lundi 17 décembre 2007

Les ombres de la ville

C'est l'histoire de Marie, mère de famille, mère au foyer depuis la perte de son emploi, perdue au milieu de la vie et des autres. Un jour, en attendant la fin du cours de tennis de son fils, elle est témoin d'une scène cruelle pendant qu'elle se promène sur la plage: des policiers évacuent manu militari des réfugiés, hagards et perdus.
Marie voit sa vie s'écouler, terne, immobile, sans goût et sans saveur, entre sa maison, le lotissement, les tâches ménagères, la sortie de l'école, les enfants, les courses, le temps qui passe et qui ne revient pas.
Une fêlure fait de Marie la jeune femme perdue dans la vie qui vaque, sans rien voir, pour avoir l'impression d'exister. Pourquoi cette vie sordide, monotone, maussade, sans saveur depuis la disparition de sa soeur, Clara? Pourquoi son père ne disait-il jamais rien? Pourquoi ne sait-elle, en fait, rien de lui, de l'homme qu'il était vraiment?
Un jour, Marie pousse la porte du centre d'aide aux réfugiés: elle y rencontre des bénévoles et surtout Isabelle. A partir de là, Marie a l'impression que sa vie peut avoir un sens en aidant Isabelle à apporter soutien, réconfort, chaleur et nourriture aux réfugiés, abandonnés aux affres de la faim, de la peur et de la rue depuis la fermeture du Centre de Sangatte, depuis qu'une décision d'un ministre de l'intérieur "au sourire de reptile" a condamné ces hommes et ces femmes à errer dans le froid des rues. Marie trouve chaleur, humanité, attention et sentiment d'utilité auprès des bénévoles et des réfugiés, "les Kosovars", elle qui n'a pas grand-chose est nantie à côté du néant de ceux qui ne sont à l'abri de rien, ceux qui attendent un passage hypothétique vers l'Angleterre pour y rejoindre de la famille ou tenter de démarrer une autre vie. Ces ombres qui déambulent dans le noir, emmitouflées dans des superpositions de pulls et d'anoraks, superpositions qui n'ôtent pas le froid, la nuit de leur vie. On les appelle "les Kosovars", mais ils sont des silhouettes furtives dans l'ombre nocturne de la ville, du port, des silhouettes qui disent combien est fragile la vie et la quiétude, combien la frontière peut être mince entre ceux qui sont à l'abri, pour le moment, et ceux qui ne sont à l'abri de rien. Alors quand on possède un petit bout de quelque chose, même fragile, on aime détester "les Kosovars" que l'on ne doit surtout pas regarder (le sordide est peut-être contagieux!) et on aime aussi haïr ceux qui aident "les Kosovars", reflets inversés de l'inhumanité de ceux qui sont à l'abri.
Marie en vient à oublier les siens et à s'oublier elle-même et à se mettre en danger. Personne n'est à l'abri de quoi que ce soit: Clara n'a-t-elle pas basculé dans le néant? La vie des parents de Marie amputée d'un enfant, le temps d'un tonneau dans une voiture? Marie perdu son travail du jour au lendemain?
Marie ne faillira pas à sa mission: aider jusqu'au bout de ses forces les réfugiés abandonnés de tous, malgré les injures, les reproches de ses enfants, les regards malveillants des voisins, les mesquineries des camarades de classe de Lucas et Lise. Elle ira jusqu'au bout, au risque de détruire son couple, sa famille, son toit. Elle lutte contre les arcanes administratives, le mépris des autres même si elle sait, au fond d'elle, que tout est perdu d'avance puisque les décrets d'un ministre de l'intérieur "au sourire de reptile" laissent dans la misère la plus profonde des êtres humains qui bientôt ne seront que des ombres.
Olivier Adam livre un roman où les personnages peuvent être autant lumineux que sombres, où la main tendue voisine avec la matraque, où l'humanité côtoie la cruauté et l'indifférence. Il raconte le courage des petites gens pour leur survie mais aussi pour le respect qu'elles ont d'elles-mêmes, il raconte l'horreur d'une situation inacceptable, il raconte le combat de David contre Goliath...et le lecteur espére que l'issue sera identique.
Olivier Adam inscrit son écriture dans la vie, la vraie vie: il observe, comprend, saisit tout ce qui compose le quotidien des gens que l'on croise chaque jour. De sa plume acérée et tendre à la fois, il fait vivre à son lecteur la joie de donner comme la honte d'ignorer et d'accepter l'injustifiable.
Un livre coup de poing pour réveiller les consciences endormies.




Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés

11 commentaires:

Anonyme a dit…

le cercle de parfumés , quel joli nom !

Anonyme a dit…

J'ai lu plusieurs critiques très positives sur ce roman et pourtant, je ne suis toujours pas tentée... Peut-être qu'un jour je vais "cliquer" et en avoir envie!

Anonyme a dit…

Très tentée par cette lecture que je ferais maintenant l'année prochaine !! ;-))

Anonyme a dit…

Ce livre n'a pas fait l'unanimité au sein de mon comité de lecture, certaines trouvant que le personnage de la femme n'était pas crédible. Je pense le lire pour me faire ma propre opinion.

Anonyme a dit…

Je suis très heureuse Katell que tu aies fait un si beau et si juste commentaire sur ce roman.
Autour de moi aussi,il n'a pas fait l'unanimité mais comme tu le dis si bien ,il est plus facile de détourner la tête devant la misère comme si elle était contagieuse !
Olivier Adam est un écrivain que je suis depuis ses débuts et qui construit une véritable oeuvre tout doucement,sans faire de bruit,ni donner de lecçons.
Les faits sontlà,on se les prend en pleine figure comme dans "Falaises" ou "Passer l'hiver" et on reste hébété devant tant de talent.
C'est sur que pour se bidonner ,mieux vaut un Philippe Ségur ou un
Groucho Marx mais il y a un temps pour tout.
Son écriture sans aucune fioriture frappe en plein coeur et cela aussi fait du bien,merci Katell !
A l'abri de rien,personne ne l'est.

Katell a dit…

@cathulu: je trouve aussi ;-) C'est un petit groupe du forum littéraire auquel j'appartiens.
@karine: c'est un livre dur sur un sujet très sensible. A lire quand on est prêt ;-)
@florinette: lecture dense et poignante!
@sylire: tout dépend de la sensibilité de chacun. Il ne faut pas oublier que le personnage de Marie est "un peu à l'ouest", est fragile psychologiquement ce qui l'amène à agir à l'extrême.
@carson: merci carson pour ton enthousiasme qui accompagne tout le bien que je pense d'Olivier Adam qui écrit, comme tu le soulignes, sans bruit ce qui marque et blesse notre société. Un écrivain à suivre et à lire...même si les sujets abordés sont loin d'être amusants. mais n'est-ce pas là aussi le rôle de l'écrivain que de pointer les insuffisances d'une société?!

lamia a dit…

la plupart des commentaires lus(pas forcément blogesques) m'encouragent à surligner ce titre déjà écrit dans ma LAL.

Jules a dit…

Moi aussi je l'ai lu et c'est certainement une lecture qui vaut le détour!

Katell a dit…

@lamia: une belle lecture qui remet les idées en place!
@jules: j'ai mis ton avis en lien ;-) Mister G. ne dit pas tout!

Joelle a dit…

Comme Sylire, les échos que j'ai eu de ce livre sont très mitigés : soit on a aimé, soit on ne trouve pas le personnage de Marie très crédible ! Bah, je me ferai ma propre opinion quand j'arriverai à mettre la main dessus à la biblio :)

Katell a dit…

@joelle: je procède souvent comme cela lorsque les avis de lecteurs sont très partagés! Je suis curieuse de connaître ton avis à la suite de cette lecture.