vendredi 29 octobre 2010

L'ombre et la lumière

Monsieur de Sainte-Colombe pleure la disparition de son épouse en se réfugiant au fond du jardin, dans une cabane où il compose ses oeuvres. Il compose pour son épouse, pour leur amour toujours vivant, pour une peine toujours vive, pour une vie qui s'est arrêtée avec le départ de l'aimée, le Tombeau des Regrets. Sans cesse, il manie l'archet sur la viole, sans cesse, il est à la recherche du geste parfait qui fera sortir de l'instrument le son parfait, dans la plénitude d'une gestuelle créatrice. Sans cesse, il joue dans le souvenir de l'être aimé, dans la solitude qui lui fait oublier parfois ses filles. Il se retire tellement en lui-même qu'il en devient froid, austère et distant avec le monde, jouant pour un cercle très fermé de mélomanes, n'acceptant plus d'élève à former. Jusqu'au jour où un jeune homme, Marin Marais, vient frapper à sa porte pour devenir son élève, le poussant dans ses plus lointains retranchements, c'est à dire le chasser car même s'il maîtrise divinement la viole, il ne sera jamais un musicien. La jalousie n'est pas de mise chez Monsieur de Sainte-Colombe, seulement un amour exacerbé de l'art de la viole, n'acceptant que le don de l'âme du musicien à son instrument et à son inspiration. Marin Marais est aussi la vie, l'amour du monde, le désir de plaire à autrui, et surtout aux femmes, tandis que lui n'est que repli sur soi et méditation musicale, empruntant le chemin du mysticisme inhérent, à ses yeux, à la création artistique. Entre les deux hommes, entre les deux artistes, un duel danse au fil des notes, au fil des dialogues que l'un a avec la mort et l'autre avec la vie, chacun tendu comme une corde prête à céder. Deux mondes s'affrontent: la douleur sombre, illuminant le reste d'une vie, du janséniste Sainte-Colombe, et l'aspiration joyeuse aux lumières d'une carrière brillante à la cour du roi, moteur d'une éternelle ambition, du jeune Marais pour lequel les plaisirs du monde sont indissociables à la vie d'artiste.
Au crépuscule de sa carrière, Marin Marais se souvient de l'austérité de son maître mais aussi de sa colère, cette colère due à l'intime blessure de son amour disparu. Marais regarde en arrière et voit la barque du temps, passeur de sensations, s'approcher de lui et lui montrer la vaine vanité des désirs de gloire et d'honneurs. Il comprend alors, la portée ineffable, du dialogue avec l'invisible, l'invisible qui sussurre une inspiration sublimée, il en saisit la tension et regarde, empreint d'une sourde mélancolie, ce qu'il a sans doute oublié de voir, d'aimer et d'exprimer.
Avec la magie des mots, la force romanesque que Quignard sait insuffler dans ses oeuvres, le lecteur est emporté dans le monde de la création, entre douleur et mystique, entre faim de reconnaissance et besoin d'ombre, et plonge avec délectation dans une atmosphère où la passion peut créer la lumière comme l'austérité. Comme d'habitude, Quignard excelle à pousser son lecteur dans ses ultimes retranchements avant qu'il ne puisse accéder à la beauté subtile du texte....et cela, on aime ou on n'aime pas; moi, j'adore!





Les avis de Karine :-)  Pitou   biblioblog  lilly  sentinelle  aBeille   lili   BOB 
ICI un très bel article d'Anne-Sophie Jacouty
Une lecture à savourer après celle du roman ici 

7 commentaires:

moustafette a dit…

Du très beau Quignard effectivement §

Marie a dit…

Quel beau billet ! Vraiment à la hauteur de ce livre superbe... Bravo...

Ankya a dit…

Ça a l'air très beau en tout cas :) Je ne connais pas l'auteur, mais si je tombe dessus je pense que je le découvrirai :)

Turquoise a dit…

No way pour moi !!!! J'ai détesté le film, il est hors de question que je lise le roman ! Sauf si je deviens très très masochiste...

LB a dit…

J'ai aussi adoré ce livre :-)

Katell a dit…

@moustafette: Quignard te ramène sur la blogo :-D Ravie de ton passage chez moi!!! Tu m'as fait découvrir Quignard avec un titre pas facile du tout "Carus" que j'ai adoré.J'espère avoir encore de tes nouvelles à l'occasion ;-)
@marie: merci Marie :-)
@Ankya: un auteur à lire c'est certain. Et ce roman est vraiment très beau!
@turquoise: Dommage Turquoise :-( Je n'ai pas encore vu le film, aussi ai-je pu lire le roman sans être parasitée par le long métrage! Mais, il ne faut s'arrêter sur un seul roman, il en a écrit pas mal d'autres qu'on lit avec bonheur ;-)

Katell a dit…

@LB: Je te comprends :-D