La première phrase met en situation le lecteur: « Pas de vie sans double vie. »: tiens, même le plus insignifiant d'entre nous, a une double vie? La double vie peut-elle être tous les non-dits jalonnant une vie? Est-elle la vie ou la fin d'une vie?
Le juge nouvellement nommé, Daniel Savage retrouve une vie sereine auprès de son épouse Hilary: ils vont quitter leur appartement pour une jolie villa avec jardin...le bonheur est presque palpable. Tout est bien dans le meilleur des mondes, même si la fille aînée du juge Savage est en pleine crise d'adolescence. Rien de plus banal. Jusqu'à ce qu'une des anciennes maîtresses du juge, Minnie, reprenne contact et solliciter son aide. Le hic vient du fait que la jeune femme est devenue sa maîtresse au cours d'un procès, lorsqu'il était avocat, dans lequel il plaidait et dans lequel elle siégeait en tant que jurée...ce qui est peu déontologique et illégal!
La double vie de Daniel Savage le rattrape et l'englue dans des situations plus inextricables les unes que les autres. Entre violent passage à tabac, procès collectif de jeunes gens accusés d'hominicide involontaire après jeté une pierre sur le périphérique, la crise d'adolescence à la limite de la perversité de sa fille (cette dernière lui fait des avances outrancières!), le léger chantage exercé par un policier au courant de ses diverses petites turpitudes, Daniel Savage renoue avec son frère adoptif (le juge est un enfant adopté d'origine brésilienne), rompt définitivement avec son meilleur ami et décide enfin de se libérer de tous ces poids qui lui pourrissent la vie.
On pourrait détester le juge Savage parce que l'on se dit qu'il a bien mérité qu'un jour, après une vie de mensonges, on lui demande des comptes. Ce serait trop simpliste car Daniel Savage est tout sauf un homme méprisable et vil. Non, c'est un homme qui ne sait pas résister aux charmes féminins car c'est un homme qui aime passionnément les femmes, toutes les femmes. Daniel Savage est un homme qui a réussit socialement et qui devenu juge, certainement parce qu'il est compétent mais parce qu'il est noir, se rend compte que cette tâche est tout sauf facile: présider un procès en laissant les différentes parties s'affronter et faire le point des débats en toute impartialité de façon à ce que le jury puisse délibérer en son âme et conscience, est un exercice épuisant où même la plus belle des rhétorique n'apporte aucun secours.
L'écriture de Tim Parks est déroutante, au début, par le choix des points de vue, des voix, s'imbriquant les uns dans les autres: l'auteur mêle les pensées intimes de son personnages (ses souvenirs, ses digressions, ses sentimenst, ses jugements...) avec l'action du récit (les procès, les moments en famille, les disputes, les rencontres...). Une confusion qui semble rebutante au premier abord mais qui, au final, donne une force et une intensité dramatique au roman.
Tim Parks brosse un portrait peu flatteur de la société britannique qui stigmatise les différences de classes sociales par des détails subtilement dévastateurs tels que l'accent (Oxford, Cockney) ou le style d'ameublement d'une maison. Il dénonce l'hypocrisie de la « bonne société » qui cache les déviances de certains de ses membres, qui cache des doubles vies peu recommandables, des doubles vies qui peuvent mener sur les routes infinies de la folie et de la perversité. Ainsi le personnage extravagant et irritant de Christine, l'épouse insatisfaite de son meilleur ami. Ou encore celui, plus trouble et plus dérangeant, de Martin, brillant avocat sombrant dans une profonde dépression et un dégoût du monde, Martin, ami dévoué qui semble-t-il a eu une double vie bien sombre (des photos à caractère pédophile sont retrouvées cachée dans un vieux meuble).
Le juge Daniel Savage explore donc, à son corps défendant, les forces contradictoires qui gouvernent les rapports humains: les attirances, les répulsions, les fascinations, les perversités, les diverses petites méchancetés et grandes gentillesses, les grands mensonges et les petites vérités qui font mal.
Daniel Savage peut croire qu'il va pouvoir s'émanciper de ses maladresses et de ses mensonges du passé et vivre autrement sa vie. Mais, un soir Minnie le rejoint, elle a été battue avec violence et s'effondre dans sa chambre d'hôtel: la goutte d'eau qui fait déborder le vase....le juge se retrouve face à lui-même, à une décision qu'on ne lui a pas laisser prendre et à ses manquements « On m'a tout enlevé. Il répète inlassablement ces mots. Tout enlevé. Je n'ai pas agi. Son regard est à nouveau attiré par l'écran. Ne vous en faites pas. Les mots ont une sorte de reflet bleu. ».
Daniel Savage est un personnage attachant: il porte un regard réaliste sur le cours des choses, il essaie de se racheter une conduite car il a, enfin, compris que l'essence de son bonheur est dans la stabilité de son couple, il cumule les maladresses qui l'éloigneront, inexorablement, du bonheur familial et conjugal. Il perçoit, au fil de ses mésaventures, que les dés sont pipés parce qu'il est un symbole idéal d'intégration et de réussite sociale. Sa rédemption semble lui échapper à mesure que ses menus délits ne seront pas sanctionnés: le lecteur sera libre de la lui accorder ou non selon le chemin de compréhension qu'il aura envie de prendre à la fin du roman.
La fin est frustrante mais elle ne peut pas être autre sans quoi le roman deviendrait plat.
Une belle découverte littéraire, au hasard de l'exploration des rayonnages de la bibliothèque!
Roman traduit de l'anglais (GB) par Jean-Yves Le Disez
10 commentaires:
Je te fais une bise en passant ! J'ai des invités. Je reviendrais ce soir pour lire cet article ! Bon dimanche !!!!
Dis donc, ça semble être un personnage bien complexe et le livre porte bien son titre.
J'aime bien ces livres dont la fin est quelque peu frustrante mais, comme tu le dis si bien, c'est la seule issue possible, au risque sinon de rendre le roman plat. Il me tente bien, celui-là, je le note.
@bellesahi: bon dimanche en famille à toi aussi.
@moustafette: oui, le personnage est complexe et limpide à la fois. C'est ce qui fait tout l'intérêt du roman.
@maijo: j'espère que tu auras l'occasion de le lire. J'ai passé un excellent moment de lecture!
Oh la la j'ai honte moi quand je lis tes critiques. Purée qu'elles sont nulles les miennes.
Je note ce livre !
cette chronique m'intrigue... je note ca dans mon petit calepin!
@bellesahi: pas du tout! d'ailleurs, j'ai salivé en lisant tes chroniques au sujet de la pentalogie de "Le poids des secrets"! Que devrais-je dire moi au sujet de mes photos qui sont nulles comparées aux tiennes! ;-)
@choupynette: note, note et au détour d'un rayonnage...
Elles sont belles tes photos. Bises Katell !
Je viens chaque jour sur vos blogs et comme vous (et grâce ou à cause de vous), je remplis des carnets et des étagères... Je n'avais encore jamais lu de billets sur Tim Parks, alors là je me décide à laisser un commentaire. C'est un auteur que j'ai découvert l'an dernier et j'ai tout lu... (c'est aussi un de mes problèmes : quand j'aime un auteur, il faut que je trouve tout ce qu'il a écrit, ce qui entraine forcément des retards et des embouteillages dans ma Pal...)
Certains de ses livres sont parus en babel, je vous conseille "Cara Massimina" et "comment peut-on aimer Roger"
Merci à vous et bonne route !
Marie
@bellesahi: tu es mimi de m'encourager comme ça ;-)
@marie: je suis ravie par votre commentaire qui me donne de nouvelles pistes de lecture avec Tim Parks. J'ai noté les deux titres que vous me conseillez. J'aime découvrir un auteur en lisant un grand nombre de ses romans mais j'espace les romans car je crains toujours de me lasser. Merci encore.
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