vendredi 27 juillet 2018

Théodose ou de l'éducation


C'est la couverture du roman « Théodose le Petit » qui m'a incitée à l'emprunter, le risque était minime puisque j'avais la possibilité d'en arrêter la lecture si je n'entrais pas dans l'histoire.
Pourquoi des fraises en couverture ? On ne percute pas immédiatement, il m'a fallu plusieurs jours pour me dire, en me frappant le front du plat de la main « Ah, mais oui, c'est bien sûr ! ».
Quelle belle introduction donnant envie de se précipiter sur le roman dès que l'occasion s'en présentera ! Ça, c'est de l'introduction travaillée et léchée... d'aucune aide pour l'éventuel lecteur de cet article.

Il est des romans qui se lisent, disais-je, parce qu'ils ont une couverture étonnante, inhabituelle ou parce qu'ils ont un titre qui titille la curiosité de potentiel lecteur.
« Théodose le Petit » attira mon regard par la couverture acidulée puis par son titre amusant.

On ouvre le roman, on lit la première phrase et on se demande dans quoi on est tombé. 
Le chapitre d'exposition est du même tonneau que la phrase d'attaque. Où va-t-on ?
Le chapitre deux intitulé « La fraiseraie de la chouette Calliope » interpelle et donne une éventuelle piste : serait-ce une histoire d'animaux doués de parole et de raison ?
Entrent en scène Théodose le Petit et le Chatchien. Le lecteur nage-t-il en plein délire ? D'autant que peu à peu les personnages parlent d'un abominable Samuel, un Minotaure dans une maison étrange, cultivant des champignons, en guerre larvée contre Calliope, la chouette. Un Silure est évoqué, une fantôme Otilia, des fourmis vertes et violettes, un duc d'Ottembourg, d'une Fraternité, d'un Mur, d'un Lac Froid et de Bucarest.
Est-ce une fable édifiante ? Est-ce un roman d'apprentissage comme le laissent supposer les relations entre Théodose Le Petit, Prince Héritier d'un royaume bien malmené, et son précepteur, Gabriel le Chatchien, Premier Ministre désigné comme seul guide du jeune prince. Est-ce une parodie sur le pouvoir et ses vicissitudes ?
Un peu de tout cela.

Après des débuts difficiles, je me suis attachée aux personnages et aux épreuves qu'ils traversent. L'écriture est agréable car le style est soutenu et délicieux à lire.
Le lecteur se retrouve spectateur de deux camps qui s'affrontent dans la course au pouvoir. Le machiavélique Silure, échafaudant plusieurs plans à la fois pour réussir à tirer son épingle son jeu, tente d'ourdir complots sur complots tandis que le Glorieux Otto, peaufine son coup droit et ses dernières inventions tel que l’écervelateur sinusoïdal.
Dans l'autre camp, celui des gentils, le Chatchien espère mobiliser ses alliés naturels que sont Calliope la chouette et Samuel le minotaure qui ne cessent de se quereller pour des histoires de fraises dérobées et de champignons convoités.
Entre les deux, Théodose essaie de comprendre la quintessence du pouvoir qu'il recevra en héritage en temps voulu, place quelques remarques d'abord anodines et pourtant pleines de bon sens, Otilia la fantôme fait l'estafette, les fourmis vertes et violettes espionnent, emprisonnent, tandis qu'un personnage inattendu fera son apparition, fort à propos...le grand Monstrelet.

La tension monte entre les deux camps, le Chatchien est bientôt acculé à l'inévitable : une guerre que l'on peut appeler, sans exagération, picrocholine car elle en a l'envergure dans sa démesure, son picaresque, son côté loufoque et absurde.
Les situations plus cocasses les unes que les autres s'enchaînent dans un tourbillon de détails époustouflants d'un hyperréalisme que l'on savoure avec bonheur. J'ose utiliser ce terme car c'est un bonheur que de se plonger dans ce roman foisonnant et atypique. Il est jubilatoire de suivre les personnages de cette fable caustique, satire farfelue où les rebondissements suivent les révélations pour reprendre avec des passages où la tension est pesante avant d'éclater dans l'absurde.

On notera le plaisir que prend l'auteur à entortiller son lecteur dans le dédale des styles qu'il emploie de manière judicieuse. La lecture n'en est que plus aisée et le nombre important de pages (un peu plus de 500) disparaît pour ne laisser place qu'à la joie de lire.

« Théodose le Petit » peut rebuter par la prose et l'humour particuliers de l'auteur ou enchanter le lecteur qui se laissera porter avec délectation dans les digressions, les clins d'oeil faits aux relations entre l'éditeur et son auteur : le passage sur l'histoire des trois petits canards est hilarante tant elle est incongrue.

Le roman de Razvan Radulescu, auteur roumain à découvrir sans modération, est un roman comme je les aime, inventifs, d'une écriture où la poésie s'invite, où la langue est d'une richesse incroyable, où l'invention s'invite à chaque instant. Parfois, j'avais l'impression d'être dans un film que pourrait tourner Emir Kusturica.

Non, le romanesque intelligent n'est pas mort !

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