"La vierge froide et autres racontars" est un recueil de nouvelles qui fleure bon le froid, la bise, les étendues glaciales blanches, la forêt perdue. C'est aussi le monde des hommes solitaires et frustes dans un environnement hostile: froid, été court, nuit polaire sombre à en rendre fou.
Jorn Riel explore la condition humaine perdue dans les conditions extrêmes de la Nature: la rusticité du quotidien, la chasse, la pêche, le bateau, le Vesle Mari, qui aborde le fjord deux fois par an...un rythme de vie que l'on ne peut imaginer si on ne l'a pas vécu.
Nous sommes au Groenland, "le pays vert" des Vickings devenu blanc et hostile, devenu une lointaine colonie danoise sur laquelle vivote une poignée d'hommes. "La femme devient en Arctique une entité lointaine et imaginaire, à laquelle on ne fait allusion qu'avec des tournures vagues et prudentes." c'est dire la solitude de ces hommes qui ont choisi la vie loin des leurs, de leurs semblables pour une vie de pionniers et de trappeurs. Riel nous conte les couples masculins au fil des saisons dans leurs cabanes, dans leurs secteurs de chasse. Certains viennent pour une saison, d'autres y restent toute leur vie.
Les histoires de Riel, ses racontars (parce que après tout, est-ce bien vrai tout cela?), s'imbriquent, se mêlent et s'éclairent pour dire le besoin d'amitié, de chaleur de l'âme humaine, pour dire combien est essentiel la moindre parcelle de civilisation pour l'équilibre général de ces hommes des bois, presque sauvages parfois. Ainsi "Une condition absolue" relate la guerre des lieux d'aisance entre deux compagnons qui en arrivent à échanger insultes et coups et à aller "au petit coin" armés...jusqu'au jour où la civilisation est rattrapée par la vindicte de Dame Nature et où les bonnes vieilles méthodes (on apprend ainsi l'existence d'une autre utilité des chiens de traîneau) s'avèrent être toujours les meilleures!
La présence d'un compagnon doit être harmonieuse et il arrive parfois qu'un homme venant du pays d'en-bas (vers le sud!) l'apprenne à ses dépends. C'est ce qui est narré dans "Le dressage d'un lieutenant", racontar où le Lieutenant Hansen vient vivre une campagne au Groenland et désire mettre en état d'alerte ces hommes des bois (qui, à ses yeux de lieutenant, auraient bien besoin d'une discipline de fer, non mais!) au cas où les Russes viendraient envahir les terres arctiques danoises! Et on voit Hansen mener ce petit monde à l'entraînement et à la baguette: il faut dire que c'est la belle saison et que c'est agréable d'être au grand air après la période sombre. Tout va bien jusqu'au jour où nos hommes des bois désirent reprendre leur liberté civile pour poser les pièges et vaquer à leurs occupations habituelles. Là les choses se compliquent et le pauvre Hansen va apprendre qu'il est dangereux de vouloir "mater" ces forces de la nature (car résister plusieurs années à la folie arctique de la période sombre est un gage d'opiniâtreté): se tortiller au bout d'une corde un jour et une nuit dans le froid remet certaines idées en place....ah! l'humour spécial des exilés du froid est grinçant.
Il arrive aussi que le compagnon est un homme bien étrange au talent d'artiste. Monsieur Joenson débarque à Kap Thompson et fait figure immédiatement d'original: un costume noir, une chemise noire et une cravate blanche avec aux pieds des chaussures tressées en pointe, accoutrement digne du carnaval sous ces latitudes peu clémentes! Malgré les multiples arguments dissuasifs de son futur compagnon Mads Madsen, Joenson décide de s'accrocher à son contrat et reste à la station pour un an. Le lecteur se dit qu'il ne tiendra pas jusqu'au plus fort de la période sombre et s'imagine les affres dans lesquels Joenson a toutes les chances de sombrer. C'est sans compter sur les ressources de ce dernier: l'art du tatouage ou comment repartir riche d'une campagne au nord du Cercle Polaire! Joenson passe sa saison à tatouer les hommes des bois et amasse ainsi nombre de très belles peaux. L'art, comme on peut le voir, est loin d'être mal accueilli dans ces régions hostiles.
Le nord du Cercle Polaire est tout sauf une tranquille villégiature: la période sombre, les conditions climatiques extrêmes, la solitude exacerbent le caractère des hommes et altèrent leur jugement. La folie est souvent plus proche des hommes qu'ils ne le pensent. L'histoire du "Roi Oscar" en est la preuve poignante. Vieux-Niels et son compagnon, Halvor, achètent un cochon afin d'en faire leur repas de Noël. Or, Vieux-Niels s'attache tellement au petit cochon qu'il en délaisse la conversation avec Halvor: chaque soir il dorlote le cochon, prénommé Oscar, lui raconte des histoires, bref le considère comme un être humain. A tel point que Halvor en devient littéralement malade de jalousie! Bien entendu arrive ce qui devait arriver: une querelle dantesque entre les deux hommes. Mais lorsque l'alcool, le schnaps en l'occurrence, s'en mêle (et Dieu sait que l'alcool, au même titre que le sommeil, est un élément important pour supporter la période sombre!), la surprise peut être hallucinante pour les hommes et le capitaine du Vesle Mari lorsqu'il reviennent à Kap Thompson à la fin du printemps: pourquoi Halvor appelle-t-il "Vieux-Niels" son cochon?
Jorn Riel est un conteur extraordinaire et embarque son lecteur dans une suite grinçante, parfois grimaçante, d'histoires tellement réalistes qu'elles en paraissent incroyables. Le lecteur, médusé, halluciné, déambule au fil d'une galerie extraordinaire de personnages hauts en couleurs qui attirent, malgré leurs défauts, leur rusticité, sa sympathie. Il découvre un univers blanc, froid à l'extérieur, un monde où l'élément féminin appartient au domaine du fantasme (la méthode est radicale pour calmer les ardeurs masculine: une petite sortie vivifiante, nu, dans la tempête...il s'avère que cela calme durablement) mais qui une fois poussée la porte des cabanes devient un univers chaleureux, rigolard, joyeusement en laisser-aller où la bouteille d'alcool, la viande et le thé assurent la ténacité face à la période sombre qui mine l'âme à chaque rafale, à chaque bourrasque glaciale.
On rit, c'est vrai qu'on rit beaucoup...mais le rire se fige très vite en un rictus: les situations décrites sont rarement amusantes jusqu'au bout. Riel sait écrire, sans sombrer dans le pathos, sur la solitude, la nuit polaire et ses hurlements, l'isolement des hommes, la confrontation à soi-même, avec une plume digne des plus grands auteurs satiriques! Le rire sauverait-il de tout, même du pire?
Jorn Riel explore la condition humaine perdue dans les conditions extrêmes de la Nature: la rusticité du quotidien, la chasse, la pêche, le bateau, le Vesle Mari, qui aborde le fjord deux fois par an...un rythme de vie que l'on ne peut imaginer si on ne l'a pas vécu.
Nous sommes au Groenland, "le pays vert" des Vickings devenu blanc et hostile, devenu une lointaine colonie danoise sur laquelle vivote une poignée d'hommes. "La femme devient en Arctique une entité lointaine et imaginaire, à laquelle on ne fait allusion qu'avec des tournures vagues et prudentes." c'est dire la solitude de ces hommes qui ont choisi la vie loin des leurs, de leurs semblables pour une vie de pionniers et de trappeurs. Riel nous conte les couples masculins au fil des saisons dans leurs cabanes, dans leurs secteurs de chasse. Certains viennent pour une saison, d'autres y restent toute leur vie.
Les histoires de Riel, ses racontars (parce que après tout, est-ce bien vrai tout cela?), s'imbriquent, se mêlent et s'éclairent pour dire le besoin d'amitié, de chaleur de l'âme humaine, pour dire combien est essentiel la moindre parcelle de civilisation pour l'équilibre général de ces hommes des bois, presque sauvages parfois. Ainsi "Une condition absolue" relate la guerre des lieux d'aisance entre deux compagnons qui en arrivent à échanger insultes et coups et à aller "au petit coin" armés...jusqu'au jour où la civilisation est rattrapée par la vindicte de Dame Nature et où les bonnes vieilles méthodes (on apprend ainsi l'existence d'une autre utilité des chiens de traîneau) s'avèrent être toujours les meilleures!
La présence d'un compagnon doit être harmonieuse et il arrive parfois qu'un homme venant du pays d'en-bas (vers le sud!) l'apprenne à ses dépends. C'est ce qui est narré dans "Le dressage d'un lieutenant", racontar où le Lieutenant Hansen vient vivre une campagne au Groenland et désire mettre en état d'alerte ces hommes des bois (qui, à ses yeux de lieutenant, auraient bien besoin d'une discipline de fer, non mais!) au cas où les Russes viendraient envahir les terres arctiques danoises! Et on voit Hansen mener ce petit monde à l'entraînement et à la baguette: il faut dire que c'est la belle saison et que c'est agréable d'être au grand air après la période sombre. Tout va bien jusqu'au jour où nos hommes des bois désirent reprendre leur liberté civile pour poser les pièges et vaquer à leurs occupations habituelles. Là les choses se compliquent et le pauvre Hansen va apprendre qu'il est dangereux de vouloir "mater" ces forces de la nature (car résister plusieurs années à la folie arctique de la période sombre est un gage d'opiniâtreté): se tortiller au bout d'une corde un jour et une nuit dans le froid remet certaines idées en place....ah! l'humour spécial des exilés du froid est grinçant.
Il arrive aussi que le compagnon est un homme bien étrange au talent d'artiste. Monsieur Joenson débarque à Kap Thompson et fait figure immédiatement d'original: un costume noir, une chemise noire et une cravate blanche avec aux pieds des chaussures tressées en pointe, accoutrement digne du carnaval sous ces latitudes peu clémentes! Malgré les multiples arguments dissuasifs de son futur compagnon Mads Madsen, Joenson décide de s'accrocher à son contrat et reste à la station pour un an. Le lecteur se dit qu'il ne tiendra pas jusqu'au plus fort de la période sombre et s'imagine les affres dans lesquels Joenson a toutes les chances de sombrer. C'est sans compter sur les ressources de ce dernier: l'art du tatouage ou comment repartir riche d'une campagne au nord du Cercle Polaire! Joenson passe sa saison à tatouer les hommes des bois et amasse ainsi nombre de très belles peaux. L'art, comme on peut le voir, est loin d'être mal accueilli dans ces régions hostiles.
Le nord du Cercle Polaire est tout sauf une tranquille villégiature: la période sombre, les conditions climatiques extrêmes, la solitude exacerbent le caractère des hommes et altèrent leur jugement. La folie est souvent plus proche des hommes qu'ils ne le pensent. L'histoire du "Roi Oscar" en est la preuve poignante. Vieux-Niels et son compagnon, Halvor, achètent un cochon afin d'en faire leur repas de Noël. Or, Vieux-Niels s'attache tellement au petit cochon qu'il en délaisse la conversation avec Halvor: chaque soir il dorlote le cochon, prénommé Oscar, lui raconte des histoires, bref le considère comme un être humain. A tel point que Halvor en devient littéralement malade de jalousie! Bien entendu arrive ce qui devait arriver: une querelle dantesque entre les deux hommes. Mais lorsque l'alcool, le schnaps en l'occurrence, s'en mêle (et Dieu sait que l'alcool, au même titre que le sommeil, est un élément important pour supporter la période sombre!), la surprise peut être hallucinante pour les hommes et le capitaine du Vesle Mari lorsqu'il reviennent à Kap Thompson à la fin du printemps: pourquoi Halvor appelle-t-il "Vieux-Niels" son cochon?
Jorn Riel est un conteur extraordinaire et embarque son lecteur dans une suite grinçante, parfois grimaçante, d'histoires tellement réalistes qu'elles en paraissent incroyables. Le lecteur, médusé, halluciné, déambule au fil d'une galerie extraordinaire de personnages hauts en couleurs qui attirent, malgré leurs défauts, leur rusticité, sa sympathie. Il découvre un univers blanc, froid à l'extérieur, un monde où l'élément féminin appartient au domaine du fantasme (la méthode est radicale pour calmer les ardeurs masculine: une petite sortie vivifiante, nu, dans la tempête...il s'avère que cela calme durablement) mais qui une fois poussée la porte des cabanes devient un univers chaleureux, rigolard, joyeusement en laisser-aller où la bouteille d'alcool, la viande et le thé assurent la ténacité face à la période sombre qui mine l'âme à chaque rafale, à chaque bourrasque glaciale.
On rit, c'est vrai qu'on rit beaucoup...mais le rire se fige très vite en un rictus: les situations décrites sont rarement amusantes jusqu'au bout. Riel sait écrire, sans sombrer dans le pathos, sur la solitude, la nuit polaire et ses hurlements, l'isolement des hommes, la confrontation à soi-même, avec une plume digne des plus grands auteurs satiriques! Le rire sauverait-il de tout, même du pire?
Nouvelles traduites du danois par Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet.
Les illustrations de l'édition Gaïa sont de Eiler Krag
Les illustrations de l'édition Gaïa sont de Eiler Krag
11 commentaires:
Je survole juste car je viens de le commander.
Mais c'est une lecture à faire pendant la canicule, pas au milieu de l'hiver ! Le côté pittoresque de ces communautés semble bien retranscrit. Je note en tout cas la méthode pour calmer les ardeurs, j'en ai parfois besoin...
Le rire ne sauve pas de tout, mais il rend la vie plus agréable. J'aime beaucoup ces racontars
Ces situations peuvent nous faire froid dans le dos, pour nous qui avons des vies relativement faciles, mais je pense que pour certains, cela paraitrait normal ! Et il faut avouer que le rire rapproche les gens et les sauve de bien des situations (sûrement pas de toutes mais bon, il faut bien trouver des côtés agréables sinon on broierait du noir) :)
Pas vraiment enchantée par ce livre mais on peut lui reconnaitre un sens du burlesque très fort !
@maijo: j'ai beaucoup aimé cette lecture et l'auteur que j'ai découvert par la même occasion!
@canthilde:quoique...devant un bon feu et un excellent thé bien chaud ou une tasse de vin chaud, les nouvelles se laisseraient bien lire aussi, non ;-) ?
@gambadou: tu as entièrement raison. Heureusement que le rire est là pour mieux vivre certaines situations.
@joelle: il est certain que je préfère être parmi 27 monstres de 4/5 ans qu'en plein Groenland! Les scènes cocasses permettent de lir sans pleurer ces racontars.
@praline: je viens de lire ton billet: j'ai beaucoup aimé le fait que tu aies mentionné les fameuses petites phrases accompagnatrices des titres.
Une de plus dans le camps des convaincue ! Car les avis sont partagés sur ce livre.
@sylire: j'ai constaté cela aussi. C'est toujours très intéressant de lire des avis contrastés!
Je trouve ta critique vraiment intéressante tu as vraiment cerné l'atmosphère de ce pays, la vie de ces trappeurs et leur condition de travail,leu coutume... j'ai vraiment apprécié ce livre, tout m'a plu : le style, le thème et l'originalité de ces histoires qui s'imbriquent les unes dans les autres.
J'aime beaucoup ces racontars, je passe à chaque fois un agréable moment en leurs compagnies !! ;-)
Bonne année Katell,
quelle belle critique que la tienne! En la lisant, je me suis replongée dans ces historiettes, d'autant que celles que tu reprends m'avaient bien fait rire (hum, les cheins, c'est une découverte...). Mais je conseille à ceux qui n'ont pas encore lu la Vierge Froide de ne pas terminer ton billet, tu en dis parfois un peu long (comme sur le roi Oscar). A bientôt.
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