jeudi 27 septembre 2007

Histoire d'amour à trois voix

Contrairement à ce qu'on pourrait attendre d'un tel titre, Inoué n'invite pas à une partie de chasse mais à une réflexion sur l'amour.
Un jour, le narrateur croise un chasseur et son chien, sur un sentier du mont Amagi, puis en fait un poème à paraître dans une revue spécialisée « Le compagnon du chasseur »: l'homme est seul avec son fusil sur l'épaule, image d'une solitude profonde et mélancolique.
Suite à la publication du poème, trois lettres parviennent au narrateur de la part de l'homme qu'il a croisé un jour dans la montagne. Ces trois lettres sont l'histoire de sa vie, une vie qui n'en est plus une. Elles ont été écrites par trois femmes, trois points de vue d'une passion amoureuse liant l'une d'elle à l'homme au fusil de chasse.
Shoko, la fille de Saïko, est effarée de découvrir dans le journal intime de sa mère défunte, la liaison secrète entre elle et Josuke, l'homme au fusil de chasse sur l'épaule. Elle découvre un aspect désagréable du monde des adultes: le secret des amours illicites. Une horreur pour une jeune fille qui s'aperçoit que le monde est loin d'être simple, loin d'être un rivage tranquille: une fois adulte, la vie n'est pas toute tracée ni uniforme. On peut penser une chose un jour, réprouver un acte un autre et commettre ce dernier plus tard sans trouver rien à y redire. Les couleurs de la Nature deviennent changeantes lorsque le regard n'est plus celui de la naïveté juvénile...Une seule solution, une seule échappatoire: la fuite vers un ailleurs qui ne rappellera pas l'entrée inattendue dans l'univers des adultes.
« Jusqu'à présent, je croyais que l'amour était semblable au soleil, éclatant et victorieux, à jamais béni de Dieu et des hommes. Je croyais que l'amour gagnait peu à peu en puissance, tel un cours d'eau limpide qui scintille dans toute sa beauté sous les rayons du soleil, frémissant de mille rides soulevées par le vent et protégé par les rives couvertes d'herbe, d'arbres et de fleurs. Je croyais que c'était cela, l'amour. Comment pouvais-je imaginer un amour que le soleil n'illumine pas et qui coule de nulle part à nulle part, profondément encaissé dans la terre, comme une rivière souterraine? » (p 22)
Midori, épouse légitime de Josuke, expose, dans sa missive, sa notion de l'honneur. Elle est désenchantée par la vie qui souvent ouvre sans délicatesse les yeux sur des réalités désagréables. Midori est une femme bafouée dans son honneur d'épouse: elle a été délaissée pour une autre. Sa réponse: le silence alors qu'elle découvre la liaison et son butinage d'homme en homme, un butinage qui ne s'avère jamais satisfaisant. Cependant, elle aussi entre dans le mensonge puisqu'elle a choisi de se taire dès le début: ce mensonge nourrit sa désillusion, lui offre une bonne conscience à chaque fois qu'elle est avec un homme.
Saïko, la maîtresse, écrit sa lettre avant de se donner la mort. Elle y verse tous ses doutes, toutes ses humeurs, bonnes ou mauvaise, toute sa culpabilité. Elle pense que sa liaison secrète rend impossible l'amour envers Josuke. Elle lui expose tout un argumentaire autour de la noirceur de son âme de menteuse, qui la mène aux frontières de la folie. Saïko a un côté égoïste: elle a savouré cette liaison interdite sans se poser de question pendant longtemps, sans s'inquiéter des réactions de sa fille ni celles de l'épouse trahie. Puis, elle bascule dans le dégoût d'être encore vivante, elle est déboussolée. Est-ce le fait d'avoir appris que son ex-mari (qui fut volage et n'eut pas droit au pardon) refaisait sa vie qui provoque chez Saïko ce délire de culpabilité insupportable au point de vouloir quitter le monde des vivants? Est-ce le fait de sentir, malgré tout, que Midori sait tout et se tait? Est-ce le fait de voir sa fille approcher de l'âge du mariage qui l'ammène à avoir honte de son amour fou? Car elle aime Jusoke, elle est éperdue d'amour pour lui!
Les lettres laissent le lecteur glacé, transi devant cette tristesse et ce gâchis parfois difficiles à supporter. Les couleurs comme le bleu de Prusse de la mer en hiver apportent une poésie et une beauté irréelles: « Immobile, je regardais la mer hivernale, scintillante au soleil, et qui semblait barbouillée d'un bleu de Prusse que l'on viendrait juste de presser hors du tube. » (p 51), le bleu froid et chaud en même temps de la vérité qui se fait jour. Il y a aussi le rouge des feuilles d'automne « Je puis encore me rappeler la beauté du mont Tennozan à Yamazaki, avec son feuillage rouge mouillé par les averses de l'automne finissant. » (p 66), le rouge de la passion égoïste et dévorante d'un couple d'amants oublieux du monde qui l'entoure. La couleur sombre du soleil caché, du monde souterrain du secret évoqué par Shoko, jeune fille qui n'a pas encore connu l'amour et donc peu encline aux concessions.
Inoué écrit un roman épistolaire sur le mensonge de la vie: les personnages passent leur temps à se mentir d'abord à eux-mêmes, ils ne veulent voir que ce qu'ils décident jusqu'à ce que le mensonge devienne insupportable. D'ailleurs, est-ce un hasard si, symboliquement, un serpent entre en scène? Le serpent qui étreint le coeur d'égoïsme, d'orgueil, de rancoeur, de jalousie, ce serpent qui demeure tapi et cependant provoque un étouffement au fil du temps. Le serpent, image d'un fardeau porté par chaque personnage: au final, la solitude?
L'avis de bmr&mam du site de bookcrossing infolio Essel

Roman traduit du japonais par S.Yokoö, S.Goldstein et G.Bernier


18 commentaires:

Anonyme a dit…

Je pense que ce roman est un bon roman pour découvrir la littérature japonaise. Yasushi Inoue est un grand écrivain et cette oeuvre, l'une des plus connues.

Malice a dit…

Moi j'ai lu ce livre il y a très longtemps j'en garde un excellent souvenir ! Je pense relire peut-être cet auteur.

Anonyme a dit…

Je n'ai jamais lu cet auteur, mais j'en ai beaucoup entendu parler. Tu me tentes avec ta critique.

Katell a dit…

@naina: j'ai beaucoup aimé les trois voix qui apportent un plus à chaque fois même si l'on sort un peu glacé par la lecture tant la douleur des personnages est grande et grand est leur art de la souffrance!
@malice:j'ai lu "La favorite" il y a longtemps et j'avais adoré!
@maijo: c'est un roman court mais dense qui laisse au lecteur beaucoup de sensations contradictoires et des images splendides dans les yeux!

Anonyme a dit…

J'ai beaucoup aimé ce livre, et le souvenir qui m'en reste est celui d'une émotion et non d'une douleur. Mais j'ai bien senti à la lecture de ton article une réserve à cause de ces souffrances.

Katell a dit…

@gachucha: c'est la souffrance larvée qui a provoqué ma réserve. Nonobstant, l'écriture est absolument sublime!

Anonyme a dit…

tu m'as conseillé la favorite pour mon challenge 2008, après avoir lu cette critique j'hésite entre les deux....lequel me conseilles tu en premier pour découvrir cet auteur???

Anonyme a dit…

Comme Malice et Gachucha, je l'ai lu il y a très longtemps, mais ça donne envie de le relire !

Si en plus de lire, il faut relire..... les journées n'ont vraiment pas assez de 24 h ;-))))

Anonyme a dit…

les extraits sont très poétiques, je note

In Cold Blog a dit…

Totalement ignorant de la littérature asiatique, ce roman-ci me paraît être une jolie façon de commencer ma découverte, non ? :o)

Anonyme a dit…

Je l'ai lu aussi il y a quelques années, je l'avais bien aimé. Par contre, je n'en garde pas de souvenirs précis. Je me rappelle juste que je l'avais prêté à des copines: mais aucune n'avait accroché.

BMR & MAM a dit…

L'écriture glacée de Yasushi Inoué ajoute encore au malaise : ses personnages se racontent de manière étrangement distanciée et l'on sent à chaque page le feu couver sous la glace ...
Notre billet.

Lyvie a dit…

tu me donnes envie de le relire avec tes jolies citations et ton commentaire.

BelleSahi a dit…

Encore une fois je prepars de chez toi avec un titre en plus !
Bon week-end !

BelleSahi a dit…

repars !

Katell a dit…

@jumy: je pense que ce serait mieux de lire d'abord "La favorite" :-)
@cathe: oui, nous n'avons pas fini d'augmenter les PAL!
@gambadou: bonne future lecture ;-)
@incoldblog: même réponse que pour Jumy, "La favorite" me semble plus facile, mais cela n'engage que moi.
@anne: mes souvenirs sont plus marqués depuis que je tiens mon blog ;-) Auparavant, les sensations étaient malgré tout très volatiles.
bmr&mam: merci d'être passés.
@sylvie: :-) tu m'en vois ravie!
@bellesahi: c'est ce que je me dis souvent quand je pars de chez toi ;-D

VanessaV a dit…

Et dire que le titre m'avait rebutée. J'avais entendu du bien de l'auteur mais je suis restée sans chercher plus avant. Là, j'ai envie de le lire!

Katell a dit…

@vanessa: tu vas a-do-rer!