dimanche 19 juillet 2009

Tout vient à point à qui sait attendre



Drôle de titre pour cette chronique mais je n'ai pu être dans les temps pour mettre en ligne le billet sur la lecture commune du blogoclub "Nous étions les Mulvaney".

Les années 70 en Amérique, une famille heureuse, unie où l'amour est débordant, où les enfants grandissent heureux au milieu des champs et des animaux. Les Mulvaney, Mickael et Corinne, sont parvenus à la force du poignet à faire partie des familles en vue de Mont-Ephraim, état de New-York. Les enfants sont au lycée où leur popularité est à l'aune de leurs talents sportifs, pour Mike dit "Le Mulet", de leur réussite et de leur beauté pour Marianne. Patrick, lui est respecté et craint pour ses excellentissimes résultats scolaires, son humour mordant, son regard incisif, son intelligence aiguë; il cultive savamment sa différence et sa solitude.
Ce tableau idyllique (la ferme aux volets lavande perdue dans les champs, les prairies et les bois, la place au Club-House, les appels quotidiens des nombreux amis de Marianne) va lentement se disloquer lors d'une soirée de St-Valentin 1976 au cours de laquelle la vie de toute la famille sera brutalement bouleversée à jamais: Marianne a la mauvaise idée de suivre un jeune homme de bonne famille et ce qui lui arrive fera basculer son histoire intime.
C'est la chute d'une famille modèle américaine que relate le benjamin des Mulvaney, Judd, avec ses souvenirs grapillés et construits au fil du temps. Il retrace l'histoire des siens (mais aussi celle d'une société à un moment donné), qui furent humiliés, traînés dans la boue, ruinés, avec humilité et sans haine: il sait que les relations humaines sont tout sauf simples. Sous sa plume, le lecteur suit le calvaire intime de Marianne qui se sent coupable et salie, qui subit l'opprobe et la honte sans pouvoir se défendre ni détester le monde et les autres. Une vie en "patchwork" conduit Marianne jusqu'à une coopérative où elle réapprendra à vivre, en compagnie de son chat Muffin, tandis que son père sombrera lentement dans la déchéance, solitaire jusqu'au pardon final.
Joyce Carol Oates peint un portrait peu reluisant d'une société américaine, puritaine, bien pensante, en racontant l'heur et la décadence d'une famille ancrée dans une petite ville, entourée d'amis et de joyeuses relations...jusqu'au jour où l'acte impardonnable d'un fils de famille salit la réputation d'une jeune fille naïve, au coeur trop tendre, à la bonté trop grande qui ne lui permet pas de dire non. Comme il est facile pour les notables bien pensants de penser que la pauvre Marianne n'a récolté que ce qu'elle a semé, comme il est aisé de disculper un fils parce qu'il est issu d'une vieille famille, réputée et aux importantes relations, comme il est simple de rester aveugle devant un acte de violence intense....la vertu des filles tient tellement à peu de chose, surtout quand ladite fille est issue d'une famille depuis peu acceptée au sein du cercle d'élus! Oates, au gré de ses minuscules touches, pointe les manquements des uns et des autres, souligne l'hypocrisie insoutenable d'une société qui rejette ce qu'elle ne peut accepter: un reflet peu reluisant de son incapacité à appliquer à elle-même ses préceptes humanistes et bien-pensants! La middle-class et ses petitesses s'exposent au fil du roman, au fil de la descente aux enfers de Mickael, le père de famille qui voit s'effondrer ses espoirs et ses rêves, au fil de la reconstruction de Marianne, des errances enrichissantes de Patrick et du point de vue empreint d'humanité et d'humanisme de Judd.
Joyce Carol Oates gratifie le lecteur de magnifiques descriptions de paysages, d'intérieurs campagnards en suivant les pas de l'école américaine du roman naturaliste comme elle parsème, avec justesse, les images, importantes dans son oeuvre romanesque, de la dualité entagoniste du bourreau et de la victime: Marianne victime d'un Zachary (minable et grossier), la famille Mulvaney achevée par l'étroitesse d'esprit d'une classe sociale qui met à son ban ce qui dérange l'ordonnancement parfait qu'elle s'est construit, Mickael senior bourreau mental de sa fille, de sa famille et victime d'une middle-class qui ne pardonne aucun faux-pas, qui n'accepte pas l'originalité, la différence, le saugrenu comme l'excellence et guette la moindre faille pour sonner le glas, l'hallali et reprendre tranquillement le cours insipide du quotidien étriqué.
Oui, j'ai détesté cette société, oui, j'aurai aimé prendre par le "colbac" tous les Zachary du monde et leur géniteurs imbus de leur piètre importance et leur faire rendre gorge pour l'acte infâme perpétré sur une jeune fille. Le pire est de se dire que ce type d'attitude est hélas encore d'actualité dans notre société dite moderne.
Oui, j'ai aimé la douleur de Marianne, sa manière de fuir pour se reconstruire malgré l'abandon moral de ses parents. Oui, j'ai eu envie de claquer ces derniers pour leur manquement et leur égoïsme. Oui, je me suis interrogée sur le choix de Corinne qui décide d'envoyer hors la vue de son père, sa fille Marianne: lâcheté extrême ou extrême courage? Prise entre deux feux, entre deux amours, entre deux passions, Corinne est contrainte à un choix qui ne sauvera pas son couple...mais doit-on lui jeter la pierre pour avoir fait un choix de femme, d'amante et non de mère? Sans doute, a-t-elle voulu sauver ses deux amours, son homme et son enfant, sa fille, une autre elle-même, d'un gâchis encore pire que celui qui sera vécu!
Nous étions les Mulvaney est un roman, un grand roman, écrit avec justesse, sobriété (tout est crédible), efficacité et doté d'une gamme de sensations, d'émotions et de sentiments qui lui donne un souffle romanesque d'une force indéniable. Il faut dire que la scène d'ouverture est d'anthologie: elle happe immédiatement le lecteur pour l'emporter dans un voyage au long cours où il rira, pleurera, se révoltera, aura des envies de meurtres, des élans de tendresse et une envie d'en savoir toujours plus sur ces Mulvaney qu'il quittera un brin nostalgique. Oates, dès les premiers mots ferre son lecteur et ne le lâche plus jusqu'au point final....du grand art!

"Nous étions les Mulvaney, vous vous souvenez? Vous croyiez peut-être notre famille plus nombreuse; j'ai souvent rencontré des gens qui pensaient que nous, les Mulvaney, formions quasiment un clan, mais en réalité nosu n'étions que six: mon père Mickael John Mulvaney; ma mère Corinne; mes frères Mike et patrick; ma soeur Marianne et moi...Judd. (...) Hight Point Farm était une propriété bien connue dans la vallée - inscrite plus tard aux Monuments historiques - et "Mulvaney" était un nom bien connu.
Longtemps vous nous avez enviés, puis vous nous avez plaints.
Longtemps vous nous avez admirés, puis vous avez pensé Tant mieux!...il n'ont que ce qu'ils méritent."
(p 11)

Roman traduit de l'anglais (USA) par Claude Seban







Les avis de biblioblog pascal et des blogoclubistes chez Sylire et Lisa










(On ne peut que penser aux toiles d'E.Hopper en lisant Nous étions les Mulvaney!)

11 commentaires:

Karine :) a dit…

Mon billet est aussi en ligne aujourd'hui... au moins, nous sommes deux un peu en retard. J'ai beaucoup aimé aussi mais la décision de Corinne m'a fait un peu freaker!!

Manu a dit…

Ca valait la peine d'attendre, ton billet est superbe. Mais le roman est tellement grandiose !

Katell a dit…

@karine :) : Ouf, je suis rassurée...je ne suis pas l'unique dernière ;-)
La décision de Corinne provoque beaucoup d'interrogations!!!
@Manu: merci :-) Je me suis régalée avec ce roman fleuve sans verbiage et d'une justesse rare. Dès les premiers mots le lecteur est cuit: il ne peut qu'aller jusqu'au bout de la lecture et c'est ce qui est fabuleux et très réussi!

Odilette a dit…

Commentaire très intéressant et bien écrit !
moi aussi j'avais vraiment bien aimé ce roman !

Katell a dit…

@odilette: Merci pour ce gentil compliment. "Nous étions les Mulvaney" doit être un des meilleurs, sinon le meilleur, de Joyce carol Oates!!!

Nanou a dit…

Je suis bien tentée par ce livre, après tous les commentaires que j'ai pu lire à son sujet. Le tien me conforte dans ce sens !
Je l'ai vu à la médiathèque, l'autre jour mais quand j'ai vu l'épaisseur, j'ai résisté à l'envie de l'emprunter pour le moment. Peut-être pour les vacances, quand je serai plus disponible...
Suite au commentaire que tu as laissé sur mon dernier billet, je peux te prêter "Une tombe accueillante" si tu es intéressée.

Restling a dit…

Alors toi aussi tu as été conquise !
Je n'ai pas lu encore ce titre de Joyce Carol Oates mais pour l'instant, elle ne m'a jamais déçue.

Grominou a dit…

Je suis tout à fait d'accord avec toi sur ce superbe roman!

Je ne connaissais pas ce peintre, E. Hopper, c'est tout à fait dans l'ambiance, en effet!

sylire a dit…

Je rajoute un lien vers ton billet.
Je suis ravie que tu aies aimé :-)

Katell a dit…

@nanou: ce roman est un faux pavé. En effet, dès la pemière phrase on est happé par le récit et on lit, sans s'en rendre compte, les 700 pages de l'histoire sans s'ennuyer une seule seconde!
@grominou: merci ;-) Hopper, je ne l'ai découvert que récemment et son oeuvre m'a beaucoup touchée. Un peintre à découvrir!!
@sylire: merci :-) Comment ne pas aimer un tel roman! Oates m'a épatée par la beauté de son écriture!!!

diane a dit…

as tu déjà été décu par un roman de Joyce Carol Oates, moi jamais. J'ai adoré ce livre mais mon préféré reste Girls in fire qui raconte l'histoire d'un gang de filles