samedi 29 septembre 2007

Je m'invite chez Voltaire


Nous sommes en 1761, c'est l'été, dans la résidence suisse de Voltaire. Ce dernier a décidé de faire rejouer, dans l'intimité de sa propriété de Ferney, la tragédie mal accueillie par le public parisien vingt ans plus tôt « Le fanatisme ou Mahomet ».
Il accueille, entre autres invités, deux actrices italiennes, Gabriella et Zanetta, un peintre, Goussier puis Fleckenstein, un officier de l'armée impériale de Frédéric II de Prusse. La petite histoire se mêle à la grande: la guerre de Sept ans est en passe de s'achever et Voltaire, philosophe des Lumières, est sollicité pour engager des pourparler de paix.
Voltaire, virevoltant avec son éternel bonnet vissé sur la tête et ses bas en tire-bourchon aux chevilles. Voltaire qui aime sussurrer son antipathie envers son grand rival qu'est Rousseau et sa « Nouvelle Héloïse » fustigeant, critiquant haut et fort le divertissement qu'il affectionne: le théâtre!
Les répétitions laissent place aux déambulations à travers la propriété de Ferney, la pénombre des sous-bois comme celle de la nuit tombante encourage les confidences et les secrets au même titre que les rencontres amoureuses ou les rêveries solitaires.
Les chuchotements et les bruissements des tissus rappellent les murmures frondeurs et osés de ce XVIIIè siècle avide de connaissances et de libertés. Parfois, un tableau s'esquisse devant les yeux du lecteur qui suit les promenades solitaires de Zanetta: celui du héron qu'elle rencontre chaque jour au bord de l'étang. Goussier en fait un tableau sensible, poétique et philosophique: « ...Pour lui, les seules catastrophes sont le gel, le froid, l'assèchement d'une partie de l'étang...l'absence de grenouilles (...) Je veux dire qu'un grand nombre d'animaux meurent chaque année. On les chasse, on les tue, on les farcit. Mais à la fin de l'hiver à l'automne, les hérons vivent heureux. Ils plantent doucement leurs pattes dans une eau sale et sont heureux. Ils s'allongent dans l'eau et regardent voler d'autres oiseaux qui reviennent des étangs voisins (...) Les hérons n'ont pas de temples, pas de mosquées, pas de favoris, pas de légions, pas de monastères, pas d'évêques, pas de rabbins, pas de prophètes, pas de grâce efficace ou de grâce insuffisante, aucun jésuite ni, pire, aucun janséniste sur le dos. Ils n'ont que la prudence devant les chasseurs et la bonté devant l'eau tiède qui miroite sous leur plumage(...) Ils n'ont que les moucherons à gober... » (p 126 et 127).
Sous la plume de Jacques -Pierre Amette, l'impertinence voltairienne sillonne les pages du roman, écornant les fanatismes de tous bords: religieux ou politiques. La critique de la religion musulmane est celle de la religion catholique: le déguisement permet les effronteries les plus osées.
Autant « La maîtresse de Brecht » m'avait déçue (je n'avais pas pu en terminer la lecture) autant « Un été chez Voltaire » m'a réconciliée avec son écriture! J'ai aimé le rythme calqué sur celui de l'été: on vit au fil des jours qui s'allongent puis se raccourcissent, annonçant l'arrivée de l'automne. J'ai aimé les tableaux impressionnistes, les respirations telles des haïkus, parsemés tout au long du roman. Une unité d'espace (Ferney), de temps (l'été) et d'action (la répétition de la pièce) qui rappelle les plus belles heures du théâtre!
Une bien belle invitation à accepter si l'occasion se présente ;-)

Quelques passages:


« ...une barque vide, plate. Ses rames, parmi des frissons de reflets, dégageaient une odeur exaltante de résine. On la croyait immobile, mais elle dérivait sur les dessins secrets, fugaces de la surface. Elle tournait insensiblement de 'ombre au soleil. Elle baignait parfois dans le vide énigmatique du ciel, parfois grinçait et pivotait sur un impalpable reflet. Elle pénétrait dans l'obscurité. Elle tournait sur les ondes, perdue dans les zones d'un étang formant miroir. » (p 63)


« Vers le 10 août, les pelouses jaunirent. Etendues plates dans la chaleur brasillante. L'air devenait immobile et ardent, comme s'il s'agissait d'effacer tout acte humain.
La barrière du jardin pivotait avec un léger grincement sous le ciel d'un bleu épais, presque mauve dans les profondeurs.
Des nuages lents s'étiraient, gris dessous, clairs dessus, vapeurs somnolentes qui veillaient sur la torpeur des pâturages. Le silence de l'après-midi rayonnait, se répandait sur le château de Ferney et ses dépendances. »
(p 101)

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis tr�s heureuse de voir ton commentaire! Ce livre, je ne l'ai jamais not�. Il me tentait et j'h�sitais. Finallement, je tombe dessus � intervalles r�guliers mais j'h�site toujours... Finallement, je le lirai peut-�tre :) Merci pour ce beau commentaire, Katell!

Katell a dit…

@allie: je suis contente que mon commentaire te donne envie de sauter le aps: lire ce très agréable roman!

Anonyme a dit…

j'aime bien l'idée de m'inviter chez Voltaire. Je le note... pour une période où je serai un peu plus libre...

Anonyme a dit…

Ayant gardé un très bon souvenir de mes lectures de Voltaire ("Candide" notamment), je note ce titre !

Anonyme a dit…

une très belle invitation de ta part en tout cas... je regarderai si la bibliothèque a ce volume :-)

Katell a dit…

@naniela: j'ai trouvé que c'était un très agréable moment passé en compagnie de Voltaire!
@caroline: et tu ne t'ennuieras pas!
@yueyin: si elle bien achalandée, Amette devrait faire partie de son fonds. Bonne future lecture en tout cas!