samedi 28 novembre 2009

Al dente


Le sous-titre de ce recueil de nouvelles est très évocateur: "histoires de solitude et d'allégresse". En effet, dès la première nouvelle, nous sommes plongés dans un univers où l'amertume, le cynisme se disputent aux petites joies de la vie ordinaire. Ces histoires nous font passer du rire aux larmes, des petits bonheurs au quotidien à des ambiances sordides et effrayantes, nous racontent la vie ordinaire dans une civilisation du tout média, univers qui creuse souvent les vies de solitude; nosu croisons la route d'humains ou d'animaux, de bons samaritains ou de facétieux et inattendus diablotins, de sorcières modernes ou de pauvres hères dont la vie ne tient qu'à un fil.

Sous le regard de Benni, oscillant entre désespoir et cruelle facétie, les contes traditionnels virent à l'inconcevable: ainsi "L'ogre" égrenne-t-il les turpitudes adultes, celles qui manipulent les enfances misérables, celles qui achètent et vendent des corps enfantins pour des consommateurs perdus dans la noirceur d'une âme que plus rien n'assouvit. La montée en puissance de cette nouvelle cisèle la perversité d'un monde moderne où les frontières entre fantasmes et réalités sont d'autant plus minces lorsque le pouvoir de l'argent s'en mêle: le héros, un "ogre" aux allures sympathiques de tonton gâteau, se retrouve confronté à un scénario qu'il était loin d'imaginer; entre ses remords de pourvoyeurs de chair frâche et enfantine et étonnements, il sombre peu à peu devant la démence du monde. La morale est loin d'être sauve et la chute des plus glaciales! Quant à Alice, elle erre sans fin pour trouver le passage vers l'autre côté du miroir, sans être épaulée par le lapin blanc et sans chapelier fou pour offrir la chaleur d'un thé! Le miroir a parfois des allures de mirage et le prince charmant loin de l'être!
Stefano Benni est le scénariste fou d'un film italien au baroque échevelé: il transporte son lecteur dans le dédale d'une société qui perd ses repères, qui se perd un peu elle-même chaque jour; certains sombrent avec brio, d'autres de manière plus pathétique...mais tous sont touchants et le regard de l'auteur a un peu de tendresse pour tout ce petit monde. L'Italie et ses folies sont présentes: le football avec l'illustre inconnu Poldo, arrière de son état et précurseur des "attaques" au but des défenseurs, le portable omniprésent, celui qui comble, faussement, les solitudes, les crèches vivantes qui peuvent voir d'étranges dénouements loin d'être très catholiques! Les images foisonnent, le clair-obscur des passions côtoie la lumière d'une "allégresse", les personnages sont des acteurs au verbe haut et aux gestes pleins d'emphase...bref, on entend les cris, les pleurs ou les rires, le tout baignant sous la douce lumière printanière méditerranéenne qui laisse très vite place aux feux écrasants du plein été.
"La grammaire de Dieu" est un recueil dans lequel le désespoir est souvent présent mais tempéré par des moments oniriques d'une grande poésie: ainsi, la nouvelle consacrée aux rêves perdus où les larmes enchâssent ces derniers ou encore celle consacrée à l'esprit des cheminées apportant une dimension féérique au recueil....les plus belles roses poussent souvent sur le fumier et les instants magiques sont souvent issus du sordide.
Toutes les nouvelles sont travaillées et ciselées, allégées de toute fioriture inutile, afin de décocher leurs flèches avec une précision machiavélique: le lecteur est mis devant un miroir peu flatteur, au reflet très dérangeant....c'est ce qui m'a enthousiasmée! Une vision de l'être humain qui ne laisse cependant pas de côté la tendresse, la douceur et encore moins la poésie. Mais l'Homme n'est-il pas un mélange de tout cela avec ses heurs et malheurs? La noirceur jamais très éloignée de la blancheur, surtout lorsque l'humour est de la partie?
En un mot comme en mille, "La grammaire de Dieu" est un recueil savoureux et sans concession, un tantinet iconoclaste où le politiquement correct n'est pas forcement de mise....tout comme j'aime!
 
Nouvelles traduites de l'italien par Marguerite Pozzoli




 
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Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumé

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Inconnu comme auteur... j'aime bien faire d'autres découvertes et celle-là en est une :)

Anonyme a dit…

@hambreellie: pour moi aussi ce fut une découverte!!! Et une première apporche plus que positive de cet auteur :-D
Katell

Paolina a dit…

Je n'ai pas encore lu ce titre là mais j'aime beaucoup Stefano Benni.

Katell a dit…

Pour moi ce fut mon premier contact avec son univers...confirmation qu'il me plaira lors de mes prochaines lectures!