jeudi 31 juillet 2008

Que la nature est belle


L'été approche, une effervescence fait bruisser la forêt et la montagne en une douce explosion d'arômes, de camaïeux verts, d'éclosions plantureuses. L'été qui approche à grands pas ne sera pas comme les autres pour les trois personnages principaux de ce roman verdoyant, rempli des beautés de la nature encore laissée tranquille par les hommes.
Deanna Wolfe est garde pêche et garde forestier et vit en solitaire dans la montagne depuis près de deux ans. Elle a une passion: les prédateurs et notamment celui qui a été inlassablement chassé par l'homme et qui inlassablement s'adapte et revient plus superbe que jamais...le coyote! Cette partie du Kentucky semble être devenu le territoire d'une meute discrète, augurant d'une belle harmonie pour la faune et la flore de son coin de paradis. Deanna garde cette découverte pour elle afin de ne pas attirer les foudres peureuses et inadaptées des fermiers du coin.
Las, son fragile équilibre va être mis à mal avec l'apparition d'un jeune homme, Eddie Bondo, fils d'éléveur de moutons et ennemi inconditionnel du coyote! Partagée entre sa folle attirance envers cet homme et sa passion protectrice pour le coyote, Deanna ne se reconnaît plus. Chaque minute passée avec l'homme qui deviendra son amant, est une tentative pour lui faire comprendre combien la haine du coyote est sans fondement et dangereuse pour l'équilibre environnementale.
"La vie d'un carnivore, c'est la plus précieuse de la pyramide, ça, c'est une chose. Dans le cas d'un coyote, ou d'un grand félin, la mère passe une année entière à élever ses petits. Pas simplement quelques semaines. Elle doit leur apprendre à pister et à chasser, ainsi que tout ce qui se rapporte à cette activité. Elle aura même de la chance si un seul de ses jeunes passe au travers. S'il se fait pincer, toute l'année de boulot de la mère n'aura servi à rien.(...) Si tu lui tires dessus, Eddie, voilà ce que tu mets par terre. Une grande part des chances de sa mère de pouvoir se perpétuer au cours de sa vie. Et tu lâches à travers le monde le millier de rongeurs supplémentaires qu'il aurait pu manger. ça ne se résume pas simplement à une seule vie." (p 363 et 364)
"Tu vises, dit-elle. C'est comme ça que tu dis? Vous n'êtes plus que tous les deux, seuls au monde?
-Oui, j'imagine." Il haussa les épaules.
"Mais c'est faux. Ce tête-à-tête n'existe pas. Cette bête s'apprêtait à faire quelque chose d'important à ce moment-là - à manger un tas de choses, ou à se faire manger. Cette foule de choses liées les unes aux autres au milieu desquelles tu vas créer un vide. Elles ne peuvent pas toutes être tes ennemies, car tu es toi-même l'une d'elles."
(p 364)
"Partout on organise des chasses. ce n'est un secret pour personne puisqu'on en fait la publicité dans les catalogues d'armes à feu. Il y en a une en ce moment même, en Arizona, la Chasse de tous les dangers, avec un prix de dix mille dollars à la clef pour celui qui tuera le plus. (...) C'est un massacre de prédateurs, point final. On se contente d'empiler les cadavres. Des lynx, des coyotes, des couguars, des renards - tout ce qui répond à leur définition du prédateur.
- Pas les renards.
- Si, justement, les renards. Certains de tes collègues sont même terrifiés par le petit renard gris. Un animal qui ne vit que de souris et de sauterelles.
- ça n'a rien à voir avec la peur, dit-il.
- Tu imagines les ravages que vont faire ces types en Arizona, en l'espace d'un seul week-end, et toutes ces souris et ces sauterelles qui vont pulluler à cause d'eux? Si toutes ces années de travail maternel pour rien ne te donnent pas mauvaise conscience, pense au moins à ces saletés de rats."
(p 365) Lors des pérégrinations de Deanna et Eddie au coeur du domaine fédéral, on découvre des paysages grandioses, l'utilité de la moindre petite bestiole dans le grand cycle de dame Nature. On a l'impression de se retrouver dans un Paradis perdu pour ceux qui ne savent pas ouvrir leurs yeux, leurs bras, leurs mains, leur nez mais aussi leur coeur: l'Amérique mâle, le fusil en bandoulière en prend pour son grade de même que les lâchetés du pouvoir fédéral (on offre des primes d'abattage de prédateur, c'est à dire ours et surtout coyote tout en créant des réserves naturelles pour se donner bonne conscience.).
Lusa a épousé Cole, un fermier, et a quitté son labo de recherche pour le suivre au milieu de nulle part. C'est qu'elle avait rêvé de devenir fermière, au coeur de la nature, entourée d'arbres et de papillons, et pourtant elle ce demande en ce jour de mai, où les senteurs de chèvrefeuille embaument l'air, comment elle a pu en arriver là: elle lit en cachette, elle est rejetée par ses belles-soeurs et surtout doit partager l'espace de la maison familiale avec le fantôme de sa belle-mère! Lusa ne supporte plus ses querelles conjugales et pense sérieusement à quitter Cole. Le destin en décidera autrement: Cole meurt brutalement dans un accident de voiture, la laissant seule, désemparée de chagrin et de solitude, avec une ferme endettée et un avenir plus que sombre. Les relations familiales évoluent: doutes, silences pesants, regards fuyants jusqu'au jour où Lusa apprend d'un part qu'une de ses belles-soeurs, Lois, se meurt du cancer et qu'elle décide de se charger des deux enfants et d'autre part que la famille craint de voir la maison familiale, pleine de souvenirs et de doux fantômes, ne plus jamais leur appartenir (si Lusa se remarie un jour). Les arômes de confiture de cerises, de conserves de tomates, de courgettes et autres légumes foisonnant de son jardin, adoucissent les chagrins des uns et des autres. Cependant, comment faire pour survivre sans se lancer dans la culture cynique du tabac? Lusa, arabe par sa mère et juive par son père, se souvient de l'importance des fêtes religieuses et regardant le calendrier s'aperçoit que les fêtes musulmane et juive se dérouleront en même temps! Une idée, saugrenue et folle, germe dans son esprit: un de ses cousins vend de la viande de chèvre à New-York et est partant pour s'associer avec elle. Lusa parcourt le comté pour récupérer les chèvres dont les fermiers veulent se débarasser: le troupeau grandit, le bouc fait son office et les bêtes défrichent et entretiennent les champs! Lusa réussira-t-elle son pari? Dès le départ, le lecteur sent que la réponse ne peut être que positive sans que cette perpective soit gênante pour le déroulement du récit. Certes, on peut arguer le fait qu'un happy end semble un peu trop naïf et facile mais l'argument littéraire n'est pas, à mon sens, à ce niveau. Le coeur de la narration est la nature, ses beautés et ses interactions essentielles pour l'équilibre de tous. L'histoire de Lisa est celle d'une femme qui souhaite vivre de sa terre sans préjudice à la nature qui l'entoure: les papillons sont utiles, les herbes folles aussi tout comme les insectes butineurs et les animaux à poils ou a plumes et l'activité humaine doit s'harmoniser avec cela plutôt que de les combattre aveuglement.
Garnett, un vieux monsieur solitaire et veuf, et Nannie Rawley passent leur temps à se chamailler: ils sont voisins depuis toujours mais ont des vues différentes sur l'usage des pasticides et autres joujous chimiques. Le premier, issu d'une famille autrefois argentée, ne jure que par le Roundop et autres poudres de perlimpinpin nocives au point d'avoir remplacé sa belle toiture de tuiles anciennes pour une couverture d'amiante (ah les belles années 70!!!), la seconde est une écologiste convaincue qui s'est lancée dans la production bio. Le duel est caricatural à souhait (mais il faut bien cela pour marquer les esprits): le potager de Garnett n'est qu'un fiasco tandis que celui de Nannie regorge de légumes splendides, luisants et charnus à souhait....comme ceux que vendent les Amishs au marché (mais Garnett accepte leur vision du monde puisque c'est une vision religieuse!). "Aujourd'hui Garnett se proposait de se rendre directement là-haut et de frapper à sa porte grillagée, mais, en remontant l'allée, il avait remarqué que ses échelles et son matériel de cueillette étaient dispersés en vrac dans la partie ouest du verger. Il traversa juste en contrebas de son grand jardin potager, qui paraissait bien entretenu aussi, il fallait l'admettre. Comme par magie, elle obtenait brocolis et aubergines sans employer de pesticides. Garnett avait lui-même renoncer à planter du brocoli - réduit à du fourrage pour chenilles arpenteuses -, quant à ses aubergines, elles grouillaient tellement de puces terrestres qu'on les aurait dit grêlées d'une volée de chevrotines. Il inspecta son maïs, dont le plumet venait bien, avec deux semaines d'avance sur le sien. Avait-elle tout de même des vers dans son maïs? Il s'interdit de l'espérer." (p 310)
"Très bien. Quand vous répandez dans votre champ un insecticide à large spectre comme le Sévin, vous tuez du même coup les insectes nuisibles et les insectes prédateurs, vlan! Si l'équilibre règne au départ entre les prédateurs et les proies, et qu'ils soient détruits en nombre égal, alors les nuisibles qui survivent se multiplieront après le traitement, et rapidement, parce que la plupart de leurs ennemis auront tout bêtement disparu. Et les prédateurs, eux, diminueront parce qu'ils auront perdu la plus grande partie de leurs ressources alimentaires. Si bien qu'entre deux traitements vous finissez par multiplier le nombre des indésirables et vous décimez ceux qui vous sont utiles. Et à chaque nouveau traitement, ça empire." (p 315)
En effet, Garnett est le prototype même de l'Américain rural moyen: Dieu et la Bible sont à la base de tout mode de vie. B.Kingsolver, en filigrane, égratine doucement mais sérieusement, la pensée créationiste qui ne développe qu'une seule chose: l'obscurantisme et l'intolérance. La bataille de Garnett est de faire renaître le chataîgner d'Amérique laminé par une maladie: lorsque les arbres ont commencé à être atteints et que le mal s'est avéré ne pas pouvoir être endiguer, les Garnett du comté se sont précipiter pour les abattre sans réfléchir au fait, scientifique, qu'il y a toujours des survivants aux épidémies! Le pauvre Garnett essaie sans relâche les croisements qu'il replante et entoure de tous ses soins chimiques...jusqu'au jour où il apprend que des spécimens ont survécu sur les terres de Nannie! Bien entendu, ce couple de voisins qui se détestent tellement qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'ils s'apprécient au fond d'eux-mêmes, sans se l'avouer. D'ailleurs, au fil des disputes, Garnett se rend bien compte que sa défunte épouse a du développer son cancer en respirant la poussière des pesticides, il se rappelle des précisions écrites en tout petits caractères qu'il n'a jamais osé lire pour ne pas avoir à regretter l'utilisation de ses sacs de mort lente!
Les personnages principaux, au cours du récit, que l'on pourrait croire indépendants des uns des autres, vont subtilement se rapprocher: les menus faits de leur vie se croisent et convergent les uns vers les autres: de surprise en surprise, les liens se tissent et se nouent en une très belle histoire où l'espoir en la vie est plus fort que tout!
"Un été prodigue", lecture du Blogoclub, est un roman foisonnant, emmenant le lecteur par monts et par vaux au cours de longues et belles descriptions de la région des Appalaches. B.Kingsolver embarque son lecteur dans son histoire, au rythme des courses de Deanna dans le domaine fédéral, des rêveries et des papillons de Lusa, des chamailleries de Garnett et Nannie, et le fait se passionner, à son grand étonnement, pour le sort des coyotes, des papillons de nuit, de la dure loi de la chaîne alimentaire et des alternatives agricoles! L'auteure sait jouer à merveille de la suggestion d'images provoquées par ses mots, ses phrases et leur rythme. "Un été prodigue" est un cri d'amour pour l'harmonie entre la Nature et l'Homme, pour la tolérance et le respect des espèces (dont fait partie l'Homme) mais aussi un beau roman écologique.

Roman traduit de l'anglais (USA) par Guillemette Belleteste



Les avis des lecteurs du Blogoclub ICI

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai eu des sentiments mitigés pour ce livre même si je trouve comme toi que c'est un très bel ode à la nature. C'est l'histoire de Deanna qui m'a un peu énervée avec son petit côté moralisateur. Je relirai certainement l'auteure!

Katell a dit…

@karine: je comprends que certains propos de Deanna puissent être agaçants mais le désastre est tellement impressionnant que parfois il faut secouer les conscience un peu rudement! Le jour où l'Homme aura compris qu'il n'est qu'une infime partie du monde et que toutes les autres infimes parties sont fondamentales pour l'équilibre naturel....alors le monde sera peut-être sauvé ;-)

Anonyme a dit…

il faut que je découvre cette auteur !