samedi 9 août 2008

Connaît-on la personne avec laquelle on partage sa vie?

Lancelot est traducteur et travaille à la maison et contemple chaque jour les arbres de la cour de l'école. Il est marié à Elisabeth, institutrice de son état et peu présente. Les années passent, calmes, inodores et incolores, vides d'émotions et de sens, quelques meubles disparaissent de l'appartement de manière étrange. Un jour, Lancelot décide d'aller lui-même remettre la traduction à son employeur: il brave sa phobie des gens, et s'en va à pied à l'autre bout de la ville. Le destin lui tombe sur la tête, près d'un immeuble: c'est un escarpin rouge qui a volé d'une fenêtre. Lancelot décide de monter remettre l'objet volant identifié à sa propriétaire. Une très belle jeune femme lui ouvre, la vie de Lancelot ne sera plus jamais la même! Quelques jours plus tard, il quitte Elisabeth pour vivre avec la jeune femme aux escarpins rouges, Irina.
Irina est fantasque, entière et mystérieuse, d'une beauté à rendre un homme d'une jalousie maladive. Elle réalise des documentaires, à travers le monde, sur les animaux en voie de disparition. Elle part des semaines entières, laissant Lancelot seul dans leur maison perdue, dans le Nord, là où l'hiver est longtemps présent.
Un soir, un appel de la police lui annonce la mort de son épouse dans un accident de voiture. Le problème est que Lancelot avait déposé Irina à l'aéroport et il n'y avait aucune raison pour qu'elle soit en voiture et qu'elle soit retrouvée morte! Que s'est-il passé entre le moment de la séparation et l'accident? Qu'allait faire Irina au volant de cette voiture qui ne lui appartenait pas? Ce qui est encore plus étrange et alarmant, c'est que des objets ont disparu dans la maison, Lancelot deviendrait-il fou?
"Et mon coeur transparent" est l'histoire, étonnante et émouvante, d'un homme, rêveur et amoureux, qui part à la recherche de la personnalité cachée de son épouse. Il rencontrera un homme qui se fait passer pour son père, il apprendra qu'Irina a été empoisonnée à doses infimes, fera connaissance avec une agent immobilier qui faisait visiter des maisons à Irina et partagera le quotidien d'un ancien voisin qui se révèlera être le premier amour d'Irina. Au fil de son road movie entre le lieu de l'accident et la ville où ils se sont connus, Lancelot percera le secret de la double de vie d'Irina où les bombes artisanales et les coups de force contre les laboratoires pharmaceutiques et les grandes enseignes sont le lot de l'existence de son groupe de desperados écologistes et anti-capitalistes. Lancelot est loin d'être au bout de ses surprises et de ses révoltes: l'ultime dénouement lui ouvrira un nouvel horizon totalement inattendu.
Véronique Ovaldé, sans en avoir l'air, fait de "Et mon coeur transparent" un roman noir où le comique côtoie le tragique et l'absurde. En effet, son héros, Lancelot, amoureux transi d'une Irina qui s'avère insaisissable, s'engage dans une quête de la vérité qui bousculera ses obscessions, son hypocondrie et sa tendance à la panique. Il ressasse des choses parfois à la limite de l'irrationnel tout en glanant des faits plus hallucinants les uns que les autres. Les découvertes de Lancelot alternent avec ses souvenirs et le lecteur est pris dans l'engrenage de la recherche du pourquoi et du comment de la disparition d'Irina. Les incohérences de Lancelot le rendent attachant et émouvant, petits accrocs qui apportent leur grain de sel au tissage de l'histoire d'Irina et sont autant de digressions permettant au récit de prendre son temps sans atténuer son intérêt. La ponctuation très fantaisiste de l'auteur est à l'aune des errances de Lancelot mais peut gêner voire irriter le lecteur. J'ai apprécié, une fois encore, le toucher délicat de son écriture pour mettre au jour ce qui fait mal, les détails douloureux qui façonnent un être humain dans son histoire intime. Véronique Ovaldé a le chic pour utiliser des expressions et des mots désuets ainsi que des lieux qui n'existent pas, et dignes du monde des fantasmagories, pour révéler, d'une plume aérienne, un monde souvent très violent et aussi dire la douleur du deuil et l'apprentissage d'une solitude difficile à apprivoiser. Je ne me lasse pas de son style où l'onirisme et la sensibilité imprègnent les mots, les phrases et les images que l'on se construit au fil de la lecture...il y a chez elle un parfum subtil de merveilleux, d'histoires qui ne se trouvent que dans le monde de l'imaginaire.

"Juste avant de sortir il remarqua quelque chose dans l'entrée qui retint son attention.
J'étais sûr, se dit-il, qu'ici même il y avait une armoire.
Il demeura perplexe un instant.
Si l'armoire avait disparu, est-ce que tout ce qu'elle contenait avait disparu aussi?
lancelot fit une moue dubitative pour lui seul, amorça un signe de tête comme s'il saluait l'armoire absente et s'en alla en claquant la porte. il ne s'étonnait ps qu'une armoire disparaisse. Le monde de Lancelot était mouvant et précaire et les choses apparaissaient et disparaissaient selon une logique qui lui échappait mais qu'il acceptait facilement. Lancelot aimait que les choses s'égarent. Ca lui rappelait en douceur l'existence de dimensions parallèles."
(p 19 et 20)
"Lancelot se prépare un thé. Il fait couler l'eau dans la bouilloire en regardant loin devant lui par la fenêtre de la cuisine. On peut apercevoir la route en surplomb, les arbres transis qui scintillent dans la lumière du matin comme des bâtonnets de sucre candi, et sur la gauche un renard retardataire qui s'enfuit vers le bois en effectuant de grands sauts désordonnés dans la neige.
Lancelot se sent très légèrement à côté de lui-même. Il a l'impression qu'il est non seulement en train de remplir la bouilloire mais aussi qu'il est posté juste à côté de l'évier en train de se regarder faire. Il se regarde faire avec, il faut l'admettre, beaucoup de bienveillance. Il se sent patient et dupliqué."
(p 56)

Roman lu dans le cadre du Prix Landerneau






Interview de l'auteur par Télérama ICI

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Une très belle découverte pour moi aussi et chroniqué en son temps !