samedi 3 janvier 2009

Embarquement pour les terres lointaines des rêves


La famille Guérindel semble poursuivie par une étrange malédiction: chaque nuit, les quatre garçons de la famille sont la proie, depuis leur plus tendre enfance, de terribles cauchemars. Jamais, ils n'en parlent à leurs parents, toujours ils leur taisent leur angoisse à l'approche de la nuit, leur peur à l'idée de sombrer dans le sommeil, porte ouverte aux hallucinations nocturnes plus vraies que nature. Chaque matin, les garçons reviennent de leur périple les cernes palpitant encore du repos sans cesse en fuite.
Benoît, chaque nuit, suit une femme, une veuve de terreneuva, qui, lestée de galets, emporte sa fillette inanimée avec elle dans les flots d'une mer qui lui a tout pris. Chaque nuit, il tente d'arrêter son geste fatal; chaque nuit, il échoue et retourne vers le rivage des fins de rêves plus lourd et plus angoissé que jamais. Lunaire, lui, chaque soir, se retrouve l'hôte d'un vaisseau fantôme où règne sans partage un géant roux à la cruauté à peine voilée; chaque soir, Lunaire revit la même scène, entend les mêmes gémissements, qui n'ont rien d'humain, venant du fond d'une cale; chaque soir, Lunaire tente d'avertir un des marins et chaque soir, il chute, lentement, au fond de cette abominable cale pour se réveiller, en sueur, poisseux de peur et d'iode, effrayé et soulagé de s'en être sorti. Guinoux vit, chaque nuit, l'envol d'un petit garçon, qui lui ressemble, la tristesse indicible d'une maison devenue muette et aveugle au chagrin d'une fillette devenue solitaire, et la fureur d'une charge infernale de chevaux devenus fous de douleur et de rage, sous le feu assourdissant de la Grande Guerre.
Chaque jour, ils poursuivront leur petit bonhomme de chemin entre l'école, le collège, les devoirs et leurs interrogations: pourquoi ces rêves étranges et angoissants? Pourquoi cet appel lancinant chaque nuit? Ces songes dérangeants doivent certainement signifier quelque chose! Ont-ils un rapport avec l'interdiction maternelle d'aller en bord de mer, un comble lorsque l'on vit sur une côte en Bretagne?
Mais Lunaire ne souhaite plus être la victime de son cauchemar récurrent et peu à peu, au fil de ses recherches loin des bancs du lycée, déroule l'écheveau de la pelote des secrets familiaux et des racines profondément oubliées.
C'est alors que rentrent en scènes les passeurs de toute bonne histoire du monde fantastique: un vieux marin à la retraite, gardeur de mémoire des terreneuvas, et une vieille dame auréolée de mystère et nimbée d'une odeur de bon feu de cheminée et de gâteau à l'orange. Grâce à leurs narrations, Lunaire affrontera chaque nuit son rêve nanti de multiples petits cailloux rassurants malgré la peur inamovible qui l'accompagne à chaque fois. Les après-midi d'automne passés au coin de feu en compagnie d'Ardélia et d'Ebenezer apportent leur lot de révélations à Lunaire qui repart, seul mais plus aguerri, affronter les rigueurs de la joute nocturne. Lorsque Lunaire aura déroulé jusqu'au bout la pelote du temps, les éléments retrouveront leur place, libérant enfin les enfants de l'emprise sombre des racines des origines de la malédiction.
Gaëlle Nohant amarre son "Ancre des rêves" aux mythes celtes, aux croyances bretonnes venues du fond des âges, roman bercé par le clapotis délicieusement angoissant de l'errance d'un sommeil où le subconscient collectif et intergénérationnel joue parfois une étrange partition. Elle fait vivre à son passager clandestin des moments saisissants, poétiques et épouvantables, merveilleux et sombres, lumineux et sauvages. Les bois bretons regorgent d'habitants invisibles aux grands pouvoirs d'évocation, la mer abrite en son sein moult histoires où l'épouvante se dispute au merveilleux: entre la branche d'arbre cognant contre la vitre et le grincement d'un cordage invisible, le voyage dans les contes fantastiques est d'une douce et rêveuse agitation.
"L'ancre des rêves" est un premier roman dans lequel toute la sensibilité, la musicalité intime de l'auteur affleurent à chaque page, à chaque image. Une promenade nocturne où la contemplation est loin d'exclure les sensations fortes, un roman où le fantastique arbore des couleurs d'une grande poésie.

A découvrir et savourer sans modération!






7 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce livre a fait un malheur sur la blogosphère l'an dernier et je me croise les doigts pour réussir à mettre la main dessus un jour. C'est vraiment le genre d'histoire qui pourrait définitivement me plaire!

Anonyme a dit…

Des histoires comme celles-là on en redemande. J'ai eu la chance de rencontrer Gaëlle au salon du livre de Toulon. Malheureusement pour moi, elle n'était pas annoncée sur la liste des auteurs et je n'ai pas apporté mon exemplaire. La prochaine, j'embarque tout ma bibliothèque, sait-on jamais ^_^

Anonyme a dit…

C'est un des plus beaux livres sur l'univers onirique celte que j'ai pu lire l'an dernier ! Je te rejoins bien évidemment dans ton appréciation ! Bon dimanche

Malice a dit…

Ah! pour moi cette lecture, ce livre a aussi beaucoup compté un très bon premier roman c'est rare c'est fort c'est un livre que l'on n'oublie !
Livre lu il y a un moment mais une très belle lecture mon billet ici :
http://livresdemalice.blogspot.com/2007/10/galle-nohant.html

Anonyme a dit…

Je l'ai noté ce titre- là...Je pense qu'il me plairait beaucoup.

Katell a dit…

@karine:): d'ailleurs c'est pour cela que je l'ai acheté et lu....aucun regret et un très beau moment de lecture!
@la liseuse: elle m'avait semblé tout douce et tout en sensibilité dans l'interview diffusée par florinette! Une belle âme, j'en suis certaine.
@lucy: c'est vrai cela!!! L'onirisme celte est bien croqué et animé!
@malice: j'ai réparé mon oubli ;-) Oui un très beau premier roman qui j'espère sera suivi de beaucoup d'autres!
@mirontaine: je pense aussi ;-)

Anonyme a dit…

Il est dans ma PAL ... hou, depuis des mois, si ce n'est un an et demi !