« Voyage vers les étoiles » est un recueil de deux nouvelles qui entraînent le lecteur dans un imaginaire étrange, aux frontières de l'angoisse.
« Un spécimen transparent »
« Un spécimen transparent »
Kenshiro a un métier pas comme les autres: certes, il travaille dans un hôpital, mais on accède à son bureau, à son antre, après un dédale de couloirs. Il prélève des spécimens osseux sur les cadavres, spécimens qui, une fois lavés, blanchis et préparé, serviront à la fabrication de squelettes utilisés pour les cours de sciences dans les établissements scolaires ou les laboratoires de recherche. Kenshiro est un orfèvre en la matière: ses « Oscar » sont souvent de véritables oeuvres d'art! Il faut dire qu'il a été à bonne école, enfant, avec son beau-père qui sculptait, la nuit, d'étranges et dérangeantes miniatures avec ce qu'il glanait dans les décombres de la guerre!
Kenshiro a un rêve: réussir à obtenir une transparence des spécimens osseux. Il affine et perfectionne sa technique, en secret, dans son bureau, chez lui. Il expérimente sur des spécimens osseux d'animaux. Il rêve de travailler sur des spécimens humains.... « frais », c'est à dire issus de décès récents. Il s'en ouvre à son supérieur qui le fait languir d'attente, à la limite du supportable, jusqu'à ce qu'un jour une occasion unique se présente à lui...
Non seulement, Kenshiro a un rêve, mais un obstacle se présente souvent dans sa vie intime: lorsqu'une femme apprend la teneur de son métier, elle s'enfuit irrémédiablement, dégoûtée et apeurée!
Le sujet a tout pour être difficilement supportable: le macabre se dispute aux détails peu ragoûtants du conditionnement des fameux spécimens osseux. Mais, Akira Yoshimura, parvient à rendre poétique les descriptions et le récit grâce à une écriture sobre, utilisant bien à propos les images empreintes de poésie de l'environnement familier d'une ville japonaise (la détente en fumant la pipe, aller au bain public, mettre son kimono d'été...). Le lecteur en arrive à trouver beaux, voire sublimes, les résultats finaux de la préparation des spécimens. Il parvient à être exalté par l'obtention de cette transparence poétique à l'esthétique picturale. L'écriture de Yoshimura réussit cette performance extraordinaire: faire oublier la particularité du récit pour ne laisser place qu'à la singularité, fascinante et belle, de son imaginaire.
« Voyage vers les étoiles »
Un jeune homme, en rupture d'école, rencontre d'autres jeunes adultes en rupture de société également.
Le détachement aux êtres et aux choses vont les emmener jusqu'en bord de mer, dans un village perdu de pêcheurs pauvres et isolés.
Un road movie vers un naufrage de jeunes êtres qui ne croient plus en rien ni en personne.
Keichi, Miyake, Arikawa, Makiko, Mochizuki ont en commun la perte de l'espérance en l'avenir, l'assurance qu'ils ne manqueront à personne. Keichi tremble jusqu'au bout, la peur de souffrir étant omniprésente, la peur de reculer et de ne pas passer à l'acte également...un sentiment, fort, de l'honneur, vestige de l'idéal des Samouraïs, vestige de l'aspiration des Kamikazes, le pousse à ne pas paraître lâche aux yeux des membres du groupe, le pousse à déceler sans cesse de l'ironie dans les regards que ses compagnons lui jettent. Keichi, personnage reflet d'une jeunesse pressurée par la performance, par la solitude vécue en raison des carrières professionnelles des parents, reflet d'une société qui aliène et conduit parfois à la désespérance....thème cher aux écrivains japonais (Ogawa l'exprime aussi à sa manière dans nombre de ses romans tels que « L'annulaire »).
Miyake est un personnage trouble, troublant même, qui met mal à l'aise, du moins qui m'a mise très mal à l'aise: il est le chef de ce groupuscule, le mentor, le gourou. Il dit, ils font, ils suivent. Miyake est le cerveau de ce road movie mortifère. C'est le personnage le plus déroutant et le plus dérangeant du récit: je n'ai pu m'empêcher de frissonner dès qu'il apparaissait et d'emblée je l'ai profondément détesté. Sans doute, le côté sectaire qui s'en dégageait.
Toujours est-il, que malgré la poésie de l'écriture de Yoshimura, je n'ai pu adhérer à cette nouvelle qui m'a vraiment angoissée et gênée. Même si la mort est « un voyage vers les étoiles » selon une croyance ancestrale et populaire relatée par sa grand-mère à Keichi, le gâchis d'une jeunesse en devenir est insupportable et inacceptable...du moins à mon sens. Mais que peut-on faire, comment peut-on agir quand l'aliénation sociétale devient invivable pour une jeunesse qui ne parvient pas à y trouver sa place?
Un récit qui m'a fait l'effet d'un coup de poing, poignant et révoltant à la fois. Une lecture qui ne laisse indemne le lecteur, sensation éprouvée par une écriture qui réussit à matérialiser l'odeur d'écorce de l'eau du torrent qui se jette dans la mer « L'eau qu'il reccueillit entre ses mains était très froide et sentait l'écorce. » (p 145) phrase qui placée à un autre moment aurait été banale, mais qui, à l'approche du dénouement, prend toute sa dimension poétique, picturale, olfactive et psychologique.
C'est ce qui donne cette force incroyable au récit: jusqu'au bout il y a des choix pour les protagonistes.
Là encore, Akira Yoshimura entraîne son lecteur au bout du monde intérieur comme aux confins du monde (ces falaises, cet océan aux accents nordiques, ce village perdu hors du temps, hors de la vie, hors de la société des hommes) en l'enveloppant dans la poésie de son écriture comme pour atténuer les chocs provoqués par son imaginaire si particulier.
14 commentaires:
Bonjour Katell!
J'inscris ce titre sur ma LAL, j'aime bien les récits qui ont ce genre d"'inquiétante étrangeté" et les japonais excellent dans ce domaine ^^.
Oh lala,rien qu'à te lire j'ai peur de l'ouvrir, pourtant il faudra bien, il est dans une de mes piles !
Je suis toujours en délicatesse avec les japonais... je passe mon tor pour l'instant avant de retenter le coup!
Quand je lis "angoisse", je me sauve en courant...Ignatia amara 9CH et passiflora 9CH tous les jours pour moi alors ce livre ça ne va pas être possible !!!!!
Bon week-end Katell. Je fais une petite pause thé devant l'ordi et je repars. Danse pour grande poulette. Là petite c'était en début d'après-midi. Et ensuite tous à la librairie.
Comment ça je raconte ma vie ???? ;-)))))))))
@nezumi: je suis certaine que tu aimeras cette lecture ;-) Je suis impatiente de connaître ton avis!
@moustafette: alors bon courage Mous! J'avoue avoir été bien remuée par ce recueil!
@choupynette: aussi je ne te conseille pas ce titre ;-)
@bellesahi: Je comprends ta réticence! Je ne m'attendais pas à une charge émotionnelle aussi intense, et pourtant, j'ai lu quelques romans de Yoko Ogawa, pas mal dans le genre. Cependant, cela n'enlève en rien la poésie de l'ensemble!
Je te rassure tout de suite...oui tu racontes ta vie mais j'aime beaucoup car je fais pareil
:-)))))) Ah làlàlà terminer la journée à la librairie...soyez raisonnable quand même, hein!!
On a beaucoup (beaucoup) aimé d'autres livres de Yoshimura :
- le très beau et très désespérant Naufrages
- le très beau et très instructif La guerre des jours lointains
- le très beau et très curieux Liberté conditionnelle
ALor son va se précipiter sur ces deux nouvelles ... !
@bmr&mam: j'attends avec intérêt votre avis.
Très belle critique, merci encore Katell ! J'ai bien aimé "jeune fille suppliée sur une étagère"... il me semble que le livre dont tu parles existe également en poche chez Babel. En tout cas je note le titre, et je poursuivrai sûrement bientôt ma découverte de cet auteur ! Et puis j'en profite pour faire un petit coucou en passant:o)
Ton commentaire est aussi incitateur que la couverture, je note !
@lou: je vais tenter de trouver "Jeune fille suppliciée sur une étagère" (brr quel titre!) car malgré tout il me fascine cet auteur :-o .
@cathulu: je dois avouer que la couverture a été pour beaucoup dans mon achat ;-) J'espère que tu passeras un bon moment de lecture.
Vendu! Tu en parles trop bien pour que je laisse passer.
J'ai lu "la jeune fille suppliciée sur une étagère" et je comprends tout à fait que tu utilises le terme 'angoisse' puisque cet opus n parle que de la mort, mais j'ai aimé l'atmosphère et je me laisserais bien tenter ;o)
Enregistrer un commentaire