samedi 6 octobre 2007

La vie est un roman


Je n'avais plus lu de roman de John Irving depuis des années: j'ai du m'arrêter après la lecture de « Une prière pour Owen »!
Il a fallu me réhabituer au style Irving, à sa truculence, à son imagination débordante, à ses histoires décousues, enfin d'apparence décousue, à rebondissements multiples et inattendus. Bref, une fois cet univers retrouvé, à nouveau humé, la lecture est devenue jubilatoire, hilarante et émouvante. Du grand Irving, celui qui me rappelle « Le monde selon Garp » ou « L'hôtel New Hampshire ».
Comme c'est un roman d'Irving, autant dire d'emblée qu'il est difficile, voire impensable, d'en faire un résumé exhaustif alors que la quatrième de couverture est relativement bien menée:

« Eté 1958. Ted Cole, auteur de livres pour enfants, pousse son assistant de seize ans dans les bras de sa femme Marion. Il veut précipiter un divorce devenu inévitable depuis la mort de leurs deux fils.
Mais labelle et triste Marion décide de tout quitter, laissant derrière elle une petite fille désorientée, Ruth. Automne 1990. Ruth est devenue un écrivain de renom. En tournée à Amsterdam, elle est confrontée à une aventure tout droit sortie de ses terreurs enfantines... »

Le roman est conçu comme une saga, une fresque couvrant une très longue période temporelle: de l' été 1958 à 1995, plus d'une génération.
L'été 1958 est la partie qui met en place les personnages, leur devenir, leur interaction. C'est l'enfance de Ruth, fillette de quatre ans qui bientôt perdra sa mère. Ruth qui vit entre la mésentente de ses parents et les photos de ses frères disparus. Elle connaît l'histoire de chaque photo, elle connaît ses frères comme s'ils étaient toujours là. Elle imagine, elle recrée leur vie inconnue, elle baigne dans la fiction dès son plus jeune âge. La présence omnipotente de ses frères, Thomas et Timothy, est relatée par les photos jalonnant les pièces de la maison: pas une à en être dépourvue! Mais c'est écrasant et leur absence revêt une importance sans égal: ils sont plus présents que s'ils étaient encore vivants!
Cet été 1958 est celui durant lequel Eddie O'Hare découvrira l'amour dans les bras de Marion Cole. Il en deviendra éperdument amoureux et n'aimera qu'elle! Et Irving de décrire, avec délectation mais tact et sans vulgarité, les moments inhérents à une adolescence masculine où les rêveries, les fantasmes sur les femmes plus âgées, sont ravageuses. La sensualité naissante, l'apprentissage de la tendresse et de l'amour sont empreints d'émotion et de délicatesse, même si certaines scènes sont particulièrement drôles et crues.
L'été 1958 est celui qui verra un couple se déliter et se quitter: Ted Cole, auteur-illustrateur jeunesse, est un homme à femmes, attiré par les jeunes mères qu'il séduit en réalisant leur portrait en compagnie de leur enfant, puis seules habillées et enfin nues. Mais la nudité n'est pas celle du nu artistique mais possède plutôt l'impudeur et la cruauté du nu pornographique: Ted ne magnifie pas la féminité mais la rend honteuse, laide et malheureuse. C'est la honte, la déchéance du corps qu'il transcrit, aussi ses oeuvres mettent-elles mal à l'aise et le modèle et celui qui y pose son regard par inadvertance. Du coup, Ted est un personnage que l'on n'a guère envie d'apprécier et encore moins d'aimer. Il apparaît comme un être égoïste, sans coeur vis à vis des femmes qu'il séduit. Cependant, une fois la première impression dépassée, le lecteur s'aperçoit que Ted est un homme brisé par la mort de ses deux fils.
Marion Cole est une mère qui ne peut aimer sa fille car elle a peur de la perdre brutalement comme elle a perdu un soir d'hiver ses deux fils dans un accident de voiture. Elle ne veut pas voir son coeur se briser une deuxième fois. Elle sait qu'elle abandonnera sa fille à Ted lors de l'inévatable séparation du couple. Elle ne veut pas être une mauvaise mère pour Ruth qu'elle n'a jamais voulue...on ne remplace jamais par un autre, les enfants trop tôt disparus. Elle fuit pour ne pas faire subir son désarroi et sa douleur indicible et inconsolable à sa fille: elle l'aime trop pour cela. Aussi, part-elle un jour, en emportant toutes les photos, et leurs négatifs, de Thomas et Timothy: à Ted et Ruth il ne reste que le souvenir de ces photos, de leur histoire et les crochets aux murs.
L'Automne 1990 verra les routes de Ruth et d'Eddie se croiser: une amitié se noue autour du souvenir d'une mère et d'une amante. Nostalgie et rancoeur, amour inoubliable et haine du désespoir se racontent et tentent de se cicatriser. Ruth est devenue une grande romancière collectionnant les petits amis en-dessous de tout, attirée par le mariage et la maternité tout en en ayant une peur immense. L'absence inexpliquée et inexplicable de sa mère est une ombre omniprésente. Comme plane cette absence sur l'oeuvre d'Eddie qui raconte sans cesse la même histoire: son expérience amoureuse avec Marion!
1995, dénouement de cette histoire au long cours: tout s'assemble pour former un ultime tableau. Ruth, jeune mère et épouse comblée, est devenue veuve. Elle ressent dans sa chair ce qu'elle avait décrit, avec justesse, dans un de ses romans. Lentement, elle revient dans le monde des vivants et part à Amsterdam faire la promotion de son dernier roman. Roman dans lequel est transcrit une expérience terrible qui la mit dans la situation d'un des albums écrits par son père. Ruth portera ce poids pendant longtemps jusqu'à ce qu'elle rencontre celui qui lui fera tout oublier.
1995, année où Marion sortira de son silence. Marion et Ruth reconquerront leur statut de mère et de fille dans une scène bouleversante d'émotion.
Un roman où la mélancolie, la nostalgie donnent une tonalité douce-amère émouvante et belle à l'atmosphère du récit. Facette mise en valeur par les révélations sur l'avenir des personnages faites par Irving. Ce dernier offre des instantanés du futur avant de revenir au présent du récit. Ce parti pris narratif donne une dynamique particulière à l'histoire: on a l'impression de se trouver devant un écran divisé en deux sur lequel passent deux scènes simultanées, l'une appartenant au présent, l'autre au futur ou au passé. Ce va et vient peut perturber la lecture au début mais on s'y fait très vite et on aime être ballotté par l'auteur facétieux et inventif qu'est Irving.
Une histoire où les héros nous ressemblent comme ils peuvent être à des années lumières de nous....ce qui est souvent le cas chez Irving: il transfigure le banal en récit au souffle épique!
Cette lecture a été faite dans le cadre "L'écrivain du mois" de Lecture-Ecriture.
Roman traduit de l'anglais (USA) par Josée Kamoun

18 commentaires:

Anonyme a dit…

je me suis comme toi arrétée à "une prière pour Owen", alors, pourquoi pas?

BelleSahi a dit…

Je n'ai jamais lu Irving !!!! Bon week-end ! Bises !

Anonyme a dit…

Je n'ai lu, pour l'instant, qu'un titre de John Irving:"L'oeuvre de Dieu, la part du diable". J'ai ajouté aussi "Une veuve de papier" dans ma PAL, mais je ne l'ai pas encore lu.

Katell a dit…

@gambadou: je me suis relancée dans la lecture d'Irving et je ne le regrette absolument pas!
@bellesahi: bonne journée à toi aussi. Si jamais tu rencontre le chemin de "Le monde selon Garp"...la lecture en est très agréable et je suis certaine que cela te plairait (la fille qui ne fait aps du tout de pub pour l'auteur ;-o ). Bises!
@anne: mais cela viendra bien ;-) Bonne futur lecture anne!

Anonyme a dit…

Tu me donnes envie de lire le dernier paru pour refaire connaissance avec cet auteur.

Katell a dit…

@cathulu: tu m'en vois ravie!

Anonyme a dit…

Je l'ai lu il y a un bon moment maintenant, mais je me rappelle avoir aimé.

Anonyme a dit…

Tu me donnerais aussi envie de retrouver cet auteur que j'avais abandonné après Garp et l'hotel New Hamspire, ça date !

Anonyme a dit…

Pareil. Je n'avais plus lu Irving depuis de nombreuses années. Ca a été bien de le retrouver à l'occasion de notre auteur du mois et de voir comment il avait vieilli et d'avoir différents avis à son sujet. C'est vrai que Le monde selon Garp reste son oeuvre maîtresse, mais tout le monde a l'air d'avoir aimé aussi "Une prière pour Owen" Par contre, le dernier, "Je te retrouverai"...:-(

Katell a dit…

@sylire: jusqu'à "Un prière pour Owen" je les avais tous aimés! Retrouver cet auteur avec "Une veuve de papier" a été revigorant et extraordinaire!
@moustafette: si tu veux, je peux faire "voyager" ce titre :-D
@sibylline: moi qui avais envie de lire son dernier, je suis un peu refroidie par ton avis. Si je le trouve en bibliothèque, je sauterai le pas.

Anonyme a dit…

Il m'avait beaucoup plu celui-là, j'en garde un souvenir un peu flou maintenant mais très agréable. Bon avouons le j'adore Irving même si je le lis moins à présent :-)

Anonyme a dit…

J'ai suivi le même rythme de lecture que toi pour Irving, et j'ai lu aussi "Une veuve de papier" . J'ai beaucoup aimé cette histoire moi aussi, j'ai retrouvé le Irving du "Monde selon Garp".

Anonyme a dit…

Moi aussi, cela fait des années que je n'ai pas lu de Irving ... peut-être une dizaine d'années au bas mot ! J'ai du retard à rattraper mais ton billet me donne envie !

Anonyme a dit…

J'avais adoré le Monde selon Garp !

Katell a dit…

@yueyin: moi aussi j'avais délaissé Irving depuis bien longtemps!
@gachucha: ;-) le hasard est amusant.
@joelle: je ne peux que t'encourager à le rattraper ce retard ;-)
@tietie007: bienvenue au club alors :-D

Anjelica a dit…

Irving c'est pas pour moi et depuis longtemps :(

Anonyme a dit…

Pour ma part, j'ai littéralement adoré "une prière pour Owen" et j'ai bien aimé "Garp" et "L'oeuvre de Dieu, la part du diable" mais je n'avais pas vraiment accroché à "une veuve de papier". Je l'ai refermé avec l'impression de ne pas trop savoir où l'auteur voulait en venir... mais ça date de quelques années!

Peut-être devrait-je prendre la peine de redécouvrir cet auteur que j'ai, depuis ce livre et "la quatrième main" (peu apprécié également), j'ai un peu délaissé!

Katell a dit…

@anjelica: moi, c'est Stephen King qui n'est pas fait pour moi ;-)
@karine: il a été chahuté à sa sortie mais je n'avais plus lu d'Irving depuis si longtemps que j'ai apprécié, vraiment, cette lecture!