mardi 19 janvier 2010

Art's connection


Yuan Zhao est un célèbre dissident chinois, artiste peintre réputé pour ses performances illégales dans l'East Village à Pékin. Ayant été remarqué par le professeur Harry Lin, il est invité à se rendre à Los Angelès dans le cadre d'une bourse universitaire afin de faire connaître ses oeuvres au public américain et réaliser un projet artistique. Il est hébergé dans une famille bourgeoise-bohême, les Travers, et se voit offrir un poste de professeur d'art au célèbre collège pour filles de St-Anselm's. Tout semble être au mieux dans le meilleur des mondes possibles: entre les attentions puériles autant que touchantes de la maîtresse de maison, Cece Travers, les ronchonneries de son époux, les frasques du beau-frère, la crise d'adolescence du fils et l'insouciance de la fille, Yuan s'évertue à se faire oublier et observe tout ce petit monde avec une bonhommie un tantinet ironique.

Yuan Zhao perçoit très rapidement les infimes fissures qui lézardent l'apparente harmonie familiale: Cece tente, avec l'énergie du désespoir, de masquer le désarroi dans lequelle elle se trouve devant l'indifférence de son époux qui lui préfère la généalogie; elle se démène pour percer les âffres de l'adolescence de son fils, aux portes de la dépression et au goût marqué pour les expériences interdites, et remarque combien sa fille s'approche de l'âge adulte. Comment Cece parviendra-t-elle à sortir du labyrinthe compliqué du tissu familial qui lentement s'éffiloche et surtout, comment réussira-t-elle à gérer l'apparition, inattendue dans ce paysage, de son beau-frère, dramaturge en pleine crise existentielle et toujours épris d'elle? Son côté "desperate housewife" semble la desservir et pourtant, on ne peut s'empêcher d'éprouver de la tendresse pour ce personnage, papillon prisonnier d'une toile d'araignée: elle n'est plus amoureuse de son mari, elle est trop mère poule, elle se heurte à l'indifférence des siens, sans baisser les bras et, surtout, sans se déconnecter du monde sensible, représenté par son hôte chinois.

Quant au dissident chinois, Yuan Zhao, le fil de l'histoire sème les graines du doute quant à sa véritable identité: pourquoi craint-il tellement d'être en présence du fameux professeur Harry Lin? Est-il réellement celui qu'il paraît être? Les pistes se mélangent et embrouillent les idées, les bribes de solutions portés par la jeune June et ses performances, sortant des sentiers battus, titillent la curiosité et les interrogations.

Par petites touches, Nell Freudenberger, dresse un portrait amusant de la bonne société bourgeoise aisée et intellectuelle californienne: l'engouement pour tout ce qui touche à l'exotisme de l'étranger, une certaine naïveté dans les bons sentiments et surtout une relative incompréhension, malgré toute la bonne volonté du monde, de ce qui n'appartient pas à la micro-société dans laquelle elle évolue. Cette société qui vit toujours à cent à l'heure, qui s'enthousiasme pour quelque chose ou quelqu'un à la vitesse de la lumière et l'oublie tout aussi rapidement...un mode de vie à l'opposé de la vie chinoise, bercée par les siècles d'une longue tradition et lentement secouée par les prémices d'une évolution radicale.

La structure narrative à deux voix du roman transporte le lecteur entre Pékin et Los Angelès, l'emmène au coeur de la créativité bouillonnante des artistes contemporains chinois, bravant les interdits et les convenances pour le triomphe de l'expression artistique. En compagnie des souvenirs de Yuan Zhao, on suit les cheminements, parfois underground, des performers chinois, on participe aux déjeuners du mercredi où les artistes parlent d'art et de ce qui n'est pas de l'art, où la question de la propriété intellectuelle d'une performance est latente mais pas définie: une fois photographiée, pour en garder trace, à qui appartient-elle? A l'artiste performer ou au photographe? L'immersion dans les appartements, glauques de l'East Village, est comme entrer dans l'euphorie créatrice des artistes et regarder, avec intensité, leurs tableaux vivants.

"Le dissident chinois" est un roman qui se laisse lire avec plaisir, qui embarque le lecteur au coeur d'un exil intérieur et dans un voyage inattendu dans l'art contemporain chinois ainsi que dans les gestes répétés à l'infini, imitateurs des grands classiques. On ne peut que se laisser entraîner dans les paysages du rouleau "Lui Chen et Ruan Zhao dans les monts Tiantai", copié et laissé en guise d'ultime message par Yuan Zhao à Cece.

Roman traduit de l'anglais (USA) par Clément Baude










(7/7)


Un grand merci à BOB et aux éditions du Quai Voltaire pour ce très joli moment de lecture!

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"Lui Chen et Ruan Zhao dans les monts Tiantai"

1 commentaire:

Grimmy a dit…

Ton billet donne envie de le découvrir et confirme mon repérage !