vendredi 2 mai 2008

Le crépuscule d'une saga norvégienne



"Le crépuscule" achève la saga de la ville de Bergen à l'aube du XXIè siècle. Bergen et ses habitants, à travers quelques familles de notables ou d'ouvriers, a traversé le siècle au rythme des chaos de l'Histoire et des grandeurs et misères des histoires: les rides du temps se voient sur les bâtiments qui ont résisté aux incendies et à la guerre, sur l'évolution du port et de son activité, sur les nouveaux quartiers qui grandissent autour de Bergen mais surtout sur les vieux quartiers où les maisons sont en attente de démolition....un pan, des pans d'Histoire cèdent peu à peu la place à la modernité et au confort. Même dans les villages reculés, le temps adoucit les conditions de vie et de travail. Les enfants de l'après guerre reconstruisent la nation norvégienne tandis que leurs enfants écoutent avec délices la musique venue d'Amérique: le Rock'n Roll fait tourbillonner la jeunesse et les engagements politiques. La guerre froide sépare l'Europe en deux blocs, l'Ouest et l'Est, le capitalisme et le communisme.
Les années 60, à Bergen, sont marquées par l'enlèvement d'une fillette Veslemoy Heggoy, retrouvée par de jeunes gens en goguette un samedi soir, perdue, grelottante, sanglotante et muette. Elle ne se souvient de rien et son mutisme est comme un refuge. Elle est suvie par une femme policier qui tente de faire émerger des oubliettes de la mémoire des indices, des bribes de ce qui lui est arrivé. Une seule certitude, Veslemoy n'a pas été violée...consolation certes mais maigre car le coupable court toujours et courra longtemps avant que la justice ne le rattrape.
Un peu à l'image de l'enquête concernant le meurtre de consul Frimann (eh oui, n'oublions pas ce mystère qui ressurgit de temps à autre au cours du roman!), l'enquête sur l'enlèvement de Veslemoy est le fil conducteur du premier opus de "Crépuscule". Veslemoy, lentement, se reconstruit, retourne sur les bancs de l'école, très surveillée, n'étant jamais seule. Une nuit l'imprègne sans qu'elle puisse y mettre des mots ni trouver un chemin jusqu'au jour où, en plein cours à l'université, elle étouffe d'angoisse et se traîne pour rentrer chez elle. Veslemoy a entendu parler de psychanalyse mais n'a jamais franchi le pas: elle se contente de consulter un médecin qui lui prescrit des décontractants. Tout rentre dans l'ordre, Veslemoy devient maman et la sérénité semble être de retour. Mais c'est sans compter sur la persistance des messages de l'inconscient et leur ressurgissement au moment où l'on s'y attend le moins. Comme elle ne peut continuer à raser les murs ni à changer sans cesse d'itinéraire, elle se décide à consulter une psychiatre. Lentement elle reprendra goût à la vie, elle apprendra à affronter ses peurs et à regarder les images que son cerveau, terrorisé, avait censuré au plus profond de son insconcient. Enfin, Veslemoy aura la force nécessaire pour aller déposer son témoignage et donner enfin les indices qui permettront l'arrestation du coupable. Le dénouement de cette affaire est malgré tout bien mené ainsi que la chute qui permet de constater, une fois encore, combien les fils des vies de nos famille bergenoises sont intimement liés et tissés et combien Staalesen sait insérer, l'air de rien, des indices dans le récit qui n'apparaissent clairs que lorsque la solution arrive (oui, mais c'est bien sûr!)!
Les années 80 et 90 seront pour Bergen ternies par une tragédie humaine et industrielle: la catastrophe off shore de la plate-forme pétrolière Alexander Kielland et son tragique sauvetage nocturne. La course au profit de notre nouvelle ère industrielle a fait fi de la dépense pour sécuriser les installations dites sensibles: la manne pétrolière est trop importante pour investir dans ce qui peut paraître superfétatoire....jusqu'au jour où le drame humain et les séquelles psychologiques secoue les consciences. Staalesen sait bien mettre en valeur, par son talent de conteur, les petits détails qui sont importants ainsi que les menus faits historiques qui font la société dans laquelle on évolue. Là encore, les destins croisés sont de mise: on se rappelle la brève liaison entre Ingrid et le prédicateur Peder Paulus Haga; Ingrid rencontrera au soir de sa vie sa fille qu'elle abandonna bébé.
La fin des années 70 fut celles du combat des femmes pour le droit à la liberté de procréer ou non et au droit à l'avortement: les héros de la saga sont confrontés à ces débats et prennent position. Puis c'est l'accès à la fonction de pasteur pour les femmes après moult batailles et les droits à l'immigration. Enfin, les années 90 seront celles des yuppies qui amassent des fortunes en quelques heures et qui peuvent les perdre aussi vite qu'ils les ont gagnées!
Et notre affaire du consul Frimann? Où en est-elle? Sera-t-elle un jour élucidée? Cécilie Brandt est devenue une vieille dame qui souhaite savoir ce qui est arrivé 100 ans plus tôt à son père. Ce drame l'a suivie toute sa vie. La famille de Christian Moland a reçu un lourd héritage: le secret de la liaison de Christian et Kristin Pedersen et les indices, concernant le meurtre de Frimann, glanés au fil du siècle. Arrive un jour entre les mains d'un détective privé les carnets de Hjalmar Brandt, époux de Cécilie, et les notes cumulées de Christian Moland et son collègue Berstad. Et si la clé se trouvait dans la maison occupée autrefois par Kristin Pedersen? Et c'est ainsi qu'en remontant le temps, Staalesen, après avoir bien baladé son lecteur au coeur de l'histoire de Bergen et de la Norvège, offre les clés du mystère à son lecteur! Ouf! Car j'ai bien cru que je ne saurai jamais le fin mot de l'histoire.
Au final, dans ce roman-fleuve, on retrouve ce qui caractérise le roman nordique: l'amour défendu (Kristin en est le catalyseur dès le début puis la relation amoureuse entre Sigrid et Friedrich ou encore les amours de Veslemoy avec le pasteur Ragnard Moland), la mémoire des familles, la trahison, le suicide (notamment celui du premier suspect et celui du comédien Robert Gade), le goût désespérant, lancinant proche de la pathologie, du secret. Ce qui peut obscurcir la vision globale du roman c'est aussi un ensemble de faits relatés comme s'ils étaient des affaires obscures élucidées de manière peu satisfaisante. Il est vrai que la vérité faite sur la disparition de Veslemoy est très embrouillée mais percutante malgré tout grâce au petit détail (le tableau seul souvenir conservé de l'ancien chalet) qui éclaire l'ensemble.


Une fresque longue et palpitante malgré quelques temps morts, une oeuvre ambitieuse réussie et agréable à lire! Bref, en un mot comme en mille, je suis conquise par l'écriture de Staalesen..."Une femme dans le frigo" m'attend sur les étagères de ma bibliothèque.

Roman traduit du norvégien par Alexis Fouillet

Les avis de michel

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bizarrement, alors que j'aime la littérature nordique, je n'avais pas réussi à terminer un roman de cet auteur...

Nanou a dit…

Je suis très tentée par cette saga.
Il faut juste que je trouve le bon moment pour cette lecture de longue haleine !

Anonyme a dit…

C'est dommage que tu n'en ai pas parlé plus tôt, je reviens d'une semaine de croisière norvégienne qui s'est finie par une journée à Bergen!
Tu devrais lire plus vite;-))

Lyvie a dit…

J'entends beaucoup parler de cette saga... mais je passe...