Un solitaire bourru, vivant dans un coin perdu de montagne, épris de Stendhal et d'alcool, une jeune et jolie mère de famille sans histoire dans la campagne des bords de Loire, un breton peu causeur accroché à ses falaises et à promenade quotidienne par tous les temps; trois êtres, trois vies aussi éloignées l'une de l'autre qu'il est possible d'imaginer; trois étranges accidents qui les ébranlent au plus profond de leur âme. Pourquoi en a-t-on après ces hommes et cette femme ordinaires? Que veut dire cette phrase à chaque fois lâchée "C'est pas du bon roman, ça?" en insistant sur le bon roman? Qu'ont en commun ce vieux savoyard d'adoption, ce breton et cette mère de famille?
Très vite, le point commun liant ces trois personnes apparaît être une librairie parisienne, née d'un idéal d'un homme et d'une femme que rien ne prédestinait à travailler ensemble: le premier, Ivan Georg dit Van, est un libraire bourru, limite ours mal léché, se morfondant dans une librairie d'une station des Alpes, la seconde, Francesca, est une riche héritière, épouse d'un directeur de média célèbre, traînant sa solitude et sa tristesse au gré des romans qu'elle dévore. Tous deux souhaitent offrir aux bibliophages ce qu'il y a de mieux en littérature, de très bons romans, d'excellents romans tant classiques que contemporains. Mais comment choisir ces bons romans? Comment établir une liste exhaustive de plusieurs milliers de titres? En créant un comité de lecture, secret, composé de six membres, six écrivains émérites francophones. C'est ainsi que naît l'idée d'une librairie d'exception au doux nom de "Au bon roman", dans un agréable quartier parisien grâce aux fonds de Francesca. Les débuts de la librairie sont plus que prometteurs: les affamés de lecture, de bonne lecture, se pressent "Au bon roman", fouillent dans les rayons, lisent debout, oublieux du temps qui passe, ravis, en extase devant tant de belles et succulentes nourritures. Bien entendu, ce succès est loin d'enthousiasmer tout le monde, notamment celui de l'édition qui se voit sélectionné, scruté voire refusé par nos libraires-lecteurs sans peur et sans reproche, ces Dom Quichotte d'une vision de la littérature; bien entendu, cela suscite jalousies et rancoeurs...suffisamment pour que pointe, un jour, un pamphlet stigmatisant le côté élitiste et donc totalitaire du principe vital du "Au bon roman".
Entre les agressions écrites et celles, même si elles sont plus destinées à faire plus peur que mal, perpétrées sur trois membres du comité, Van et Francesca décident de s'en remettre à la justice: par le miracle des relations de Francesca, c'est un commissaire, Heffner, féru de littérature qui s'empare de l'enquête, donnant une autre dimension à ce polar qui ne dit pas son nom. Peu à peu, le monde de l'édition, des média et de la librairie dévoilent des dessous parfois peu compatibles avec l'idée de la culture que l'on peut s'en faire: l'équilibre financier est une vraie course à l'échalotte pour beaucoup, une quête du Graal qui en amène plus d'un à céder aux sirènes de la facilité des têtes de gondoles insipides, créées de toutes pièces par les chantres du marketing, ces "spin doctors" des temps modernes qui transforment les biens culturels en marchandises communes.
On ne peut rester insensible, lorsqu'on aime lire, lire de beaux textes, de belles écritures, à cette ambiance où l'amour, que l'on peut décliner au pluriel, est roi: celui des livres, des auteurs; celui qui unit, de manière particulière, Van à Anis, sauvageonne tendre et lointaine; celui qui pèse une tonne de douleur dans le coeur de Francesca depuis la perte de sa fille; ou encore celui qu'entretien chaque auteur autour de son jardin secret, source de son inspiration créatrice.
On ne peut résister à l'appel du carnet à LAL lorsque sont egrennés, au fil de l'intrigue, noms d'auteurs et titres que l'on a envie de lire; d'ailleurs, une blogueuse, Praline, a eu l'idée, subversive, à la limite de la perversité pour la hauteur de nos PAL et LAL, de lancer un challenge "Au bon roman", consistant à lire quelques uns des auteurs et/ou titres cités dans le roman; tandis que Cunéipage a eu l'excellente idée de dresser une liste de titres. L'amour-passion entretenu avec les livres, les styles, les émotions délivrées par la littérature, imprègne le roman de Laurence Cossé, et on laisse bien vite de côté les divers clichés pour se lancer à corps perdu dans cette utopie que l'on souhaiterait avoir en bas de chez soi.
Bien sûr, d'aucun pourrait souligner le côté élististe d'une telle librairie, pourrait gloser sur la notion de bon roman (qu'est-ce qu'un bon roman? Peut-on choisir de ne vendre que de bons romans? Lire des romans "à l'eau de rose", des romans de gare est-il un acte abominable, honteux?...), or, à l'heure où le marketing, les coteries, remplacent le sens critique et jettent parfois aux orties la qualité du style et de l'argument littéraire, on peut s'interroger sur ce que peut être un bon roman, et adhérer à l'utopie du "Au bon roman". Certes, lorsque tout au long du roman, l'auteur explique l'importance du style pour qu'un roman soit bon, on peut s'attendre à ce que le style et l'ossature de son roman tiennent la route: il y a quelques faiblesses dans le récit, notamment la place du personnage d'Anis, essentielle ou pas?, la fin de l'intrigue qui pour certains lecteurs apparaît facile et mal ficelée, montrant ainsi la difficulté qu'a pu rencontrer l'auteur pour achever son histoire, la crédibilité de l'histoire d'amour entre Van et Anis, cette partie de cache-cache, qui j'avoue m'a un tantinet agacée, un peu longuette et téléphonée. Mais, ces faiblesses ne doivent pas entraver le plaisir que l'on ressent à lire cette fable que l'on aimerait voir un jour réalisée....car, j'enrage régulièrement de voir mis en avant le dernier roman pondu (oui, pondu et non écrit) des Musso et autre Levy alors que "Là où les tigres sont chez eux" ou "Démon", par exemple, ne trouvent guère de regard attentif. Ce n'est pas parce qu'une majorité lobbyiste martèle que Coelho, Levy, Musso et autres auteurs du même tonneau, sont à lire, que leur lecture s'impose; la multitude de parutions à chaque rentrée littéraire, noie de petites perles qui ne font surface que difficilement, grâce à quelques huluberlus qui osent les mettre en avant. "L'idée était qu'on ne peut pas opposer littérature populaire et littérature élitiste, qu'il est même sans intérêt de vouloir les distinguer, outre que c'est bien difficile. L'une et l'autre comptant quantité de livres anodins et quelques chefs-d'oeuvre, la seule distinction qui vaille consiste à promouvoir les grands livres, dont certains sont très simples et d'autres difficiles.
- Puisqu'il s'agit de vous défendre, ajouta Delvaux, si vous le permettez j'irai plus loin. Je voudrais écrire qu'à l'inverse, traiter les livres médiocres à l'égal des bons, et tout offrir comme si tout se valait, a beaucoup à voir avec le mépris, car c'est de la démagogie. Et la démagogie postule que le commun sera toujours le commun." (p 291 et 292) Voilà où le bât blesse aujourd'hui dans la spirale du toujours plus de l'édition: on sait qu'il y a les "valeurs sûres" (les romans d'auteurs qui se vendront sans peine, sans que la qualité entre en compte), mises en valeur tant sur le plan visuel que que le plan médiatique (ahhhh, l'éternel "vu à la télé"....donc bien); on sait aussi que même les plus avertis passeront à côté de beaux et bons romans, hélas, pour notre plus grande frustration.
"Au bon roman" est une histoire qui a la beauté d'une fable, la cruauté d'un conte et la folie d'une utopie. Un roman aux allures de bouffée d'oxygène dans un monde qui a les yeux de Chimène pour le matérialisme. Il était depuis longtemps dans ma PAL, les avis divergents lus, au hasard de mes visites dans la blogsphère, m'ont incitée à le lire pour mon plus grand plaisir!
Morceaux choisis:
"Mon grand-père m'a laissé bien davantage, la passion de la littérature, et quelque chose en plus, de fondamental, la conviction que la littérature est importante. Il en parlait souvent. La littérature est source de plaisir, disait-il, c'est une des rares joies inépuisables, mais pas seulement. Il ne faut pas la dissocier de la réalité. Tout y est. C'est pourquoi je n'emploie jamais le mot fiction. Toutes les subtilités de la vie sont la matière des livres. Il insistait: Tu notes bien que je parle du roman, Il n'y a que les situations d'exception, dans les romans, les choix de vie ou de mort, les grandes épreuves, il y a aussi les difficultés ordinaires, les tentations, les déceptions banales; et en réponse, toutes les attitudes humaines, tous les comportements, des plus beaux aux plus misérables. Lisant cela, on se demande: Et moi, qu'est-ce que j'aurais fait, Il faut se le demander. Ecoute-moi bien: c'est une façon d'apprendre à vivre. Des adultes vont te dire que non, que la littérature n'est pas la vie, que les romans n'enseignent rien. Ils auront tort. La littérature informe, elle instruit, elle entraîne." (p 176 et 177)
"La vérité était entre les deux. Elle empruntait des éléments à l'une et à l'autre hypothèse. Heffner parlait non pas d'un groupe mais d'une mouvance, qu'il ne pensait pas dirigée par des esprits froids mais animée par un forcené, du moins au début.
- Forcené au sens propre, dit-il. Car l'art, les entreprises culturelles sont le théâtre de violences folles. Tout le monde sait que les passions n'ont pas de bornes dans l'ordre amoureux. On se doute que la scène politique est traversée par des antagonismes extraordinairement durs et voit s'affronter des ambitieux prêts à tout. nul n'ignore que dans l'entreprise on se taille sa place à la machette. On est maintenant informé que le sport n'a plus grand-chose d'un jeu et que sur ce terrain tous les moyens sont bons, le mensonge, la corruption, l'intimidation. Mais on ne sait pas assez, et pour des raisons vaguement idéalistes on soupçonne trop peu que la crétaion artistique, et toutes les structures où elle est produite et vendue, sont eux aussi un champ de force haineuse, dont le ressort le plus commun est l'envie et l'arme habituelle, en France du moins, le discrédit idéologique." (p 456)
"Le Bon Roman donne des boutons à tous les éléments d'un groupe socio-professionnel assez circonscrit. Loin de moi, je le répète, l'idée de penser que ce groupe est le tout de l'édition, le tout de la presse et de la critique, le tout de la librairie. Il s'agit d'un sous-ensemble de personnes qui ont en commun de considérer le livre comme quelque chose qui peut rapporter gros et la littérature comme un formidable filon." (p 459)
8 commentaires:
Merci Katell
ça donne vraiment envie de le lire!
Isabelle
Il faudrait que je passe à la librairie...mais attention au porte-monnaie! Quel dommage! En tout cas celui-là ,je ne le raterai pas!
J'ai adoré l'idée centrale de ce livre mais pas trop l'histoire non plus. Paradoxalement, j'ai trouvé que c'était un roman assez mitigé bâti autour d'une idée excellente... mais ce fut certes une agréable lecture :-)
Il faut de la lecture pour tous!
Des personnes aiment lire Musso ou ou des romans légers
après leur journée de travail.
Si elle y trouvent du plaisir, c'est l'essentiel!
Et peut-être qu'après ces lecteurs voudront pousser plus loin dans leurs lectures...
Les extraits, ton avis cela donne envie de le lire.
Ce roman fait beaucoup parler de lui, et ton billet est bien alléchant. J'essaierai de le trouver en bibliothèque à la rentrée !
@isabelle: pas de souci, je te le prête :-)
@yueyin: Tu exprimes les reproches que l'on peut faire à ce roman, après l'euphorie suscitée par le sujet qui ne peut qu'enthousiasmer un dévoreur de romans.
Mais quel beau moment de lecture!
@clara: Certes, il en faut pour tous les goûts, mais quel dommage de ne pas aller au-delà, pour certains lecteurs, d'une littérature "tête de gondole". Je sais que sans ces "têtes d'affiche", les librairies auraient encore plus de mal à vivre, mais diantre!, la bonne littérature n'a jamais tué les lecteurs! Le problème, Clara, est que le formatage du goût se retrouve jusque dans la culture et c'est dommage. J'ai lu 2 romans de Marc Levy, j'avais bien aimé, mais le côté "tourne en rond" ne m'a pas donné envie de lire la suite de ses oeuvres. Quant à Musso, les couvertures et les quatrièmes me font fuir à toutes jambes....quand on peut lire du Emmanuelle Urien, du Balzac, du Eco, du Kundera... ce serait une perte de temps que de s'arrêter sur une vision "marketing" de la littérature.
Je sais, je risque de hérisser beaucoup de gens, mais c'est ce que je pense.
@bellesahi: merci Belle et j'espère que tu auras l'occasion de le lire.
@Schlabaya: Normalement, tu devrais pouvoir le trouver :-)
@isabelle: pas de souci, je te le prête :-)
@yueyin: Tu exprimes les reproches que l'on peut faire à ce roman, après l'euphorie suscitée par le sujet qui ne peut qu'enthousiasmer un dévoreur de romans.
Mais quel beau moment de lecture!
@clara: Certes, il en faut pour tous les goûts, mais quel dommage de ne pas aller au-delà, pour certains lecteurs, d'une littérature "tête de gondole". Je sais que sans ces "têtes d'affiche", les librairies auraient encore plus de mal à vivre, mais diantre!, la bonne littérature n'a jamais tué les lecteurs! Le problème, Clara, est que le formatage du goût se retrouve jusque dans la culture et c'est dommage. J'ai lu 2 romans de Marc Levy, j'avais bien aimé, mais le côté "tourne en rond" ne m'a pas donné envie de lire la suite de ses oeuvres. Quant à Musso, les couvertures et les quatrièmes me font fuir à toutes jambes....quand on peut lire du Emmanuelle Urien, du Balzac, du Eco, du Kundera... ce serait une perte de temps que de s'arrêter sur une vision "marketing" de la littérature.
Je sais, je risque de hérisser beaucoup de gens, mais c'est ce que je pense.
@bellesahi: merci Belle et j'espère que tu auras l'occasion de le lire.
@Schlabaya: Normalement, tu devrais pouvoir le trouver :-)
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