Le choix du blogoclub de lecture a représenté, cette fois, un véritable défi pour moi: lire JMG Le Clézio n'était pas un pari gagné d'avance suite à une première lecture abandonnée il y a quelques années.
Aussi ai-je choisi un écrit oscillant entre le romanesque et le récit de voyage "Raga, approche du continent invisible". Ce récit a été publié dans la collection "Peuples de l'eau" dirigée par Edouard Glissant: elle publie les textes d'écrivains partis à la rencontre de peuples accessibles par seule voie d'eau.
"On dit de l'Afrique qu'elle est le continent oublié. L'Océanie, c'est le continent invisible.
Invisible, parce que les voyageurs qui s'y sont aventurés la première fois ne l'ont pas aperçue, et parce que aujourd'hui elle reste un lieu sans reconnaissance internationale, un passage, une absence en quelque sorte." (p 9) "Un continent fait de mer plutôt que de terre, archipels, volcans émergés des profondeurs, récifs coralliens que les hommes ont peuplés selon la plus téméraire odyssée maritime de tous les temps. Un continent que les premiers voyageurs européens ont traversé sans le voir. Le continent du rêve." (p 12)
Ainsi, Le Clézio est-il allé à la rencontre des peuples d'Océanie, "continent invisible" derrière la grande île Australie. Raga est une des îles d'Océanie, une île qui ne se dévoile que lentement au gré du regard du visiteur à condition que ce dernier laisse derrière lui, cependant sans les occulter complètement, l'imagerie issue de la conquête occidentale des océans de la planète. Raga, entre mythe et modernité, une île où les légendes ont construit l'aujourd'hui, ont bâti un imaginaire et un mode de vie décalé au regard occidental mais tellement vrai et enraciné dans la profondeur de l'âme et des êtres.
Le Clézio fait entrer son lecteur au coeur de son voyage où se mêlent réel et imaginaire: l'océan est parsemé d'une myriade d'îles et d'îlots, insaisissables car inclassables, composantes d'un continent qui n'est qu'essaim de terres émergées où la vie peut être aussi douce qu'âpre, aussi tranquille que dangereuse...l'océan apporte les tempêtes furieuses, les ouragans déchaînés et une ombre plus pernicieuse, celle des navires conquérants des explorateurs de l'insaisissable et de l'immense, armés de leurs certitudes et de leur bon droit de seigneurs de la modernité.
Le voyage est celui de l'intelligence et de l'ouverture d'esprit aux autres et à l'ailleurs: le tissage des femmes aux pigments empreints de symbolisme et de légendes tresse, serré, les fibres des feuilles de wip en un long et lent processus de patience, à l'image de l'océan qui bat les flancs de l'île. La confrontation avec les cultures océaniennes apporte une richesse et une humanité qui change le regard, brouillé par les stéréotypes des récits sur Bougainville, Cook et autres capitaines coureurs d'océans. Le rappel, subtil mais fort, de la supposée lascivité des femmes océaniennes, apporte un autre éclairage sur les séjours de Gauguin dans cette région du monde....la surdité et l'aveuglement envers une culture élaborée, subtile, d'une force extraordinaire et d'une diversité semant ses richesses en autant d'îles et d'atolls au milieu de cet immense océan.
Entre récit, roman, essai et poésie, Le Clézio embarque son lecteur dans un voyage littéraire, ethnologique, spirituel sans concession et doté du souffle chaud et doux des légendes et des peuples oubliés, promesses d'un possible éternel recommencement du monde. Et pour voguer sur la crête du rêve, le voyage initiatique, rêvé, d'un groupe d'hommes et de femmes naviguant sur des pirogues, à la recherche d'un ailleurs qu'ils savent exister, qui les attend, qui les appelle. Ce groupe qui fera Raga, l'île de Pentecôte, son histoire, ses légéndes, son âme, son être.
"Raga, approche du continent invisible" fut une belle et intense découverte littéraire où la langue française est maniée avec brio et une subtile poésie au charme absolu.
Aussi ai-je choisi un écrit oscillant entre le romanesque et le récit de voyage "Raga, approche du continent invisible". Ce récit a été publié dans la collection "Peuples de l'eau" dirigée par Edouard Glissant: elle publie les textes d'écrivains partis à la rencontre de peuples accessibles par seule voie d'eau.
"On dit de l'Afrique qu'elle est le continent oublié. L'Océanie, c'est le continent invisible.
Invisible, parce que les voyageurs qui s'y sont aventurés la première fois ne l'ont pas aperçue, et parce que aujourd'hui elle reste un lieu sans reconnaissance internationale, un passage, une absence en quelque sorte." (p 9) "Un continent fait de mer plutôt que de terre, archipels, volcans émergés des profondeurs, récifs coralliens que les hommes ont peuplés selon la plus téméraire odyssée maritime de tous les temps. Un continent que les premiers voyageurs européens ont traversé sans le voir. Le continent du rêve." (p 12)
Ainsi, Le Clézio est-il allé à la rencontre des peuples d'Océanie, "continent invisible" derrière la grande île Australie. Raga est une des îles d'Océanie, une île qui ne se dévoile que lentement au gré du regard du visiteur à condition que ce dernier laisse derrière lui, cependant sans les occulter complètement, l'imagerie issue de la conquête occidentale des océans de la planète. Raga, entre mythe et modernité, une île où les légendes ont construit l'aujourd'hui, ont bâti un imaginaire et un mode de vie décalé au regard occidental mais tellement vrai et enraciné dans la profondeur de l'âme et des êtres.
Le Clézio fait entrer son lecteur au coeur de son voyage où se mêlent réel et imaginaire: l'océan est parsemé d'une myriade d'îles et d'îlots, insaisissables car inclassables, composantes d'un continent qui n'est qu'essaim de terres émergées où la vie peut être aussi douce qu'âpre, aussi tranquille que dangereuse...l'océan apporte les tempêtes furieuses, les ouragans déchaînés et une ombre plus pernicieuse, celle des navires conquérants des explorateurs de l'insaisissable et de l'immense, armés de leurs certitudes et de leur bon droit de seigneurs de la modernité.
Le voyage est celui de l'intelligence et de l'ouverture d'esprit aux autres et à l'ailleurs: le tissage des femmes aux pigments empreints de symbolisme et de légendes tresse, serré, les fibres des feuilles de wip en un long et lent processus de patience, à l'image de l'océan qui bat les flancs de l'île. La confrontation avec les cultures océaniennes apporte une richesse et une humanité qui change le regard, brouillé par les stéréotypes des récits sur Bougainville, Cook et autres capitaines coureurs d'océans. Le rappel, subtil mais fort, de la supposée lascivité des femmes océaniennes, apporte un autre éclairage sur les séjours de Gauguin dans cette région du monde....la surdité et l'aveuglement envers une culture élaborée, subtile, d'une force extraordinaire et d'une diversité semant ses richesses en autant d'îles et d'atolls au milieu de cet immense océan.
Entre récit, roman, essai et poésie, Le Clézio embarque son lecteur dans un voyage littéraire, ethnologique, spirituel sans concession et doté du souffle chaud et doux des légendes et des peuples oubliés, promesses d'un possible éternel recommencement du monde. Et pour voguer sur la crête du rêve, le voyage initiatique, rêvé, d'un groupe d'hommes et de femmes naviguant sur des pirogues, à la recherche d'un ailleurs qu'ils savent exister, qui les attend, qui les appelle. Ce groupe qui fera Raga, l'île de Pentecôte, son histoire, ses légéndes, son âme, son être.
"Raga, approche du continent invisible" fut une belle et intense découverte littéraire où la langue française est maniée avec brio et une subtile poésie au charme absolu.
Quelques passages (j'aurais aimé tant en recopier....)
" (...) Je ne sais pourquoi, cet arbre renversé sur la plage de galets m'émeut plus que n'importe quelle église. C'est comme si l'océan avait déposé sur la plage, après un long voyage sur les vagues, cette chose, ce signe, cette épave, qui semble un pont joignant les temps et les croyances". (p 80)
"A Vanuatu, les mythes affleurent. ils ne sont pas séparés du réel. A chaque instant, à chaque endroit, la parole peut les faire jaillir, comme si la force du commencement vibrait encore, dans les pierres, les arbres, dans l'eau des torrents." (p 81)
"Il faut apprendre à résister quand on est né au bord de ce gouffre.
C'est cette résistance qui frappe le voyageur étranger, d'où qu'il vienne, d'Amérique ou d'Europe.
Ces statues debout sur le rivage, qui attendent.
Des statues, des hommes, des femmes?
Des dieux.
Sculptés dans le bois noir des racines de fougère arborescente, debout sur le rivage, ou assemblés en demi-cercle dans une clairière, non loin des villages.
Des loas, des esprits.
L'effigie des défunts, emportés dans leurs grottes, à l'est de l'île, ou sous la mer. Pour revenir un jour, peut-être, qui sait?
Des êtres surnaturels, entre l'homme et l'animal, hauts de plus de deux mètres, leurs yeux pareils à des nautiles, profils aigus, nez droits aux narines ouvertes sur les côtés, portant aux commissures des lèvres les spires des dents de cochon, visages creusés dans la veine du bois, ceints d'un liseré qui fait saillir leurs faces, coiffés d'une crête de saurien.
Leurs corps sont fendus du haut en bas, par une longue blessure qui montre l'intérieur rouge du tronc, pour laisser échapper leur voix.
Slits gongs
Coups durs et sourds qui ont résonné pendant des siècles, d'une île à l'autre, accompagnés par le bruit mou des pieds nus sur la terre.
Voix sorties de la forêt, de la profondeur de la terre. Tambours souterrains, voix des défunts, voix des anciens, qui reliaient les îles.
Ambae, Ambrym, Epi, Efaté, Raga, Tanna, Tongoa, Anatom.
Voix qui recousaient la déchirure du temps, et reliaient les îles aux terres lointaines, à l'Australie, aux Célèbes, aux Moluques, à la Malaisie, à Madagascar, à Andaman, à Taïwan, à Amami Oshima.
Ces coups sombres qui tissaient la toile du ciel nocturne, qui écartaient les vagues et traçaient les routes sur le fond rouillé de l'océan.
Pendant des siècles, ces êtres ont dansé, ont appelé.
Maintenant silencieux.
En exil dans les musées, quai Branly à Paris, au British Museum à Londres, au musée Léopold-II à Bruxelles, à Rome, à Madrid, à Berlin, à Washington, dans tous les bouts du monde.
Ils ne parleront plus.
Leur bois noir, au ventre couleur de feu, se consume lentement dans quelques jardins poussiéreux, à Port-Vila, à côté d'une pirogue de haute mer et de masques en fibres.
Géants d'Ambrym et de Raga, pareils aux géants de Rapa Nui, comme si de Pentecôte à Pâques il n'y avait plus qu'un seul chant mélancolique.
Debout, encore jusqu'à l'effritement, jusqu'à l'achèvement. Chaque nom d'ancêtre crié dans la tempête, comme au temps où les hommes et les femmes avaient pris pied sur ces rivages noirs, pour y recommencer leur vie." (p 96 à 98)
"A Vanuatu, les mythes affleurent. ils ne sont pas séparés du réel. A chaque instant, à chaque endroit, la parole peut les faire jaillir, comme si la force du commencement vibrait encore, dans les pierres, les arbres, dans l'eau des torrents." (p 81)
"Il faut apprendre à résister quand on est né au bord de ce gouffre.
C'est cette résistance qui frappe le voyageur étranger, d'où qu'il vienne, d'Amérique ou d'Europe.
Ces statues debout sur le rivage, qui attendent.
Des statues, des hommes, des femmes?
Des dieux.
Sculptés dans le bois noir des racines de fougère arborescente, debout sur le rivage, ou assemblés en demi-cercle dans une clairière, non loin des villages.
Des loas, des esprits.
L'effigie des défunts, emportés dans leurs grottes, à l'est de l'île, ou sous la mer. Pour revenir un jour, peut-être, qui sait?
Des êtres surnaturels, entre l'homme et l'animal, hauts de plus de deux mètres, leurs yeux pareils à des nautiles, profils aigus, nez droits aux narines ouvertes sur les côtés, portant aux commissures des lèvres les spires des dents de cochon, visages creusés dans la veine du bois, ceints d'un liseré qui fait saillir leurs faces, coiffés d'une crête de saurien.
Leurs corps sont fendus du haut en bas, par une longue blessure qui montre l'intérieur rouge du tronc, pour laisser échapper leur voix.
Slits gongs
Coups durs et sourds qui ont résonné pendant des siècles, d'une île à l'autre, accompagnés par le bruit mou des pieds nus sur la terre.
Voix sorties de la forêt, de la profondeur de la terre. Tambours souterrains, voix des défunts, voix des anciens, qui reliaient les îles.
Ambae, Ambrym, Epi, Efaté, Raga, Tanna, Tongoa, Anatom.
Voix qui recousaient la déchirure du temps, et reliaient les îles aux terres lointaines, à l'Australie, aux Célèbes, aux Moluques, à la Malaisie, à Madagascar, à Andaman, à Taïwan, à Amami Oshima.
Ces coups sombres qui tissaient la toile du ciel nocturne, qui écartaient les vagues et traçaient les routes sur le fond rouillé de l'océan.
Pendant des siècles, ces êtres ont dansé, ont appelé.
Maintenant silencieux.
En exil dans les musées, quai Branly à Paris, au British Museum à Londres, au musée Léopold-II à Bruxelles, à Rome, à Madrid, à Berlin, à Washington, dans tous les bouts du monde.
Ils ne parleront plus.
Leur bois noir, au ventre couleur de feu, se consume lentement dans quelques jardins poussiéreux, à Port-Vila, à côté d'une pirogue de haute mer et de masques en fibres.
Géants d'Ambrym et de Raga, pareils aux géants de Rapa Nui, comme si de Pentecôte à Pâques il n'y avait plus qu'un seul chant mélancolique.
Debout, encore jusqu'à l'effritement, jusqu'à l'achèvement. Chaque nom d'ancêtre crié dans la tempête, comme au temps où les hommes et les femmes avaient pris pied sur ces rivages noirs, pour y recommencer leur vie." (p 96 à 98)
15 commentaires:
En tout cas, si l'auteur ne me séduit guère, la couverture pourra peut-être le faire!! :p
@jules: ;-) comme quoi, une jolie couverture est importante!
Tiens je n'avais jamais entendu parler de ce titre ! Merci pour cette découverte :-)
J'ai pour ma part beaucoup aimé ce livre extrêmement sensible et intelligent. Ton billet en donne une belle idée.
@cathe: ce sont des amis marins qui m'ont offert ce livre il y a plusieurs mois! Le blogoclub m'a permis de le sortir de ma PAL!
Une belle lecture en tout cas!
@sylvie: merci sylvie car en parler ne fut pas facile tant la sensibilité et l'intelligence du texte, comme tu le soulignes si bien, sont grandes. Je ne voulais pas "abîmer" le texte en "ratant" mon billet.
Un beau livre apparemment et qui a eu le mérite de te permettre d'approcher l'auteur, cette fois, c'est tant mieux (de mon côté, je suis assez mitigée sur celui que j'ai lu).
Mais Le Clezio a écrit combien de livres ? Encore un titre inconnu, et avec lui on voyage toujours ...
et bien même si Le clézio n'est pas mon auteur fétiche, vous vous êtes concertées pour me redonner envie de retenter l'expérience! j'avais lu Voyage au pays des arbres et je n'ai pas été transportée mais là!!
J'ai beaucoup aimé cette ballade aussi dans ce continent encore inconnu et tellement magique...
C'est intéressant tous ces livres lus de Le Clezio, ça permet de le connaitre mieux. Moi aussi j'ai été séduite par son écriture
C'est très tentant. Le Clézio a beaucoup voyagé. Son regard sur l'Océanie est certainement passionnant.
Très tentant !bucroi
Ça commence à être difficile de choisir le prochain roman que je lirais de l'auteur, car il y en a beaucoup qui ont enthousiasmé les lecteurs du club !! ;-)
Je vais dire comme Jules... la couverture est superbe! Je n'ai pas détesté ma lecture de LeClézio... mais je ne m'y remettrai pas de si tôt, je pense! Un jour mais pas tout de suite!
Quel enthousiasme !
Je suis sous le charme. Ma lecture d'"Onitsha" m'a laissé un goût de rêves et de nature sauvage dans un coin de la tête...
Durant ma lecture pour le blogoclub de mars, j'ai eu l'occasion de faire le musée des arts primitifs à Paris (le fameux quai Branly) et ai pu observer quelques belles pièces d'Océanie. C'est vrai que ce continent est très mal connu en France (peut-être même en Europe) et qu'il est invisible à nos yeux. Pourtant, il est très certainement aussi beau que tous les autres.
Je note ce livre de Le Clézio.
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