Dans la trilogie cairote, Naguib Mahfouz faisait souvent allusion aux pratiques courantes du clientélisme dans l'administration égyptienne pour l'obtention aussi bien de postes que de promotions. "La belle du Caire" démontre combien ce genre de pratique peut se révéler dévastatrice pour ceux qui ne savent pas se mouvoir dans la jungle des bureaux et cabinets ministériels.
Quatre étudiants, quelques mois avant de passer leur examen final, quatre vies, quatre visions de la société. L'un d'entre eux, Mahgoub Abd-el-Dayim, pauvre et avide de tout, sous une apparente indifférence, est taraudé par l'envie et la jalousie. Il est prêt à tout pour obtenir un bout de ciel bleu, un rayon de soleil et autre chose qu'un plat de fèves. Après avoir connu les affres de la faim, de l'indigence, il met non seulement de côté le peu de scrupules qu'il possède pour avancer dans la société, mais aussi son devoir filial, devoir qui lui pèse et qu'il oublie en trouvant toujours une bonne raison à son égoïsme.
Mahgoub, au fond de l'indigence et du désespoir, sollicite l'aide d'un ancien voisin du village, Al-Ikhshidi, bien établi dans un poste de secrétaire particulier. Ce dernier comprend que Mahgoub est de la même trempe que lui, qu'il saura fouler principes et scrupules pour se tailler une misérable part de gloire. Il le pistonne (contre rien en retour ce qui aurait du éveiller la vigilance de Mahgoub!) pour un poste de secrétaire particulier (au 6ème échelon) puis le sollicite, quelques temps plus tard, pour une étrange affaire: un mariage en catimini afin de rendre service au Bey Qasim Fahmi, riche aristocrate épris d'une roturière avec laquelle il entretient une relation amoureuse. Mahgoub accepte la proposition et quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il reconnaît en la belle maîtresse du Bey, la sublime et jeune Ihsane, ancienne fiancée de son ami Ali Taha! La joie, malsaine, de s'approprier une beauté autrefois inabordable, se mêle à sa maladive jalousie (tout aussi malsaine). Les tortures ne font que commencer pour Mahgoub qui endosse le rôle désagréable de cocu consentant à tendance proxénète! En effet, à chaque fois que le Bey rend visite à Ihsane, il doit quitter l'appartement!
Mahgoub, avec son ironie et son audace, pense avoir cerné la marche du monde. Seulement, à trop envier et jalouser, à vouloir trop avoir sans rien donner, le retour de bâton est souvent cruel et cuisant. Ainsi, lorsque les charmes de son épouse offrent une promotion (directeur de cabinet du Bey lui-même!) à Mahgoub, celui-ci ne sait pas prendre la bonne décision: Al-Ikhshidi, dont il est l'obligé, lui demande un retour d'ascenseur en lui cédant le poste proposé et en le succédant dans son poste, Mahgoub ne peut s'empêcher de lui exprimer son mépris et sa haine en refusant le marché! La suite ne tarde pas à provoquer de nombreuses turbulences dans la vie de Mahgoub et Ihsane et douloureuse est la chute....surtout lorsque l'on s'est coupé de ses amis les plus sûrs!
"La belle du Caire" est un roman édifiant et incisif sur une société cairote gangrénée par la corruption et l'appât du gain facile. Les personnages sont hauts en couleurs et finement ciselés: Al-Ikhshidi est admirablement croqué en fauve sachant manoeuvrer plus affamé que lui et sachant se rendre utile à plus puissant que lui. Un virtuose de l'hypocrisie et du louvoiement en eaux troubles. Quant à Mahgoub, torturés par ses apirations aussi diverses que contradictoires, le lecteur éprouve parfois pour lui de la compassion mais bien souvent colère et mépris à son encontre! On a envie de le secouer pour lui ouvrir les yeux: à vouloir nager au milieu des crocodiles il faut savoir montrer les dents, claquer des mâchoires et surtout ne jamais oublier de renvoyer l'ascenseur même si cela gâche le plaisir d'une promotion!
Et Ihsane? Figure féminine qui subit la loi masculine. Au final, son mariage avec Mahgoub est loin d'être une réussite et bien loin de la mettre à l'abri du besoin. Sa réputation n'est plus qu'une lointaine chimère: on a envie de la soutenir, elle émeut et en même temps agace. A ce jeu de dupe, une naïveté mal placée est perdante et désastreuse. Mais elle a été abusée par les roucoulades d'un Bey prédateur, sans foi ni loi hormis celle de son plaisir, abusée par les jérémiades paternelles qui la feront se jeter dans la fosse aux lions. Le pari sur la beauté est aléatoire surtout lorsque la famille de la jeune beauté est pauvre, roturière et sans appui!
Enfin, Qasim Fahmi: un loup usant et abusant de son pouvoir, de sa richesse pour s'offrir des virginités à bon compte! La lectrice, que je suis, ne peut s'empêcher de lui en vouloir pour son attitude inconséquente et profondément égoïste: il s'en sortira toujours et il le sait, même si le scandale éclabousse le bas de son costume! Ce qui est loin d'être le cas pour les "dégâts collatéraux"!
La moralité de cette histoire? Pourquoi désirer toujours plus? Pourquoi être toujours insatisfait? Cela n'amène souvent que déceptions et malheurs! "Si tu n'as pas ce que tu aimes, aime ce que tu as." (proverbe marocain)....penser une telle chose n'empêche en rien l'ambition raisonnable et raisonnée! Mahgoub est un Icare qui se brûle les ailes à désirer, trop vite, aller près du soleil.
Un beau roman sur la jalousie, l'amour et le désir, servi par la plume magnifique et sobre de Naguib Mahfouz.
Quatre étudiants, quelques mois avant de passer leur examen final, quatre vies, quatre visions de la société. L'un d'entre eux, Mahgoub Abd-el-Dayim, pauvre et avide de tout, sous une apparente indifférence, est taraudé par l'envie et la jalousie. Il est prêt à tout pour obtenir un bout de ciel bleu, un rayon de soleil et autre chose qu'un plat de fèves. Après avoir connu les affres de la faim, de l'indigence, il met non seulement de côté le peu de scrupules qu'il possède pour avancer dans la société, mais aussi son devoir filial, devoir qui lui pèse et qu'il oublie en trouvant toujours une bonne raison à son égoïsme.
Mahgoub, au fond de l'indigence et du désespoir, sollicite l'aide d'un ancien voisin du village, Al-Ikhshidi, bien établi dans un poste de secrétaire particulier. Ce dernier comprend que Mahgoub est de la même trempe que lui, qu'il saura fouler principes et scrupules pour se tailler une misérable part de gloire. Il le pistonne (contre rien en retour ce qui aurait du éveiller la vigilance de Mahgoub!) pour un poste de secrétaire particulier (au 6ème échelon) puis le sollicite, quelques temps plus tard, pour une étrange affaire: un mariage en catimini afin de rendre service au Bey Qasim Fahmi, riche aristocrate épris d'une roturière avec laquelle il entretient une relation amoureuse. Mahgoub accepte la proposition et quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il reconnaît en la belle maîtresse du Bey, la sublime et jeune Ihsane, ancienne fiancée de son ami Ali Taha! La joie, malsaine, de s'approprier une beauté autrefois inabordable, se mêle à sa maladive jalousie (tout aussi malsaine). Les tortures ne font que commencer pour Mahgoub qui endosse le rôle désagréable de cocu consentant à tendance proxénète! En effet, à chaque fois que le Bey rend visite à Ihsane, il doit quitter l'appartement!
Mahgoub, avec son ironie et son audace, pense avoir cerné la marche du monde. Seulement, à trop envier et jalouser, à vouloir trop avoir sans rien donner, le retour de bâton est souvent cruel et cuisant. Ainsi, lorsque les charmes de son épouse offrent une promotion (directeur de cabinet du Bey lui-même!) à Mahgoub, celui-ci ne sait pas prendre la bonne décision: Al-Ikhshidi, dont il est l'obligé, lui demande un retour d'ascenseur en lui cédant le poste proposé et en le succédant dans son poste, Mahgoub ne peut s'empêcher de lui exprimer son mépris et sa haine en refusant le marché! La suite ne tarde pas à provoquer de nombreuses turbulences dans la vie de Mahgoub et Ihsane et douloureuse est la chute....surtout lorsque l'on s'est coupé de ses amis les plus sûrs!
"La belle du Caire" est un roman édifiant et incisif sur une société cairote gangrénée par la corruption et l'appât du gain facile. Les personnages sont hauts en couleurs et finement ciselés: Al-Ikhshidi est admirablement croqué en fauve sachant manoeuvrer plus affamé que lui et sachant se rendre utile à plus puissant que lui. Un virtuose de l'hypocrisie et du louvoiement en eaux troubles. Quant à Mahgoub, torturés par ses apirations aussi diverses que contradictoires, le lecteur éprouve parfois pour lui de la compassion mais bien souvent colère et mépris à son encontre! On a envie de le secouer pour lui ouvrir les yeux: à vouloir nager au milieu des crocodiles il faut savoir montrer les dents, claquer des mâchoires et surtout ne jamais oublier de renvoyer l'ascenseur même si cela gâche le plaisir d'une promotion!
Et Ihsane? Figure féminine qui subit la loi masculine. Au final, son mariage avec Mahgoub est loin d'être une réussite et bien loin de la mettre à l'abri du besoin. Sa réputation n'est plus qu'une lointaine chimère: on a envie de la soutenir, elle émeut et en même temps agace. A ce jeu de dupe, une naïveté mal placée est perdante et désastreuse. Mais elle a été abusée par les roucoulades d'un Bey prédateur, sans foi ni loi hormis celle de son plaisir, abusée par les jérémiades paternelles qui la feront se jeter dans la fosse aux lions. Le pari sur la beauté est aléatoire surtout lorsque la famille de la jeune beauté est pauvre, roturière et sans appui!
Enfin, Qasim Fahmi: un loup usant et abusant de son pouvoir, de sa richesse pour s'offrir des virginités à bon compte! La lectrice, que je suis, ne peut s'empêcher de lui en vouloir pour son attitude inconséquente et profondément égoïste: il s'en sortira toujours et il le sait, même si le scandale éclabousse le bas de son costume! Ce qui est loin d'être le cas pour les "dégâts collatéraux"!
La moralité de cette histoire? Pourquoi désirer toujours plus? Pourquoi être toujours insatisfait? Cela n'amène souvent que déceptions et malheurs! "Si tu n'as pas ce que tu aimes, aime ce que tu as." (proverbe marocain)....penser une telle chose n'empêche en rien l'ambition raisonnable et raisonnée! Mahgoub est un Icare qui se brûle les ailes à désirer, trop vite, aller près du soleil.
Un beau roman sur la jalousie, l'amour et le désir, servi par la plume magnifique et sobre de Naguib Mahfouz.
Roman traduit de l'arabe (Egypte) par Philippe Vigreux
15 commentaires:
Quel magnifique billet, qui me donne bien envie de découvrir cette trilogie cairote.
Mahfouz sait nous envoûter à coup sûr! C'est un auteur très ouvert et innovateur pour son époque et son pays d'origine.
J'aimerais pouvoir faire des critiques aussi "pensées" et approfondies que les tiennes ma chère Katell!!
Va quand même falloir que je me lance avec cet auteur! Par quoi commencer ?
Tu me donnes une folle envie de me replonger dans l'univers de Mahfouz.
Cathulu pourrait commencer par La trilogie cairote, non ? Qu'en penses-tu Katell ? :)
On retrouve là certains des thèmes de l'Immeuble Yacoubian. Je vais devoir me pencher sur la littérature égyptienne de plus près !
@maijo: merci maijo et j'espère qu'un jour tu auras un livre de Mahfouz entre les mains!
@jules: je sais que tu es une inconditionnelle:-D merci pour ton compliment.
@cathulu: c'est sûr! Va falloir t'y mettre ;-D J'ai plongé dans l'univers de Mahfouz par la trilogie cairote: "Impasse des deux palais", "Le palais du désir" et "Les jardins du passé"...un régal!
@michel: tu m'en vois ravie! Je pense que la trilogie cairote est une excellente entrée en matière
:-D
@canthilde: je ne serai pas dépaysée lorsque je le lirai :-) N'hésite pas à lire Naguib Mahfouz qui est un immense écrivain!
J'avais bcp aimé ce livre et c'est vrai que c'est écrivain est très doué !
J'ai lu ce roman il y a longtemps mais je l'avais un peu oublié. Merci pour cette belle piqure de rappel !
Katell, je me souviens avec grand plaisir des Nuits des mille et une nuits.
Merci pour ta très belle carte, elle m'a fait bien rêver.
Cela fait bien longtemps que je n'ai rien lu de cet auteur, tu donnes envie de retourner y voir un de ces jours !
Je ne connais pas du tout cet auteur mais je suis bien curieuse de découvrir ses romans.
Quel joli billet tu as fait pour décrire ce roman ... J'admire !!!!! Je note ce titre de roman avec enthousisame ! Merci Katell ... Bises
@freude: j'apprécie vraiment son univers et son écriture! Un vrai bonheur!
@naina: de rien ;-)
@maijo: :-D Naguib Mahfouz est un enchanteur qu'il faut lire si l'occasion se présente à toi!
@moustafette: chouette :-D
@flo: il est à découvrir absolument!
@nath: merci nath! J'espère que tu trouveras un de ses titres en bibliothèque ;-)
Tiens, on viens de m'offrir de cet auteur le roman "Vienne la nuit", quel coïncidence...
Je le lirais très bientôt, pour l'instant je lis la biographie de Marie - Antoinette de l'écrivain Antonia Fraser...
@malorie: coucou malorie :-D Au fait, et ton blog? As-tu eu des explications?
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