mercredi 22 avril 2009

Valse de la mémoire


L'histoire commence par une scène saisissante où une meute de chiens féroces traverse en grondant une ville. Est-ce un cauchemar ou la réalité? Toujours est-il que d'emblée l'angoisse est présente et on tremble dans son canapé: on attend la morsure puis la dévoration....de qui, de quoi? Du mauvais rêve ou des mauvais souvenirs?
Très vite, le spectateur se rend compte que cette scène est celle d'un rêve récurrent qui devient obsessionnel chez Ari, le narrateur. Ce dernier effectuait son service militaire au Liban, en plein conflit israëlo-arabe et depuis sa vie n'est plus un long fleuve tranquille. Le cauchemar revient lancinant et il décide de retrouver ses anciens compagnons d'armes pour éclaircir quelques points et chercher une explication à son malaise incessant: il ne souvient plus d'un intense moment de son passage à Beyrouth.
"J'ai été enrôlé dans l'armée avant mes 17 ans. En Septembre 1982, j'arrivais à Beyrouth ouest avec l'armée israëlienne, après l'assassinat du président Bachir Gemayel, le jour de sa nomination. Je quittais Beyrouth Ouest trois jours plus tard, j'étais une toute autre personne...Cette histoire est mon histoire que j'ai décidé de raconter après plus de vingt ans." "Le film retrace ce qui s'est passé en moi à partir du jour où j'ai réalisé que certaines parties de ma vie s'étaient complètement effacées de ma mémoire." Une histoire qui est celle du réalisateur, une histoire qu'il exorcise avec ce film d'animation. Peu à peu Ari se replonge dans ce passé douloureux, celui de cette guerre au Liban, le Vietnam de l'armée d'Israël: lentement, l'histoire se retrace, les patrouilles, la peur au ventre, les permissions un peu folles où l'alcool coule à flot, les embuscades dans les plantations, le bateau dans lequel une jeunesse armée danse, hurle, se soule, pour oublier la peur, pour se donner un courage toujours fuyant. Une scène, clef, revient tel un leitmotiv: il fait nuit, le narrateur et son groupe se baignent, sur la plage déserte leurs vêtements sont en tas. Soudain, ils sortent, nus, de l'eau, prennent leurs armes et se mettent à marcher.... Cette scène est une sorte de refrain dans le récit, une répétition émotionnelle d'un vécu lourd à porter.
Le parti pris du cinéma d'animation est plus qu'intéressant pour relater un pan d'histoire contemporaine, une tragédie humaine et politique: cela aide à entrer dans un récit difficile, oppressant et douloureux, cela permet une distanciation qui n'est que provisoire: les dernières images laissent le spectateur littéralement scotché dans son canapé...un coup de poing qui réveille et qui oblige à regarder la réalité en face, non ce n'est pas de la fiction, oui cela s'est réellement passé!
Le spectateur assiste à une valse, une valse étrange, sombre, où le tempo se répète (la scène de la baignade nocturne) jusqu'à ce que le déclic salvateur délivre le narrateur de son oubli, libérant le cerveau de ses souvenirs enfouis, libérant le corps de ses chaînes invisibles.
Le réalisateur truffe son animation de références historiques et politiques, un clin d'oeil, à la fin du film, juste avant les ultimes images choc, empreint d'un parti pris idéologique qui tranche avec ce que l'on peut lire ou voir, habituellement, aux informations, au sujet d'Israël et de sa politique: des hommes, femmes et enfants palestiniens qui sortent les bras levés rappellent la sortie d'un certain ghetto de Varsovie...une mise en abyme très parlante, très émouvante et très glaçante. Une voix israëlienne discordante s'élève pour mettre le doigt sur des actes qui ne font pas forcément l'unanimité au sein du pays. Peu à peu, certains intellectuels osent dire leur différence et faire entendre, subtilement,sur un autre diapason: l'expression, presque iconoclaste, du sentiment de culpabilité qui ronge ceux qui ont participé à des conflits qui ne font pas l'unanimité. Certains s'expriment par le roman comme Ron Barkaï, d'autres, comme Ari Folman, par le cinéma, un cinéma d'animation dans lequel la tension est toujours en filigrane.
"Valse avec Bachir" est à placer dans le sillage de "Persépolis" de Marjane Satrapi: du cinéma d'animation pour mettre de la distance entre le vécu difficile et la relation de ce dernier, une distance qui ne masque pas l'horreur de ce qui se déroule, en vrai.
On sort de ce film dans un état bizarre: on frissonne, on a perdu ses mots pour verbaliser les émotions intenses éprouvées pendant le film, on flotte encore dans cette recherche d'une vérité enfouie dans l'inconscient, lui qui "oublie" lorsqu'il ne veut plus voir ce qui est traumatisant, on a envie d'en parler et en même temps on ne peut dire un seul mot.
J'ai trouvé ce film d'une force extraordinaire, osant exposer les doutes, certes a postériori mais présents malgré tout, de soldats, tout jeunes, embarqués dans un conflit qui les dépasse, qu'ils ne saisissent pas parce qu'on ne leur en a pas expliqué la raison: Vous y allez, vous obéissez, c'est tout. "Valse avec Bachir" montre combien les séquelles d'une situation traumatisante sont présentes dans l'esprit de ces vétérans qui ont honte de ce qu'a fait leur armée (là il s'agit de Sabra et Chatila, camps de réfugiés palestiniens)....et que la parole, la quête du souvenir sont nécessaires pour tuer les fantômes qui les hantent.
Un film à voir et à revoir....pour ne jamais oublier que toute guerre est une horreur absolue aux innombrables dégâts invisibles.






Merci à Suzanne de Chez les fille et aux Editions Montparnasse pour ce beau visionnage! D'autant que l'édition dvd apporte des plus très intéressants. Il m'a fallu du temps pour ce billet mais la "digestion" a été difficile!







Les avis de liliba aifelle (qui donne plusieurs autres liens) leiloona


8 commentaires:

Leiloona a dit…

Merci pour le lien, Katell.
Ce film a été un véritable coup de poing pour moi aussi. Je me souviens qu'une amie m'a appelée alors que je regardais le film, ce qui m'a permis de déserrer l'étau qui nous prend dès ce fameux rêve fait par l'ami d'Ari.

Unknown a dit…

J'ai beaucoup aimé Persepolis (même qu'après l'Homme trouvait que ce serait un beau prénom pour notre bébé Marjane ) mais pas encore vu celui ci, il reste une appréhension quand même que je n'ose pas encore franchir...

Naina a dit…

J'ai beaucoup aimé ce film. Bien fait, il permet d'aborder un sujet sensible. Je lui ai aussi trouvé un côté universel. Beaucoup de vétérans des diverses guerres qui ont secoué le monde ont dû se poser les mêmes questions.

gambadou a dit…

j'ai loupé le film, alors je serais très contente de le voir en DVD

Aifelle a dit…

Un mois après l'avoir vu, je garde toujours une impression très forte de ce film extrêmement réussi. Je sais que je le regarderai une deuxième fois assez vite, j'étais tellement prise à la gorge par l'histoire que je n'ai pas assez apprécié le travail sur les dessins et les couleurs.

Anonyme a dit…

Kikou Katell, j'organise un swap, si cela t'intéresse regardes sur mon blog. Sinon, ce film je vais le regarder ce weekend avec Ponyo !!!!

Vanillabricot a dit…

Je viens juste de le regarder ce soir et je partage ton avis sur toute la ligne.
Les premières images, le rêve, les chiens, ...
Et les dernières: le retour vers la réalité...
vont me revenir un petit moment je pense.

Ce choc quand on est face aux réelles images suite à un récit me rappellent un livre que j'avais lu: une saison de machettes, qui recueillait des témoignages de tueurs hutus au rwanda.
J'ai découvert, à la fin de ma lecture déjà suffisamment horrifiante, la photo des témoins en questions, souriants, et ça m'a mis un sacré coup de poing dans la figure. Ils ressemblaient à n'importe qui, mais pas à des tueurs....

Je trouve que de présenter ce genre de films, ou livres sous une forme plutôt récréative (et ce malgré le thème) et de le confronter, à la fin, à la dureté des images réelles, est plus fort encore qu'un documentaire.

Bref, je m'emballe, je m'embrouille, mais Valse avec Bachir, oui, c'est un grand film. Et tu le dis très bien!

Katell a dit…

@leiloona: de rien ;-) "Valse avec Bachir" est vraiment un film qui restera important pour moi!
@cécile: Ce film est dans la même lignée que "Persépolis" avec la guerre en toile de fond et le massacre de Sabra et Chatila ce qui le rend encore plus dramatique.
@naina: je suis entièrement d'accord avec ce que tu écris: universalité et beauté de la réalisation!
@gambadou: Un excellent film qui se regarde très bien chez soi!
@aifelle: un film dont on ne sort pas indemne!
@hambreellie: j'espère que tu aimeras :-)
J'ai répondu sur ton blog ;-)
@vanillabricot: merci pour ton beau passage!!! Tu ajoutes une autre dimension à mon billet et je t'en remercie :-D