samedi 15 septembre 2007

Le coeur des hommes


Le titre du recueil de nouvelles de Laurent Gaudé est déjà en lui-même tout un voyage intérieur: « Dans la nuit Mozambique » entraîne immédiatement l'imagination vers le creuset de l'Humanité qu'est l'Afrique! Les sources de nos origines, le fondement de l'être, les contes et les histoires immémoriaux assaillent la mémoire originelle.
Quatre nouvelles, quatre aventures humaines extraordinaires: « Le sang négrier », « Gramercy Park Hotel », « Le colonel Barbaque » et « Dans la nuit Mozambique ».

« Le sang négrier » ou les conséquences de la mort, au large de Gorée au Sénégal, du capitaine Bressac, maître d'un bateau négrier.
Son jeune second choisit de rapatrier le corps du défunt à St-Malo au lieu de l'immerger, comme le veut la coutume maritime, dans l'océan avec les honneurs, et mettre le cap sur la destination finale de la cargaison du navire. Cargaison hautement fragile et précieuse: des esclaves noirs destinés aux exploitations agricoles du Nouveau Monde! Dès l'arrivée dans la cité malouine, les ennuis commencent: cinq esclaves demeurent introuvables. Une chasse à l'homme, mobilisant toute la population, est ouverte...un seul fugitif restera en liberté et défiera les hommes blancs. Magie noire, malheurs et vengeance feront sombrer le second dans la folie alcoolisée et la déchéance.
La culpabilité est un poison qui ronge et ronge, encore et encore, et dont le point final est un couperet qui claque sèchement sur les âmes conscientes de s'être entachées.

« Gramercy Park Hotel » ou les souvenirs d'un vieil homme qui font ressurgir du passé les amours d'antan. Moshe vient d'être agressé par de jeunes voyous. A sa sortie d'hôpital, il retourne au Gramercy Park Hotel où il vécut, avec Ella une vie d'artiste et de bohême. Hélas, la bohême est loin d'être l'image romantique tant décrite et chantée. La folie peut faire sombrer les passions les plus folles dans les douleurs les plus épouvantables.
Gaudé entraîne son lecteur dans un New York des années 1970 et suivantes, un New York toujours en mutation, toujours en éveil, toujours plus moderne et toujours séduisant. Les hommes vieillissent et meurent, New York demeure, éternellement jeune et lumineux.
Un récit bouleversant où l'émotion prend à la gorge très vite et où les dernières phrases font jaillir un torrent de larmes: les regrets sont toujours les pires souvenirs dans la vie d'un être humain.

« Le colonel Barbaque » ou la fuite désespérée en Afrique noire d'un poilu rescapé des tranchées et devenu inadapté à la vie civile. La guerre n'a appris à Quentin Ripoll que le meurtre à la pointe de la baillonnette. L'armée n'a pas su aider cet ancien combattant à redevenir celui qu'il était avant la boucherie de 14-18. Mais pouvait-on redevenir, après une telle expérience cruelle et sanglante, soi-même, celui d'avant?
Quentin est écoeuré par l'absence d'humanité envers les soldats des colonies: M'Bossolo, qui lui a sauvé la vie lors d'une charge, n'a pas eu droit d'avoir son corps rapatrié sur son sol natal. Quentin décide de partir pour ne plus revenir vers cette Afrique si belle et attirante. Là, de trafics en trafics, il deviendra un Dieu de la guerre, le colonel Barbaque, se battant aux côtés des premiers rebelles à la colonisation.
Mais la folie des tranchées le rattrapera et fera basculer son destin dans un autre enfer: celui de la lucidité désespérée.

« Dans la nuit Mozambique » met en scène quatre amis dont les retrouvailles autour d'une table de restaurant lisboète rythment la vie, leur vie. Trois anciens élèves de l'école de la Marine et le patron du restaurant, se racontent au fil de leurs voyages maritimes. C'est à qui racontera l'histoire la plus merveilleuse. Un soir le commandant Manuel Passeo commence à raconter à ses comparses, Fernando, le restaurateur, le contre-amiral Da Costa et l'amiral Aniceto de Medeiros, ce qui lui est arrivé au Mozambique, une histoire d'une fille de Tigirka. Parvenu au point culminant de l'histoire, Passeo s'interrompt et donne rendez-vous pour la suite à son prochain passage à Lisbonne.
« Le Mozambique me manque » dit un soir l'amiral de Medeiros à Fernando: le cercle d'amis ne compte plus que deux membres, eux. Da Costa a tiré sa révérence, quant à Pessoa, il semble avoir disparu. Que reste-t-il de ces soirées d'amitié? Des souvenirs, des bribes de phrases, des sons, des rires, des verres, toutes ces petites traces de vie si précieuses, immatérielles mais parfois présentes sur des supports les plus inattendus.

C'est un peu l'histoire du monde des hommes que Gaudé relate avec brio dans ses quatre récits. La violence des actes, des sentiments et des émotions est présente au même titre qu'est présent le bonheur de l'existence, de vivre des instants uniques et fugaces, ceux qui construisent et font un être. Les illusions sont souvent balayées par la vie qui malmène les hommes, le désespoir est toujours latent, mais le fait d'accepter l'approche de sa fin ainsi qu'assumer ses erreurs ouvre aux personnages une porte sur une paix avec eux-mêmes.



Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés


8 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai vraiment beaucoup aimé tous ses autres livres... je ne sais pas pourquoi je n'ai pas lu encore celui là!!! je vais essayer de vite rattraper cet oubli...

Katell a dit…

@gambadou: c'est un recueil vraiment formidable :-)

Anonyme a dit…

J'hésitais avec ce livre...mais là tu me donnes envie de m'y intéresser !! ;-))

Anonyme a dit…

Je vais peut-être me pencher dessus avec ta critique pour m'encourager! Je n'ai pas aimé Eldorado mais ça ne signifie pas que je n'aimerai pas celui-ci!!

Anonyme a dit…

j'avais beaucoup aimé son premier livre, et je suis comme Florinette j'hésite..je n'ai pas aimé Eldorado que j'ai trouvé un peu trop commercial..on verra je vais attendre un peu!

Katell a dit…

@florinette: tu m'en vois ravie :-)
@chiffonnette: je n'ai pas lu "Eldorado", seulement "Le soleil des Scorta". Aussi ai-je été enchantée à la lecture de ce recueil.
@beatrix: je ne peux que t'encouyrager à essayer cette lecture. Je pense qu'il doit être dans les médiathèques et bibliothèques municipales dignes de ce noms (comme cela c'est moins stressant pour l'essai de lecture.) ;-)

Anonyme a dit…

J'avais beaucoup aim� Le soleil des Scorta, le seul Gaud� que j'ai lu jusqu'� maintenant. D�s que j'aurai baiss� un peu ma PAL je vais tenter de poursuivre ma d�couverte de cet auteur!

Katell a dit…

@allie: ah làlàlà ces PAL qui ne baissent pas très vite ;-)
J'espère que tu auras un excellent moment de lecture lorsque tu liras ce recueil de nouvelles très attachant!