole à mesure que la réalité contemporaine devient prépondérante dans une explosion d'émotions qui fait avaler au lecteur les 150 dernières pages...là, les larmes affleurent, prêtes à franchir le malheureux barrage que le mental tente de dresser face au flot émotionnel. Une balade dans le temps tout en délicatesse.


Roman traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bruno Boudard






Je ne peux que remercier Suzanne de Chez les filles pour cette lecture que je n'aurais certainement pas faite spontanément! Une belle découverte....inattendue et pleine de petites pépites comme je les aime!

6 commentaires:

Nanne a dit…

Je l'avais repéré au début de l'été dans une librairie et avais l'intention de le lire, quand Suzanne me l'a proposé ... Je n'ai pas refusé une telle offre ! Je sens qu'il va me plaire énormément ! De toute façon, ton billet donne envie de plonger dans cette belle lecture ...

Leiloona a dit…

Joli billet ! :))
Je l'ai lu il y a un petit mois et j'ai eu du mal au début ... justement cette lenteur m'ennuyait. Et puis, finalement, j'ai bien adhéré par la suite !

sylire a dit…

Nous sommes d'accord :-)

freude a dit…

Je note le titre, c'est sympa comme milieu !

Celsmoon a dit…

Je n'ai pas su apprécié cette lecture. Je te laisse le lien de mon billet :http://celsmoon.over-blog.com/article-34868115.html

Lael a dit…

très beau billet pour ce livre que je n'ai pas fini mais je vais réviser mon jugement et essayer d'accrocher