lundi 6 septembre 2010

Le lac

La solitude est la compagne de Gimpei Momoï depuis l'enfance. Elle l'a mené sur les rives du lac près du village de son enfance, elle le mène sur les pas des adolescentes ou des jeunes femmes lorsqu'il déambule dans la rue. Gimpei est fasciné par la beauté éphémère et gracile des jeunes filles, fasciné par la brièveté d'un moment où l'éveil à la sensualité leur donne une aura particulière, essence subtile de la féminité naissante. Cette attirance lui vaudra d'être renvoyé du lycée où il enseigne: après avoir suivi une de ses élèves, Hisako, il entame une liaison cachée avec elle, jusqu'à ce qu'ils soient dénoncés par la meilleure amie de cette dernière. Dès lors, la tristesse et le vide sentimental devient son ordinaire, le jetant dans une errance affective sans fin.
Le lecteur suit Gimpei, au fil de ses rencontres entrecoupées de réminiscences du passé, sensations solitaires qui le mèneront à ce qu'il vit dans sa vie d'adulte, sur un chemin narratif parfois chaotique: Kawabata mêle rêve, fantasmes, souvenirs et réalité, créant un récit dont l'écheveau est difficile à démêlé, ce qui peut agacer comme enchanter. Un personnage féminin prend une place, apparemment démesurée, dans l'histoire, Mizuki Miyako, jeune femme seule, maîtresse d'un vieillard. La rencontre est un peu brutale: Miyako, qui sait qu'un homme la suit, et qui y prend un certain plaisir, prend peur et frappe Gimpei avec son sac qu'elle lâche. Dans ce sac, se trouvent ses économies, réalisées sur le dos de son vieil amant afin de goûter à une certaine indépendance, ce qui la perturbe et qui la mènera au silence. Miyako est comme le reflet féminin de Gimpei: ils ressentent les mêmes sensations de solitude, les mêmes errances, vivent le même vide affectif, il aime suivre les jeunes filles ou les jeunes femmes et elle semble aimer être suivie donc désirable. Cependant, on se demande pourquoi tant d'insistance sur ce personnage (cela court sur une bonne trentaine de pages) qui, a priori, n'apporte guère d'éclairage sur l'ensemble du roman. Sans doute, peut-on le lire comme un aparté qui n'est pas vraiment une digression, comme une légère bifurcation histoire de dérouter (dans tous les sens du terme) le lecteur. Celui-ci se retrouve dans une atmosphère dans laquelle le Japon moderne et ancien se côtoient sans se mêler ni s'ignorer, lignes floues qui laissent ouvertes les portes de l'imagination et de l'imaginaire...l'essentiel étant de se laisser porter par la musique des mots et les images qu'ils suscitent, sans à tout prix vouloir tout comprendre.
Le personnage de Gimfei est ambivalent: il porte en lui une grande violence (ses fantasmes, ses rêves sont teintés de sang, de coups, d'incendies) qui est atténuée par un côté ridicule, drôlatique, celui de son obsession vis à vis de la laideur de ses pieds. Cette laideur, drame de sa vie, lui fait tenir des propos absolument décalés lorsqu'il tente de charmer la jeune masseuse en lui parlant de ses mycoses, réelles ou imaginaires. Il a beau être agaçant et grotesque, il est néanmoins attachant: sa tendance à partir dans les limbes de son imaginaire a une telle force poétique qu'on ne peut que lui pardonner d'être ridicule....et son décalage devient le symbole de l'altérité, de la différence, il est l'image du fou qui apporte poésie et beauté au monde de la normalité. Le monstrueux est toujours un envers du commun et du banal, l'autre côté du miroir (que peut être un immense lac) que l'on peut traverser selon les aleas de l'existence.
"Le lac" n'a pas, à mes yeux, la poésie subtile et lumineuse de "Pays de neige" et "Kyoto" mais possède une force indicible qui emporte le lecteur dans un méandre de sensations et d'interrogations sur lesquelles il ne peut parfois mettre aucune image ni aucun mot...un mystère qui sublime l'absence de compréhension, laissant divaguer l'imaginaire de chacun.

Roman traduit du japonais par Michel Bourgeot et Jacques Serguine (édition 1978)
 
 
 
 
Roman lu dans le cadre du Blogoclub de lecture
 
 
 
 
(Samouraï: 1/6)

2 commentaires:

Schlabaya a dit…

Lu il y a fort longtemps, je l'ai vraiment oublié. Je me souviens mieux de Pays de neige (si c'est bien une histoire de jumelles...)

rachel a dit…

bin euh c pour cela que je ne suis pas trop litterature japonaise...;o)