samedi 18 août 2007

Un peu de douceur!


Il est des livres que l'on achète et que l'on range dans sa bibliothèque puis qu'on oublie, exprès, histoire de prolonger l'attente de la lecture. On les regarde, on les change de place, on les manipule, on les feuillette, on les caresse, on les respire puis on les repose sans les lire. La lecture toujours remise à « plus tard », à « une autre fois »... Un jour, enfin!, on les sort des étagères de la bibliothèque et on les lit!
Ainsi en fut-il avec « Le bonheur » de Philippe Delerm et moi. Pourquoi maintenant et non hier ou avant-hier? Est-ce la lecture tourmentée de « Mort à crédit » de Céline qui exige des respirations, des apaisements? Est-ce l'envie irrépressible d'ouvrir ce livre et d'en lire les mots, les phrases après tout ce faux oubli?


« Le bonheur est fragile. Tu n'es pas funambule et tu avances pas à pas. Tu ne sais rien des jours, tu glisses sur un fil, au loin tu ne vois pas. Si tu regardes en bas c'est le vertige, ne regarde pas. En bas tous les oiseaux se glacent et tous les hommes se protègent. Tu marches un peu plus haut, mais le bonheur est difficile. Tu risques à chaque pas, tu avances docile. A chaque risque le bonheur est là. Tu avances vers toi; le bout du fil n'existe pas. »


Ainsi commence ce recueil de textes ayant pour thème le bonheur et sa quête.


Le bonheur est-il un mot qu'il faut taire ou seulement murmurer afin de ne froisser personne? Le bonheur est-il si fugace qu'il peut s'enfuir à tout jamais sans avoir eu le temps de le voir ou de le vivre? Et si le bonheur n'était tout simplement que tous ces instants multiples et épars que l'on vit au quotidien!
Philippe Delerm parle de lui, de son amour intense pour ses proches, de son bonheur d'être à leurs côtés, de les regarder vivre, rire, pleurer, rêver. C'est avec son coeur, ses fibres intimes qu'il écrit ces textes si beaux, si doux, comme des tableaux d'une vie feutrée et intense: il parle de lui, de ce qui l'a construit en tant qu'homme. C'est sans détour, sans fard, parfois d'une grande sensualité dans laquelle le lecteur peut se retrouver l'espace d'une image.
J'ai aimé partagé les heures d'écriture d'avant le petit matin, lorsque la maisonnée dort encore et que le café passe goutte à goutte dans la cuisine. Cette cuisine, pièce maîtresse de la maison, pièce de vie où les goûters aux arômes délicieux côtoient les pinceaux , les crayons, les pots de couleurs et les papiers d'aquarelles. Pas d'atelier ni de bureau où la fibre artistique seraient confinés...non, seulement une grande table en bois plein, aux multiples traces de vie domestique! La vie du dehors entre étouffée dans ce cocon chaud et accueillant: des voix qui résonnent, des pas qui claquent, une voiture qui passe en faisant bruire les flaques d'eau de la rue...
J'ai aimé partir au gré des balades en forêt où les couleurs naissent sous les images de la plume et de l'encre. Les marées d'équinoxe, les balades à Honfleur, les promenades à Bruges en novembre (et pas autrement sinon le charme n'opère pas!).
Les rires et les larmes sont proches: Vincent et son enfance magique, l'absence d'une soeur trop tôt disparue accompagnant Philippe...
Les odeurs des écoles d'autrefois, du temps où enseigner était le sacerdoce d'un couple: les immenses cartes de géographie, les leçons d'observation, les pages d'écriture, les silences des cours de récréation pendant les vacances...
Ah! les souvenirs de lecture, de « ces paradis perdus » que l'on aime reconquérir devenu grand: Tintin et « L'affaire tournesol », avec la scène fameuse où Tintin et le Capitaine Haddock se cachent derrière un rocher pendant que des hommes de main syldaves (ou moldaves?) embarquent Tournesol; « L'île au trésor » et ses pirates à faire transpirer de terreur le jeune lecteur....
J'ai aimé l'ouverture et la clôture du recueil: une scène de vacances estivales, sous le soleil...Delerm est le spectateur, presque voyeur, de Vincent et Martine riant autour d'une table, un midi, gestes machinaux surpris et devenant ainsi sublimes et précieux.
Le bonheur à respirer, à regarder et admirer à chaque minute de la vie et non à fuir, comme le dit une chanson, avant qu'il ne se sauve...le bonheur que l'on porte en soi à condition de ne pas oublier qu'il est toujours plus près qu'on ne le pense.
Et si le bonheur était cet état donné par la menace de perdre ceux qu'on aime? La perte et non l'acquisition moteur de notre bonheur? La conscience de profiter au maximun de ce que la vie avec nos amours, nos proches peut nous apporter chaque jour, miette après miette tout au long de la vie....
Un Delerm personnel, émouvant que l'on peut faire nôtre! A lire lorsque le poids de la vie semble un peu lourd, petit pontillé lumineux qui redonne confiance et sourire!


Quelques passages glanés:


« Tous ces petits bonheurs si simplement gagnés parce que le temps peut s'arrêter, et mesurer l'effort avant de repartir, tous ces petits bonheurs comptent dans une vie, font la terre plus douce, le plaisir meilleur, et Sisyphe va s'arrêter. Tant pis pour la malédiction des dieux. Le vent souffle sur son visage un air de liberté, comme la terre est belle! Comment avait-il pu ne pas la regarder? Le monde est un spectacle, le bonheur ne se compte pas. La pierre a dévalé la pente, peu importe. C'est un matin de plein été, et l'air comme l'eau, juste avant le soleil de la journée. Il faut imaginer Sisyphe heureux. » (p 60)


« Les enfants dansent et l'enfance s'en va, c'est ça le grand voyage. Vigneault le chante, mais ses paroles un jour rencontreront une autre enfance. Le temps n'est pas perdu d'avance pour les danseurs, les arlequins, les prince ssilencieux des palais solitaires. Vincent le voyageur s'éloigne au grand pays. J'aime sa danse et le silence qui la suit. Avec des mots je l'imagine... » (p 95)


« Après l'amour nous sommes ensemble; je retrouve un jardin; au bout, je pousse lentement la grille de ton square. Il me mnquait depuis toujours, je ne le savais pas. Après l'amour ne bouge pas. Dans le creux de nos bras reviennent les images, nos corps se confondent en enfance, il faut rester longtemps(....) Au-delà des corps de dunes, c'est le cri du plaisir, peut-être, assourdi dans l'espace au bout d'un grand voyage abstrait dans la douceur du sable, un cri lointain mais qui propage d'autres courbes, des ondes de mémoire au-dessus de l'oubli.
Après l'amour, tu viens dans mon épaule, et je regarde au bout du monde au bout du lit cette image vertigineuse et familière où l'on peut tomber en rêvant, se perdre lentement, se retrouver, comme en sommeil, comme en amour, jusqu'à l'enfance. »
(p 129 et 130)


14 commentaires:

Lamousmé a dit…

ah celui-là je crois qu'il serait bien pour commencer mon incursion dans le monde Delerm autre qu'Autumn...non??? ;o)

Anonyme a dit…

tu donnes envie de le lire. C'est vrai qu'il est sur ma LAL depuis longtemps, je le remets en tête

Katell a dit…

@lamousmé: je n'ai pas lu Autumn qui se trouve dans ma PAL depuis 3 ans!!!"Le bonheur" est idéal pour une lecture rapide: les textes se lisent vite mais laissent longtemps leur empreinte parfumée!
@gambadou: J'en suis ravie! Cette lecture m'a fait un bien énorme :-)

BelleSahi a dit…

Il a plu tout le dimanche n'est pas mal non plus ! Bonne soirée Katell. Bises !

Katell a dit…

@bellesahi: oui, il est très bien aussi...il faudra que je le relise un jour :-) Bonne soirée à toi et bises ;-)

Anonyme a dit…

J'aime bien picorer Delerme et Bobin,comme je déguste certaines douceurs, par petits morceaux, jamais la tablette d'un coup !!!

Katell a dit…

@moustafette: j'ai mis plusieurs jours pour déguster cette tablette. D'ailleurs elle reste "au retrait" comme ça je peux y jeter un oeil de temps à autre ;-) Tiens, Bobin et "L'inespérée" attentent leur tout ;-D

Anonyme a dit…

Mmmmmh, comment résister à une telle note de lecture... Tu en parles avec douceur et bonheur toi-même! Au point de me donner une subite envie de Delerm. Il me semble avoir ramené quelques petites choses de lui... Vais aller voir. Et noter ce titre d'urgence!

Anonyme a dit…

je n'ai encore jamais rien lu de lui, pas faute d'en avoir lu des tonnes de billets ça et là sur les blogs.
Mais là, je n'hésite pas une seconde. Ton billet me fait vraiment envie, j'aimerais même pouvoir claquer des doigts et l'avoir maintenant, entre mes mains, sous mes yeux et prendre un doux plaisir à le lire en ce dimanche un peu ensoleillé...
il va se contenter d'aller tout de suite sur ma LAL !

Katell a dit…

@chiffonnette: c'est un de mes Delerm préféré! A lire et relire
:-)
@emeraude: Sa lecture m'a apaisée et a donné un air de légèreté et des couleurs dans cet été qui n'en est pas un! A lire, relire et encre relire :-D

VanessaV a dit…

J'aime beaucoup...qu'est que cette table de cuisine me donne envie!
Je crois qu'il est nécessaire que j'aille me le procurer pour que je réapprenne que le bonheur est quotidien.
Au fait, le texte d'introduction sur le bonheur ressemble beaucoup au texte du même nom dans "Fragiles", tu te rappelles?
ici http://iam-like-iam.blogspot.com/2007/04/un-pas-pas-fragile.html

Katell a dit…

@vanessa: je suis allée voir chez toi...les deux textes se ressemblent beaucoup :-) Je note "Fragiles" car je ne l'ai pas ;-)

Anonyme a dit…

Ah ! pas encore lu celui-là ! ... :))

Katell a dit…

@clarabel: oh!!! ;-o l'inamovible Delerm ressurgit tel un phoenix de ses cendres ;-D