mardi 13 juillet 2010

Epine noire et police

Le commissariat de Panteuil, en banlieue parisienne, est à l'image de la "nouvelle politique de sécurité" mise en place par le gouvernement: pas de concession vis à vis des délinquants, des équipes "couillues" pour faire régner l'ordre et respecter la loi. C'est dans cette atmopshère oscillant entre franche camaraderie et petites piques empoisonnées entre amis (la guerre des polices est toujours vivace) que deux jeunes recrues, Sébastien Doche et Isabelle Lefèvre, débarquent, fraîchement émoulue d'un concours et d'une rapide instruction. Chacun est entré dans la police pour reconstruire sa vie: Sébastien pour oublier les virées dangereuses avec son pote Khaled, Isabelle pour sortir d'un drame intime, chacun a d'excellentes raisons pour tenter de représenter la loi et l'ordre. Las, c'est sans compter avec un quotidien plus sordide, plus délétère car passé sous le silence d'une omerta policière, qui très vite les plonge dans une réalité qu'ils étaient bien loin d'imaginer: ce que relate les articles et les reportages des médias est la partie émergée d'un iceberg que l'on aimerait voir se perdre dans le brouillard de l'irréel. En effet, les gars de la BAC (brigade anti criminelle), tout comme le scribouillard au dépôt de plaintes, flirtent avec la ligne jaune dont ils dépassent, impudents et légers, la limite chaque jour: les uns protègent un groupe de jeunes protituées en empochant argent et faveurs, l'autre éconduit en fonction d'un regard un tantinet raciste les citoyens venant porter plainte pour le vol d'une voiture ou un tabassage conjugal en règle. Le tout sous l'oeil hagard d'incompréhension d'un Sébastien qui se demande ce qu'il est venu faire dans cette galère. D'autant que la commissaire, Mme Le Muir, est bien en cour auprès du chef de l'état, lui-même ancien ministre de l'Intérieur; il paraîtrait même qu'elle aurait esquissé, lors de la campagne présidentielle, les plans de cette fameuse "nouvelle politique de sécurité", que son chauffeur, l'énigmatique Pasquini, aurait eu des accointances avec l'OAS. Les ingrédients sont réunis pour attirer l'oeil suspicieux des RG en la personne, inattendue, du commandant Noria Ghozali, une jeune femme beur. Elle observe les faits et gestes de la vie au commissariat, les liens contre-nature de certains policiers avec le grand banditisme, les sombres magouilles orchestrées par une BAC qui aime avoir du "jeune" à casser (et hop, un incendie bien étrange, dans un tranquille squat d'immigrés maliens, pour se mettre en jambe), ombre garde-fou d'une police qui peut très rapidement déraper lorsqu'on lui laisse un peu trop les coudées franches.
"Bien connu des services de police" est un polar qui désarçonne car plus proche du récit journalistique que de l'intrigue policière à laquelle tout lecteur de policier s'attend à lire. En effet, Dominique Manotti, tel un reporter underground, dresse un portrait inquiétant d'une police qui lentement dérive vers des pratiques mafieuses où les compromissions et l'oubli de toute morale et de toute déontologie gangrènent la légitime attente d'une protection des citoyens et des principes républicains. Bien entendu, ce pointage, cruel et dérangeant, n'est pas généralité; cependant, ce récit souligne, sans concession, les manquements multiples d'une profession balottée entre les réformes qui se suivent et se contredisent, entre les réactions épidermiques d'une société alimentées par des politiques à la limite du populisme: trop de lois au cas par cas tuent les principes fondateurs d'une véritable justice. L'intégrité des uns et des autres est soumise à de multiples pressions qui peuvent, un jour, faire franchir la "border line" de l'éthique. Après avoir fustigé les "années fric" de Mitterand, Dominique Manotti s'en prend, avec force, au système Sarkozy qui entraîne un délitement des institutions sensées protéger du mal (terme peut-être outrancier mais tellement parlant) une société que la perte des repères a rendue individualiste, tendue à l'extrême et peu confiante vis à vis des cadres qui lui garantissent, normalement, un mode de vie civilisé. Ce début de XXIè siècle est vécu comme une perte d'une partie de civilisation que l'histoire avait eu bien du mal à construire. L'espace urbain est devenu un espace de violence, de tension et d'affrontement, plus proche de la barbarie que d'un monde policé, respectueux de soi et des autres; l'implacable regard de Dominique Manotti sur une actualité qui, hélas, laisse beaucoup de gens indifférents, rappelle combien la démocratie, la justice et la civilisation sont fragiles...et pour se faire, le manichéisme est parfois un auxiliaire bienvenu. Un seul bémol: une sensation désagréable d'inachevé en raison d'une chute abrupte du récit. Dommage, mais après avoir "digéré" ces images fortes et cruelles, on garde un souvenir prenant du roman de ce petit commissariat de banlieue pris dans la tourmente d'une époque où tout vole en éclats, où les ambitions des uns sonnent le glas des idéaux des autres et où l'intimité entre politique et justice devient mortifère pour la société.




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1 commentaire:

freude a dit…

Les billets se succèdent et sont tous positifs, noté !