dimanche 10 juin 2007

Le cercle des philosophes disparus


Je désirais découvrir Pascal Quignard depuis quelques temps et Moustafette a exaucé mon souhait (encore merci au swap!).
J'avoue avoir été déconcertée par la teneur du roman, teneur très pointue, philosophique et souvent ardue à saisir. Peu à peu, le rythme prenant le dessus, je suis parvenue à « entrer » dans le récit et la lecture devint plaisir!
Comment parler de ce roman atypique?
Un groupe d'amis, intellectuels parisiens, se réunit, régulièrement, autour d'un excellent repas au cours duquel ils philosophent, discourent, disputent, vilipendent, crient et rient. Après le dessert, ils forment quatuors et trios pour jouer Mozart, Hayden, Fauré...Le narrateur, dont le lecteur ne connaîtra pas le nom, rapporte au fil des jours, les menus faits et grands discours avec plus ou moins de distance selon son humeur. La partie de l'histoire de ce groupe d'amis relatée se déroule sur une année et commence avec la dépression traversée par l'un d'entre eux: A. En effet, les personnages, les protagonistes sont de temps en temps désignés par leur patronyme mais plus souvent par leur initiale. Ce qui donne l'impression au lecteur de lire une partie du journal d'un homme du passé: lui connait les personnes et donc ne les désigne pas plus que cela tandis que le lecteur est en position d'observateur mis à distance. Il suit les déboires, les heurs et malheurs des uns et des autres, s'agace de leurs manies parfois ridicules, rit de leurs dissertations et de leurs joutes oratoires aussi futiles que pleines d'enseignements et s'ennuie de temps en temps lorsqu'ils s'écoutent parler.
Il m'a semblé que Pascal Quignard mélangeait avec subtilité plusieurs types d'écritures dans son roman: la forme la plus évidente est celle du journal, l'écriture diariste puisque le récit s'effectue au jour le jour. La durée est déterminée: une année ce qui permet de mettre en relation le contenu et la couverture (extrait des « Riches heures du duc de Berry, l'hiver »). Le narrateur indique au lecteur chaque changement de saison et parsème ses notes d'allusion saisonnière.
Il apparaît évident que Pascal Quignard fait sans cesse référence au « Banquet » de Platon: les réunions autour d'une table bien garnie où les discussions philosophiques fleurissent entre les convives en sont ses successeures. Chaque repas, souvent de poissons aux saveurs subtiles et goûteuses, annonce un discours sur la nature de l'amitié (sa source, son contenu), les différentes possibilités de combattre la dépression en faisant référence aux courants de la psychanalyse, la langue et ses subtilités arides et sévères (les disputes entre le grammairien puriste voire extrémiste et les autres sont édifiantes et relatées avec beaucoup d'humour et d'ironie), la peur de la mort et du vide, la naissance, la maternité et la paternité...
A certains moments, le lecteur a l'impression de lire un roman japonais: les riens de l'existence sont exhumés sous la plume tels des non-dits éclairant le récit. La narrateur ne manque jamais de souligner ce qu'il y a dans le vase posé dans l'entrée de chez A. et E. :


« Dans l'entrée, près du corridor, une bruyère un peu sèche, usée, que je n'avais pas remarquée la veille »


« Je passais rue du Bac. Dans le coin le plus obscur, à gauche du corridor, des fleurs mises à sécher, la tête en bas, aux hautes tiges et aux pétales blancs, dont j'ignorais le nom. »


« Dimanche 22 avril. Je passais rue du Bac vers quinze heures. Dans l'entrée, sur la commode proche du corridor, trois tulipes ochracées, acrimonieuses, raides. »
etc... Ces infimes remarques donnant le ton à la visite, à l'état d'esprit des personnages. Les petits riens qui disent beaucoup en restant muets. Ils permettent au lecteur peu habitué aux notions de philosophie de rester dans le rythme du récit, de ne pas en perdre trop le fil. Quignard distille aussi, au beau milieu des ergoties des convives, quelques détails sur les plats présentés à ces derniers. Et il est amusant de noter que l'ambiance est révélée par le choix des adjectifs ou des adverbes autour des mets dégustés.
Un roman étrange, complexe, qui entraîne le lecteur dans l'exploration d'un désarroi que l'on parvient à surmonter en étant entouré d'amis querelleurs, ergoteurs, pinailleurs, parfois insupportables mais soudés et tendant la main au bon moment. Les plaisirs de la table, de la chère, de la musique et des lettres, les plaisirs des belles choses de la vie, embellissent une vie minée par l'angoisse de n'être que vide, néant et proche de la mort. Une belle réflexion littéraire sur la vie, sur les êtres sociaux que nous sommes, où les références culturelles sont denses et exhaustives.
Un régal qu'il faut mériter car, parfois, l'envie de fermer le livre prend le lecteur fatigué des disputes intellectuelles tournant en rond.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo Katell,l'épreuve initiatique est franchie avec succès car ton article est une réussite et le fait que tu aies pu terminer ce livre en est une autre ! J'ai aussi grandement peiné sur ce texte et j'ai bcp aimé ce livre une fois refermé, mais j'ai souvent maudit l'auteur. Quignard est un personnage érudit,hermétique et agaçant parfois mais un grand poète.

Katell a dit…

Mostafette, tu es une incorrigible farceuse! Dès les premières lignes je me suis doutée que ce n'était pas le roman le plus facile de cet auteur! Mais je me suis accrochée car il y avait toujours ce petit quelque chose qui faisait que mon intérêt et mon attention restaient en éveil! Merci de m'avoir envoyé ce livre étonnant et désarmant.

BelleSahi a dit…

Je suis passée rue du Bac aujourd'hui...
Intéressant ce livre. Je ne connais cet auteur que de nom pour son livre "Villa Amalia" qui d'après ce que j'entendais doit être un bon roman.

Katell a dit…

@bellesahi: je crois avoir commencé mon aventure Pascal Quignard par une entrée très difficile ;-) Je note "Villa Amalia" pour une prochaine lecture. Merci d'être passée!