mercredi 28 juillet 2010

Chronique villageoise

"J'ai reçu un beau jour une carte postale tout à fait inattendue.
Elle était glissée dans une enveloppe en même temps qu'un pétale de fleur.
Je pouvais sentir sur la feuille blanche de l'enveloppe l'odeur du vent qui a frôlé le feuillage des peupliers.
Elle venait du village de yahwari, dans le canton d'imha.
Le village de yahwari n'existe pas sur une carte.
Mais ses habitants dégagent un parfum d'herbe.
Les rides qui creusent leur visage sont encore plus profondes que les sillons de leurs champs.
Ils ont un regard qui rappelle des fleurs sauvages.
Ils donnent envie de s'asseoir avec eux près d'un foyer de feu pour bavarder jusque tard dans la nuit.
Ce village a pris forme sur une feuille blanche à partir de leurs histoires.
Il ressemble à un patchwork cousu avec patience.
En tendant l'oreille, on peut entendre le sifflement du facteur qui fait sa tournée sur sa bicyclette rouge." (Kim Dong Hwa)

Cette exergue est le prélude à un ravissement qui, malgré les quatre tomes de "La bicyclette rouge", ne dure pas assez longtemps pour le lecteur conquis par la délicatesse poétique du dessin de Kim Dong Hwa. Ce dernier happe son lecteur avec son facteur, fil conducteur d'une chronique villageoise qui se décline au gré des saisons, au gré d'une vie quotidienne en harmonie avec la terre et la nature. Chronique d'un temps qui semble perdu dans ce siècle de modernité; chronique d'une génération qui se retrouve seule, loin de l'agitation des villes, solidement rivée au sol qui l'a fait vivre et prospérer au fil du temps. Certes, les habitants ne sont pas de toute première jeunesse, les rides sillonnent leur visage, leur peau est burinée par les années de labeur tant sous la chaleur de plomb d'un soleil estival que sous la morsure d'un vent hivernal.

On suit avec un bonheur, sans cesse renouvelé, la tournée du jeune facteur, suivant les chemins creux d'une campagne coréenne, sans doute idéale, mais si réelle dans son irréalité de temps suspendu: chaque histoire est un haïku en image....la prosodie du pinceau scande une philosophie de vie, celle du partage avec autrui, de la solidarité et surtout de la communion, simple et naturelle, avec les éléments, la faune et la flore; le tout servi par un texte poétique doté d'une pointe d'humour, chute essentielle pour un haïku réussi.

On est séduit par la beauté d'une vieillesse qui s'assume sans perdre une once du romantisme des jeunes années: les papis et mamies du village sont autant de joyaux ciselés par une vie qui ne les a pas épargnés. La vieillesse est souvent synonyme de solitude: les enfants ont grandi et ont cédé aux sirènes de la ville, lieu de tous les possibles et de toutes les ambitions, les petits enfants reviennent en vacances, égayant quelques semaines un foyer endormi; or, ces petits vieux, adorables malgré leur caractère trempé et virulent, apparaissent tout sauf solitaires...le village raisonne de leurs attentions pour les uns et les autres, rythmant les jours d'une musique particulière, celle des chamailleries, des tendres ironies et des douces disputes entre époux qui s'aiment toujours d'amour tendre. Derrière la rusticité d'une vie simple et difficile, s'épanouit une poésie et une tendresse sans fard et d'une beauté à couper le souffle....la vie, tout simplement la vie, est à cette image: lente, ardue, lâchant ses beautés au moment où on s'y attend le moins, pour créer une dentelle ajourée que l'on conserve tout au long d'une vie. J'ai beaucoup aimé la description du vieux couple de paysans, seuls depuis le départ de leurs enfants, qui se redécouvrent, tout en se chamaillant joyeusement, et s'aiment toujours autant. A-do-ra-bles...une vieillesse qui ne refuse pas d'être ce qu'elle est, magnifiée par la poésie philosophique d'une vie paisible et enracinée dans la terre qui la fait vivre. Le fil rouge du facteur, témoin tendre et joyeux de la solitude d'un village perdu en campagne, est tout simplement beau.

Le temps s'écoule à son rythme et n'est pas violenté par une vitesse que la modernité a inventé, nouvelle aliénation pour détourner le regard de l'essentiel. "La bicyclette rouge" est un hymne à la beauté du monde, celle qui conjugue, avec subtilité et bonheur, la joliesse (seulement oubliée, hélas, aujourd'hui) d'une humanité et la délicatesse d'une Nature toujours prête à se donner à celui qui sait lui parler. Ces histoires courtes, pleines de douceur, de saveurs d'enfance oubliées, de souvenirs enfouis depuis trop longtemps, sont autant de poèmes volant au vent des sensations ineffables que l'on aime retrouver, comme lors d'une méditation, pour reprendre des forces et continuer son chemin. Oui, l'essentiel est là, tapi au creux d'un arbre, caché dans un sillon, prêt à s'épanouir à la moindre chaleur du souvenir. Un art de vivre, qui n'est pas du tout un chant pour "C'était mieux avant", que l'on oublie trop souvent alors qu'il est à portée de regard et de main. "Empruntez les nombreux chemins de campagne à la rencontre des habitants de Yahwari. Vous croiserez sûrement cette bicyclette rouge, celle du facteur, qui circule doucement en harmonie avec la nature."....et des chemins de campagne il y en a beaucoup dans le monde à parcourir au rythme de la bicyclette ou de la marche.

Manhwas traduits du coréen par Kette Amoruso




Les avis de Laure  Cathe  Sylvie   Chimère  Emmyne   Kathel   Papillon   Jean-François   Joëlle 

4 commentaires:

herisson08 a dit…

J'ai beaucoup le premier, seul disponible à ma bibliothèque :)
Bonne soirée

Sophie

Katell a dit…

J'espère que ta bibliothèque achètera les 3 autres tomes: ils sont sublimes!

yueyin a dit…

J'ai beaucoup aimé les premiers volumes de cette série que j'ai trouvé en bibliothèque... une perle !

brigitte a dit…

J'ai adoré également, les illustrations sont superbes et les textes poétiques et légers. Tous les tomes sont à la bibliothèque de Guingamp. Merci pour ce conseil de lecture Katell.